Un remède. C’est je crois la meilleure manière de définir l’artiste suisse Stephan Eicher.
Un remède à la grisaille du moment, à la morosité ambiante, au stress, à l’angoisse, au découragement.
C’est devenu d’une banalité affligeante que de le dire, et pourtant ça n’en reste pas moins vrai, le Covid (m’en fous qu’il faut dire « la ») a cassé beaucoup de choses, et bien que relégué depuis quelque temps, à tort ou à raison je ne sais pas, dans la voiture balai de nos préoccupations actuelles, cette saleté de virus laisse des traces.
Je parle là à titre personnel, mais j’ai comme l’impression que je ne suis pas un cas si isolé que cela : depuis son arrivée, même si aujourd’hui on s’en soucie beaucoup moins, j’ai très clairement modifié mes habitudes « d’avant ». Je crois que je n’ai pas vu dix films au total en salle de cinéma depuis le 17 mars 2020, date de début du premier confinement en France. Alors qu’auparavant j’y allais plusieurs fois par mois. Et pour ce qui est des concerts, là aussi le rythme a drastiquement chuté en ce qui me concerne. Ça s’est fait tout seul, insidieusement. D’abord parce que tous les spectacles vivants étaient ou annulés ou reportés aux calendes grecques, ensuite parce que le réflexe de se renseigner, de chercher des dates, de prendre des billets à l’avance, s’est envolé faute d’avoir pu le faire trop longtemps. Et cette fichue angoisse qui gagne les cœurs en sourdine. La guerre en Ukraine, les prix qui s’envolent, les grèves, les manifestations, l’ambiance générale…
Tout pour saper l’envie.
Et puis on décide de passer outre, on fait l’effort (rendez-vous compte : aller en concert applaudir un artiste qu’on aime devient un effort ! C’est dire l’état d’esprit du moment…), « allez on y va, ça nous changera » !
On s’assied dans la salle, elle se remplit vite. On attend un peu, je retiens un bâillement, je suis un peu fatigué ces derniers temps (rendez-vous compte : il est 20h et j’ai sommeil, c’est digne d’un roman de SF). Ah, ça y est, la lumière s’éteint, les artistes s’avancent sur la scène. Ça commence.
D’entrée quand je le vois je le sens, je le sais : j’ai bien fait de venir. Ça fait tellement plaisir de le revoir, de l’entendre « en vrai ». Sa dégaine de mousquetaire hidalgo, son accent suisse-allemand qui serait horrible chez n’importe qui d’autre mais qui chez lui est le marqueur ultime de son charme irrésistible (j’ai beau ne pas y être sensible, je sais reconnaître ce qui donne du charme à un gars aussi poilu soit-il !), sa guitare qu’il a un peu de mal à accorder pour démarrer le concert, sa voix haut perchée, la mèche de cheveux qu’il ramène en arrière, la moustache dont il frise les extrémités. Tout, absolument tout chez ce type respire la sérénité, le talent et l’humanité combinés.
Stephan Eicher est intemporel : il y a en lui autant du sale gosse que du vieux sage
Une petite blague sur un air de pas y toucher, un monologue coincé quelque part entre le bavardage lunaire et les réalités profondes, un tour de magie, un peu de mentalisme, un verre de vin rouge à moitié plein, des mélodies enivrantes, un filet de voix qui en fait juste assez mais jamais trop, des textes écrits (la plupart du temps) de la plume de Philippe Djian avec lequel il forme un duo d’une efficacité artistique redoutable… Trois musicos pour l’accompagner (Reyn Ouwehand aux claviers, Simon Gerber à la guitare et à la basse, Noemie Von Felten à la harpe), une ambiance feutrée, quelques automates au fond d’un coffre, et beaucoup, beaucoup de plaisir…
Le temps passe vite à écouter ces quatre-là. Ils panachent harmonieusement nouvelles chansons et anciens tubes et cela me va très bien, le dernier album studio Ode est une réussite dont chaque titre est un petit bijou, quant aux succès passés du bernois, je les ai tant chantonnés que je les connais presque tous par cœur. Mon seul regret c’est qu’il n’y ait aucune chanson du précédent album studio (Homeless Songs) intégrée dans la playlist de cette tournée. Cet album de 2019 a été l’un de mes plus gros coups de coeur musicaux de ces 20 dernières années, et c’est une tristesse absolue pour moi d’avoir raté la tournée que le chanteur suisse lui avait consacrée.
« Et Voilà tour », c’est le nom de la tournée de Stephan Eicher. Les deux heures de concert sont passées vite, un rappel, un salut chaleureux qui souligne un peu plus toutes les bonnes ondes qui transitent entre l’artiste et son public, une ovation, un dernier aurevoir, rentrez bien, faites attention sur la route… et c’est déjà fini. Avec déjà aussi l’envie de le retrouver sur scène une prochaine fois.
So long Stephan...
(Comme d'habitude : un grand merci à ma petite sœur pour ses photos !)