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10 juin 2019 1 10 /06 /juin /2019 09:11

Après Le Koala Tueur et La Vengeance du Wombat, voici le troisième opus du triptyque de Kenneth Cook consacré à ses rencontres aussi malencontreuses que loufoques avec tout ce que l’Australie peut dispenser de représentants bizarres, animaux comme humains.

 

Comme les précédents tomes, L’Ivresse du Kangourou est un recueil de nouvelles (dans le cas présent quatorze récits différents) qui ont le point commun de narrer les mésaventures de Kenneth Cook à chaque fois parachuté dans un coin perdu de l’Australie.

Vous aurez ainsi l’occasion de croiser au fil des histoires un kangourou qui a pris goût à la bière, et qui connaît des réveils de gueule de bois plutôt mouvementés, une autruche qui voit d’un très mauvais œil qu’on lui subtilise son œuf et qui se lance dans une chasse à l’homme pour le récupérer, un pilote phobique qui voit son cockpit envahi de lézards à collerette, un rat mangeur d’homme bien décidé à rester maître chez lui, un champion de bras de fer fan de blagues carambar, un restaurant panoramique sans fenêtre, un voleur de voiture un peu distrait, un chien sauvage furibard et un chat sauvage encore plus monstrueux, etc, etc, etc.

 

Sans vouloir trop me répéter par rapport aux deux recueils précédents, sachez que la recette reste la même pour ce troisième et dernier volume. Toujours le narrateur malchanceux et un peu loser, toujours des situations improbables (mais qu’il jure pourtant véridiques) et toujours beaucoup d’humour et d’auto-dérision dans le ton du récit.

 

C’est drôle, c’est parfois complètement WTFesque, c’est rythmé et c’est léger. Ça se lit bien et vite, cependant peut-être faut-il veiller à ne pas s’enquiller l’une après l’autre toutes les histoires, et d’autant moins les trois recueils les uns après les autres, histoire d’éviter le phénomène de répétition qui pourrait apparaître à la longue, et conserver ainsi la fraîcheur de chaque histoire. Pour qu’un trop plein ne mène pas à l’indigestion, le mieux est donc d’échelonner sa lecture en plusieurs petites pastilles dans le temps, cela augmentera d’autant le pouvoir comique des nouvelles, et aura certainement beaucoup plus d’effet sur le lecteur qu’une lecture en un bloc.

 

Comme ce troisième volet reste exactement dans la même veine que les deux précédents que j’avais déjà trouvés plutôt réussis, je ne peux que le conseiller également. Ça fait du bien de temps en temps de lire des choses légères, déjantées et un peu foutraques comme celles-ci. Ça déride, ça lave le cerveau de ses mauvaises pensées. Il y a une petite part de moquerie envers le narrateur il ne faut pas s’en cacher, mais comme ce dernier est tout à fait complice et consentant on peut aisément déculpabiliser à ce sujet.

 

Et si une fois qu’on s’est bien délassé les zygomatiques on veut repasser à du plus sombre tout en restant dans la zone de l’outback australien, on pourra toujours s’aventurer dans un autre roman, beaucoup plus noir celui-là, du même auteur, en lisant Cinq matins de trop.

 

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6 juin 2019 4 06 /06 /juin /2019 07:08

Qu’est-ce que je l’attendais ce film-ci ! Forcément après la dose d’émotions fortes ressenties lors de Avengers : Infinity War, cette suite directe et conclusive portait sur ses épaules beaucoup d’attentes, de gros enjeux en termes de résolutions d’intrigues en cours et surtout bien des fantasmes et conjectures de toutes sortes…

Plus l’attente est grande...

 

Ça fait beaucoup pour un seul film, fut-ce un film de trois heures. En gros il lui fallait gérer l’après « snap »1, mettre en scène une somme considérable de personnages, tenir le statut de fin de cycle des 22 films qui l’ont précédé ces 11 dernières années, et si possible ouvrir des pistes sur l’avenir encore bien nébuleux du Marvel Cinematic Universe (Marvel a pour l’instant été très évasif sur la teneur de sa Phase IV qui devrait démarrer officiellement après Spider-Man : Far From Home).

D'un simple claquement de doigts...

Je pense que c’était trop pour un seul film. Pour moi, c’est avant tout la déception qui aura prédominé comme sentiment lors de ma sortie de séance (au premier visionnage, le jugement a été beaucoup moins sévère au second). Non pas que le film soit mauvais ou qu’il ait démérité dans la plupart de ses objectifs, car mine de rien, il répond à chacune des choses qu’on attendait de lui et que j’ai énoncées plus haut. Sauf que … il aura eu tant de cases à cocher, de rôles à remplir, d’enjeux à combler, qu’il en aura oublié de soigner l’essentiel : avoir son identité propre, son essence, son âme. Et puis, je crois que ce qui lui a fait le plus de mal, c’est justement de passer après Infinity War qui aura décidément mis la barre très haut en termes de spectacles et d’émotions. Malheureusement à mes yeux, Avengers : Endgame ne tient pas la comparaison avec Infinity War, et c’est parce que c’est cela que j’ai retenu en premier lieu du film, que j’ai été aussi déçu au premier visionnage par Endgame.

 

Je vais essayer d’expliquer tout cela un peu plus en détail. Mais pour ce faire, impossible de ne pas dévoiler le contenu du film et la résolution des intrigues. Donc forcément pour tous ceux qui ne l’auraient pas encore vu et qui voudraient le voir en en sachant le moins possible à l’avance, j’aime autant vous prévenir que ça va spoiler sévère et qu’il vaudrait donc mieux vous abstenir de lire ce qui suit.

Je vous aurai prévenus...

Accusé de déception

 

Bon, faut bien commencer par quelque chose, alors autant tailler dans le vif dès le départ : le plus gros problème du film c’est son rythme. Ça manque clairement d’action, et le peu qui subsiste n’est pas assez spectaculaire. Entendons-nous bien : je fais inévitablement un constat par comparaison avec Infinity War, qui lui regorgeait de scènes fortes, d’actions mémorables, de confrontations dantesques, tout ce dont Endgame manque cruellement, si ce n’est sur la fin. Il n’y a pas de scène d’anthologie comme dans le précédent (la première attaque de Black Dwarf et Ebony Maw, la bataille sur Titan, l’invasion du Wakanda), ici les enjeux semblent survolés : tout paraît simple et trop facilement à la portée des héros. J’en veux pour preuve la manière dont Thor règle son compte à Thanos dans les toutes premières minutes du film. D’office, chute du taux d’adrénaline, perte de repères clairs, enjeux retombés au niveau zéro. Du coup, alors qu’Infinity War ne laissait pas une seconde de répit au spectateur, Endgame s’étale gentiment et on sent bien les trois heures du film passer. On ne s’ennuie pas franchement, mais il n'y a plus ce sentiment d'urgence et d'inéluctabilité qui portait de bout en bout le film précédent.

 

Passons aux personnages, et aux différents arcs narratifs qui leur sont rattachés. Endgame signe là un étonnant paradoxe : c’est le film Marvel dans lequel on aura vu le plus de super-héros différents (plus que dans Infinity War même) alors que l’histoire se resserre drastiquement autour d’une poignée d’entre eux seulement, les six Avengers d’origine et accessoirement Nebula (qui pourtant est loin d’être potentiellement la plus intéressante et pour preuve : on se fiche bien de ce qui va lui arriver par la suite). Autrement dit tous les autres ne servent à rien. Littéralement. Ils font de la figuration. De la figuration de luxe, certes, mais de la figuration quand même. Pour certains c’est même plus proche du caméo façon Stan Lee2, c’est dire le peu de temps qu’ils ont à l’écran. Au hasard : Drax, Okoye, Shuri, M’Baku, Groot, Mantis, les Généraux de Thanos, Docteur Strange : ça se compte en secondes. D’ailleurs au générique de fin j’ai vu le nom de Marisa Tomei, alias la tante May de Spider-Man : je ne me souvenais pas l’avoir même entraperçue dans le film (au second visionnage je l’ai repérée un quart de seconde lors du long travelling à l’enterrement). Et même durant la grande bataille finale : quelqu’un se souvient de ce que faisait Hulk par hasard ? Il n’est pourtant pas du genre super-discret d’habitude.

Tiens Marisa, par où t'es entrée on t'a pas vue sortir ?

Gâchis Parmentier au menu

 

Plus grave : le cas Captain Marvel. Souvenez-vous de la scène post-générique de Infinity War : on nous teasait son arrivée comme si elle allait sauver l’univers et régler tous les problèmes. Dans le film éponyme sorti un mois avant Endgame, on nous la présentait grosso-modo comme le personnage le plus puissant du MCU. La bande-annonce d’Endgame laissait présager qu’elle allait s’intégrer au groupe et devenir le nouveau personnage phare des Avengers. Résultat : on la voit au début du film, puis elle annonce qu’elle a d’autres chats à fouetter dans l’univers, et puis un petit retour rapide à la fin, histoire de nous montrer sa nouvelle coupe de cheveux et accessoirement d’avoir quelques effets spéciaux pyrotechniques sympas, de se prendre un coup de boule de Thanos et de valdinguer après deux-trois bourre-pifs à base de pierres de l’infini. Merci d’être passée, Carol. Perso, j’appelle ça du gâchis.

J'peux pas rester j'ai rendez-vous chez Jean-Louis David

Enfin, qu’on gâche un personnage potentiellement intéressant comme Captain Marvel, passe encore, mais qu’on gâche un personnage déjà bien introduit et si bien mis en valeur dans Infinity War, là c’est une des pires erreurs du film. Bien entendu je veux parler de Thanos. D’abord il se prend la pâtée sans même lever le petit doigt en guise de résistance au début du film. Puis au cours de la seconde moitié du film, il est réintroduit dans l’histoire par le truchement du voyage dans le temps. Les héros trouvent le moyen de retourner dans le passé, non pas pour le modifier (ça d’ailleurs c’est très malin, l’idée qu’on ne peut pas modifier le passé mais seulement créer des univers alternatifs en tentant de le faire, j’y reviendrai) mais pour y chercher de quoi changer le futur. Ils tombent malheureusement sur le Thanos du passé (celui qui n’a pas encore trouvé les pierres mais qui commence à les chercher activement), qui lui, malin comme un singe, trouve le moyen de les suivre dans leur présent (ou son futur si vous préférez). La pirouette scénaristique est plutôt bien trouvée, et j’ai apprécié cette manière de le réinjecter dans l’histoire. Sauf que le Thanos de Endgame n’a plus grand-chose à voir avec celui de Infinity War. Il est monolithique, caricatural. C’est le méchant mégalo de base, on ne retrouve plus le côté torturé, le personnage en plein dilemme moral contraint de faire le mal pour le bien (supposé) de l’univers, toute la richesse et la profondeur du personnage sont oubliées au passage, il n’a plus que le statut de « boss de fin ». Thanos, la plus belle réussite d’Infinity War, devient ainsi la plus grosse erreur narrative de Endgame.

Thanos, mais qu'ont-ils fait de toi ?...

Surprise, surprise...

 

D’autres personnages s’en sortent à peine mieux, et font les frais de cette suite qui tente visiblement de se démarquer du film qui l’a précédé et ce faisant, valide tous les mauvais choix possibles et imaginables. Certes on est surpris, certes on rit aussi un peu de ces surprises, mais en définitive on finit par rire jaune.

C’est le cas de deux des Avengers majeurs et centraux de cette histoire : Hulk et Thor. Parlons de Hulk d’abord. Son traitement dans Endgame est ce qu’on nomme habituellement une « fausse bonne idée ». Ce mélange de physique de Hulk, d’intelligence de Banner et de personnalité rigolote et à la cool : ça surprend, on ne s’y attend pas du tout, et passées 5 minutes ça n’a plus le moindre intérêt. Le personnage est si profondément modifié qu’il en perd toute sa saveur. Un Hulk sans sa sauvagerie ne sert plus à grand-chose à l’écran. Alors qu’on ne voit quasiment que lui lors de la bataille finale du premier Avengers, ici il passe inaperçu. La scène où il retourne dans le passé, au moment de l’attaque de New-York justement est tristement et pathétiquement symbolique : il essaie de s’énerver et de hurler, et fait peine à voir…

Quant à Thor, c’est encore différent. Dans Thor : Ragnarok, le personnage avait déjà pris un virage assez net et assumé vers la comédie. Mais on restait dans le registre de l’humour sans tomber, bien qu’en équilibre sur un fil, dans le ridicule. Dans Endgame, on pousse le curseur encore un cran plus loin, mais c’est à mon humble avis un cran de trop. Là encore, j’avoue avoir été surpris en découvrant ce qu’était devenu le Dieu du Tonnerre, un ivrogne pleurnichard, bedonnant et en pleine régression mentale, j’avoue même que de voir le contre-pied pris ainsi m’a fait rire. Ah voir ce gros bide, limite ça aurait pu être moi à l’écran ! Sauf que, sur la longueur ça devient très vite lourdingue, et du coup le personnage de Thor y sombre bel et bien. Dans le ridicule. L’écueil évité de justesse dans Ragnarok, est pris de front dans Endgame.

- Dis il aurait pas forci un peu Thor ? - M'en parle pas, même Stéph se maintient mieux !

Des cheveux en quatre

 

Au chapitre des ratages, facilités, incohérences et problèmes, je me permets d’ajouter encore quelques petits points qui m’auront fait sourciller.

D’abord le rat. Parce qu’il faut bien se rendre compte que sans ce rongeur indélicat et touche à tout, point de retour de Ant-Man dans le présent (5 ans après le snap donc), et du coup point de piste quantique, pas de Tony Stark qui résout l’équation en deux temps trois mouvements (littéralement), et donc pas de film. Je trouve juste, que le rat comme explication au retour de ce cher Scott Lang, c’est carrément léger. Dommage.

Ensuite je me suis posé la question du « et ensuite ? » au retour de tous nos héros disparus à la fin d’Infinity War. En particulier en ce qui concerne Spider-Man, dont le second film solo est annoncé pour le mois de juin au cinéma. D’après la bande annonce de Spider-Man : Far From Home, le gentil Peter Parker part en sortie de classe avec ses copains en Europe et va être confronté à divers méchants aux pouvoirs élémentaux3. On le voit d’ailleurs à la fin de Endgame retourner au lycée et retrouver son ami Ganke. Sauf que 5 années ont passé depuis sa disparition. Et il retrouve quand même ses amis du lycée. Or, Tony Stark avait insisté pour que rien des 5 années écoulées ne soit supprimé par le snap inversé (et pour cause : devenu papa entre temps, il se voyait mal effacer sa petite Morgane du paysage). Donc : les amis de Peter n’ont pas pris 5 ans eux ? Bon, nul doute que j’aurai la réponse très bientôt en allant voir le nouvel opus arachnéen.

Celui sans qui rien n'aurait pu arriver !

Autre raison de chipoter à côté de laquelle je ne peux décemment pas passer : le coup de fil de madame Barton à son Oeil-de-Faucon de mari sitôt le snap d’inversion effectué. Je ne sais pas quel abonnement téléphonique elle avait, mais 5 ans plus tard il est toujours valable. Excellent choix d’opérateur visiblement. J’accepte qu’un Hulk puisse soulever 10 tonnes d’un seul petit doigt, mais pour la téléphonie mobile faut rester crédible, merde.

Ok, j’avoue que la précédente remarque tient plus du détail qu’autre chose, mais quid de celle-ci : le plan des Avengers restants était de récupérer les pierres de l’infini dans le passé, les rapporter dans le présent, ramener tous ceux qui ont trépassé en snappant à l’envers, et ensuite très important pour ne pas créer des mondes alternatifs déviants : rapporter les pierres à l’époque où elles ont été empruntées. Mission que Captain America s’empresse de mener à bien après la bataille finale. Mais ça fonctionne comment pour la pierre de l’âme exactement ? On est d’accord que pour l’obtenir il faut se présenter devant Crâne Rouge et offrir une âme contre la pierre. Mais pour la rendre ? Captain s’est radiné sur la planète Vormir et a négocié avec son ancien ennemi nazi une reprise sur la base contractuelle des sept jours de délai légal de rétractation ?

Non monsieur, ni repris ni échangé désolé...

Et puis pour finir j’ai gardé le plus consistant de mes bémols pour manque de cohérence, à savoir la fin réservée à Captain America. Qui part jeune et en bonne santé rendre toutes les pierres à leurs époques respectives, et réapparaît en vieil homme qui a l’âge qu’il devrait s’il n’avait jamais traversé les décennies en mode hibernatus. Certes, c’est très beau comme final, ça fait un bel épilogue pour le personnage de Steve Rogers, mais ça fiche en l’air tout ce qu’on a pris la peine de nous expliquer sur les voyages dans le temps (non sans se foutre explicitement de la gueule de Retour vers le Futur au passage) tout au cours du film. On peut retourner dans le passé mais on ne peut pas le changer en créant un paradoxe temporel. Si on change le passé, on ne fait que créer un monde parallèle et alternatif au sien, mais la continuité temporelle du monde d’où l’on vient n’en est pas modifiée. Moi perso je trouve ça très sympa comme idée, c’est plutôt malin comme façon d’éviter les paradoxes temporels qui foutent par terre toute la logique de l’histoire et donnent mal à la tête à trop essayer de les rationaliser. Et tout le film fonctionne sur ce principe du voyage dans le temps non paradoxal. Sauf cette fin. Et ça, conceptuellement c’est quand même bien dommage, parce que par la même occasion, c’est toute la cohérence du film qui est mise à mal. Peut-être que cette faille dans la logique nous sera expliquée plus tard par le truchement de je ne sais quelle pirouette scénaristique, n’empêche, en l’état ça fait tâche.

Mais !!

 

Vous devez vous dire « attends garçon, t’avais dit que le film n’est pas mauvais et n’a pas démérité sur ses objectifs principaux, mais au final tu le charges à mort !? ». C’est parce que ça n’est que la première partie de mon avis. Je vais donc passer au positif à présent. C’est mieux de garder le meilleur pour la fin non ?

 

Alors voici les raisons pour lesquelles Avengers : Endgame reste un bon film, qui mérite à ce titre d’être vu, malgré la liste de choses à redire que je viens de détailler.

Rassurez-vous les gars, j'ai des trucs positifs à dire aussi sur votre film.

Clap de fin

 

En premier lieu, parce qu’il s’agit d’une vraie conclusion. « Enfin ! » pourraient être tentés de dire certains. Depuis son début avec le premier Iron Man, chaque film du MCU appelle à une suite, et c’est même devenu une des marques de fabrique du MCU, chose soulignée si besoin par les scènes post-génériques. Pour Endgame, inutile de perdre 10 minutes à voir défiler une interminable suite de noms au générique de fin : il n’y a plus rien après. Façon de marquer ce film comme une vraie conclusion à tout ce qu’on a pu voir jusqu’ici. Alors si vous faites partie de ceux qui ont vu les films du MCU dans l’ordre, et qui ont apprécié le fil rouge qui les relie tous entre eux, il est évidemment impensable de ne pas en voir la fin. Certes pas définitive, chez Marvel le mot Fin n’a pas la même définition que dans le Larousse. Mais quand même, il faut laisser à Endgame cette qualité : le film offre une vraie conclusion à toutes les intrigues lancées jusqu’à présent en 11 années de MCU. Ça n’est quand même pas rien ! On a vu ensemble que sur certains points il y aurait à redire, mais tout de même chaque arc narratif se referme en même temps que Endgame. Si le MCU en restait là, si on ne devait plus voir aucun des personnages dans de nouveaux films, on n’en serait pas pour autant frustrés sur le plan de la narration. Gros enjeu, et gros point fort de cet Endgame donc.

En voilà au moins un qui y met du cœur à l'ouvrage !

La chasse aux oeufs

 

Comme souvent dans les films du MCU, on retrouve quelques petites séquences sous forme de clins d’œil aux fans de comics, évidemment Endgame n’y échappe pas. Ces passages passent d’ailleurs souvent inaperçus aux yeux des profanes, la référence aux comics pouvant facilement échapper à qui n’est pas un lecteur assidu des productions Marvel. Certes c’est de l’ordre du détail sur la totalité d’un film, n’empêche que je dois avouer y être assez sensible. À chaque fois que j’en repère une de ses scènes clins d’œil, surtout si c’est en rapport avec un bon souvenir de lecture, mon petit cœur de fan est flatté et caressé dans le sens du poil. Bref ça marche sur moi quoi. Souvent ce sont des petites choses pas bien importantes.

 

Il y a par exemple la scène qui regroupe l’ensemble des héroïnes du MCU et qui fait directement référence à une mini-série très récente (A-Force, parue en 2015 au cours du maxi-crossover Secret Wars), mais j’y reviens plus en détail en fin d’article.

Quand Scott Lang est éjecté du monde subatomique grâce au rat, il se retrouve dans un box de stockage enregistré sous le code « Lang 616 ». Le 616 fait référence à la Terre-616 qui est le nom de la réalité dans laquelle se situent la plupart des événements de l’univers Marvel. Ce 616 est lui-même un clin d’œil et correspond à la date 61-6 (juin 1961), date de parution du premier épisode des Fantastic Four, qui marque le lancement de l’univers super-héroïque Marvel moderne dans les kiosques.

Lors du caméo de Stan Lee il y a un gros plan sur la plaque d’immatriculation de la voiture qu’il conduit à toutes trombes, on peut y lire « Nuff Said » qui est une des phrases fétiches avec laquelle Stan Lee aimait conclure ses textes d’intro ou ses éditos.

Lors du passage de Tony et Steve dans les années 1970, ce dernier récupère des tubes à essais remplis de particules Pym dans le laboratoire de Hank Pym (Michael Douglas rajeuni avec une coupe de cheveux absolument fabuleuse !!). On aperçoit dans le labo de Pym le casque « historique » du costume d’Ant-Man, avec les antennes et la mentonnière. Toujours en 1970, quand Tony fait ses adieux à son père, c’est en présence de Jarvis. Jarvis est le nom de l’IA de Tony Stark dans les films, mais dans les comics il s’agit surtout du nom du majordome des Stark (un équivalent du Alfred Pennyworth de Batman).

J’y reviens plus en détails plus bas, mais la scène où Sam Wilson « hérite » du bouclier étoilé de la main de Captain America fait directement référence à la récente série Sam Wilson : Captain America.

Si on m'avait dit qu'un jour...

Quand Steve Rogers se retrouve dans l’ascenseur avec les agents du SHIELD (des agents infiltrés d’Hydra en fait), il glisse en toute discrétion un « Hail Hydra » à l’un d’entre eux en signe de reconnaissance. Cette image fait référence à une fameuse case de la série Steve Rogers : Captain America qui a fait polémique à sa parution où l’on voit le Captain dire ces mots. C’est le coup d’envoi d’une saga plutôt réussie d’ailleurs, du nom de Secret Empire.

Au début du film on apprend que Clint Barton a perdu sa femme et ses enfants lors du snap de Thanos. Cinq ans plus tard on le retrouve en justicier-tueur dans un costume qui n’a plus rien à voir avec celui de Hawkeye. Il s’agit de celui de Ronin, identité qu’il a prise dans les comics après la saga Civil War (celle des comics, pas du film).

Jim Starlin, le papa de Thanos !

Dans la première partie du film, on voit Steve Rogers participer à une thérapie de groupe. Le personnage qui raconte son rendez-vous galant avec un autre homme est l’un des co-réalisateurs du film, Joe Russo qui s’offre ainsi un caméo. Mais il y a un autre caméo plus discret dans cette séquence : un homme chauve avec un bouc assiste aussi à la réunion. Il s’agit ni plus ni moins de Jim Starlin ! Jim Starlin est le créateur de Thanos et des pierres de l’infini (mais aussi de Drax et Gamora entre autres).

Autre moment fort du film : lors de la bataille finale Captain America soulève et utilise Mjolnir, le marteau de Thor, que seuls ceux qui en sont dignes peuvent soulever. Cette scène démontre le cœur pur et le sens de l’honneur sans faille du Captain, mais est également une image forte qu’on a déjà pu voir à plusieurs reprises dans les comics. L’une des plus récentes date de la saga Fear Itself, parue en 2011.

... ouhouh ce serait le bonheu-heur... (sur un air connu)

Enfin et pour finir, quand tous les Avengers apparaissent sur le champ de bataille pour l’affrontement final avec l’armée de Thanos, Captain America prononce enfin la phrase symbolique qui apparaît dans quasiment tous les épisodes papier des Avengers, le fameux « Avengers Rassemblement » (« Avengers Assemble » en VO). Et ça, bien que quiconque n’est pas fan de comics puisse trouver cela ridicule, je dois bien avouer que cette petite phrase m’a procuré des frissons en l’entendant...

Et tes larmes n’y pourront rien changer4

 

Ensuite, il y a l’inévitable force mélodramatique du film. Mélo parce que Endgame est l’occasion de se replonger dans une immense rétrospective de ce qui a été fait jusque-là, et de revoir ce qu’on a déjà vu mais d’un œil nouveau. C’est, je pense, vraiment ce qu’ont voulu faire les frères Russo avec les différents voyages dans le temps qui renvoient chaque Avenger survivant dans le passé du MCU. Il s’agit d’une ficelle scénaristique d’une part, mais aussi et surtout du moyen de faire d’une pierre deux coups en unissant l’enjeu de ces scènes pour le développement du film en cours à la nostalgie inévitable qu’elles engendrent. En se remémorant ces scènes, on y gagne en émotion. L’idéal aurait été que l’aspect « action pure » soit autant impactée que le côté « émotion et nostalgie », ce qui n’est pas le cas, mais on ne peut décemment pas nier que ces flashbacks ont de l’importance et provoquent une résonance chez le spectateur qui a vu les films précédents.

 

Le « dramatique » de l’adjectif mélodramatique que j’employais plus haut, je le destine tout particulièrement à la destinée de trois (mais surtout un) des Avengers principaux. La Veuve Noire tient enfin dans ce film un rôle majeur en ce sens que sans elle la pierre de l’âme n’aurait pas pu être récupérée. Son sacrifice a donc une valeur primordiale pour la suite de l’histoire. Elle meurt pour que les autres revivent. D’ailleurs cela donne lieu à un combat entre la Veuve et Oeil-de-Faucon, chacun refusant que l’autre se sacrifie à sa place. Que Natasha l’emporte sur Clint est une forme de reconnaissance de sa valeur (je rappelle qu’elle fait partie des seuls personnages qui n’a aucun pouvoir ou capacité particulière, si ce n’est celle d’entrer avantageusement dans des futals en cuir taille XS). Pourtant à bien y réfléchir peut-être que l’aspect dramatique aurait été plus élevé si cela avait été Barton qui se sacrifie, dans le sens où il se serait donné la mort sciemment pour que toute sa famille disparue revienne à la vie. Mais c’est Natasha qui remporte leur duel, elle qui n’a pas d’attaches. On s’en aperçoit d’ailleurs bien par la suite, sa mort, émouvante sur le coup, est vite reléguée en arrière plan. Barton en souffre mais le retour de sa famille adoucit son deuil, seul finalement Banner la pleurera vraiment.

Bon là ça devient sérieux : Shifumi ?

Autre élément dramatique du film : Steve Rogers, dont l’épilogue de l’histoire titille la corde sensible du spectateur. Rappelons-nous son premier film solo, celui qui narre ses origines. Le bonhomme sort victorieux de ses combats mais a tout de même tout perdu au passage : congelé pendant des décennies, la femme qu’il aime et qui lui avait promis une danse à son retour est vieille et sur le point de mourir quand Rogers se réveille de nos jours frais comme un gardon. On peut difficilement faire plus dramatique. Eh bien les frères Russo dans Endgame, offrent cette fameuse danse au Captain en lui permettant de revenir dans le passé, et de reprendre là où il en était resté avant de disparaître dans les glaces arctiques. C’est beau, c’est romantique, et on ne peut pas dire que ça n’est pas mérité par l’homme à la bannière étoilée. En revanche ça démolit tout ce qu’on nous a expliqué durant le reste du film, la façon dont fonctionnent les voyages dans le temps dans le MCU. Dommage. Mais on va dire que la conclusion est suffisamment émouvante pour que ce soit cette sensation qui l’emporte sur le reste. Dans le contexte du film et du MCU cette fin manque de cohérence, mais pour le personnage du Captain elle est belle.

Captain America saura-t-il retrouver son chemin dans les labyrinthes du temps ?

I am Iron Man

 

Dernier et, je crois que tout le monde s’accordera à le dire, principal élément dramatique de cet Endgame : la destinée de Tony Stark. Celui par qui tout a commencé avec le premier film Iron Man en 2008, est non seulement celui qui trouve la solution du voyage temporel par l’intermédiaire du monde quantique, mais est aussi celui qui résout tout le pataquès au final. Et de quelle manière ! Il va réussir l’impensable : s’emparer du gant de l’infini et procéder au snap qui va régler définitivement son compte à Thanos, le tout non sans balancer la phrase symbolique qu’il prononce à la fin du premier Iron Man, « Je suis Iron Man ». Encore une belle façon de conclure en rappelant le commencement, souligner l’esprit ironique de Stark et son côté bravache, frimeur, mais ultra-fortiche quand même. De ce point de vue le MCU a d’ailleurs réussi avec Tony Stark ce qu’il n’a pas encore pu réitérer avec d’autres : rendre le personnage de cinéma plus intéressant et plus attachant que celui des comics. Tony Stark n’est pas seulement le maître à penser des Avengers, il est l’âme même du tout le MCU, son emblème le plus représentatif. Le voir se sacrifier ainsi revêt une force d’autant plus grande que finalement ils ne sont pas si nombreux les héros qui auront fini cette histoire les pieds devant. Et il n’y a pas photo là-dessus, entre celui de la Veuve Noire et celui d’Iron Man, c’est le sacrifice de ce dernier qu’on retiendra avant tout. Comme pour marquer que cette fois le héros ne se relèvera plus comme il a si bien su le faire au cours de tous les films précédents, le volubile Tony meurt dans les bras de Pepper sans dire un mot. Lui le bavard impénitent, lui qui n’a pas son pareil pour tourner à la légère n’importe quelle situation, même la plus désespérée, il finit par faire silence et meurt dignement (Marion Cotillard, prends-en de la graine). L’émotion qui se dégage lors de son échange de regards avec Pepper est si intense que les mots auraient été superflus. On y lit à la fois l’incrédulité d’un Tony qui s’est toujours sorti de tout auparavant, ses regrets mêlés d’une demande muette de pardon destinée à celle qu’il abandonne en mourant, et également l’inéluctabilité de son sort comme s’il avait toujours su que cela se terminerait ainsi. Et on entraperçoit l’espace de cet instant fatidique toute la profondeur d’âme du personnage. Impossible je crois de faire une fin plus symbolique, un dénouement tragique plus réussi, c’est le sans-faute parfait.

I am Iron Man !

D’ailleurs durant tout le film c’est évidemment Tony qui est le personnage le mieux servi par les scénaristes, et tout son cheminement dans Endgame semble a posteriori mener vers cette fin héroïque parfaite. Outre son côté génie-sans-forcer qui lui colle si bien à la peau, et son humour poil-à-gratter qui souligne sans cesse son insoumission en flirtant parfois avec l’arrogance, dans ce film Tony Stark nous aura surtout démontré sa sensibilité et ses sentiments profondément enfouis sous sa personnalité exubérante. Il y a sa relation de père avec sa fille Morgane, sa relation quasi-paternelle avec Peter Parker qu’il avait pris sous son aile, mais aussi sa relation avec son propre père, Howard Stark, qu’il rencontre lors de son retour dans les années 1970. On sent que dans ces scènes se jouent beaucoup de choses pour Tony émotionnellement, il paraît même sincèrement ébranlé, ce qui ne lui arrive pourtant pas si souvent. Sous un léger vernis d’humour il y a là toute une sensibilité qui ne veut pas dire son nom. C’est avec une certaine finesse que cet aspect du personnage est traité, et cela fait du bien de voir que Tony n’est pas qu’un bout-en-train nihiliste au QI sur-développé. Dans ce film, Stark boucle la boucle, comme s’il arrivait enfin au bout de son cheminement, celui qui fait de lui un homme complet, pas « seulement » un super-héros. Que son existence s’arrête là est à la fois triste car il s’est enfin trouvé, et en même temps beau, pour exactement la même raison.

Tony Stark meurt. Mais Tony Stark a sauvé le monde. Il perd la vie, mais il est le grand gagnant de cette histoire. Son aura a encore augmenté au sein du MCU. En fait, le diptyque Avengers : Infinity War et Avengers : Endgame est une immense ode à Tony Stark. Et nous, on l’aime définitivement plus que trois fois mille.

Je ne sais même pas compter jusque là...

Une fin douce-amère

 

Voilà pourquoi, selon moi, cet Endgame est à la fois réussi et raté à la fois. Raté par la comparaison avec Infinity War et par le déséquilibre qu’il y a entre ces deux films qui forment un tout un peu bancal. Réussi par sa gestion des héros principaux et des issues aux storylines développées pour certaines depuis le tout début du MCU. Les frères Russo avaient balancé tout ce qu’ils avaient de spectaculaire dans le premier film, ils ont tenté le coup de bluff en axant le second film sur l’émotionnel avant tout. Le choix était audacieux, il n’a pas été gagnant sur tous les plans, mais il a le mérite d’être clair.

 

Ma critique d’ Avengers : Endgame s’arrête là. Mais j’ai envie d’essayer de me projeter un peu dans l’avenir du MCU. Je sais, ça en rajoute une couche à un article déjà beaucoup trop long, mais au point où j’en suis, je me dis qu’on n’est plus à ça près, j’ai certainement déjà perdu la plupart de mes lecteurs depuis longtemps.

Ah sans ce fichu rat...

En soi, Endgame est une fin. Fin de cycle pour toute une série d’intrigues en cours, fin de cycle pour la grande menace Thanos qui aura été la trame de fond des trois premières phases du MCU avant d’exploser dans les deux derniers Avengers. Fin de cycle pour un certain nombre de personnages emblématiques, comme on l’a vu plus haut. Mais pas la fin du MCU bien évidemment.

La phase IV qui s’annonce reste nébuleuse pour l’instant, et à l’heure actuelle peu de choses sont certaines, mais nulle doute que les annonces vont se faire après le prochain Spider-Man, peut-être lors de la Comic-Con de cet été.

C’est quand qu’on va où ?5

 

On est à peu près sûr de ne pas se tromper en misant sur des suites telles que Black Panther 2, Captain Marvel 2 et Docteur Strange 2. Parce que les premiers opus ont été des succès au box office (surtout Black Panther) d’une part, et qu’on sent bien la volonté de booster ces personnages et d’en faire les nouvelles locomotives du MCU (et des Avengers ?). Je verrais bien un personnage comme Namor introduit dans le prochain Black Panther, certains indices le laissent penser, et le récent succès du Aquaman de la concurrence DC/Warner devrait servir d’émulation à Marvel/Disney. Il arrivera peut-être un peu plus tard que les autres, mais Les Gardiens de la Galaxie 3 semble enfin quant à lui sur de bons rails. Si l’on en croit la fin de Endgame, il se pourrait bien que Thor soit raccroché à cette franchise, le rapprochement de style depuis Thor : Ragnarok allait déjà en ce sens. Ça laissera du coup un peu de temps au dieu nordique pour s’inscrire chez Comme j’aime et à la salle de gym histoire de revenir en pleine forme à l’écran. Le film consacré à la Veuve Noire est quant à lui également en bonne voie de se faire prochainement. La logique voudrait qu’il s’agisse d’un film qui se passe dans le passé, peut-être même avant le premier Avengers si on part sur une origin-story. Des rumeurs persistantes évoquent un film consacré aux Eternals (un lien scénaristique pourrait se faire avec le pan cosmique du MCU, avec les Krees et Captain Marvel notamment), et un autre au héros asiatique Shang-Chi (dans une logique de ciblage du public, après les afro-américains visés par Black Panther et les femmes par Captain Marvel, le public asiatique -la Chine est un énorme marché qui s’ouvre au cinéma ne l’oublions pas- pourrait donc être la prochaine étape pour le MCU).

Namor the Submariner, bientôt sur vos écrans ?

Quid des « héros historiques » ? Pour ce qui concerne Hulk c’est très difficile à dire. La direction donnée au personnage dans Endgame ne permet pas de deviner grand-chose. Tel quel, il semble plutôt dans une impasse narrative, son avenir relèvera donc de la surprise ! Pour ce qui est de Captain America, le passage de témoin a été officialisé dans Endgame. C’est à présent Sam Wilson qui portera le bouclier. Ce qui d’ailleurs est conforme à ce qui a pu se passer il y a quelque temps déjà dans les comics. À ceci près que dans les comics le titre de Captain America est d’abord revenu aux mains du Soldat de l’Hiver un temps avant d’arriver dans celles du Faucon. Je pense que l’idée de sauter la passage de Bucky dans le rôle du Captain n’est pas une mauvaise idée. Bucky Barnes a quand même été un tueur à gage pendant des décennies pour l’URSS, ça la foutrait un peu mal de le voir se balader avec la bannière étoilée sur le dos. Faire de Captain America un afro-américain a déjà fait l’objet d’un long arc narratif dans les comics, et c’était plutôt intéressant car cela traitait frontalement du racisme, des relations inter-communautaires et même ouvertement de politique. Franchement, je vois mal Disney se lancer dans ce genre de problématiques et de sujets de fond dans leurs films grand public. Peut-être cela sera-t-il abordé par l’intermédiaire de la série qui est annoncée et centrée sur le duo Faucon / Soldat de l’Hiver justement. Ça reste à voir, mais je doute qu’on aille très loin dans cette direction, Marvel au cinéma c’est Disney avant tout, le MCU sortira moins des clous et semble plus frileux que la version comics.

Donald T. says : not my Captain America !

Quant à Iron Man, le mystère demeure pour l’instant. Tony semble définitivement sur la touche, ce qui doit arranger Disney : l’acteur Robert Downey Jr commençait à prendre de l’âge et coûtait qui plus est une blinde en salaire. Pour autant je ne parierai pas sur son éviction totale. Je le verrais bien intervenir à l’avenir mais sous une autre forme : celle d’une Intelligence Artificielle. Comme ça a pu être le cas déjà dans les comics. Ça aurait plusieurs avantages : il n’est plus Iron Man, donc plus de problème lié à l’âge du comédien ni à son physique. Il n’aurait plus le premier rôle, donc serait un poids de moins du point de vue salarial. Mais il serait tout de même présent (comme dans Spider-Man : Homecoming par exemple) et apporterait ainsi son charisme et à l’occasion lâcherait quelques blagounettes comme lui seul sait le faire (et Marvel au ciné tient beaucoup à ce ton léger injecté dans ses films). Ça serait tout bénéf et permettrait de gérer habilement la transmission du rôle d’Iron Man à un autre personnage (Pepper ? Peu probable. Shuri ? Envisageable. Morgane ? Ça impliquerait un saut narratif dans le temps. Rhodes ? On déplacerait le problème de l’âge sur un autre comédien. Harley Keener, le gamin de Iron Man 3 qui aurait grandi ? Sa présence aux obsèques de Tony n’est certainement pas un hasard…). D’ailleurs si on part sur une série de héros plus jeunes qui reprendraient le flambeau de leurs aînés, il y a également dans les cartons Cassie Lang, la fille de Ant-Man (qui dans les comics devient Stature et qui aime bien jouer les géantes grâce aux particules Pym), et Lila Barton, la fille de Clint qui a l’air de bien se débrouiller à l’arc elle aussi (elle n’existe pas dans les comics, cependant Barton fut remplacé un temps par une jeune femme qui reprend le pseudo d’Oeil-de-Faucon).

Tony Stark de retour sous forme d'IA ?

Mais ce qui va arriver selon moi à moyenne échéance, c’est l’intégration dans le MCU des licences récupérées depuis le rachat de la Fox par Disney. À savoir les Fantastic Four et les X-Men. Et selon moi, la meilleure astuce scénaristique pour y arriver sera de faire appel aux dimensions parallèles déjà évoquées dans Endgame. Difficile d’intégrer des personnages aussi puissants que ceux de l’univers des X-Men dans le MCU sans créer un énorme problème de cohérence : on en a jamais entendu parler avant ? Où étaient-ils lors de l’invasion des Chitauris ? Pourquoi le SHIELD ne les a jamais mentionnés ? Pourquoi les Avengers n’ont-ils jamais cherché à neutraliser le terroriste Magnéto ? Etc… Alors que s’ils viennent d’une Terre parallèle, tout ça passe crème. Et en plus Disney peut se permettre de rebooter les personnages à sa guise, ce qu’il ne se privera certainement pas de faire au passage. Pour les 4 Fantastiques, ce sera encore plus simple, leur univers cinématographique a été moins développé que celui des X-Men et a surtout eu moins de succès, la pilule passera d’autant mieux auprès des spectateurs. Surtout si le MCU propose enfin une version correcte et satisfaisante de ces personnages sur grand écran. Ils ont réussi leur pari avec une énième version de Spider-Man, les 4 Fantastiques devraient poser moins de problèmes. Reste l’inconnue Deadpool qui est déjà tellement à part comme ça, qu’il est difficile de savoir ce que Disney va en faire. En l’état il n’est pas hyper-compatible avec l’esprit MCU, mais l’assagir serait l’affadir, et perdre ce qui a fait son succès au cinéma. Personnellement je ne crois pas à son intégration dans le MCU.

Les filles, si on lançait un #BalancetonThanos ?

Allez, dernière hypothèse : quid du groupe Avengers à l’avenir ? Si un nouveau film de la franchise devait être annoncé, le groupe serait forcément largement remanié et très différent du précédent. Avec peut-être enfin une Captain Marvel vraiment intégrée, ça serait bien. Mais justement, lors de la bataille finale de Endgame, on a eu une scène qui faisait référence à un comics récent, la mini-série A-Force. On y voyait regroupées autour de Captain Marvel toutes les super-héroïnes dans le même plan séquence. Clin d’œil aux fans de comics ou vraie piste pour l’avenir ? Un groupe d’Avengers entièrement féminin serait-il possible ? Plausible ? Pourquoi pas, mais j’en doute un peu. Que la présence féminine dans les rangs super-héroïques soit accentuée, oui, très certainement, qu’on se passe de la présence de personnages comme Black Panther ou le Docteur Strange, je n’y crois pas. Ça n’a rien d’idéologique, c’est purement financier comme raisonnement : + de héros à succès = + d’entrées d’argent. C’est aussi simple que ça selon moi.

Voilà, c’est fini6

 

Enfin cet article touche à sa fin. Je dis ça pour moi, qui commence à fatiguer un peu à écrire. Et je dis ça pour vous, lecteurs, qui devez en avoir plus que ras-la-bol de mes élucubrations sur les super-héros sur grand écran. Je ne sais pas si quelqu’un est arrivé à tout lire jusqu’ici. Moi-même j’ai dû m’y reprendre à plusieurs fois. Je sais que des articles de ce type sont plus contre-productifs qu’autre chose ; j’ai beau saucissonner mon texte en le caviardant de photos, quand c’est trop long c’est trop long...

1 ben quoi, le claquement de doigt de Thanos, m’enfin !!

2 un très court mais très chouette caméo de Stan The Man Lee d’ailleurs !

3 élémentaux dans le sens : qui agissent sur les éléments naturels tels que l’eau ou le feu par exemple. Un élémental, des élémentaux :-)

4 Serge ? Mais que viens-tu faire là ?

5 oui, Renaud vient se taper l’incruste dans un article sur le MCU

6 et Jean-Louis Aubert aussi dites donc !!

L'affiche du film.

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3 juin 2019 1 03 /06 /juin /2019 07:38

Régulièrement je suis ce que fait David Lodge, et ponctuellement je me laisse tenter par l’un ou l’autre de ses livres. S’il a fait sa spécialité des romans à tendance sociéto-romantico-sexuel qui se déroulent dans le monde des étudiants et du professorat, le dernier que j’avais lu, La vie en sourdine, l’avait vu s’attarder un peu plus sur la vie des « seniors », l’effet du vieillissement sur les relations sociales qu’on entretient, les déboires subis quand notre corps un peu fatigué se dérobe et nous joue des tours, et j’avais beaucoup apprécié cette lecture. David Lodge a ensuite enchaîné avec une biographie de l’écrivain américain Henry James que le succès a fui de son vivant mais qui est devenu une référence incontournable après sa mort. Je n’avais pas suivi l’auteur avec ce virage dans l’univers de la biographie, je dois dire aussi que l’objet de cet ouvrage ne m’avait pas inspiré du tout (certainement du fait de mes graves lacunes en littérature classique). Et puis est arrivée cette seconde biographie, celle d’un auteur que je connais mieux (si ce n’est pour avoir lu tous ses nombreux romans, au moins par la renommée, ses œuvres les plus connues et les thèmes précurseurs qu’il a su aborder en son temps et qui ont durablement marqué la littérature de Science-Fiction dont j’ai pu être friand), à savoir Herbert George Wells.

 

Alors Un homme de tempérament n’est pas à proprement parler une biographie au sens le plus strict du terme. C’est plutôt un roman biographique, puisque si l’œuvre est extrêmement bien documentée et détaillée, Lodge se permet aussi des parties plus fictionnelles, qui se veulent certes respectueuses des faits réels et de tout ce que Lodge a pu collecter et apprendre sur HG Wells, mais qui restent néanmoins sortis de l’imagination de l’écrivain. Ce qui personnellement ne m’a en rien dérangé puisqu’au contraire j’y ai surtout vu l’avantage de rendre le roman plus vivant, de l’animer en faisant de HG Wells presque un vrai personnage de roman. Le faire bouger, gesticuler, parler et penser tout haut dépasse le cadre de la pure biographie factuelle et donne un peu de latitude à l’auteur, mais surtout permet de se sentir encore plus proche de HG Wells qu’on apprend à connaître à travers ses actes, ses écrits, mais aussi ses pensées, ses convictions, ses désirs, ses passions et son éloquence.

 

C’est un réel plaisir de découvrir l’auteur d’œuvres très connues telles que La machine à explorer le temps, L’île du docteur Moreau, La guerre des mondes ou encore L’homme invisible. Écrivain très prolifique, il a publié plus d’une centaine de livres, entre romans, essais, documentaires journalistiques, ouvrages de vulgarisation ou réflexions politiques.

Issu d’un milieu pauvre, c’est le talent inné de HG Wells pour les mots, aussi bien écrits que prononcés en discours, qui va le faire grimper l’échelle sociale, faire de lui un écrivain reconnu et à succès dès ses premiers romans, le rendre à la fois très populaire et le mettre aussi très largement à l’abri du besoin.

Herbert George Wells en 1920, photo de George C. Beresford

Comme on le découvre dans le livre de Lodge, on apprend qu’il était passionné par de nombreux thèmes, la science aussi bien que la politique étaient pour lui d’intenses sources de réflexion. Et parmi toutes ses passions, l’une d’elles a été un des fils conducteurs principaux de toute son existence : les femmes. Amoureux inconditionnel de la gente féminine, il dit de lui-même « Je n’ai jamais été capable de refuser les avances d’une femme, ce n’est tout simplement pas dans ma nature. » Et des avances il en aura énormément puisque malgré une santé fragile durant son enfance et un physique d’adulte pas des plus flatteurs (c’était un homme corpulent, de petite taille et moustachu, pas le Brad Pitt de l’époque), c’est avant tout son charisme, son éloquence et son talent immense d’écrivain qui va le voir attirer à lui les femmes comme un aimant attire la ferraille. Des jeunes vierges comme des femmes plus mûres.

 

Pour HG Wells le sexe est récréatif, il en a besoin pour se délasser (on dirait pour se déstresser et lâcher prise aujourd’hui !) et il le pratique comme chacune de ses autres passions : il fait dans la démesure. Boulimique de travail, c’est un écrivain ultra-prolifique. On découvre ainsi par exemple dans le livre certaines de ses correspondances avec des amis ou des adversaires et on peut ainsi mesurer la force de son écriture, son intense réflexion sur le monde qui l’entoure et sa facilité à rendre limpide ses pensées aux autres. Avec les femmes il agit de même : il est insatiable, infatigable, déraisonnable. Il aime le sexe et n’en fait pas une affaire d’état, au contraire même il écrit beaucoup à ce sujet et prône ouvertement la liberté sexuelle, le libertinage et les relations polyamoureuses. Une honnêteté intellectuelle qui ne lui vaut pas que des amis dans la haute société qu’il côtoie.

 

Passionné des relations homme-femme, il l’est tout autant (et cela répond à une certaine logique finalement) de politique. Il imagine et rêve de sociétés utopistes et libertaires, il ne renie pas ses origines et ses idées sont plutôt de gauche, il aime les femmes et se veut défenseur des droits de celles-ci, bien qu’au début de XXème siècle certaines idées qui se veulent féministes et avant-gardistes restent teintées de patriarcat et feraient hurler de rage nos actuelles chiennes de garde.

 

Grâce à David Lodge j’ai découvert et suis entré dans l’intimité de ce personnage hors-normes que fut HG Wells. Ce roman biographique est dense et fait plus de 700 pages, ce qui fait de lui ce qu’on peut appeler vulgairement un sacré pavé. Mais pas de panique, le bouquin est comme son personnage, absolument passionnant. Si bien qu’on lit sans lassitude du début à la fin, et que sous nos yeux se dessine un HG Wells alliant à la fois un classicisme et une modernité insoupçonnée, un personnage touchant et attachant, bourré de talent et de qualités, mais pas pour autant exempt de défauts et d’exagérations. Ajoutez à cette extraordinaire matière brute tout le talent d’écrivain de David Lodge, ses traits d’humour et la classe so british de sa plume, et vous obtenez un excellent livre, plaisant à lire et surprenant (car HG Wells l’a été, surprenant). Vous le refermerez en ayant passé un très bon moment et avec le sentiment d’avoir appris beaucoup de choses sur HG Wells, l’un des pères de la Science-Fiction en littérature. Nous divertir et nous cultiver, que demander de plus à un livre ?

 

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27 mai 2019 1 27 /05 /mai /2019 07:32

On a tous des artistes qui nous touchent plus particulièrement que les autres. Pour moi, Julio Ribera est de ceux-là.

 

Aujourd’hui, voici un an que le dessinateur et scénariste de bande dessinée Julio Ribera nous a quittés. Il avait 91 ans. Si je n’en ai pas parlé lorsque c’est arrivé, c’est parce que je n’ai appris son décès que trois mois plus tard. Et j’en ai été infiniment triste. Parce que Julio Ribera était un grand monsieur du 9ème art, que ses albums m’ont accompagné pendant des années, et que j’ai eu la chance, à deux reprises, de le rencontrer.

 

Preuve de mon âge avancé, je fais partie de ceux qui ont été obligés de faire leur service militaire. N’étant pas versé dans la tradition militaire, j’avoue que cette période « gelée » de 10 mois de ma vie m’a paru longue, et plutôt inutile sur le plan personnel. Pourtant j’en retiens une bonne chose tout de même. Sur la Base Aérienne 132, il y avait une bibliothèque où l’on pouvait emprunter des livres quand on n’était pas occupé à faire la guerre, et en son sein une petite collection de BD. C’est là, en suivant les conseils plus qu’avisés d’un autre amateur de phylactères appelé comme moi sous les drapeaux, que j’ai lu les premiers albums de ce qui allait devenir une de mes séries cultes : Le Vagabond des Limbes, avec Christian Godard au scénario et Julio Ribera au dessin. Cette série m’a durablement marqué de par son originalité, son humour, son inventivité et sa manière incomparable de mêler des thèmes adultes et profonds à la démesure enfantine et au divertissement pur. On y trouve des tas de choses différentes dans cette BD, mais avant tout de l’intelligence, de l’humour et du plaisir. Le Vagabond des Limbes, c’est du bonheur en 31 tomes, tout simplement.

Le Vagabond des Limbes : chaque album est un trésor d'inventivité

J’ai été comme hypnotisé par cette BD. Littéralement happé dans cet univers tellement unique qui ne ressemble à aucune d’autre.

Si les histoires y sont évidemment pour beaucoup, le dessin a tenu un rôle important dans l’amour inconditionnel que j’ai immédiatement ressenti pour cette série. Et derrière le dessin il y a un homme, Julio Ribera, au trait si personnel, reconnaissable entre tous, simple et beau, métamorphe et séduisant. Le duo de créateurs Godard / Ribera étant très prolifique, je me suis évidemment intéressé au reste de leur production, et c’est ainsi que j’ai découvert, et dévoré, leurs autres séries en commun telles par exemple la drôlesque Chroniques du Temps de la Vallée des Ghlomes (très parodique et gentiment coquine), la fascinante Le Grand Manque (que j’aime tout particulièrement) ou l’astucieuse Le Grand Scandale (malheureusement interrompue en cours mais excellente cependant). Je me suis aussi penché sur ce que les compères ont pu produire en solo, en l’occurrence pour Ribera* la série Dracurella (qui mêle parodie et fantastique) et surtout la trilogie Montserrat – Souvenirs de la guerre civile, Jeunesse bafouée – Une dictature au fil des jours et Paris liberté – Le parfum de l’espoir. Cette trilogie forme une autobiographie de Ribera, où il nous raconte son enfance en Espagne jusqu’à ses premiers boulots en tant que dessinateur en France, et qui se conclut dans les années 1970, sur sa rencontre avec Christian Godard et le début de ce qui allait devenir son œuvre la plus connue, Le Vagabond des Limbes.

Le Grand Scandale, une série malheureusement inachevée

Si j’ai réellement adoré toutes ses histoires plus divertissantes les unes que les autres, cette trilogie à caractère autobiographique, que je viens de relire avant d’écrire cet article, a un parfum différent, quelque chose à part du reste. Et pour cause : le héros de ces BD c’est Julio Ribera lui-même. Quand j’écris « héros » ça n’est sans doute pas le mot que lui-même aurait choisi, il aurait sans doute préféré utiliser le terme « personnage principal », la modestie faisait partie intégrante du bonhomme. Dans ces albums il nous raconte ses souvenirs d’enfance, des plus joyeux aux plus tragiques, il parle de l’insouciance d’avant l’arrivée de Franco au pouvoir, de l’avant -guerre. Il raconte ses parents, sa ville (Ribera est né à Barcelone), les plaisirs enfantins, les restrictions, la dictature, sa petite sœur, son amour du jazz, ses études avortées, son goût pour le dessin qui lui vient très tôt, son service militaire, ses amours, son envie de liberté et enfin le grand saut, celui qui l’a amené à s’expatrier avec son épouse en France, à Paris. Il raconte ses débuts difficiles pour percer dans la presse en tant que dessinateur, lui qui, vaille que vaille, aura toujours réussi à vivre de son art, à sa plus grande fierté et malgré toutes les difficultés qu’il aura eu à surmonter pour y parvenir.

La trilogie autobiographique de Julio Ribera

Lire cette trilogie autobiographique c’est plonger dans un passé révolu, si proche mais qui peut nous paraître parfois si lointain… Julio Ribera est né en 1927, il est donc de la génération de mes grands-parents, et je n’ai pas pu m’empêcher de penser à eux et à leurs conditions de vie en lisant ses souvenirs à lui. Il y a dans le ton employé, les scènes retranscrites et les souvenirs évoqués, dans les mots choisis pour les relater, quelque chose de beau, de calme, d’ancien, de doucement suranné qui provoque un décalage inévitable avec le monde actuel, tout en ancrant le récit dans une réalité incontestablement parlante. Ses phrases ont cette tournure entre simplicité et désuétude qui laisse transparaître la bienveillance et l’instruction de celui qui les écrit. Julio Ribera est né espagnol et n’a pas appris le français à l’école mais d’abord épisodiquement chez un de ses oncles marié à une française, puis surtout sur le tas, lorsqu’il est venu s’installer en France. Et pourtant, cela m’avait frappé également en discutant avec lui, il a ce même soin porté au choix de ses mots qu’ont les anciennes générations, ce même vocabulaire précis et riche. Tout en gardant un délicieux accent ibérique à peine atténué par le temps. Julio Ribera écrivait dans ses BD comme il s’exprimait dans la vie. Avec élégance et simplicité.

 

Je retiens énormément de cette trilogie, et j’en ai beaucoup appris sur l’homme qui s’est mine de rien beaucoup dévoilé dans ces pages. Il l’a avoué lui-même : passer à l’acte de rédiger ces albums lui a été difficile, mais libérateur. Il a même qualifié cette œuvre de soulagement après coup.

J’ai tout particulièrement été touché par sa façon de raconter ses parents. C’est étonnant de lire ce récit de la plume d’un vieil homme et de l’entendre s’exprimer sur ses parents comme s’il était encore leur petit garçon (dans le premier tome bien entendu). On se rend compte ainsi à quel point l’esprit reste jeune, qu’on peut être plus âgé que ne l’ont été ses propres parents tout en restant leur petit garçon dans son cœur. C’est exactement la sensation que j’ai ressentie en lisant cette histoire. Et j’ai trouvé cela émouvant et très beau. D’ailleurs pour illustrer cette sensation, je n’ai pas pu m’empêcher de noter que durant les 3 albums de son autobiographie, qui couvrent en gros la période 1930 – 1970, Ribera ne modifie que très peu la manière graphique de représenter ses parents, ils ne semblent pas vieillir dans son esprit. Alors que lui-même se représente à différents âges, et dans le dernier tome, alors qu’il arrive aux portes de la cinquantaine, il se dessine très fidèlement en montrant les cheveux grisonnants qu’il a eus tôt. C’est ainsi qu’on le voit barbu, les cheveux poivre et sel, auprès de ses parents, quasi-inchangés, figés dans leur apparence des années 1950. Le contraste est saisissant, et très touchant.

Deux dédicaces, deux autoportaits, le jeune garçon et l'homme mûr

J’y ai également appris ses débuts dans le métier, ainsi que son engagement pour le statut des artistes de bande-dessinée, leur protection sociale, leurs droits. Dans ce cadre, l’homme savait faire preuve de calme autant que de détermination, de droiture et de convictions. Et il savait qu’on est plus fort à plusieurs. Quand en 1988 il a créé avec Christian Godard leur propre maison d’édition, Le Vaisseau d’Argent, c’était justement pour fédérer un maximum de leurs collègues et leur permettre de mettre en chantier des projets qui leur étaient refusés ou corsetés ailleurs. La conjoncture ne leur avait pas permis de se maintenir à flot et ils avaient été contraints de jeter l’éponge en 1991, mais l’idée avait été belle, et l’aventure avait au moins eu l’avantage d’être tentée et concrétisée.

Julio Ribera & Christian Godard

J’aimerais ici revenir quelques instants sur mes rencontres avec Julio Ribera, et partager mes souvenirs de lui. J’ai donc pu l’approcher à l’occasion de deux séances de dédicaces, l’une en 2004 au Festival de Colmar, l’autre en 2013 au festival Bédéciné d’Illzach. Les deux fois, je n’étais venu que pour lui, mon sac à dos rempli de ses albums, à passer inlassablement en queue de sa file d’attente après chaque dédicace obtenue. À son plus grand étonnement d’ailleurs ! Mais pour moi sa venue tenait tellement de l’événement que je ne voulais pas en rater une minute. J’ai eu ainsi de très beaux dessins** mais surtout l’occasion de le voir dessiner avec application, l’esprit calme, la main sûre. S’interrompant parfois pour répondre à mes questions, m’expliquer quelque chose ou juste converser tranquillement. Avec cette grande gentillesse et cette douceur dans la voix et dans les expressions qui le caractérisaient. Julio Ribera avait ce ton cordial et sincère quand il parlait, et l’écouter était à la fois plaisant et instructif. Qu’il parle du monde de la bande-dessinée, de ses souvenirs, ou de l’art de manière plus générale.

Julio Ribera en 2013 à Illzach

Il était accompagné les deux fois par son épouse qui participait elle aussi aux discussions, et était aux petits soins avec lui. « Julio, tu devrais faire une pause tu es fatigué », « Julio, pense à la route qui nous attend pour rentrer, ménage-toi », elle le chouchoutait. « Vous savez nous sommes venus en voiture depuis la Savoie, Julio aime conduire mais ça fait loin quand même » m’avait-elle confié entre deux dessins… Je me souviens de leurs petits échanges de sourires, faits de douces chamailleries d’où émanaient beaucoup de bienveillance et de tendresse, pas du tout à l’image d’un vieux couple grincheux bien au contraire, ils donnaient l’impression de se connaître par cœur et de se taquiner, comme une façon de se dire toute leur affection à mots couverts, dans une langue qui n’appartiendrait qu’à eux.

 

Un léger sourire aux lèvres, l’œil pétillant, des gestes mesurés, une élocution non pas lente mais posée et toujours précédée d’un temps de réflexion, Julio Ribera avait fait preuve de beaucoup de gentillesse et de patience lors de ces séances de dédicaces, alors qu’il faisait déjà parti des seniors parmi les auteurs invités. Il était comme ça Ribera. Ça avait l’air d’un type vraiment bien.

Musky a bien des raisons d'être triste...

Je garde un souvenir lumineux de nos rencontres, et je chéris les dessins dont il a bien voulu orner mes albums. J’ai du mal à dire lequel est mon préféré. Il y a la dédicace du tome 2 du Grand Manque que j’aime tout particulièrement car il y a sur une même page un dessin de Ribera, un mot de Christian Godard le scénariste et un autre de Claude Plumail qui l’avait assisté au dessin pour les décors. Il y a cette Musky qui pleure***, ces autoportraits jeune puis plus âgé dans son autobiographie, sa si chère Dracurella ou cette pin-up dans le tome 1 du Grand Scandale… et encore beaucoup d’autres. Mais je crois que si je devais en élire un seul, ce serait certainement son Alchimiste Suprême**** que je lui ai demandé dans le tome du Vagabond des Limbes du même nom. « Ola, attendez-voir, vous êtes sûr que vous voulez ce personnage ? Bon il va falloir me laisser un peu de temps pour me le remémorer, ça fait longtemps que je ne l’ai plus dessiné vous savez »… et pourtant il l’a dessiné, et il est superbe. Un chouette souvenir que cette journée-là.

L'Alchimiste Suprême vous salue !

Je dois en fait de nombreux très bons souvenirs à Julio Ribera, souvenirs impérissables de lecture, mais aussi quelques souvenirs d’échange dans la « vraie vie », moins nombreux mais qui auront durablement marqué ma mémoire. Pour tout cela, merci beaucoup monsieur Ribera.

Un grand et bon souvenir

Et dire que L’Engrenage, 32ème tome de la série du Vagabond des Limbes, qui apparemment devait également faire office de conclusion à la série, a été entièrement dessinée par Julio Ribera mais jamais sorti par Dargaud, pour je ne sais quelle (très mauvaise) raison liée à un changement de politique d’édition qui avait vu l’annulation de la série… Quel manque de respect et d’élégance de la part de l’éditeur français envers Julio Ribera et Christian Godard...

Axle Munshine verra-t-il son ultime aventure publiée ? Trouvera-t-il ses réponses ?

Avec son décès, c’est encore une de mes plus grandes références culturelles qui s’en va, me laissant un peu plus orphelin à chaque fois. Il vogue à présent à jamais au bord du Dauphin d’Argent d’Axle Munshine, un éclat un peu plus brillant que les autres au sein du firmament...

Ribera nous laisse l'univers imaginaire qu'il a co-créé en héritage...

* la liste est non-exhaustive, on peut citer d’autres de ses travaux, mais que je n’ai pas (encore) lus, tels que Tony Sextant, Pistol Jim, Le Barrage ou encore Viva Maria

** mon rêve secret ? Avoir une planche originale du Vagabond des Limbes, ou du Grand Manque accrochée chez moi à mon mur, mais ça n’est malheureusement pas dans mes moyens...

*** « ah bon ? mais pourquoi voulez-vous qu’elle pleure ? » m’avait-il questionné quand je lui ai demandé ce dessin, juste avant de s’exécuter. Je ne sais plus vraiment pourquoi, mais pendant un temps c’était comme un thème récurrent que je soumettais aux artistes qui me demandaient ce que je désirais comme dédicace, « leur personnage qui pleure »…

**** ou Dieu si vous préférez, mais vu par Godard et Ribera, c’est-à-dire pas exactement comme vous l’imaginiez !

L'Alchimiste Suprême, ou Dieu comme vous ne l'imaginiez pas !

NB : les auteurs ayant récupéré la totalité des droits en ce qui concerne Le Vagabond des Limbes, toutes les images illustrant cet article et tirées de la série sont sous copyright © Godard & Ribera

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24 mai 2019 5 24 /05 /mai /2019 07:02

 

« I am the President, but he’s the Boss. »

 

Barack Obama en 2009, lucide au moment de remettre un prix à Bruce Springsteen.

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22 mai 2019 3 22 /05 /mai /2019 07:39

Le jeudi 16 mai, CharlÉlie Couture était de passage à Sausheim, et il a eu l’excellente idée de s’y arrêter pour y chanter quelques-unes de ses chansons.

Le 14 avril précédent, ma petite sœur a quant à elle eu l’excellente idée de m’offrir un billet pour cette tournée du chanteur nancéien dont je n’étais même pas au courant.

Alors nous (elle et moi) y sommes allés, nous l’avons écouté, nous l’avons regardé, et on s’en est pris plein les yeux et les oreilles. En un mot : c’était génial !

 

Suivant les bons conseils de mon ami Nono, voici déjà plus de vingt ans en arrière, j’avais acheté le best-of Patchworks de CharlÉlie Couture. Best-of que j’ai énormément écouté et aimé. C’est un peu bizarre, et je ne saurais pas l’expliquer, mais pourtant je n’ai jamais acheté d’autres albums de CharlÉlie Couture que celui-ci, alors que j’avais tant apprécié ce best-of. Aucune logique là-dedans, ne cherchez pas. J’aimais énormément ce que je connaissais de lui, mais n’avais pas cherché à en connaître plus.

Patch.works un best of incontournable

C’est à l’occasion du concert de Fred Blondin au Casino de Paris que j’ai pu le voir pour la première fois sur scène, CharlÉlie faisait partie des invités de Fred. Faut dire que le nancéien lui a écrit et composé l’un de ses tubes puisqu’il est à l’origine d’ Allumer les Bougies (mais aussi d’un autre titre que j’adore : Mickey Jaloux). Ils avaient donc chanté ensemble et j’avais été à la fois intrigué par le personnage qui se cachait derrière ses lunettes noires et surpris par sa prestation ovniesque sur scène. J’ai su de suite que ce type était à part, avec l’intuition qu’un concert de lui pourrait me plaire.

 

Et c’est donc ce que j’ai pu constater grâce à la très bonne idée de ma petite sœur.

Étrange sensation pour moi de me rendre au concert d’un artiste que je connais, mais pour lequel je n’ai pas la moindre idée de ce à quoi je dois m’attendre sur scène. J’y suis allée plutôt confiant, mais surtout mû par une immense curiosité.

Au clavier ou à la guitare, CharlÉlie assure !

Et je n’ai pas été déçu. L’artiste est complet : piano, guitare et harmonica sont les instruments dont il s’accompagne tout au long du concert. Sans parler de sa propre voix, dont à plusieurs reprises il semble se servir comme d’un instrument ! Sa musique est originale, entraînante, positive, et elle a ceci de rare et précieux qui fait que même pour une première écoute, celle où on la découvre, elle paraît évidente, presque familière. Sur l’ensemble du concert j’ai dû en reconnaître 3 ou 4 peut-être, mais qu’importe : j’ai passé un aussi bon moment avec les chansons que j’entendais pour la première fois qu’avec les classiques et populaires Comme un avion sans aile ou L’Histoire du Loup dans la Bergerie. CharlÉlie m’a fait tout particulièrement plaisir quand il a entonné Jacobi marchait, chanson que j’adore et connais par cœur. Et je n’ai finalement eu qu’un seul regret, qu’il ne chante pas ma chanson préférée de son répertoire, Under Control (TC Brother).

 

CharlÉlie et son groupe, des musiciens-orfèvres

Mais quand bien même, la soirée fut superbe, le groupe de musiciens qui accompagnait le chanteur absolument excellent, l’ambiance chaleureuse. Il y avait dans la salle un parfum de plaisir intense. Celui, enthousiasmant et communicatif, des spectateurs venus applaudir CharlÉlie Couture, mais aussi celui, débordant de sincérité, des artistes sur scène dont la générosité transparaissait à chaque morceau joué. C’était je crois à un véritable échange entre un artiste et son public que j’ai assisté ce soir-là. Un moment fantastique, et un chanteur qu’il faut absolument découvrir sur scène.

 

Merci CharlÉlie ! (et merci Marie !!)

Take Care Brother, see you soon on the moon...

PS : Les photos sont de ma frangine évidemment, merci pour ça aussi !!

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20 mai 2019 1 20 /05 /mai /2019 07:51

Il n’est pas courant de situer une histoire de Science-Fiction, de rencontre avec des aliens, dans un décor médiéval, au fin fond de la Forêt Noire de 1348. C’est pourtant le pari (réussi) de Michael J. Flynn, qui avec Eifelheim nous offre un roman passionnant, mêlant Histoire et SF de bien belle manière.

 

Voici tout d’abord un bref résumé de l’intrigue de départ. Tom Schwoerin, historien et cliologue* américain étudie de nos jours le site allemand de Eifelheim et cherche à résoudre le mystère qui a conduit ce lieu à être abandonné alors qu’il abritait au Moyen-Âge le village d’Oberhochwald. Le récit bascule en alternance entre les réflexions de Tom qui tente de comprendre le passé, et les faits s’étant déroulés en 1348 à Oberhochwald. Cette année-là, quelque chose est tombé du ciel dans la forêt toute proche du petit village de Forêt Noire. Le père Dietrich, curé du village et homme cultivé qui a étudié les sciences, la théologie et la philosophie à Paris auprès de personnages aussi renommés que Guillaume d’Ockham et Jean Buridan, tente d’entrer en contact avec ces étrangers à l’aspect bizarre échoués avec leur aéronef…

… et je préfère m’arrêter là et ne pas en dire plus pour éviter d’en dire trop !

 

J’ai trouvé ce roman vraiment très bien fichu, car il se permet de jouer sur plusieurs plans et plusieurs points de vue différents. On a les scientifiques contemporains qui essaient de comprendre (et pour ainsi dire deviner) ce qui a pu se passer en 1348 avec le peu d’informations qu’ils peuvent recueillir sur cette période compliquée de l’Histoire. On a les habitants de ce village médiéval, qui rencontrent ces drôles de naufragés sortis de nulle part, au physique monstrueux et qui ressemblent à des sauterelles géantes, qu’ils baptiseront bien vite les Krenken**. On a les aliens, qui forcément ont des connaissances et un développement scientifique extrêmement en avance sur celui du monde dans lequel ils viennent de s’échouer, mais qui obéissent également à des règles sociétales plus proches de celle d’une ruche que d’une communauté humaine. Et puis vient se greffer par-dessus tout ça notre propre regard de lecteur, presque omniscient par rapport au récit puisque qu’on sait ce que Tom essaie de comprendre, et qu’on sait également que les Krenken sont des extra-terrestres, chose inconcevable au Moyen-Âge puisque la notion même d’alien est inconnue.

 

C’est justement cette confrontation des civilisations qui m’a paru très intéressante. Car les différents personnages de ce roman ont chacun des conceptions très différentes du monde et de l’existence même. Le chercheur contemporain effectue des recoupements et des investigations en se basant sur les connaissances modernes. Mais le père Dietrich, lui aussi à la pointe des connaissances de son époque aura une approche très personnelle des événements, et tentera de comprendre avec ses propres outils intellectuels ce qui se passe. Imaginez et re-contextualisez : en 1348 la Peste Noire commence à faire des ravages à travers l’Europe et les habitants d’Oberhochwald craignent son arrivée imminente. Et si les étrangers étaient les porteurs de la maladie ? Sans compter sur l’influence de la religion et des croyances, l’aspect difforme des Krenken leur donne l’apparence de démons tout droit sortis de l’Enfer... Bien entendu l’inculture et l’isolement des villageois n’aide pas, certains d’entre eux croient que ces gens bizarres sont des turcs !! Quant aux aliens, ils vont eux aussi tenter de comprendre les hommes aux coutumes si éloignées de ce qu’ils connaissent, et en particulier tout ce qui a trait à la religion et à la croyance en la bienveillance envers son prochain et la vie après la mort...

 

Évidemment en tant que lecteur on se place un peu au-dessus des divers niveaux de compréhension des uns et des autres mis en relation dans ce roman, et on a les clés qui échappent (totalement ou en partie) aux différents protagonistes. Mais on découvre cependant en même temps qu’eux les événements. Ce qui est fou c’est qu’à certains moments on peut presque se sentir plus proche du Krenken que de l’homme de 1348 sur certains points !

 

Alors il faut bien avouer que la partie du récit qui se passe en 1348 est plus intéressante que la partie contemporaine, bien que cette dernière soit l’occasion d’aborder et de vulgariser quelques sujets scientifiques qui ne manquent pas d’intérêt. Mais ce sont les personnages des scientifiques surtout qui offrent moins d’attrait que ceux du Moyen-Âge.

 

Pour ce qui est de la partie se situant dans le village d’Oberhochwald et ses alentours, j’ai trouvé cela passionnant. Pas forcément du fait du suspens ou de l’action (qui sont présents mais de manière tout à fait modérée) mais justement des personnages et de la confrontation de leurs niveaux de compréhension et du choc des conceptions intellectuelles. Que ce soit l’humain confronté à une science qui le dépasse ou l’alien qui découvre la notion de religion, j’ai trouvé cela fascinant.

Fascinante également toute la reconstitution historique faite par l’auteur : c’est très clairement bien documenté et à mon avis Michael J. Flynn a dû passer un nombre conséquent d’heures à se mettre dans la peau d’un homme de cette époque pour réussir à faire si bien comprendre et coller aux pensées et réactions qu’aurait pu avoir un contemporain de la Peste Noire.

 

Je n’ai pas pu m’empêcher non plus de noter un lien avec l’actualité sociétale actuelle et de me faire cette réflexion à moi-même : alors qu’aujourd’hui j’aurais plutôt tendance à considérer le sentiment religieux comme une pensée en partie rétrograde et anti-progressiste, en 1348 (période qu’on considérera volontiers comme obscurantiste et arriérée) l’homme d’Église de ce roman était ce qui se faisait de plus à la pointe des connaissances et de la science, voire de l’ouverture d’esprit et de la tolérance ! Plutôt paradoxal et étonnant n’est-ce pas ? En tout cas j’ai trouvé ce renversement de valeurs très bien vu, et il a parfaitement fonctionné sur moi.

 

Finalement, c’est peut-être ce qui m’a le plus plu dans ce roman à la fois historique et de SF (je ne saurais dire quel aspect l’emporte sur l’autre) : il en émane un humanisme touchant et de nombreuses pistes de réflexion sur notre nature profonde, notre vision du monde et la confrontation avec ce qu’on ne connaît pas (ne comprend pas ?). Je ne peux que vous en conseiller la lecture.

* un cliologue n’étudie pas les Renault Clio à travers les âges, mais les bassins de peuplements humains et leur évolution en mêlant Histoire et mathématiques statisticiennes.

 

** bien que l’auteur ne va pas plus loin dans l’explication du nom donné aux aliens par les villageois, deux pistes m’ont paru assez évidentes. Le nom peut faire penser aux sons émis par les insectoïdes, une sorte de krrrkrrr… mais il m’a aussi immédiatement fait penser au mot allemand krank*** qui veut dire malade.

 

*** et encore plus au mot alsacien krànk qui veut dire la même chose.

 

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16 mai 2019 4 16 /05 /mai /2019 07:15

J’ai déjà dû voir Mark Knopfler à 5 ou 6 reprises en concert, et pourtant je n’en ai parlé qu’une fois ici, et ça remonte à juin 2006, lors de sa tournée pour son album en duo avec Emmylou Harris.

Mark Knopfler c’est un des monstres sacrés de mon univers musical. Une des idoles de mon adolescence. Le type qui balance le riff de guitare légendaire sur l’intro de Money for Nothing, l’un des titres emblématiques de son ancien groupe, Dire Straits.

Dire Straits et Queen, c’était mes deux groupes préférés quand j’étais ado, et j’aurais bien été en peine de choisir entre ces deux-là. Le premier 33 Tours que je me sois acheté, fut le double album best-of de Dire Straits*, en 1988 ou 1989 je ne sais plus exactement.

J’ai encore aujourd’hui au fond de moi ce qui fut l’une de mes plus grosses déceptions de l’époque, ne pas avoir pu assister au concert de Dire Straits qui avait lieu à quelques kilomètres de chez moi, au Stadium de Bâle : ma mère avait avancé comme raison à cette interdiction l’argument franchement fallacieux selon lequel j’avais une épreuve de Baccalauréat le lendemain matin. Mon ami Nico, qui était en Bac Pro lui, y était allé, et m’a par la suite confirmé ce que je savais déjà : le concert était génial. En revanche ce que je ne savais pas encore à l’époque, c’est qu’il s’agissait de leur dernière tournée avant la séparation définitive du groupe… Un rendez-vous raté, et de manière irrattrapable.

Mon premier 33 Tours...

Ce dimanche 12 mai donc, je suis allé le voir au Zénith de Strasbourg. Pour la dernière fois. En effet, Mark Knopfler a annoncé qu’à bientôt 70 ans, cette tournée serait sa dernière. Il tourne définitivement la page des tournées mondiales ; l’exercice est trop fatiguant, trop énergivore.

 

Ça m’a fait quelque chose, en réalisant, alors que je l’écoutais et le voyais sur scène, qu’il n’y aurait pas de « prochaine fois ». D’abord j’ai réalisé à quel point sa musique live m’avait manqué et me faisait du bien. Pourtant ses chansons font quasiment partie de mon quotidien, j’en écoute partout, en voiture ou au boulot, j’en colle des morceaux dans toutes les compils que je me concocte**. Impossible pour moi de faire l’impasse sur Knopfler. Mais en live, c’est encore autre chose. C’est… indescriptible. Alors depuis 2015 et son Tracker Tour, le temps commençait à faire long…

Ensuite parce que Mark Knopfler fait partie de ces artistes dont certaines chansons sont connectées plus intimement que les autres à ma vie. On n’a pas souvent eu l’occasion de parler musique avec mon père, mais il y a eu deux titres pour lesquels il m’a dit, alors que j’étais en train de les écouter, qu’il les aimait et les trouvait beaux : If It Be Your Will de Leonard Cohen, et Brothers in Arms de Dire Straits. Alors forcément, ces morceaux-là ont pour moi une signification spéciale, et évoquent des souvenirs et émotions à part.

Et puis, quand les gens se sont enfin décidés à se lever pour envahir le devant du parterre (je trépignais et n’attendais que ça de tout le concert), j’ai pu m’approcher de la scène, et apprécier les derniers titres du concert à quelques mètres des artistes. J’avais bien remarqué depuis mon siège à quel point Knopfler se déplaçait lentement et à pas mesurés sur scène, qu’il faisait des gestes très lents pour changer de guitare entre les morceaux. En m’approchant j’ai pu constater à quel point les années ont pesé sur lui. L’homme est fatigué, il le dit et cela se voit. Le musicien est vieux et il a besoin de jouer quelques chansons assis au cours des deux heures de concert, il ne s’en cache pas. Mais l’artiste reste bien vivant. Ses mains restent celles du guitar hero qu’il a toujours été, précises et sûres. Sa voix n’a pas bougé, l’écossais continue de manger ses mots mais la tonalité est toujours la même, imperturbable.

Mark Knopfler et son Big Band

Côté spectacle, Mark Knopfler a un tel répertoire qu’il a pu piocher des morceaux emblématiques de ses différents albums. Il aurait sans peine pu faire un concert complet de tubes s’il l’avait voulu, entre les siens en solo et ceux de Dire Straits il y aurait largement eu de quoi faire. Mais il a tout de même tenu à jouer des morceaux du nouvel album (les très belles My Bacon Roll et surtout Matchstick Man), et pour le reste n’a pas forcément choisi les titres les plus connus (par le grand public j’entends, moi il m’a fait très plaisir à ce niveau-là!). Je retiendrai surtout l’ouverture avec Why Aye Man, une superbe interprétation de Sailing to Philadelphia ou encore la remuante Postcards from Paraguay. Évidemment il y a eu des reprises de Dire Straits, comme avec l’incontournable Romeo and Juliet, Your Latest Trick, Local Hero et bien sûr les deux méga-hits Money for Nothing et Brothers in Arms.

Et puis mon petit plaisir personnel, que Mark Knopfler ne joue que pour moi à chaque fois que je vais l’applaudir : l’immense Speedway at Nazareth avec sa montée en puissance interminable avant que le batteur ne se mette à enfin envoyer sur sa grosse caisse et sa caisse claire… Ce titre me file la chair de poule à chaque fois, et son effet sur moi est encore décuplé en live… du pur bonheur.

 

Comme c’est sa dernière tournée, je pense que « l’homme tranquille du rock’n’roll » a décidé de se faire vraiment plaisir, il a donc convié à l’accompagner ce que l’on peut appeler à juste titre un « big band », avec pas moins de 10 musiciens autour de lui sur scène. Et puis pas des manchots les gars, tous sans exception multi-instrumentistes, ce qui a permis d’entendre des tas de sons différents, allant des percussions au violon, en passant par différentes flûtes, mais aussi cuivres, claviers, basses, contre-basse, saxo, cornemuse, accordéon, sans oublier bien entendu les plusieurs guitares qui ont émaillé le concert de leurs diverses sonorités.

Sûr, pour ce qui est de la musique, Mark Knopfler connaît les bonnes choses, et sait les partager.

 

Alors voilà, c’était mon dernier rendez-vous avec ce grand monsieur de la musique sur scène, cet immense artiste, Mark Knopfler. Le premier avec Dire Straits fut raté. Mais celui-ci, comme tous ceux qui l’ont précédé, a été parfaitement réussi.

So long Mister Knopfler.

L'homme tranquille du rock'n'roll

* en même temps que le 33 Tours de la BO du film… Cocktail !! Vous marrez pas, il y a de la super zique dans ce film !!

** oui, si je n’ai pas l’âme d’un DJ Monblaireau, je me fais régulièrement des compilations au sein desquelles viennent se côtoyer aussi bien un Leonard Cohen qu’un Bernard Lavilliers, un Eric Clapton, un Fred Blondin, un Randall Bramblett, un Josh Rouse, un Serge Reggiani, un Sting, une Annie Lennox, un Georges Moustaki, un Bruce Springsteen, des Moutain Men, un JP Nataf, un Tony Joe White, un Joe Dassin, un Tom Petty, un William Sheller, un Chris Rea, un Bob Dylan, un Claude Nougaro, un Nathaniel Rateliff, un Jacques Brel, un Johnny Cash, un Serge Gainsbourg, des Suarez, un Murray Head, un Adam Cohen, un Alain Bashung, et j’en passe des dizaines d’autres...

PS : un immense merci à ma petite sœur pour ses photos !!

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13 mai 2019 1 13 /05 /mai /2019 07:41

Je dois vous faire un aveu, j’ai beaucoup de mal à me lancer dans la rédaction de cet article. J’aimerais parler du roman Cartographie des Nuages de David Mitchell, vous dire tout le bien que j’en ai pensé, mais je me sens bien incapable d’écrire quoi que ce soit qui puisse se hisser à la hauteur de ce que j’y ai lu et parvenir à faire honneur à ce livre.

Je ne sais même pas comment aborder cette critique, c’est dire.

 

Avant même d’essayer de faire un résumé des multiples intrigues, je voudrais réécrire le titre : Cartographie des nuages. Franchement, rien que ça, c’est déjà énorme non ? Comment faire plus beau, plus poétique, comment mieux décrire en trois petits mots tout ce que peut englober l’imaginaire ? Comment mieux libérer les esprits et autoriser le lecteur à un voyage sans limites que par cette formule de génie ? À sa simple énonciation, on sait que tout est possible. On s’imagine couché sur le dos, dans l’herbe mi-haute, sans autre bruit que ceux de la nature et du vent, le regard plongé dans l’infini d’un ciel dont le bleu se voit traverser par des nuages qui changent à tout moment de formes. Quel sentiment plus proche de la liberté et de l’émerveillement que celui-ci ?

 

Alors oui, ce titre est évocateur, très évocateur, et il annonce le programme : tout. Passé, présent, avenir. Océan, campagne, villes, usines, nature sauvage. Marin, musicien, physicien, berger, flic, retraité, écrivain, serveuse, esclave, journaliste. Aventure, polar, roman épistolaire, science-fiction, Histoire, comédie, tragédie romantique. Tout je vous dis.

Ce roman aborde tout cela, et plus encore. Et il ne tiendra qu’à vous d’y ajouter toute une gamme de sentiments personnels, ceux que vous ressentirez en le lisant, ceux qui naîtront des réflexions que ce roman éveillera inévitablement en vous. Cartographie des nuages (j’adore également son titre d’origine, Cloud Atlas) n’a pas de limite. Ou plutôt, ses limites dépendent uniquement de son lecteur.

 

Bon, après avoir dit cela, je vais tenter de vous raconter un peu, sans trop en dévoiler j’espère, de quoi ça parle.

 

En 1849, le jeune homme de loi Adam Ewing, parcourt le Sud du Pacifique jusqu’aux îles Chatham et tient un journal quotidien. Son voyage de retour vers Honolulu puis jusqu’à San Francisco où l’attend sa bien-aimée Tilda se fera à bord d’un voilier mais ne sera pas de tout repos. Un passager clandestin qui fuit l’esclavage est à bord. Et Adam est petit à petit rongé par un parasite qui s’attaque à son système nerveux. Heureusement le docteur Goose est là pour le soigner…

 

En 1936, Robert Frobisher, jeune compositeur plein de projets mais sans avenir, quitte son amant Rufus Sixsmith pour travailler à Zedelghem, près de Bruges, sous l’aile d’un célèbre compositeur Vyvyan Ayrs en tant que copiste. Le vieil homme, acariâtre et d’une arrogance sans nom est très affaibli et l’engage pour mettre en partition la musique qu’il a en tête. Frobisher, tout en s’acquittant de sa tâche compose sa propre œuvre, qu’il nomme Cloud Atlas, et écrit régulièrement de longues lettres à son amour délaissé pour lui raconter comment se déroule sa vie. Dans sa chambre il découvre un vieux récit, le journal de bord d’un certain Adam Ewing voguant sur l’océan Pacifique…

 

En 1973, Luisa Rey, journaliste à Buenas Yerbas en Californie, enquête sur un rapport défavorable à la construction d’une centrale nucléaire mal sécurisée. Elle rencontre un vieux scientifique du nom de Rufus Sixsmith, qui lui livre des détails troublants qui lui permettent de poursuivre son enquête. Mais les morts suspectes s’accumulent dans cette affaire, et Luisa sent qu’elle tient un scoop de taille. Elle découvre certaines lettres gardées par Sixsmith, écrites par un certain Robert Frobisher, ce qui la fascine au point de rechercher sa seule œuvre publiée, très rare, le sextette Cartographie des nuages

 

De nos jours en Grande-Bretagne, l’éditeur roublard Timothy Cavendish a maille à partir avec un de ses auteurs, un ex-taulard, et ses frères. Exsangue financièrement et obligé de s’enfuir pour échapper aux petites frappes, il demande de l’aide à son frère aîné. Celui-ci, exaspéré par ses demandes incessantes d’argent, le fait interner dans une maison de retraite, qui va devenir un véritable lieu de calvaire pour lui. En tant qu’éditeur, Cavendish lit un manuscrit intitulé Demi-vies, la première enquête de Luisa Rey, qui ne le passionne pas plus que ça d’ailleurs…

 

Dans un futur dystopique, en 2144 à Neo Séoul, Sonmi-451 travaille dans une cafétéria, le Papa Song, comme tous les clones de son type. Son entière existence est contrôlée, depuis sa nourriture à son sommeil, en passant par son temps de travail évidemment. Le jour où elle obtiendra sa douzième étoile elle deviendra une « âme » et pourra vivre parmi les sangs-purs qui sont en haut de l’échelle sociale. Mais Sonmi-451 n’est pas comme les autres. Elle va découvrir que le monde dans lequel elle vit n’est pas celui qu’on lui décrit depuis toujours, en accédant à des documents interdits

comme par exemple ce vieux film, une comédie intitulée L’Épouvantable Calvaire de Timothy Cavendish

 

Dans un futur post-apocalyptique, en 2321 sur l’archipel d’Hawaï, Zachry est berger. Il vit au sein d’une communauté revenue à un mode d’existence proche des conditions moyen-âgeuses. Son peuple subit régulièrement les attaques des Konas, des barbares cannibales sans pitié. Quand Meronym, une ethnologue issue du dernier bastion de la civilisation technologique des Prescients, vient étudier les coutumes locales, elle a besoin d’un guide pour gravir la montagne sacrée, au sommet de laquelle une certaine Sonmi-451 aurait lancé un appel de détresse il y a bien longtemps, avant la grande catastrophe… Mais cette montagne est interdite d’accès car aux mains du Vieux Georgie, l’esprit maléfique qui régit les croyances du peuple de Zachry...

 

Ce roman est … je ne sais pas exactement comment dire… pyramidal ! Je ne sais pas si ce terme peut s’appliquer à un livre, mais c’est celui qui se rapproche le mieux de ce qu’est cet étrange objet. Vous débutez par sa base, et vous le gravissez en suivant une échelle simple, celle du temps. Le livre raconte six histoires distinctes. En fait pas du tout distinctes. Mais différentes et espacées dans le temps et l’espace. Pourtant les liens existent, et au fur et à mesure de la lecture, une boucle se forme. Car lorsque je parle de lecture pyramidale, c’est pour la raison suivante : chaque récit est scindé en deux parties, sauf l’histoire de Zachry qui est le récit central. On lit donc la première partie de l’histoire d’Adam Ewing, puis la première partie de celle de Robert Frobisher, etc.… jusqu’à lire l’aventure de Zachry en avançant dans le temps à chaque fois. Puis on repart en arrière, et on découvre donc à rebours la seconde partie de l’histoire de Sonmi-451, puis la seconde partie de l’histoire de Timothy Cavendish, etc.... jusqu’à finir par la seconde partie de l’histoire d’Adam Ewing.

Un roman pyramidal !!

C’est réellement une architecture narrative très spéciale et que je n’avais jamais expérimentée ailleurs que dans ce roman, mais c’est à la fois très original et complètement pertinent, puisque les histoires se renvoient l’une à l’autre, par un lien discret mais ferme. Les différentes histoires permettent à l’auteur de diversifier les plaisirs, et d’aborder tous les genres avec une égale réussite. J’ai autant aimé lire le récit d’Adam Ewing que celui de Zachry, j’ai été pris par le suspens de l’enquête de Luisa Rey et je me suis bidonné à la lecture des mésaventures tragi-comiques de Timothy Cavendish. Et que ce soit Sonmi-451 et son récit d’anticipation SF ou Robert Frobisher plongé dans l’univers de la musique des années 30, aucun de ces nombreux et divers personnages ne m’a laissé indifférent. Leurs vies et leurs destinées pourtant si éloignées et différentes les unes des autres m’ont à chaque fois passionné, à mon plus grand étonnement.

 

Alors j’ai conscience que l’histoire résumée comme je viens de le faire, avec ce foisonnement de genres et de personnages, peut paraître très dense, voire difficile d’accès par l’ossature même du récit, et pourtant ce serait une erreur que de s’en tenir à cette impression. On se plonge à ce point dans chaque histoire qu’on ne mélange rien, tout est clair et les choses s’enchaînent naturellement et sans mal*. J’avoue avoir douté de cette fluidité un moment, plus précisément lors du passage de la première histoire à la seconde, car j’ai été un peu déboussolé par la transition pour le moins brutale entre les deux (vous comprendrez mieux ce que je veux dire par là à la lecture). Mais le récit suivant vous embarque très vite et vous empêche de vous poser trop de questions restées sans réponses sur le précédent, si bien qu’à la fin de ce roman, on se retrouve avec un véritable livre-univers extrêmement bien ficelé, très divers et surtout très réussi. On a l’impression (qui n’est peut-être pas qu’une impression en fin de compte) d’avoir lu six romans en un seul, mais sans avoir ressenti de complication particulière, sans prise de tête, sans à-coups au cours de la lecture, grâce à une fluidité remarquable de la narration. On a en effet cette sensation d’avoir lu six romans différents, et en même temps le tout forme un ensemble parfaitement cohérent, où chaque élément est à sa place et indispensable au tout. Comme un grand puzzle dont chaque pièce se suffirait à elle-même.

 

À chaque « partie » du roman correspond un style différent, et David Mitchell se fait visiblement plaisir de passer ainsi d’un style narratif à l’autre, ce qu’il parvient d’ailleurs très bien à faire. Là où j’ai trouvé cela très fort, c’est que justement ces changements sont nets, mais pas choquants. Ça fonctionne, ça n’entrave pas la narration, on garde le fil sans problème.

Il n’y a que lors du dernier récit (chronologiquement) ou si vous préférez du récit central (pyramidalement !!) consacré à Zachry qu’il y a un véritable phrasé spécifique inventé de toutes pièces par l’auteur, et qui peut procurer quelques complications à la lecture. Mais il s’agit en fait d’une narration très « parlée », qu’il faudrait presque dans l’idéal lire à voix haute, pour mieux l’appréhender. Je n’ai d’ailleurs pas pu m’empêcher de me faire la réflexion quant à la traduction ! Ça a dû être un boulot incroyable de trouver des équivalences en français (du futur, et donc à inventer en partie) pour garder et le sens et l’impact des termes originaux de l’auteur. En cela la traduction de Manuel Berri mérite très largement d’être soulignée, et encensée à mon goût. La partie du roman consacrée à Sonmi contient elle aussi des néologismes et quelques inventions linguistiques, très bien vues également.

 

Et puis, une fois qu’on a lu ce roman immense (par la taille comme par l’ambition narrative), qu’on le referme et qu’on y repense, vient le moment de la digestion, et de la réflexion. Car c’est une des forces du roman : vous n’en sortirez pas sans y repenser, sans cogiter. On peut se demander après lecture, quel message il véhicule, quelle est sa trame de fond, l’idée subliminale qui se cache derrière les mots.

Je crois que chacun aura ses propres réponses à ces questions, pour ma part je crois que ce que j’ai retenu de ce roman, c’est l’idée de cycles, et d’invariabilité de la nature humaine. Que comme dans une fourmilière, les individus peuvent bifurquer ou modifier leurs destinations aléatoirement, mais que l’ensemble ne varie pas ou très peu, que la direction ne change pas, et que les mêmes causes ont les mêmes conséquences, toujours.

Que l’homme soit civilisé ou non (d’ailleurs quelle civilisation se considère-t-elle elle-même comme non civilisée?), on retrouve les mêmes résurgences, que ce soit dans le positif comme dans le négatif.

La recherche de la puissance, l’appât du gain, la cupidité, l’égocentrisme mènent toujours à plus ou moins long terme vers la catastrophe…

 

Peut-être que certains verront d’une manière plus appuyée que je ne l’ai vue moi, une allusion directe à l’idée de réincarnation (au sens bouddhiste du terme). En effet, certains personnages, au travers des siècles, partagent une même tache de naissance à la forme très spécifique, celle d’une comète. L’auteur ne fait que le mentionner, mais ne développe jamais l’idée, à vous d’en faire ou non le pivot de votre lecture, et le prisme au travers duquel vous lirez ce roman. D’autres y verront peut-être plus volontiers une espèce de lien mystique sans forcément aller jusqu’à la réincarnation. Mais à coup sûr, cet élément, qui pourrait faire basculer encore plus clairement dans le récit fantastique (je parle du genre), est placé là par l’auteur sans qu’il n’entre dans les détails, pour marquer juste un peu plus s’il en était besoin, l’idée de cycle, d’éternel recommencement, de chemin à parcourir, d’étapes à franchir, mais qui mènent toujours à la même destination : la profondeur de l’âme humaine.

 

Dans ce même ordre d’idées, le roman peut être pris comme une merveilleuse mise en situation de la théorie du chaos. À une échelle extraordinaire, puisqu’elle se développe sur des siècles et des continents entiers. Quelle meilleure illustration que cet enchaînement de récits, de la notion que chaque acte a une conséquence. Chaque décision, chaque choix, mêmes les plus anodins qu’ils paraissent au moment de les faire, a un pouvoir immense, celui d’influer sur le futur. De manière parfois bien imprévisible et a priori insoupçonnable d’ailleurs. À partir de là, au lecteur de se positionner : y verrez vous la marque d’un déterminisme incroyable ou au contraire d’une palette d’infinies possibilités uniquement soumises au hasard ? L’aspect philosophique du récit laisse augurer de longs moments d’intense réflexion et d’argumentation contradictoire selon votre façon de lire le roman de David Mitchell…

 

Mélange savant d’optimisme et de pessimisme, de raison et de sentiments, de hasard et de destinée, ce roman est une incroyable aventure de lecture, un roman coup de cœur qui fait penser, rêver, imaginer et réfléchir bien au-delà de ses pages et de ses mots. Un bouquin qu’on referme et qu’on n’oublie jamais.**

 

Un livre qu’il faut lire.***

* il en va tout différemment de l’adaptation cinématographique, mais ça c’est une autre affaire, que j’aborderai un autre jour...

** Et vous l’aurez peut-être constaté à sa longueur pour ceux qui en sont venus à bout, le plus dur aura été de commencer cet article, ensuite ça a déroulé tout seul…

*** si si, c’est obligé.

 

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9 mai 2019 4 09 /05 /mai /2019 07:02

 

« Le public s’imagine que chaque matin je me gargarise au bourbon, fume un ou deux cigares épais comme une cuisse de catcheur, et grignote des grains de poivre toute la journée, sans oublier le paquet de Gitanes brunes réglementaires avant le coucher. Il sera déçu : c’est une affaire de fosses nasales, de résonance. »

 

Jean-Pierre Marielle, l’homme à la voix inoubliable.

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