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Avant de lire les notes que je fais sur les films que je vois et les bd que je lis, sachez que dans mes commentaires il m'arrive parfois de dévoiler les histoires et les intrigues. Ceci dit pour les comics, je n'en parle que quelques mois après leur publication, ce qui laisse le temps de les lire avant de lire mes chroniques.
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16 mai 2019 4 16 /05 /mai /2019 07:15

J’ai déjà dû voir Mark Knopfler à 5 ou 6 reprises en concert, et pourtant je n’en ai parlé qu’une fois ici, et ça remonte à juin 2006, lors de sa tournée pour son album en duo avec Emmylou Harris.

Mark Knopfler c’est un des monstres sacrés de mon univers musical. Une des idoles de mon adolescence. Le type qui balance le riff de guitare légendaire sur l’intro de Money for Nothing, l’un des titres emblématiques de son ancien groupe, Dire Straits.

Dire Straits et Queen, c’était mes deux groupes préférés quand j’étais ado, et j’aurais bien été en peine de choisir entre ces deux-là. Le premier 33 Tours que je me sois acheté, fut le double album best-of de Dire Straits*, en 1988 ou 1989 je ne sais plus exactement.

J’ai encore aujourd’hui au fond de moi ce qui fut l’une de mes plus grosses déceptions de l’époque, ne pas avoir pu assister au concert de Dire Straits qui avait lieu à quelques kilomètres de chez moi, au Stadium de Bâle : ma mère avait avancé comme raison à cette interdiction l’argument franchement fallacieux selon lequel j’avais une épreuve de Baccalauréat le lendemain matin. Mon ami Nico, qui était en Bac Pro lui, y était allé, et m’a par la suite confirmé ce que je savais déjà : le concert était génial. En revanche ce que je ne savais pas encore à l’époque, c’est qu’il s’agissait de leur dernière tournée avant la séparation définitive du groupe… Un rendez-vous raté, et de manière irrattrapable.

Mon premier 33 Tours...

Ce dimanche 12 mai donc, je suis allé le voir au Zénith de Strasbourg. Pour la dernière fois. En effet, Mark Knopfler a annoncé qu’à bientôt 70 ans, cette tournée serait sa dernière. Il tourne définitivement la page des tournées mondiales ; l’exercice est trop fatiguant, trop énergivore.

 

Ça m’a fait quelque chose, en réalisant, alors que je l’écoutais et le voyais sur scène, qu’il n’y aurait pas de « prochaine fois ». D’abord j’ai réalisé à quel point sa musique live m’avait manqué et me faisait du bien. Pourtant ses chansons font quasiment partie de mon quotidien, j’en écoute partout, en voiture ou au boulot, j’en colle des morceaux dans toutes les compils que je me concocte**. Impossible pour moi de faire l’impasse sur Knopfler. Mais en live, c’est encore autre chose. C’est… indescriptible. Alors depuis 2015 et son Tracker Tour, le temps commençait à faire long…

Ensuite parce que Mark Knopfler fait partie de ces artistes dont certaines chansons sont connectées plus intimement que les autres à ma vie. On n’a pas souvent eu l’occasion de parler musique avec mon père, mais il y a eu deux titres pour lesquels il m’a dit, alors que j’étais en train de les écouter, qu’il les aimait et les trouvait beaux : If It Be Your Will de Leonard Cohen, et Brothers in Arms de Dire Straits. Alors forcément, ces morceaux-là ont pour moi une signification spéciale, et évoquent des souvenirs et émotions à part.

Et puis, quand les gens se sont enfin décidés à se lever pour envahir le devant du parterre (je trépignais et n’attendais que ça de tout le concert), j’ai pu m’approcher de la scène, et apprécier les derniers titres du concert à quelques mètres des artistes. J’avais bien remarqué depuis mon siège à quel point Knopfler se déplaçait lentement et à pas mesurés sur scène, qu’il faisait des gestes très lents pour changer de guitare entre les morceaux. En m’approchant j’ai pu constater à quel point les années ont pesé sur lui. L’homme est fatigué, il le dit et cela se voit. Le musicien est vieux et il a besoin de jouer quelques chansons assis au cours des deux heures de concert, il ne s’en cache pas. Mais l’artiste reste bien vivant. Ses mains restent celles du guitar hero qu’il a toujours été, précises et sûres. Sa voix n’a pas bougé, l’écossais continue de manger ses mots mais la tonalité est toujours la même, imperturbable.

Mark Knopfler et son Big Band

Côté spectacle, Mark Knopfler a un tel répertoire qu’il a pu piocher des morceaux emblématiques de ses différents albums. Il aurait sans peine pu faire un concert complet de tubes s’il l’avait voulu, entre les siens en solo et ceux de Dire Straits il y aurait largement eu de quoi faire. Mais il a tout de même tenu à jouer des morceaux du nouvel album (les très belles My Bacon Roll et surtout Matchstick Man), et pour le reste n’a pas forcément choisi les titres les plus connus (par le grand public j’entends, moi il m’a fait très plaisir à ce niveau-là!). Je retiendrai surtout l’ouverture avec Why Aye Man, une superbe interprétation de Sailing to Philadelphia ou encore la remuante Postcards from Paraguay. Évidemment il y a eu des reprises de Dire Straits, comme avec l’incontournable Romeo and Juliet, Your Latest Trick, Local Hero et bien sûr les deux méga-hits Money for Nothing et Brothers in Arms.

Et puis mon petit plaisir personnel, que Mark Knopfler ne joue que pour moi à chaque fois que je vais l’applaudir : l’immense Speedway at Nazareth avec sa montée en puissance interminable avant que le batteur ne se mette à enfin envoyer sur sa grosse caisse et sa caisse claire… Ce titre me file la chair de poule à chaque fois, et son effet sur moi est encore décuplé en live… du pur bonheur.

 

Comme c’est sa dernière tournée, je pense que « l’homme tranquille du rock’n’roll » a décidé de se faire vraiment plaisir, il a donc convié à l’accompagner ce que l’on peut appeler à juste titre un « big band », avec pas moins de 10 musiciens autour de lui sur scène. Et puis pas des manchots les gars, tous sans exception multi-instrumentistes, ce qui a permis d’entendre des tas de sons différents, allant des percussions au violon, en passant par différentes flûtes, mais aussi cuivres, claviers, basses, contre-basse, saxo, cornemuse, accordéon, sans oublier bien entendu les plusieurs guitares qui ont émaillé le concert de leurs diverses sonorités.

Sûr, pour ce qui est de la musique, Mark Knopfler connaît les bonnes choses, et sait les partager.

 

Alors voilà, c’était mon dernier rendez-vous avec ce grand monsieur de la musique sur scène, cet immense artiste, Mark Knopfler. Le premier avec Dire Straits fut raté. Mais celui-ci, comme tous ceux qui l’ont précédé, a été parfaitement réussi.

So long Mister Knopfler.

L'homme tranquille du rock'n'roll

* en même temps que le 33 Tours de la BO du film… Cocktail !! Vous marrez pas, il y a de la super zique dans ce film !!

** oui, si je n’ai pas l’âme d’un DJ Monblaireau, je me fais régulièrement des compilations au sein desquelles viennent se côtoyer aussi bien un Leonard Cohen qu’un Bernard Lavilliers, un Eric Clapton, un Fred Blondin, un Randall Bramblett, un Josh Rouse, un Serge Reggiani, un Sting, une Annie Lennox, un Georges Moustaki, un Bruce Springsteen, des Moutain Men, un JP Nataf, un Tony Joe White, un Joe Dassin, un Tom Petty, un William Sheller, un Chris Rea, un Bob Dylan, un Claude Nougaro, un Nathaniel Rateliff, un Jacques Brel, un Johnny Cash, un Serge Gainsbourg, des Suarez, un Murray Head, un Adam Cohen, un Alain Bashung, et j’en passe des dizaines d’autres...

PS : un immense merci à ma petite sœur pour ses photos !!

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13 mai 2019 1 13 /05 /mai /2019 07:41

Je dois vous faire un aveu, j’ai beaucoup de mal à me lancer dans la rédaction de cet article. J’aimerais parler du roman Cartographie des Nuages de David Mitchell, vous dire tout le bien que j’en ai pensé, mais je me sens bien incapable d’écrire quoi que ce soit qui puisse se hisser à la hauteur de ce que j’y ai lu et parvenir à faire honneur à ce livre.

Je ne sais même pas comment aborder cette critique, c’est dire.

 

Avant même d’essayer de faire un résumé des multiples intrigues, je voudrais réécrire le titre : Cartographie des nuages. Franchement, rien que ça, c’est déjà énorme non ? Comment faire plus beau, plus poétique, comment mieux décrire en trois petits mots tout ce que peut englober l’imaginaire ? Comment mieux libérer les esprits et autoriser le lecteur à un voyage sans limites que par cette formule de génie ? À sa simple énonciation, on sait que tout est possible. On s’imagine couché sur le dos, dans l’herbe mi-haute, sans autre bruit que ceux de la nature et du vent, le regard plongé dans l’infini d’un ciel dont le bleu se voit traverser par des nuages qui changent à tout moment de formes. Quel sentiment plus proche de la liberté et de l’émerveillement que celui-ci ?

 

Alors oui, ce titre est évocateur, très évocateur, et il annonce le programme : tout. Passé, présent, avenir. Océan, campagne, villes, usines, nature sauvage. Marin, musicien, physicien, berger, flic, retraité, écrivain, serveuse, esclave, journaliste. Aventure, polar, roman épistolaire, science-fiction, Histoire, comédie, tragédie romantique. Tout je vous dis.

Ce roman aborde tout cela, et plus encore. Et il ne tiendra qu’à vous d’y ajouter toute une gamme de sentiments personnels, ceux que vous ressentirez en le lisant, ceux qui naîtront des réflexions que ce roman éveillera inévitablement en vous. Cartographie des nuages (j’adore également son titre d’origine, Cloud Atlas) n’a pas de limite. Ou plutôt, ses limites dépendent uniquement de son lecteur.

 

Bon, après avoir dit cela, je vais tenter de vous raconter un peu, sans trop en dévoiler j’espère, de quoi ça parle.

 

En 1849, le jeune homme de loi Adam Ewing, parcourt le Sud du Pacifique jusqu’aux îles Chatham et tient un journal quotidien. Son voyage de retour vers Honolulu puis jusqu’à San Francisco où l’attend sa bien-aimée Tilda se fera à bord d’un voilier mais ne sera pas de tout repos. Un passager clandestin qui fuit l’esclavage est à bord. Et Adam est petit à petit rongé par un parasite qui s’attaque à son système nerveux. Heureusement le docteur Goose est là pour le soigner…

 

En 1936, Robert Frobisher, jeune compositeur plein de projets mais sans avenir, quitte son amant Rufus Sixsmith pour travailler à Zedelghem, près de Bruges, sous l’aile d’un célèbre compositeur Vyvyan Ayrs en tant que copiste. Le vieil homme, acariâtre et d’une arrogance sans nom est très affaibli et l’engage pour mettre en partition la musique qu’il a en tête. Frobisher, tout en s’acquittant de sa tâche compose sa propre œuvre, qu’il nomme Cloud Atlas, et écrit régulièrement de longues lettres à son amour délaissé pour lui raconter comment se déroule sa vie. Dans sa chambre il découvre un vieux récit, le journal de bord d’un certain Adam Ewing voguant sur l’océan Pacifique…

 

En 1973, Luisa Rey, journaliste à Buenas Yerbas en Californie, enquête sur un rapport défavorable à la construction d’une centrale nucléaire mal sécurisée. Elle rencontre un vieux scientifique du nom de Rufus Sixsmith, qui lui livre des détails troublants qui lui permettent de poursuivre son enquête. Mais les morts suspectes s’accumulent dans cette affaire, et Luisa sent qu’elle tient un scoop de taille. Elle découvre certaines lettres gardées par Sixsmith, écrites par un certain Robert Frobisher, ce qui la fascine au point de rechercher sa seule œuvre publiée, très rare, le sextette Cartographie des nuages

 

De nos jours en Grande-Bretagne, l’éditeur roublard Timothy Cavendish a maille à partir avec un de ses auteurs, un ex-taulard, et ses frères. Exsangue financièrement et obligé de s’enfuir pour échapper aux petites frappes, il demande de l’aide à son frère aîné. Celui-ci, exaspéré par ses demandes incessantes d’argent, le fait interner dans une maison de retraite, qui va devenir un véritable lieu de calvaire pour lui. En tant qu’éditeur, Cavendish lit un manuscrit intitulé Demi-vies, la première enquête de Luisa Rey, qui ne le passionne pas plus que ça d’ailleurs…

 

Dans un futur dystopique, en 2144 à Neo Séoul, Sonmi-451 travaille dans une cafétéria, le Papa Song, comme tous les clones de son type. Son entière existence est contrôlée, depuis sa nourriture à son sommeil, en passant par son temps de travail évidemment. Le jour où elle obtiendra sa douzième étoile elle deviendra une « âme » et pourra vivre parmi les sangs-purs qui sont en haut de l’échelle sociale. Mais Sonmi-451 n’est pas comme les autres. Elle va découvrir que le monde dans lequel elle vit n’est pas celui qu’on lui décrit depuis toujours, en accédant à des documents interdits

comme par exemple ce vieux film, une comédie intitulée L’Épouvantable Calvaire de Timothy Cavendish

 

Dans un futur post-apocalyptique, en 2321 sur l’archipel d’Hawaï, Zachry est berger. Il vit au sein d’une communauté revenue à un mode d’existence proche des conditions moyen-âgeuses. Son peuple subit régulièrement les attaques des Konas, des barbares cannibales sans pitié. Quand Meronym, une ethnologue issue du dernier bastion de la civilisation technologique des Prescients, vient étudier les coutumes locales, elle a besoin d’un guide pour gravir la montagne sacrée, au sommet de laquelle une certaine Sonmi-451 aurait lancé un appel de détresse il y a bien longtemps, avant la grande catastrophe… Mais cette montagne est interdite d’accès car aux mains du Vieux Georgie, l’esprit maléfique qui régit les croyances du peuple de Zachry...

 

Ce roman est … je ne sais pas exactement comment dire… pyramidal ! Je ne sais pas si ce terme peut s’appliquer à un livre, mais c’est celui qui se rapproche le mieux de ce qu’est cet étrange objet. Vous débutez par sa base, et vous le gravissez en suivant une échelle simple, celle du temps. Le livre raconte six histoires distinctes. En fait pas du tout distinctes. Mais différentes et espacées dans le temps et l’espace. Pourtant les liens existent, et au fur et à mesure de la lecture, une boucle se forme. Car lorsque je parle de lecture pyramidale, c’est pour la raison suivante : chaque récit est scindé en deux parties, sauf l’histoire de Zachry qui est le récit central. On lit donc la première partie de l’histoire d’Adam Ewing, puis la première partie de celle de Robert Frobisher, etc.… jusqu’à lire l’aventure de Zachry en avançant dans le temps à chaque fois. Puis on repart en arrière, et on découvre donc à rebours la seconde partie de l’histoire de Sonmi-451, puis la seconde partie de l’histoire de Timothy Cavendish, etc.... jusqu’à finir par la seconde partie de l’histoire d’Adam Ewing.

Un roman pyramidal !!

C’est réellement une architecture narrative très spéciale et que je n’avais jamais expérimentée ailleurs que dans ce roman, mais c’est à la fois très original et complètement pertinent, puisque les histoires se renvoient l’une à l’autre, par un lien discret mais ferme. Les différentes histoires permettent à l’auteur de diversifier les plaisirs, et d’aborder tous les genres avec une égale réussite. J’ai autant aimé lire le récit d’Adam Ewing que celui de Zachry, j’ai été pris par le suspens de l’enquête de Luisa Rey et je me suis bidonné à la lecture des mésaventures tragi-comiques de Timothy Cavendish. Et que ce soit Sonmi-451 et son récit d’anticipation SF ou Robert Frobisher plongé dans l’univers de la musique des années 30, aucun de ces nombreux et divers personnages ne m’a laissé indifférent. Leurs vies et leurs destinées pourtant si éloignées et différentes les unes des autres m’ont à chaque fois passionné, à mon plus grand étonnement.

 

Alors j’ai conscience que l’histoire résumée comme je viens de le faire, avec ce foisonnement de genres et de personnages, peut paraître très dense, voire difficile d’accès par l’ossature même du récit, et pourtant ce serait une erreur que de s’en tenir à cette impression. On se plonge à ce point dans chaque histoire qu’on ne mélange rien, tout est clair et les choses s’enchaînent naturellement et sans mal*. J’avoue avoir douté de cette fluidité un moment, plus précisément lors du passage de la première histoire à la seconde, car j’ai été un peu déboussolé par la transition pour le moins brutale entre les deux (vous comprendrez mieux ce que je veux dire par là à la lecture). Mais le récit suivant vous embarque très vite et vous empêche de vous poser trop de questions restées sans réponses sur le précédent, si bien qu’à la fin de ce roman, on se retrouve avec un véritable livre-univers extrêmement bien ficelé, très divers et surtout très réussi. On a l’impression (qui n’est peut-être pas qu’une impression en fin de compte) d’avoir lu six romans en un seul, mais sans avoir ressenti de complication particulière, sans prise de tête, sans à-coups au cours de la lecture, grâce à une fluidité remarquable de la narration. On a en effet cette sensation d’avoir lu six romans différents, et en même temps le tout forme un ensemble parfaitement cohérent, où chaque élément est à sa place et indispensable au tout. Comme un grand puzzle dont chaque pièce se suffirait à elle-même.

 

À chaque « partie » du roman correspond un style différent, et David Mitchell se fait visiblement plaisir de passer ainsi d’un style narratif à l’autre, ce qu’il parvient d’ailleurs très bien à faire. Là où j’ai trouvé cela très fort, c’est que justement ces changements sont nets, mais pas choquants. Ça fonctionne, ça n’entrave pas la narration, on garde le fil sans problème.

Il n’y a que lors du dernier récit (chronologiquement) ou si vous préférez du récit central (pyramidalement !!) consacré à Zachry qu’il y a un véritable phrasé spécifique inventé de toutes pièces par l’auteur, et qui peut procurer quelques complications à la lecture. Mais il s’agit en fait d’une narration très « parlée », qu’il faudrait presque dans l’idéal lire à voix haute, pour mieux l’appréhender. Je n’ai d’ailleurs pas pu m’empêcher de me faire la réflexion quant à la traduction ! Ça a dû être un boulot incroyable de trouver des équivalences en français (du futur, et donc à inventer en partie) pour garder et le sens et l’impact des termes originaux de l’auteur. En cela la traduction de Manuel Berri mérite très largement d’être soulignée, et encensée à mon goût. La partie du roman consacrée à Sonmi contient elle aussi des néologismes et quelques inventions linguistiques, très bien vues également.

 

Et puis, une fois qu’on a lu ce roman immense (par la taille comme par l’ambition narrative), qu’on le referme et qu’on y repense, vient le moment de la digestion, et de la réflexion. Car c’est une des forces du roman : vous n’en sortirez pas sans y repenser, sans cogiter. On peut se demander après lecture, quel message il véhicule, quelle est sa trame de fond, l’idée subliminale qui se cache derrière les mots.

Je crois que chacun aura ses propres réponses à ces questions, pour ma part je crois que ce que j’ai retenu de ce roman, c’est l’idée de cycles, et d’invariabilité de la nature humaine. Que comme dans une fourmilière, les individus peuvent bifurquer ou modifier leurs destinations aléatoirement, mais que l’ensemble ne varie pas ou très peu, que la direction ne change pas, et que les mêmes causes ont les mêmes conséquences, toujours.

Que l’homme soit civilisé ou non (d’ailleurs quelle civilisation se considère-t-elle elle-même comme non civilisée?), on retrouve les mêmes résurgences, que ce soit dans le positif comme dans le négatif.

La recherche de la puissance, l’appât du gain, la cupidité, l’égocentrisme mènent toujours à plus ou moins long terme vers la catastrophe…

 

Peut-être que certains verront d’une manière plus appuyée que je ne l’ai vue moi, une allusion directe à l’idée de réincarnation (au sens bouddhiste du terme). En effet, certains personnages, au travers des siècles, partagent une même tache de naissance à la forme très spécifique, celle d’une comète. L’auteur ne fait que le mentionner, mais ne développe jamais l’idée, à vous d’en faire ou non le pivot de votre lecture, et le prisme au travers duquel vous lirez ce roman. D’autres y verront peut-être plus volontiers une espèce de lien mystique sans forcément aller jusqu’à la réincarnation. Mais à coup sûr, cet élément, qui pourrait faire basculer encore plus clairement dans le récit fantastique (je parle du genre), est placé là par l’auteur sans qu’il n’entre dans les détails, pour marquer juste un peu plus s’il en était besoin, l’idée de cycle, d’éternel recommencement, de chemin à parcourir, d’étapes à franchir, mais qui mènent toujours à la même destination : la profondeur de l’âme humaine.

 

Dans ce même ordre d’idées, le roman peut être pris comme une merveilleuse mise en situation de la théorie du chaos. À une échelle extraordinaire, puisqu’elle se développe sur des siècles et des continents entiers. Quelle meilleure illustration que cet enchaînement de récits, de la notion que chaque acte a une conséquence. Chaque décision, chaque choix, mêmes les plus anodins qu’ils paraissent au moment de les faire, a un pouvoir immense, celui d’influer sur le futur. De manière parfois bien imprévisible et a priori insoupçonnable d’ailleurs. À partir de là, au lecteur de se positionner : y verrez vous la marque d’un déterminisme incroyable ou au contraire d’une palette d’infinies possibilités uniquement soumises au hasard ? L’aspect philosophique du récit laisse augurer de longs moments d’intense réflexion et d’argumentation contradictoire selon votre façon de lire le roman de David Mitchell…

 

Mélange savant d’optimisme et de pessimisme, de raison et de sentiments, de hasard et de destinée, ce roman est une incroyable aventure de lecture, un roman coup de cœur qui fait penser, rêver, imaginer et réfléchir bien au-delà de ses pages et de ses mots. Un bouquin qu’on referme et qu’on n’oublie jamais.**

 

Un livre qu’il faut lire.***

* il en va tout différemment de l’adaptation cinématographique, mais ça c’est une autre affaire, que j’aborderai un autre jour...

** Et vous l’aurez peut-être constaté à sa longueur pour ceux qui en sont venus à bout, le plus dur aura été de commencer cet article, ensuite ça a déroulé tout seul…

*** si si, c’est obligé.

 

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9 mai 2019 4 09 /05 /mai /2019 07:02

 

« Le public s’imagine que chaque matin je me gargarise au bourbon, fume un ou deux cigares épais comme une cuisse de catcheur, et grignote des grains de poivre toute la journée, sans oublier le paquet de Gitanes brunes réglementaires avant le coucher. Il sera déçu : c’est une affaire de fosses nasales, de résonance. »

 

Jean-Pierre Marielle, l’homme à la voix inoubliable.

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6 mai 2019 1 06 /05 /mai /2019 07:19

Il y a de cela de nombreuses années (je crois bien que ça remonte au moins à mes années nancéiennes, donc il y a environ 25 ans), j’avais lu la version originale de ce texte, sous la forme d’une nouvelle dans un recueil, et ça m’avait déjà bien marqué. J’ai eu envie d’y revenir plus récemment, mais cette fois en abordant l’histoire dans sa version roman*. J’avais donc déjà en tête l’essentiel de l’histoire ainsi que son dénouement, ce qui d’habitude ne me pousse pas trop à me plonger dans un bouquin. Mais comme ça m’est arrivé récemment avec quelques-unes de mes lectures marquantes de mon adolescence, j’ai eu envie de revenir dessus et d’y confronter mon regard d’adulte**. Et puis j’aime de temps à autres me coltiner un classique, ce que ce livre est devenu dans son genre je pense.

 

L’histoire met en scène Charlie Gordon, 32 ans, attardé mental jovial et plein de bons sentiments. Il travaille dans une boulangerie la journée et suit des cours spécialisés le soir, dispensés par Miss Kinnian. Pétri de bonne volonté, Charlie n’a pas de meilleurs résultats que les autres, mais sort du lot par sa farouche envie d’apprendre bien qu’étant intellectuellement très limité. C’est ce qui lui vaudra d’être retenu pour une expérience révolutionnaire. En effet deux scientifiques, le professeur Nemur et le docteur Strauss qui étudient l’intelligence ont réussi un véritable exploit en décuplant l’intelligence d’une souris de laboratoire, nommée Algernon. L’étape suivante est l’expérimentation humaine, et Charlie subit donc une opération du cerveau. Et le succès va être total, car bien vite Charlie voit son quotient intellectuel augmenter en flèche, passant progressivement de 70 à 185 ! L’esprit de Charlie s’ouvre alors sur des domaines jusqu’alors insoupçonnés pour lui, mais cela ne se fait pas sans conséquences sur sa personnalité et sa vie passée revient le hanter. Mais un jour, la souris Algernon commence à montrer des signes inquiétants de régression et de dégénérescence cérébrale. Charlie sait pertinemment que son sort et celui de la souris sont liés...

 

Il y a de fortes chances que cette histoire parle à beaucoup de monde tant ce roman a connu un succès jamais démenti depuis sa sortie (en France par exemple le livre est réédité sans discontinuer environ tous les 4-5 ans depuis 1972). Et le roman a connu plusieurs adaptations sous différents formats, depuis la télévision jusqu’au cinéma, en passant par le théâtre et même la comédie musicale !

 

La première chose que je tiens à dire, c’est que je suis presque étonné de voir que Des fleurs pour Algernon est cité comme un incontournable de la littérature de Science-Fiction. Parce que le vernis SF est vraiment léger, et plus le temps passe plus les avancées médicales et scientifiques dans le domaine de l’informatique par exemple font que l’opération que subit Charlie dans le livre et qui est la caution SF du récit est de plus en plus crédible et de moins en moins extravagante à envisager dans la réalité. Pour moi, ce roman est avant toute chose un extraordinaire roman sur l’humain, sur la conscience, sur l’être intime, sur l’évolution d’un esprit au cours du temps. Le qualifier de roman de SF ne serait vraiment pas la première chose qui me viendrait à l’esprit si je devais le définir. Donc si je devais en parler je n’hésiterais pas à le qualifier d’incontournable, mais bel et bien tous genres confondus.

 

Ce court roman de Daniel Keyes (enseignant*** puis psychologue et écrivain américain mort il y a peu de temps, en 2014 à l’âge de 86 ans) est un petit bijou. À bien des égards d’ailleurs. Je vais essayer de donner quelques-unes des raisons qui me font dire cela, mais je crains d’en oublier pas mal en cours de route tant il y en a.

 

Tout d’abord il y a ce parti pris ambitieux et ardu à tenir de la part de l’auteur : tout le roman (et c’est sa grande force) est présenté comme un témoignage écrit par Charlie Gordon. Ce dernier tient à la demande des scientifiques qui le suivent un « journal de bord » par écrit, ce qui leur permet de mesurer et comprendre l’évolution de l’esprit de Charlie au fur et à mesure du temps qui passe. Autant vous le dire de suite, le début du roman est un peu compliqué à lire dans le sens où Charlie, plein de bonne volonté mais avec 6 ans d’âge mental, écrit un langage bourré de fautes d’orthographe et exprime des idées très basiques. Mais les avancées du jeune homme seront telles que bien vite cette difficulté de lecture va disparaître, et on va pouvoir constater à quel point son intellect va se développer à travers un style de plus en plus riche et agréable à lire, ainsi que des pensées de plus en plus profondes couchées sur le papier.

Ainsi, au début du roman, Charlie écrit : « Après l’opérassion, je m’eforcerai d’être un telijen. De toutes mes forces. ».

Puis vient la frénésie d’apprendre mêlée d’innocence et d’envie de bien faire : « Aujourd’hui, j’ai appris la virgule, qui est, virgule (,) un point avec, une queue, Miss Kinnian, dit qu’elle, est importante, parce qu’elle permet, de mieux écrire, et elle dit, quelqu’un pourrait perdre, beaucoup d’argent, si une virgule, n’est pas, à la bonne place. »

Petit à petit Charlie progresse de plus en plus vite, jusqu’à dépasser tous ceux qui l’entourent, y compris les scientifiques qui suivent son évolution : « Ce qui est étrange dans l’acquisition du savoir, c’est que plus j’avance, plus je me rends compte que je ne savais même pas que ce que je ne savais pas existait. Voici peu de temps, je pensais sottement que je pouvais tout apprendre. Maintenant, j’espère seulement arriver à savoir que ce que je ne sais pas existe et en comprendre une miette. En aurai-je le temps ? »

Mais passer d’attardé à génie n’est pas aussi simple, ni même aussi libérateur que le pensait Charlie, et c’est bel et bien dans le relationnel que le jeune homme à l’intellect sur-développé sent qu’il reste encore et toujours un inadapté. Il écrit ainsi au sujet de celle pour laquelle il ressent un véritable sentiment amoureux : « Je désirais l’aimer et fonder un foyer. Maintenant c’est impossible. Je suis aussi loin d’Alice avec mon QI de 185, que je l’étais quand j’avais un QI de 70. Et cette fois-ci, nous le savons tous les deux. » La prise de conscience est douloureuse et sans pitié…

 

Si je me permets quelques citations alors que je ne le fais que rarement quand je parle d’un livre, c’est vraiment pour essayer d’illustrer au mieux tous les thèmes qu’aborde ce livre, et surtout l’immense terrain de réflexion qu’il nous laisse en tant que lecteur une fois qu’on l’a refermé.

 

Ce roman est écrit avec une telle précision dans le style, mais aussi avec une telle justesse dans le ton, permettant de saisir les moindres nuances dans l’évolution de cet esprit d’abord rabougri et entravé, puis libéré et décuplé, que le lire vous fait passer par à peu près toutes les émotions. Bien que celle qui prédomine reste la tristesse, la résignation, le désespoir, qui curieusement viennent avec l’intelligence et la capacité d’analyse. Plus Charlie évolue, plus il revit son passé douloureusement, avec un œil nouveau. Ceux qu’il considérait comme ses amis se sont en fait toujours moqués et servis de lui. Mais il n’en était pas triste, puisqu’il n’en avait même pas conscience. Pour son plus grand malheur cependant, qu’il s’agisse de ses amis ou de sa famille qu’il redécouvre sous un nouveau jour, sa nouvelle perception du monde qui l’entoure ne lui offre pas plus de bonheur qu’avant. Il pensait pourtant que l’intelligence allait lui ouvrir toutes les portes, lui rendre l’existence belle et facile… « Je me demande ce qui est le pire : ne pas savoir qui l’on est et être heureux, ou devenir qui l’on a toujours voulu être et se sentir seul. »

 

On en vient presque à se demander s’il ne vaut pas mieux être idiot qu’intelligent pour être heureux. L’imbécile heureux connaît-il un meilleur sort que l’esprit évolué mis devant la triste réalité du monde ? À chacun d’apporter sa réponse, selon sa sensibilité. Des indices selon moi persistent cependant… cette furieuse envie d’en savoir toujours plus qui nous tenaille, cette curiosité, cette soif d’apprendre et de découvrir, et le refus catégorique, viscéral, de revenir en arrière une fois qu’on a franchi des paliers en avançant…

 

Évidemment ce livre ne peut pas non plus nous laisser sans réfléchir à notre position et notre sentiment vis-à-vis du handicap. Là on parle de handicap mental et on l’aborde de front (de l’intérieur même puisqu’on est dans les pensées de Charlie, à tous les stades de l’évolution de son intellect), mais la question peut facilement être élargie pour toucher tous les types de handicaps. Et quasiment accolée à la question du handicap vient cette seconde interrogation : peut-on et doit-on chercher à tout prix à améliorer notre condition humaine, aussi déficiente puisse-t-elle être parfois, par les avancées de la médecine, de la science et de la technique ? Doit-il y avoir des limites ? Lesquelles ? Ces questions que je trouve personnellement passionnantes reviennent régulièrement sur le tapis, il en était déjà question en 1959 quand Daniel Keyes a écrit sa nouvelle, on se les pose toujours aujourd’hui quand on aborde des sujets tels que la bioéthique. C’est un sujet qui fait intervenir tant de points de vue différents, qu’ils soient moraux, scientifiques ou religieux qu’on ne peut le balayer d’un revers de la main et penser s’en débarrasser facilement. Aujourd’hui le transhumanisme voire le posthumanisme sont les prolongements directs de ce type de questions. Certains en sourient avec une certaine condescendance en les renvoyant au statut de sujets pour romans de SF (tiens retour de la SF dans le débat !) mais je suis persuadé que c’est une erreur et que ces thèmes seront au cœur de l’évolution de l’humanité au cours du siècle à venir.

 

Autre sujet abordé dans ce livre, qui me semble fascinant et universel car chacun d’entre nous peut en faire l’expérience tout au long de notre existence, c’est la question de l’évolution de la personnalité. On a tous des envies, des idées, des points de vue différents. Ils sont nourris de nos expériences, des spécificités de nos parcours de vie. Et ils évoluent en même temps que le temps passe. On évolue, on change, irrémédiablement. Et avec le changement de l’être vient le changement de sa perception du monde. On le voit avec Charlie en très peu de temps, mais on peut tous le réaliser en ce qui nous concerne sur le long terme, et cela rejoint l’idée que je développais en introduction à cet article : il arrive que nos goûts changent avec le temps. Qu’on aime moins ou même plus du tout, ce qu’on a aimé jadis. Qu’on apprécie finalement quelque chose qui nous laissait indifférent voire qui nous débectait avant. Le présent a ce pouvoir incroyable de remettre en question le passé qu’on a pourtant tendance à croire figé. On est resté le même, du moins on n’a pas l’impression d’avoir tant changé que cela. Mais on a évolué, lentement, par à coup, sans s’en rendre compte au fil du temps. Est-on la même personne qu’il y a 20 ans ? Et sinon qu’est-ce qui a changé ? Et surtout dans ce cas, comment peut-on se définir soi-même avec certitude, puisque le temps semble être un facteur de l’équation qui échappe à notre contrôle ? Comment juge-t-on celui qu’on a été il y a 20 ans ? Et surtout, bien plus vertigineux encore : comment celui qu’on a été il y a 20 ans se jugerait-il lui-même s’il voyait ce qu’il sera 20 ans plus tard ?

Bref, on déterre sans peine un grand nombre de questions philosophiques totalement fascinantes dès lors qu’on pense et repense à tout ce que le personnage de ce roman vit en très peu de temps.

 

Au-delà même d’une réflexion très intéressante sur l’intelligence et la différence, ce que nous propose l’auteur dans son roman, c’est une éclatante constatation : quel que soit notre degré d’intelligence une chose ne change pas, on a tous besoin de reconnaissance, de plaire et d’être aimé. L’Homme reste quoi qu’il en soit un bien étrange être, qui ne cesse d’osciller entre individualisme et intégration. On se sent toujours unique, mais on a tant besoin de faire partie d’un tout. Une partie de notre souffrance réside peut-être bien dans cette contradiction liée à notre nature même...

 

Certes tout ceci sont des thèmes souvent abordés par la SF d’introspection, mais je trouve pour ma part qu’ils débordent très largement du seul carcan SF. Et j’en suis personnellement friand !

 

Bon, j’ai quelque peu digressé alors pour en revenir au bouquin qui nous occupe ici, je vais résumer mon sentiment plus brièvement. Ce roman est bouleversant, magnifiquement écrit, il touche à ce que l’humain a de plus intime, il réveille et bouscule aussi bien les émotions que l’intelligence. Il n’a pas pris une ride depuis cinquante et quelques années qu’il a été écrit, et il possède une autre caractéristique rare et précieuse : il est trans-générationnel. C’est typiquement un livre qu’on peut lire à tout âge, et qui plaira aux jeunes comme aux moins jeunes.

 

Alors pour finir, je dirais en écho au thème de la perception qui peut changer avec le temps, que si Des fleurs pour Algernon de Daniel Keyes m’a plu et marqué il y a 25 ans, vous l’aurez deviné, il n’a en rien perdu de sa force aujourd’hui.

 

Lisez-le, je ne peux pas vous donner de meilleur conseil à propos de ce livre.

* la première version parue sous forme de nouvelle date de 1959, alors que la version remaniée et augmentée pour paraître sous forme de roman date de 1966. Les deux versions ont remporté récompenses sur récompenses.

** je sais, ça peut être dangereux de mettre en péril des souvenirs d’émotions anciennes…

*** petite anecdote touchante : Daniel Keyes a rapporté que le sujet de cette histoire lui a été directement inspiré par un enfant de la classe pour élèves défavorisés dont il s’occupait, et qui était venu le voir après les cours pour lui demander « de quitter la "classe des idiots" parce qu’il voulait être intelligent ».

 

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2 mai 2019 4 02 /05 /mai /2019 08:11

Parmi les thèmes de réflexion qui me tiennent vraiment à cœur, tout ce qui touche à la relation d’un père à ses enfants m’est cher. J’y pense très souvent, j’observe autour de moi, cela nourrit bon nombre de mes cogitations… Le statut de fils, le statut de papa, l’évolution de l’un par rapport à l’autre et par rapport au reste du monde, tout cela me passionne. Avec de plus un double regard différencié, étant moi-même fils et père.

 

Tout particulièrement, ce qui me fait beaucoup réfléchir, c’est la notion d’héritage et surtout de transmission. Ce qu’on lègue à ses enfants, ce qui survit de soi en eux, et la façon dont ils vont un jour se forger leur personnalité propre, qu’elle soit en accord ou en rupture avec celles de ses parents. En disant cela, c’est à un très large spectre de domaines que je fais allusion. Qu’il s’agisse de la pure génétique, donc de l’hérédité biologique et physique, ou de la transmission de savoir comme de savoir-faire, mais aussi d’équilibre psychologique, de développement du libre-arbitre et du sens critique, de succession patrimoniale et matérielle ou encore de la passation des valeurs qui nous importent le plus, voire même d’une certaine forme de morale*. Tout ce qui vient directement de nous et va plus ou moins influer sur l’identité en formation et en devenir de nos enfants m’interroge. Et mine de rien, ça fait beaucoup de choses. Mais pas un seul jour sans que je n’y pense, fût-ce furtivement.**

 

Il se trouve que tout récemment j’ai fêté mes 44 ans. Outre le fait que ça commence à chiffrer, c’est aussi un chiffre théoriquement médian. Il y a déjà un bon bilan à faire, mais aussi encore a priori de belles perspectives pour l’avenir.

À cette occasion donc, j’ai été très gâté par mon entourage. De beaux cadeaux de toutes sortes, mais surtout et avant tout des présences, des attentions et des pensées de celles et ceux qui comptent pour moi. Que des choses qui touchent et réjouissent le cœur et l’esprit.

 

Et donc, au cours de ce week-end d’anniversaire, il s’est passé deux choses qui m’ont marqué, et que j’ai considéré comme mes deux plus beaux cadeaux.

 

La première c’est que Nathan a dessiné sa première BD (de 13 pages tout de même), une aventure inédite de Tintin et Milou :-) Cela fait presque deux ans que j’avais proposé un ou deux albums de Tintin à Nathan, qui les avait poliment acceptés et lus, mais apparemment sans plus de son côté. Je n’avais pour ma part pas cherché à insister. Certes Tintin a fait partie de mes premières et plus marquantes lectures, mais je pouvais comprendre qu’à presque 35 ans d’écart, les passions d’enfance ne sont pas si aisément transposables. Mais voilà qu’une frénésie de tintinophilie a pris Nathan depuis trois-quatre mois, et il a littéralement dévoré toute la collection, lu et relu plusieurs fois chaque album. Au point de se lancer donc dans la confection de sa propre histoire, avec de chouettes idées, de l’humour, des codes narratifs et visuels (les phylactères, les onomatopées, la dynamique, le séquençage, le jeu des perspectives) inhérents au médium BD déjà compris et intégrés. Ça m’a non seulement ravi, mais aussi et surtout empli de fierté.

Le capitaine Haddock c'est de la Culture aussi !

La seconde c’est que Tom, du haut de ses cinq ans dont il est si fier, a commencé de son propre chef, seul dans son coin, à se mettre à lire ! Jusqu’à présent il lui arrivait régulièrement de prendre des livres et de réciter de mémoire toute l’histoire page par page quand il la connaissait par cœur, ou alors de se lancer dans de belles improvisations en posant des textes et dialogues de son cru sur les images. Mais là c’est différent : maintenant qu’il connaît l’alphabet (ça fait partie de ce qu’il a appris en seconde section de maternelle cette année) il a eu l’idée d’appliquer ses toutes nouvelles connaissances à la lecture. Et donc on l’a surpris, très sérieux et concentré, à épeler les lettres d’un mot pour voir ce que ça fait comme son. Il a compris tout seul qu’un L suivi d’un A donnait le son « LA » par exemple***. Ça m’a laissé sur le cul : cette envie de lire, son initiative personnelle sans demander à quiconque de l’aide, et la jugeote dont il a fait preuve en ayant eu l’idée d’associer les sons des lettres pour former des mots, sans parler de la concentration intense qui lui est nécessaire à déchiffrer ce qu’il voit. Comme pour l’initiative de Nathan, celle de Tom m’a complètement surpris, époustouflé, et rendu très fier.

Des livres pour bien grandir...

Surtout, et c’est là où je voulais en venir, cela m’a rassuré sur plein de choses. Mon obsession de la transmission, et toutes les questions que je me pose à ce sujet y ont trouvé une réponse simple, nette, limpide. Pour moi qui ai un véritable amour pour les livres, une passion pour la BD et qui considère la lecture comme la base indispensable à la connaissance, et donc à la formation d’un esprit sain et d’une belle personne****, voir que l’intérêt pour les livres, pour les histoires, pour la lecture, l’envie de décortiquer les mots pour comprendre les textes -pour comprendre le monde qui nous entoure en fait- cet intérêt si cher à mes yeux était partagé par mes deux garçons sans que rien ne leur soit imposé, juste à leur propre initiative, comme dirait Brassens « ça m’a réchauffé le cœur ».

Je me dis que l’une des valeurs qui m’importe le plus leur a été transmise. Et ça me rend vraiment très heureux.

 

J’ai des gamins formidables. Ils sont tous les deux, au quotidien, mes plus beaux cadeaux.

Hulk pas content, by Tom

* bien que je n’aime pas beaucoup ce terme de morale

** comme je pense quotidiennement à beaucoup d’autres sujets, des plus futiles aux plus profonds (l’amitié, le chocolat, l’amour, la culture, les belles poitrines, le réchauffement climatique, l’art, le pouvoir de l’imagination et de la connaissance, etc… je vous laisse classer vous-mêmes par ordre d’importance)

*** ce qui nous a valu des questions du type « c’est quoi le son du H ? »

**** autrement dit l’aider à devenir un Mensch. Traduction littérale : un humain. Un type bien quoi.

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29 avril 2019 1 29 /04 /avril /2019 07:33

Avec Mufle, je lisais mon premier livre d’Éric Neuhoff. Je ne prenais à vrai dire pas un bien grand risque remarquez, l’objet fait à peine plus d’une centaine de pages d’un texte aéré et écrit plutôt gros. Mais l’accroche de quatrième de couv’, le titre, le clébard en couverture, tout ça m’a fait de l’œil alors j’ai tenté.

 

C’est l’histoire d’un type, la cinquantaine, bourgeois parisien, déjà deux divorces au compteur et de grands enfants, qui découvre comme ça, en consultant le portable de sa compagne Charlotte qui traîne dans la salle de bain qu’elle l’a trompé, pendant ce fameux voyage à Londres où elle se rendait soi-disant pour une vente de bijoux. Évidemment qui cherche trouve : très vite il a les preuves qu’elle le trompe depuis le premier jour puisqu’en réalité elle collectionne les amants et consomme les hommes façon mante religieuse. Faut dire que Charlotte est une femme sur laquelle tout le monde se retourne quand elle entre dans une pièce. Les femmes l’envient et les hommes la désirent… ce qui a d’ailleurs toujours été une source de fierté du narrateur. Ce très court roman décrit l’évolution des sentiments de l’homme trompé, qui va très vite passer de l’amour aveugle à la haine… il paraît que ce sont les deux faces d’une même pièce…

 

Bon, à vrai dire, pas grand-chose de neuf sous le soleil dans le thème abordé. Amour bafoué, tromperie, amour-haine. Du déjà vu, mille fois, en long, en large et en travers sur à peu près tous les formats qui existent. Pas plus mal du coup d’en faire un roman aussi court, puisque de toute manière on n’évitera pas certains poncifs (l’amour qui se mue en haine par exemple) propre à ce genre d’histoires, autant ne pas en faire des tartines non plus et ainsi éviter l’indigestion.

 

Un point à peine plus original, c’est l’inversion du traditionnel rapport homme volage / femme trompée, mais là encore ce n’est pas comme si on tombait des nues en découvrant que ça marche dans les deux sens cette affaire.

 

Non, selon moi s’il y a quelque chose à en retenir, ce n’est pas tant la situation de départ ni son évolution, ni même sa conclusion (ça a déjà tant été traité que le tour en a été fait depuis longtemps, je ne crois pas qu’on puisse encore innover vraiment sur ce sujet), c’est le traitement de la chose. En gros on est quasi constamment dans les pensées du narrateur, et c’est assez incisif. Logique du reste, puisque la peine, la douleur et la colère mêlée d’humiliation ressenties aussi durement que dans le cas cité ici, amène forcément à la méchanceté à un moment ou un autre. Mais au moins ici, pas de faux semblant, par moments le narrateur se lâche vraiment et balance quelques sentences meurtrières vis-à-vis de sa compagne, et à travers elle vis-à-vis des femmes en général, qui ne manqueront certainement pas d’éveiller un soupçon de misogynie à l’encontre de l’auteur (dont la situation, l’âge et en partie la vie privée ont quelques similitudes avec ceux de son personnage).

 

Personnellement je ne l’ai pas ressenti ainsi, mettant simplement certains des propos et des pensées les moins politiquement correctes sur le compte de la détresse sentimentale du cocu, avec plus dans l’idée de l’auteur de montrer comment on peut passer en un éclair d’un sentiment très fort à un autre totalement opposé pour la même personne sous le coup d’émotions de ce type. En fait pour moi, il s’est contenté d’écrire honnêtement ce qui peut passer par la tête de tout le monde dans des circonstances particulièrement éprouvantes.

 

Intéressant de noter au passage l’utilisation pas si fréquente du mot « mufle » qui tient lieu ici de titre. À qui exactement est-il supposé s’appliquer ? À l’homme qui laisse libre court à des pensées pas très classes au sujet de celle qu’il a tant aimée et qui l’a blessé, ou à la femme qui s’est comportée à la façon d’un coureur de jupons au féminin, sans éprouver le moindre remords vis-à-vis de son compagnon ? Du coup j’ai jeté un œil sur le Larousse dont voici la définition (je saute celle qui désigne le museau de certains mammifères) :

Mufle : adjectif et nom masculin, qui est grossier, brutal, sans éducation. Ex : se conduire comme un mufle.

 

À en croire le dictionnaire donc, cet adjectif est uniquement masculin et ne connaît pas d’équivalent féminin. Est-ce parce qu’une femme ne peut pas avoir un tel comportement, ou a-t-on pointé là un manque dans la langue française ? (un manque d’origine… sexiste ?)*

 

Outre ces interrogations d’ordre lexical, je pense que l’intérêt principal de ce roman reste cette écriture incisive, décomplexée. Pas non plus de la grande littérature hein, mais ça touche à l’humain avec une certaine sincérité qui mérite d’être relevée. Sorti de là, j’avoue qu’à l’heure où j’écris cette critique, plusieurs années après l’avoir lu (en 2012 ou 2013 je crois bien), il ne m’en reste pas grand-chose de plus en mémoire. Je ne vais donc pas être plus loquace que cela. Je me souviens d’une lecture facile et rapide, mais pas plus marquante que cela, ni dans un sens ni dans l’autre. À vous de voir donc !

* d’autres mots de la langue française dénoncent la même idée de ce caractère déplaisant et visiblement unilatéralement masculin, et ne connaissent donc pas de pendants féminins : goujat ou malotru par exemple...

 

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26 avril 2019 5 26 /04 /avril /2019 07:18

L’humour corse, troisième exemple. Sur l’île de beauté la nature est sublimée, les paysages splendides le disputent aux décors paradisiaques... Sous le soleil corse c’est bien simple : tout paraît plus beau qu’ailleurs. Et les corses savent bien mettre en avant ces panoramas somptueux qu’ils sont les seuls à avoir.

 

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23 avril 2019 2 23 /04 /avril /2019 07:21

En littérature il y a les classiques, les références, les bouquins dont l’aura fait qu’on a l’impression de les connaître avant même de les lire. Il y a ceux qui font parler, parce que devenus des phénomènes à la mode. Et puis il y a ceux qui ont une réputation qui les précède, voire un voile de mystère qui les entoure, et qui intrigue, forcément. La conjuration des imbéciles est à mes yeux de cette dernière catégorie. J’en avais déjà plusieurs fois entendu parler, presque comme d’une légende urbaine, sans jamais avoir réussi à retenir son nom. Mais si, vous savez, ce fameux roman que son auteur a essayé en vain de faire publier, cumulant refus sur refus de la part des maisons d’édition. Tant et si bien que le gars, complètement déprimé et convaincu d’être un écrivain raté, a fini par se donner la mort. Sauf que sa mère n’a pas lâché le morceau et est repartie à l’assaut des éditeurs avec le manuscrit de son fiston suicidé. Et le roman a fini par trouver preneur, il est même devenu un succès énorme. Eh bien ce livre c’est La conjuration des imbéciles et son auteur (qui n’a donc jamais su que son œuvre connaîtrait la gloire et la reconnaissance de ses pairs : il a reçu le prix Pulitzer à titre posthume) se nomme John Kennedy Toole. C’est quand même vachement intrigant cette « petite histoire » autour de ce livre non ? Moi j’ai voulu en savoir plus, et je me suis donc attaqué à sa lecture.

 

Je dis « attaqué » parce que le bouquin est un sacré morceau. Prévoyez le temps, il ne se lit pas en un petit après-midi d’hiver, c’est quand même du pavé de compétition. Malheureusement je dois bien le dire, ce n’est pas uniquement du fait de son volume imposant que la lecture s’est avérée longue à mes yeux. Les gros pavés, en théorie ça ne me fait pas plus peur que ça, j’en ai même plus ou moins régulièrement sur ma pile de livres à lire. Là où ça se corse, c’est quand le sujet n’est pas hyper passionnant, ou quand l’écriture manque de rythme, ça demande déjà plus de courage et faut parfois s’accrocher pour en venir à bout. Eh bien c’est exactement ce qui s’est produit entre ce livre et moi…

 

Alors d’abord un résumé rapide. Le héros de cette histoire se nomme Ignatius J. Reilly, on se situe dans la Nouvelle-Orléans des années 60. Ignatius a 30 ans et vit aux crochets de sa mère (elle-même pas une flèche, et plutôt portée sur la bouteille). Diplômé après 10 ans d’université en histoire médiévale (déjà le truc hyper utile dans la vie active), fortement obèse, pas très porté sur l’hygiène et affublé de tenues très personnelles (il ne quitte jamais sa casquette de chasse verte avec protection pour les oreilles, il craint trop les rhumes de cerveau) il ne sort quasiment jamais de sa chambre, où il s’est mis en tête de rédiger ses mémoires et pensées sur de petits cahiers tout gribouillés. D’une arrogance sans limite, il a une très haute idée de lui-même et en dehors de cela méprise le monde entier. L’horreur suprême a pour lui un nom : le Travail. C’est pourtant ce qu’il est contraint d’aller chercher le jour où sa mère provoque un accident en état d’ébriété et qu’elle n’a pas les moyens seule de rembourser les dégâts. La bicoque qu’ils partagent est proche de la ruine, mais on pourrait bien malgré cela la leur enlever pour payer leurs dettes… C’est avec les plus grandes difficultés, morales comme physiques (car Ignatius est accablé d’un mal retors et pervers : son satané anneau pylorique suit les montagnes russes de ses humeurs et lui fait souffrir le martyre) qu’il va tout d’abord prendre un emploi de bureau dans une fabrique de pantalons, avant que ses mésaventures dans le monde du travail ne le propulsent vendeur ambulant de hot-dogs…

 

Voilà pour le gros de l’intrigue (aucun jeu de mots dans cette phrase). Cependant le récit est très dense et très touffu, on y croise de nombreux personnages secondaires auxquels sont rattachées des sous-intrigues plus ou moins intéressantes. Si l’ensemble peut paraître fouillis au début, les différents fils narratifs finissent par se rejoindre et tous les personnages développés auront en fin de compte un lien plus ou moins direct avec Ignatius. Parmi eux j’ai bien aimé Mancuso, le flic zélé mais poissard qui se voit refiler les pires enquêtes par son supérieur, la danseuse-entraîneuse qui tente de monter un spectacle d’effeuillage sexy avec son perroquet déplumé, ou encore Miss Trixie, une vieille employée de bureau assez iconoclaste qui attend impatiemment sa retraite alors qu’elle a passé l’âge depuis une bonne vingtaine d’années… Il y a aussi le roublard Jones, contraint d’accepter un boulot sous-payé pour ne pas être embarqué par la maréchaussée pour vagabondage, la tenancière raciste du bar qui emploie Jones et la danseuse, la mère et la tante de Ignatius qui aiment se mettre une bonne mine après leurs soirées bowling, le prétendant beau-père d’Ignatius qui nourrit une véritable phobie envers les « communisses », Myrna l’ancienne amie d’université d’Ignatius partie à New-York défendre la liberté sexuelle ce qu’il considère d’ailleurs être hautement indécent, le couple de bourgeois employeurs, les Levi, dont la femme est en permanence en train de faire des reproches à son mari,… et j’en oublie très certainement au passage.

 

Comme je le disais, c’est dense. Mais pas forcément toujours passionnant malheureusement. L’histoire a été écrite au début des années 60 et cela se ressent énormément, aussi bien dans le style que dans le contenu. L’Amérique décrite, et très fortement critiquée (que ce soit ouvertement ou par l’absurde), est pour le moins datée, même si certains thèmes restent aujourd’hui encore d’actualité. La société d’hyper-consommation dénoncée par Ignatius, on y est plus que jamais. Le racisme, bien que la ségrégation n’ait plus cours aux États-Unis, reste un des problèmes majeurs au pays de la liberté. Donc sur le fond, on trouvera sans peine des thèmes qui auront, malheureusement, très bien résisté au temps. Mais sur la forme, on n’y est plus vraiment, faut bien le dire. C’est un peu le même sentiment que j’avais eu également à la lecture de L’Attrape-Cœurs de J. D. Sallinger. L’écriture est un poil surannée, il y a un je-ne-sais-quoi qui m’a distancié un peu du récit et m’a donc empêché de m’y plonger vraiment, créant chez moi une certaine retenue.

 

Quant au style, là encore il est riche et varié. D’abord parce que selon les protagonistes, l’auteur va changer de ton et s’adapter aux manières de s’exprimer de ses personnages. Il faut d’ailleurs savoir que ce long roman est en majeure partie composé de dialogues, bien plus que de descriptions ou d’actions. Quand il s’agit d’Ignatius, le verbe est haut, le langage très soutenu voire exagérément riche, les phrases longues et alambiquées pour énoncer des choses au final très simples. C’est Ignatius, il est comme ça. Comme il se prend pour un génie incompris, il s’exprime comme un être de son niveau devrait le faire selon lui. Il n’en reste pas moins qu’une connerie, même énoncée avec des mots savants, ponctuée de démonstrations fumantes et tout droit sortie d’une logique embrumée, reste bien évidemment une connerie. Au mieux ça épate les imbéciles qui l’écoutent déblatérer, mais ça ne va pas beaucoup plus loin que ça.

Quand il s’agit du noir Jones en revanche, on tombe dans l’argot et surtout l’auteur tente de retranscrire par écrit le phrasé et l’accent populaire de la Nouvelle-Orléans des années 60. Mots éludés, prononciation reproduite par la phonétique, onomatopées… tout un tas d’artifices qui à la longue alourdit à mon sens la lecture. Cela dit, les phrases à la mords-moi-le-noeud d’Ignatius sont tout aussi fatigantes entendez bien… c’est vrai lors de ses dialogues interminables mais encore plus vrai lors de ces échanges épistolaires avec son amie/amour/ennemie Myrna, ou les extraits de ses pensées mises sur le papier dans ses fameux cahiers Big Chief. Et c’est en partie ce qui m’a un peu tenu éloigné du livre et a compliqué mon approche du texte : le style est lourd, et je n’ai pris aucun plaisir à sa lecture.

 

Lourd, au sens propre comme au sens figuré, c’est un adjectif qu’on peut également associer au personnage principal, le pachydermique Ignatius. En cela il faut bien le dire, l’auteur a réussi son pari et ne s’est pas dégonflé. S’il a voulu prendre le contre-pied du héros classique il y est parfaitement parvenu. Ignatius est le prototype même de l’anti-héros, mais attention le vrai, le pur. De nos jours il devient assez courant que le personnage principal d’une œuvre soit mis en avant comme un « anti-héros ». Sous-entendu que le gars en question sort des normes en vigueur, flirte avec le politiquement incorrect, détonne pour une raison ou une autre. Mais ce caractère d’anti-héros est plutôt considéré alors comme un atout, quelque chose qui le sort de la mêlée et le classe à part, mais de manière positive pour le spectateur ou le lecteur. Or Ignatius J. Reilly, lui, répond stricto sensu à l’étymologie même du terme « anti-héros », entendez par là qu’il est l’exact contraire, sur absolument tous les plans, de l’image qu’on peut se faire d’un héros principal. Il ne possède que des défauts, je serais bien en peine de lui trouver le moindre aspect positif. Et pas des « petits défauts ». Que des caractéristiques qui le rendent insupportable, irascible, imbuvable. Ce type est un cauchemar sur pattes. On pourrait passer des heures à lui mettre des baffes. Mais au-delà encore des envies de meurtre, l’envie irrépressible qu’il génère c’est je crois celle de fuir loin, très loin de lui. Et ce qui finit d’en faire une horreur c’est que tout ce qu’on peut lui reprocher, lui s’en targue comme de véritables qualités, preuves indéniables s’il en fallait encore de sa supériorité sur les autres. Bref, je crois qu’on ne peut pas aimer ce personnage (moi en tout cas j’en suis proprement incapable, et pourtant j’ai une assez grande capacité, je crois, à la tolérance et à la relativisation dans le domaine de l’imaginaire et de l’art). En ce sens, faire d’Ignatius ce qu’il est, et le personnage principal d’un roman, je dois bien dire que c’était couillu de la part de l’auteur, et complètement à contre-courant. Car il est clair qu’il ne visait pas l’identification du lecteur au héros ! D’ailleurs si on prend comme critère l’impact sur le lecteur (tous sentiments confondus) d’un personnage, alors l’objectif est atteint, mille fois atteint : on ne peut pas oublier ce gros bonhomme en casquette de chasseur, il est l’un des personnages de papier les plus marquants qu’il m’ait été donné de lire. Ah ben tiens, il semblerait bien finalement que j’ai réussi à dire quelque chose de positif (ou d’approchant) sur ce personnage…

 

L’un des autres aspects que j’ai noté après coup, mais qui m’a gêné aux entournures tout du long de ma lecture sans que j’arrive consciemment à mettre un nom dessus sur le moment, est lié à l’ambiance générale de ce livre. En fait, j’ai eu l’impression qu’en permanence, quasiment tous les personnages étaient en colère, que tous les dialogues étaient écrits sur le ton de l’engueulade, de l’emportement. Et moi les gens qui crient (ou même simplement qui parlent fort), ça me fatigue très vite je dois dire. Je crois que c’est aussi une des choses qui a contribué à me tenir à distance de ce récit.

 

À en croire ce que j’ai pu en lire ça et là sur la toile, j’ai la nette impression de faire partie de la minorité qui n’a pas accroché à ce roman. C’est vrai, dans une immense majorité, les critiques sont bien plus que positives, même très souvent dithyrambiques. J’ai été impressionné de voir que de nombreux auteurs citent La conjuration des imbéciles comme une de leurs œuvres cultes, et parmi les plus importantes de la fin du XXème siècle. Le roman de John Kennedy Toole ne fait pas l’unanimité mais presque. Aussi suis-je bien obligé d’en conclure que je suis peut-être passé à côté de quelque chose, que je n’ai pas su capter ce qui a tant plu par ailleurs à tant de monde. Peut-être que j’accorde trop d’importance à la qualité humaine des personnages, et surtout à la possibilité d’identification du lecteur aux héros mis en scène, au détriment de la qualité plus intrinsèquement littéraire de l’objet. Mais je dois bien aussi avouer que j’ai eu du mal à faire le tri dans ce que je lisais et à saisir le message de l’auteur. Oui j’ai repéré les thèmes pointés du doigt, mais j’ai eu plus de mal à comprendre exactement ce que voulait nous en dire John Kennedy Toole. Était-ce simplement une pochade poussée très loin ? Beaucoup de lecteurs, si j’en crois les commentaires qui reviennent le plus régulièrement, considèrent ce roman comme très drôle, voire hilarant. Moi j’ai très peu ri en le lisant. Souri oui, en particulier pour tout ce qui concerne Miss Trixie, l’officier Mancuso ou l’obsessionnel chasseur de « communisses ». Mais clairement ce n’est pas ce que j’ai retenu de plus marquant de ce roman. Alors je m’interroge, car je me demande ce que cela révèle de moi, pourquoi je n’ai pas été pris par cette évidence qui s’est imposée à tant d’autres lecteurs, et de bien plus érudits que moi parmi eux.

 

Alors ne serait-ce que pour cela, pour ce questionnement que ce livre a déclenché en moi, mais aussi parce qu’indéniablement ce roman est une expérience de lecture assez unique en son genre, j’ai envie de vous le conseiller à tous, bien que moi je ne l’ai pas aimé. Et puis comme ça on pourra en recauser ensemble, et je comprendrai peut-être enfin ce qui m’a échappé ?...

 

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18 avril 2019 4 18 /04 /avril /2019 07:17

L’humour corse, deuxième exemple. On mange bien en Corse, on y est fier des produits régionaux, bien boire et bien manger fait partie de la culture de l’île. N’empêche qu’on peut aussi en rire.

 

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14 avril 2019 7 14 /04 /avril /2019 08:16

Il y a de cela bien longtemps… je vous ai parlé ici-même du roman En moins bien d’Arnaud Le Guilcher. Et ceux qui ont bonne mémoire s’en souviendront peut-être, j’en disais le plus grand bien.

Voici sa suite, Pas mieux, évidemment du même auteur.

 

L’histoire reprend 15 ans après le premier roman. Le narrateur, dont on ne connaîtra décidément jamais le nom, a mis un peu d’ordre dans sa vie. Du moins, il s’est sorti comme il a pu de la situation catastrophique dans laquelle il avait été plongé 15 ans auparavant. Attention hein, c’est pas la grosse déconne tous les jours : aujourd’hui quarantenaire il bosse (il a repris la blanchisserie des Kurosawa), il a arrêté la picole et il a pris un chien. En revanche son clébard, Prosper, bouledogue anglais de son état, a pris la relève côté bibine puisque la bestiole est authentiquement alcoolique. De l’aveu du héros lui-même, il est devenu le « locataire de son existence ». Autrement dit, s’il n’est plus dans la détresse où l’avait laissé l’épisode Sandpiper, sa vie lui semble bien morne. Rangée, mais morne.

Le soir de Noël, alors qu’il s’apprête à fêter le réveillon en compagnie de son pote Richard, de Mme Kurosawa et de son neveu Takeshi, deux invités inattendus s’invitent à la fête : Emma est de retour ! Et elle ne revient pas seule, puisque le héros découvre qu’il est le père d’un ado de 15 ans, qui fait pas loin du double-mètre et est fringué en gothique. Le môme se prénomme comme le père : Commmoi. Ingérable mais pas la moitié d’un con : visiblement le gamin a hérité de l’amour de l’écriture de son père, le talent en plus. Emma quant à elle cache visiblement quelque chose, que notre héros va s’empresser de découvrir… De péripéties en rebondissements, toute notre clique va se retrouver sur les routes direction New-York pour des aventures « bigger than life ».

 

Je ne vais pas m’aventurer plus longtemps à résumer ce roman. Pas mieux n’est pas un livre qu’on résume, c’est un bouquin qu’on dévore, dont on se délecte de bout en bout, et moins on en sait avant, mieux c’est quand on le découvre en lisant !

 

J’avais adoré En moins bien, et j’avoue que je craignais un petit coup de « moins bien » justement pour la suite. Ne serait-ce que parce que l’effet de surprise n’était plus là. N’était plus là… pensais-je ! Car en fait, ce roman est comme un calendrier de l’avent dont chaque chapitre correspond à une nouvelle friandise. Mais pas n’importe lesquelles de friandises : totalement inattendues et parfaitement hilarantes. La surprise reste complète car on ne sait jamais où Arnaud Le Guilcher va nous emmener. Mais ce que je peux vous dire c’est qu’on passe de délires en délires² (oui, au carré), de situations burlesques en rencontres improbables. À ce titre, le duo de personnages secondaires Aron et Joseph va vous laisser sur le cul.

 

J’ai réalisé en cours de lecture que Pas mieux, loin de tomber dans le piège de la suite un peu poussive et forcément moins pertinente que le roman original, est en fait encore plus balèze que le premier opus. Genre le précédent était une mise en bouche et là on passe la seconde et on arrive au rythme de croisière… alors autant vous accrocher parce que le père Le Guilcher, il dépote sur ce coup-là.

 

C’est vraiment écrit avec une verve que moi j’adore. Impertinent, furieusement drôle, plein de la gouaille qu’on aime dans les dialogues d’un Michel Audiard par exemple, mais en même temps moderne et blindé de références culturelles auxquelles un type de ma génération ne peut pas rester insensible. C’est déjanté, c’est désenchanté, c’est absurde, c’est profond, c’est désopilant, c’est dramatique, c’est malin, c’est jubilatoire… en un mot, c’est virtuose.

 

Vous voulez savoir pourquoi Barack Obama a été obligé de démissionner de la Maison Blanche ? Vous voulez pisser dans une tête de rhinocéros en compagnie de Brad Pitt ? Manger un carpaccio de panda ou une friture de langues de tortues luth ? Vous faire analyser par un psychiatre atteint du syndrome de la Tourette ? Eh bien ça fait partie, entre bien d’autres choses, de ce que notre héros va expérimenter dans ce roman...

 

Car de l’humour, vous en aurez par paquet de douze, et de la qualité s’il-vous-plaît. Mais justement c’est là que Arnaud Le Guilcher est très, très fort : à l’humour noir, corrosif, cynique, il associe la tendresse, le spleen, la nostalgie, la mélancolie, le sentiment vrai et profond. Et ça, sur moi ça fonctionne du tonnerre. Combo gagnant.

Tant et si bien que Pas mieux entre dans cette catégorie très spéciale de romans qu’on a une envie folle de dévorer mais qu’on se force à lire lentement quand même, pour faire un peu durer le plaisir. Vous savez, ces bouquins qui ont ce curieux pouvoir : vous filer la patate à chaque page sauf à la dernière, celle qui vous fait vous sentir un peu orphelin quand vous la tournez.

 

Alors bien sûr je ne peux que vous conseiller la lecture de Pas mieux (et de En moins bien avant lui). Avec ce second roman, Arnaud Le Guilcher persiste, signe et enfonce définitivement le clou. J’adorerais écrire comme ce type-là, mais bordel je crois bien qu’il le fera toujours mieux.

 

 

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