Oulah mais dites voir, ça fait un bail que je n'ai pas consacré un article complet à une série télévisée ! Pourtant j'en consomme en grande quantité, ceux qui suivent un peu la rubrique Avis vite dits sur ce blog le savent.
J'en regarde beaucoup disais-je, et j'en vois souvent de très bonnes, voire d'excellentes. Et puis de temps à autres, il y a des pépites qui émergent. Des trucs insensés, des ovnis sortis de nulle part, qui vous chopent par les roustons et vous retournent comme une crêpe.
C'est l'effet qu'a eu sur moi L'Effondrement, une petite série française sortie en novembre 2019, très courte (8 épisodes d'environ une vingtaine de minutes), mais d'une intensité rare. Créée, écrite et réalisée par un collectif nommé Les Parasites (qui regroupe les auteurs Guillaume Desjardins, Jérémy Bernard et Bastien Ughetto, ce dernier incarnant également un des personnages à l'écran), la série se fonde sur les thèses de la collapsologie, autrement dit sur l'idée d'un effondrement de la société sur elle-même, victime de ses propres excès et travers.
Bastien Ughetto, co-créateur mais aussi comédien dans un épisode touchant.
La série produite par Canal+ n'est pas une « simple » série post-apocalyptique de plus, ça va bien au-delà. D'abord parce qu'elle ne traite pas d'une catastrophe distincte. En effet, à aucun moment dans la série on ne connaît l'élément déclencheur, le grain de sable qui aura enraillé la machine et foutu par terre quelques milliers d'années d'évolution de la société humaine. C'est d'ailleurs assez logique dans le contexte de la collapsologie que les raisons de l'effondrement soient multi-factorielles. Le spectateur est libre d'imaginer ce qu'il voudra : mouvement social, sociétal, financier, catastrophe environnementale, économique ou sanitaire, choc écologique, dérives sécuritaires, peu importe, ce qui compte c'est le résultat. Et le résultat c'est que la société part en vrille. Lentement d'abord, par à coups, ou parfois plus brutalement, mais elle se désagrège inexorablement.
Samir Guesmi va faire tout son possible et ne s'avoue pas vaincu facilement.
Chaque épisode possède donc un titre à double entrée : temporelle et spatiale. Le premier épisode par exemple se nomme J+2 : Le supermarché. Il montre ce qu'il se passe 2 jours après la date du début de l'effondrement, dans les rayons d'un supermarché. On commence donc ainsi au jour J+2 et on va progresser dans le temps jusqu'à... non ça je ne vais pas le dire, c'est bien plus sympa de le découvrir au fur et à mesure !
À chaque fois, les personnages et les situations changent, bien qu'on retrouve de temps en temps un personnage d'un épisode à un autre, souvent de manière indirecte. Il n'y a donc pas de héros principal tout au long de la série, uniquement le temps d'un épisode.
Certains héros vous paraîtront moins sympathiques que d'autres...
Pour souligner encore l'aspect atypique de cette série, il est intéressant de se pencher également sur sa forme. Chaque épisode est filmé en plan-séquence où l'on suit donc de très près un ou plusieurs personnages sur une durée de peu ou prou vingt minutes. L'effet est immédiat et extrêmement réussi : on se déplace avec lui, on court avec lui, on explore avec lui, on respire presque au même rythme que lui. Car vous vous en doutez bien, ça n'est pas à une scène de sieste post-apocalyptique ou à une balade dans une nature aux paysages apaisants que nous convient les différents épisodes. Chacun d'entre eux possède une véritable dramaturgie particulièrement efficace qui fonctionne au quart de tour et vous prendra aux tripes tout du long de sa courte durée. De ce point de vue (plan-séquence + sensation d'immersion totale dans l'action) chaque histoire qui compose un épisode est une petite perle. L'avant-dernier épisode (qui se passe en mer) est un must absolu en la matière : une véritable prouesse de scénario, de réalisation et d'interprétation qui frôle la perfection. Tout est réglé au millimètre près, hyper-ficelé, et ne laisse pas un instant de répit au spectateur.
Non, ceci n'est pas une petite promenade bucolique dans les bois...
D'ailleurs c'est le point commun de chaque épisode, malgré le changement de temporalité, de lieu et de personnages : l'ambiance reste identique à chaque fois. Cette impression d'urgence, d'implacabilité, de fatalité, cet espoir ténu mélangé à la peur qui flotte, qui se transforme même parfois en panique, cette tension qui monte crescendo et qui ne vous lâche pas une seconde. Chaque épisode a un potentiel anxiogène hallucinant, et le moins qu'on puisse dire c'est que les créateurs de cette série, tout comme les comédiens qui y jouent, savent l'utiliser à fond. Il est simplement impossible de regarder cette série d'un œil distrait et tranquillement assis dans votre fauteuil. Vous serez sur les dents, en permanence.
Protéger et servir. Ou bien ?
Côté comédiens là aussi c'est très plaisant : il y a un mix de têtes inconnues et de comédiens plus chevronnés. Vous y croiserez par exemple Audrey Fleurot ou Samir Guesmi parmi les plus connus. Mais surtout, tous sans la moindre exception, sont absolument parfaits dans leurs rôles. On sent une implication totale des acteurs, et autre réussite qui mérite d'être soulignée selon moi, chaque personnage sonne vrai, ce qui n'est pas un mince exploit quand on ne les voit qu'une vingtaine de minutes en tout. À ce sujet, je me permets d'attirer votre attention sur la formidable actrice qui tient tout l'épisode 7 sur ses épaules du début à la fin (il s'agit de Lubna Azabal) car si j'avais assez rapidement fait le lien entre elle et le personnage de l'épisode 3 (celui de l'aérodrome) je suis complètement passé à côté de son rôle dans l'épisode 8 qui donne cependant une saveur absolument fascinante de cynisme et de noirceur à l'ensemble de la série. C'est en me penchant sur le casting de ce dernier épisode que j'ai fait le rapprochement entre les personnages, et j'en ai été scotché. Évidemment je vous laisse découvrir ça par vous-même et n'en dirai pas plus...
Lubna Azabal, magistrale dans l'épisode 7.
Pour terminer je tiens tout de même à vous mettre en garde. Si vous vous lancez dans cette série, sachez que vous n'en ressortirez pas forcément avec le moral super-reboosté. Votre regard sur la nature humaine risque d'en prendre un coup. En ces temps de post-confinement où certains sont plutôt à la recherche de légèreté et d'évasion qui fait du bien, ça n'est pas ce que vous trouverez dans L'Effondrement. C'est du reste complètement voulu et explicitement revendiqué de la part du collectif Les Parasites : leur série n'est pas là pour divertir, amuser ou délasser, elle est clairement faite pour faire peur et alerter. Objectif parfaitement rempli.
Audrey Fleurot, pas dans le rôle de la Dame du Lac cette fois-ci...
L'Effondrement est une série française messieurs-dames, et contrairement à ce qu'on peut parfois laisser entendre sur la qualité de ses dernières en comparaison avec ce qu'il se fait ailleurs (bien entendu si on est resté bloqué sur Joséphine Ange-Gardien ou Julie Lescaut c'est peine perdue), on a là rien de moins qu'une pépite. Scénario maîtrisé, réalisation flamboyante, interprétation au cordeau, conscience politique : il ne manque rien.
À voir absolument avant la fin du monde !!
L'affiche de la série L'Effondrement