Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Moleskine et Moi
  • : de la Pop Culture, un peu d'actualité, pastafarismes et autres petites choses...
  • Contact

Attention !

Avant de lire les notes que je fais sur les films que je vois et les bd que je lis, sachez que dans mes commentaires il m'arrive parfois de dévoiler les histoires et les intrigues. Ceci dit pour les comics, je n'en parle que quelques mois après leur publication, ce qui laisse le temps de les lire avant de lire mes chroniques.
Bon surf !

Recherche

Série(s) en cours

7 mars 2024 4 07 /03 /mars /2024 16:42

Mon père est né le 28 mars 1949. C’était un lundi. Il est mort le 19 février 1998. C’était un jeudi. Il a vécu 17 860 jours.

 

Je suis né le 14 avril 1975. Un lundi. Nous sommes aujourd’hui le jeudi 07 mars 2024. Il s’est passé exactement 17 860 jours depuis ma naissance.

 

À partir d’aujourd’hui, je serai plus vieux que mon père ne l’a jamais été. C’est quelque chose que je n’avais jamais imaginé arriver. Et pourtant, nous y sommes. J’y suis. C’est assez vertigineux.

 

Je n’arrive pas à savoir avec certitude quoi en penser. Quoi ressentir vis-à-vis de cette information, si ce n’est de la surprise.

 

Au moment de sa mort, alors que j’avais 22 ans largement révolus, jamais je n’aurais parié en arriver là un jour. Cela ne m’était tout bonnement pas concevable. C’était il y a 26 ans. Déjà. J’ai vécu bien plus longtemps sans mon père qu’avec lui.

 

Affirmer que j’ai pensé à lui chaque jour sans exception de ces 26 dernières années écoulées serait certainement mentir. En revanche, il m’a accompagné sans cesse pendant tout ce temps. Avant tout, en tant que modèle. Comme point de comparaison. Rarement en ma faveur d’ailleurs, mais ça c’est un détail qui n’intéresse que moi. Il est devenu d’autant plus une image de référence pour moi à partir du moment où je suis devenu moi-même père. Ne pas avoir pu le voir dans un rôle de grand-père pour mes enfants est certainement l’une des choses qui me manque le plus au monde. Je suis très curieux de ce que cela aurait pu donner, et très triste que cette question restera à jamais sans réponse.

 

Avec le temps qui passe, je regrette chaque jour un peu plus de ne pas l’avoir mieux connu. De ne pas voir été plus proche de lui, de ne pas avoir partagé suffisamment de choses avec lui, de ne pas suffisamment avoir su percevoir l’homme qu’il était. Pas uniquement le père, mais bien l’homme. Mais quand on est enfant, adolescent puis jeune adulte, ce genre de question ne nous traverse pas l’esprit. Aujourd’hui, j’aurais aimé avoir eu plus de clairvoyance plus tôt, en étant plus proche de mon père quand je le pouvais encore. Vain regret, je le sais bien. Mais naturel, j’imagine.

 

Chaque jour pourtant, mon reflet dans le miroir me renvoie une image toujours plus proche de la sienne. Comme un fait exprès, ces dernières années j’ai vu en un rien de temps mes cheveux se faire la malle alors que j’avais longtemps espéré échapper à ce sort que mon père a connu bien plus tôt que moi dans sa vie. En quelque 4 ou 5 ans, j’ai rattrapé une bonne partie de mon retard sur lui de ce point de vue. J’avoue que de cette ressemblance-là en particulier, je me serais bien passé...

 

Ce sont des réflexions et des pensées qui me nourrissent de plus en plus avec l’âge. Et qui me font parfois considérer ma propre relation à mes fils sous un autre angle que celui du "papa au quotidien". Difficile à expliquer en détails.

 

L’étape australienne de mon tour du monde en 2017 en compagnie de mon ami Arnaud, avait eu pour moi un aspect très symbolique. Notre passage à Melbourne où il a travaillé, notre virée le long de la Great Ocean Road jusqu’aux Twelve Apostles, dont il avait ramené des images qui m’avaient marqué à l’époque. Et surtout notre pause à Geelong, à l’adresse où il a vécu quelques mois au cours des années 1990 (au Barwon Valley Lodge / 99 - 109 BARRABOOL Road / BELMONT, GEELONG précisément). Cette terre que j’ai foulée, cet air que j’ai respiré, ces endroits que j’ai vus de mes yeux, plus de 20 ans après lui. Cela m’avait en quelque sorte apaisé de pouvoir les partager avec lui, malgré le décalage dans le temps. Il y avait une petite part de lui, de l’homme que j’ai trop peu connu, rattachée à ces lieux. L’idée d’avoir marché dans les pas de mon père, quasiment au sens propre du terme, m’avait fait du bien, étrangement. Sans que je n’aie aucune explication rationnelle à apporter. J’avais continué mon voyage plus léger, plus entier, après cela.

 

 

 

Aujourd’hui donc, j’égale le temps passé par mon père sur cette Terre. 17 860 jours. 48 ans, 10 mois et 22 jours pour lui. 48 ans, 10 mois et 23 jours pour moi. Car dans ses 17 860 jours à lui, il y a un mois de mars, un mois de 31 jours de plus que dans mon total à moi.

 

C’est long et court à la fois. C’est injuste pour lui de n’avoir eu que ce temps-là. C’est injuste pour mes enfants de ne pas avoir eu la chance de connaître leur grand-père. Pour ma mère d’avoir dû vieillir seule sans lui. Pour ma petite sœur de l’avoir eu si peu de temps auprès d’elle et d’avoir dû terminer son enfance sans lui.

 

Demain, je serai plus vieux que mon père. Et je devrai naviguer à vue. Je n’aurai plus son image comme modèle. Comment faire pour me guider sans cette image ? Il n’a jamais eu 49 ans, comment ferai-je moi, sans son exemple à suivre ? C’est un peu comme si à partir de maintenant, je devais me débrouiller seul, sans lui. Pour la deuxième fois. J’avoue que ça me fait un peu peur, d’aborder ce futur sans le point de repère qui m’avait guidé jusqu’à présent.

 

On n’a jamais fini de grandir, n’est-ce-pas ?

Partager cet article
Repost0
5 mars 2024 2 05 /03 /mars /2024 15:28

C’est peu de dire que j’aime jouer au billard. Mes premières parties remontent au lycée Lavoisier, à Mulhouse. Il y avait un café juste à côté, dans lequel on se réfugiait à la moindre occasion et où l’on pouvait jouer au 8-Pool. Pendant mon BTS à Nancy, il y avait un américain au foyer de la Cité U. Idem à l’ENTE de Valenciennes ensuite. J’y passais beaucoup, beaucoup de temps…

 

Et puis, quand j’ai pris mon premier poste en bureau d’études à Mulhouse, j’ai rencontré Paul, qui allait devenir rapidement bien plus qu’un simple collègue. Partenaire de badminton entre midi et deux, dessinateur hors-paire, ami. Et comparse de billard. Très vite, nous avons installé un rendez-vous hebdomadaire : chaque vendredi soir, nous finissions notre semaine (ou démarrions notre week-end, question de point de vue) au billard.

 

Il y avait un billard club rue d’Illzach, dont j’ai malheureusement oublié le nom. C’était une salle à l’ancienne, lumières tamisées, boiseries et moquettes partout, très belle, dans son jus, tenue par un vieil italien grisonnant à l’accent chantant et au sourire de parrain de la mafia ! Petit, en éternel bras de chemise, manches retroussées, un personnage de film de gangsters en noir et blanc. Il y avait rue d’Illzach une ambiance feutrée, un parfum rétro sur fond de musique italienne en sourdine, qui conféraient à cette salle un charme d’un autre temps qui a totalement disparu du paysage aujourd’hui, et qu’avec le recul je suis très heureux d’avoir pu connaître.

 

Mais notre lieu privilégié, notre véritable camp de base, c’était le Holiday Club, rue de l’Ours à Mulhouse. Une salle gigantesque dédiée au billard, au style plus moderne mais définitivement cosy, classe et sobre à la fois. Vous pouviez y trouver de tout : des petits 8-Pools, des américains, du français et évidemment, roi des rois, du snooker. Ce dernier d’ailleurs, nous intimidait au départ. Ne serait-ce que par sa taille, le snooker impressionne ! L’américain faisait très bien notre affaire, et ce n’est qu’au bout de quelques mois, encouragés par le patron de la salle, qu’on a osé s’y frotter. Mais une fois qu’on s’y est mis, plus question d’en revenir. Paul et moi étions pris corps et âmes par les attraits de ce jeu si particulier. À la base, le billard est un jeu de précision, Captain Obvious n’aurait pas mieux dit ! Mais avec le snooker, on passe un cap, on accède à un stade supérieur.

 

Ce jeu est impitoyable. Il demande une précision diabolique, mais aussi une concentration de tout instant, une vision globale du jeu, de l’anticipation, de la stratégie, du self-control, du calme, une certaine dose de confiance, de la méthode et un brin de cette science si volatile qu’est l’art de la prise de risque à bon escient… Et pour parfaire le tout, il y a aussi la dimension physique qui n’est absolument pas à négliger : outre la dextérité indispensable au jeu, il faut parvenir à une parfaite coordination des mouvements (dévier d’un millimètre dans son geste peut s’avérer, pardon : s’avérera à coup sûr, fatal), et jouer longtemps, tenir la position, est très usant aussi bien musculairement que pour les articulations. Ça peut prêter à sourire dit comme ça, et pourtant c’est tout sauf une blague : le snooker demande une bonne condition physique générale.

 

Impitoyable donc, mais diablement addictif, le snooker nous avait pris dans ses filets. De temps en temps, on se refaisait quelques parties du jeu de la 9 sur un américain, mais le véritable objet de notre amour du billard, était devenu le snooker.

 

Pendant des années, on y a joué avec une régularité sans faille. Et sans vouloir me vanter, on était même devenu pas trop mauvais. Oh, bien sûr, pas du niveau de certains habitués de la salle qui participaient à diverses compétitions officielles (en tête desquels, le patron himself), mais suffisamment dégourdis pour ne pas avoir honte en jouant à quelques tables de celles des ténors… et cela suffisait amplement à notre bonheur.

 

Avec le temps cependant, et le fait que je ne travaillais plus sur Mulhouse aidant, nos rendez-vous autour d’une table de billard se sont espacés de plus en plus. Pas faute d’intérêt ni d’envie, mais juste par contraintes personnelles et circonstances de la vie. Notre niveau en a évidemment pâti, mais notre joie à chaque retour en salle n’en a pas été altérée, au contraire même. Le plaisir de s’y retrouver était inversement proportionnel à la fréquence de nos visites.

 

Pendant presque 23 ans, nos soirées billard ont émaillé de petits bonheurs ponctuels et rythmé nos vies, de loin en loin. Jusqu’au vendredi 13 mars 2020, notre ultime virée au Holiday Club, j’en ai déjà parlé ici dans mon billet consacré à Paul.

Après cette soirée qu’on ne savait pas être la dernière du genre, il y eut le Covid, le confinement et tous ses petits désagréments associés. Et un an plus tard, Paul s’en allait sans prévenir, me laissant orphelin de mon ami et comparse de jeu. Après cela, je ne me sentais plus le courage de retourner jouer sans lui. Pas le cœur, pas l’envie. Sans lui, c’était trop dur. Ce n’est que fin 2023 que l’envie s’est fait ressentir à nouveau. Mais une envie accompagnée d’une angoisse sourde qui ne dit pas son nom. Ce désir d’y retourner, mêlé d’une peur indicible de ne plus parvenir à profiter du moment seul. C’est là que j’ai appris une chose que j’ignorais jusqu’alors : le Holiday Club n’avait jamais rouvert ses portes. Il avait succombé au Covid. J’en ai été infiniment triste. Apprendre qu’un lieu qui nous avait été si cher, théâtre de tant de bons moments partagés, m’était à tout jamais devenu inaccessible, ça m’a fait quelque chose. Symboliquement, ça a été violent, et dur à accepter. Mulhouse avait perdu sa dernière salle de billard, et quelle salle ! Un temple du tapis vert, une institution.

 

Alors, la mort dans l’âme, j’ai cherché où jouer dans les alentours, et finalement j’ai trouvé une salle, certes plus modeste, mais qui ferait possiblement l’affaire à Colmar. Le 147. Ce n’est que vendredi dernier que j’ai pris mon courage à deux mains et ai décidé de m’y aventurer, pour voir…

 

La salle du club 147 est plutôt grande sans être gigantesque, un peu planquée alors qu’on n’est pas loin du tout du Centre-Ville de Colmar. Première déception cependant, quand en discutant avec le patron, il m’a appris s’être séparé il y a peu de ses américains. J’aurais justement aimé reprendre par ça, comme à nos débuts avec Paul, refaire quelques parties de 9. Mais plus possible là-bas. J’avais donc le choix entre du 8-Pool classique et du snooker. Après tout ce temps sans approcher une queue de billard, je n’ai pas osé reprendre directement par le snooker, j’ai donc opté pour le 8-Pool, bien que j’apprécie modérément ces petites tables.

 

Première casse, ça commence mal : j’éjecte de la table la blanche après choc. Bon, va falloir reprendre depuis les bases. La position, verrouiller les hanches, l’épaule, coulisser sur un plan vertical au niveau du coude, respirer lentement, se concentrer, bien analyser les angles et les distances, jouer en douceur, pas en bourrin.

 

Il m’a fallu deux ou trois parties un peu laborieuses avant de trouver mes repères, mais tout à coup, tout est revenu d’un bloc. J’étais à nouveau « chez moi ». Les coups sont revenus naturellement, les positions, les angles à choisir, les enchaînements à privilégier, tout est devenu fluide. Je « voyais » le jeu comme avant, je « sentais » les coups. J’ai joué sans m’arrêter, à un rythme effréné, vite, de plus en plus vite, de plus en plus sûr de moi. J’ai voltigé autour de ma table, empochant bille sur bille. Coups directs et simples d’abord. Puis plus en finesse. Puis en force. Les coups indirects, les bandes, les effets sur la blanche. Pendant 4 heures, sans la moindre pause. J’étais en nage. Mais tellement bien. Passé minuit, je me suis forcé à stopper. J’ai regagné ma voiture. En y entrant j’ai deviné que j’allais payer cher ma séance de billard, le dos, les épaules, le bassin commençaient déjà à hurler leur mécontentement (j’en ai eu confirmation dès le lendemain au réveil, même mes doigts de la main gauche, qui me sert de reposoir pour l'extrémité de la queue, me faisaient mal). Je suis rentré chez moi. Je venais de passer un bon moment, j’avais renoué avec des sensations oubliées depuis trop longtemps.

 

La voix de Johnny Cash a retenti dans l’autoradio.

Les larmes sont montées.

J’ai pensé à Paul.

Il avait été à mes côtés pendant toute la soirée.

Une bonne soirée.

Partager cet article
Repost0
30 octobre 2023 1 30 /10 /octobre /2023 14:23

J’aimerais simplement que cela s’arrête.

Cette solitude. Cette tristesse. Ce grand vide. Ce froid qui ne me laisse aucun répit…

J’en ai eu plus que ma part et j’en ai assez. Vraiment.

 

Est-ce le prix à payer pour avoir eu une belle vie ? Ou dois-je payer pour un péché que j’ignore ? À la mesure de la punition, il a dû être immense. Je ne vois pourtant pas ce que j’ai pu faire pour mériter cela. Je crois simplement que c’est la vie qui est injuste, comme le disait mon père. Ou bien était-ce maman qui disait ça ? Je ne suis plus sûre. Je confonds tout. Mes souvenirs se mélangent parfois, ils sont pourtant bien vivaces dans ma mémoire. Ils sont mes derniers compagnons. Grâce à eux, je revois des couleurs flamboyantes, j’entends à nouveau des rires et des chants. J’oublie l’ennui, je survole le temps qui passe alors que moi je reste là, figée. Je leur pardonne de parfois s’embrouiller dans mon esprit.

 

À mes enfants non plus je n’en veux pas. Ils ne pouvaient plus s’occuper de moi. Perdre son autonomie, c’est peser sur les autres. En perdant la possibilité de marcher, j’ai perdu ma liberté de mouvement, et j’aurais trop entravé la leur si j’étais restée.

 

Je m’en veux à moi, eux n’y sont pour rien. Et depuis quand ne peut-on plus aller aux toilettes seule ? Dans cet endroit que je connaissais à peine, qui n’était pas chez moi, dont je n’avais pas l’habitude... Seule j’y ai été quand même. Et seule, je suis tombée. Évidemment.

Quelle gourde j’ai été.

Col du fémur cassé. Fracture du poignet. Des bleus sur tout le côté. Je ne suis pas tombée de haut pourtant, moi qui me suis ratatinée avec les années. Mais cela a suffi.

 

Anesthésie, opération. Les docteurs craignaient que je ne me réveille pas. Si seulement ils avaient eu raison. Mais non. Mes os ont cassé, mais mon cœur n’a pas lâché. Il est décidément increvable. C’est à cause de lui que je suis encore ici. C’est sa faute si je me retrouve dans cet Ehpad. Un mouroir oui ! Entre ceux qui n’ont plus la force de vivre et celles qui ont juste oublié qu’elles vivent parce que leur esprit s’en est allé ailleurs, il n’y a que moi qui résiste encore et toujours, et qui pour mon plus grand malheur, ai conservé la faculté de m’en rendre compte. À chaque instant.

 

Je me maudis. Je maudis ce corps qui part en déliquescence et je maudis ce cœur qui refuse d’abdiquer. Combien de battements a-t-il donc encore en réserve, c’est insensé ! Ils me promettaient toujours tous que je deviendrai centenaire, j’espère qu’ils se trompaient. Je prie chaque jour pour que cette promesse ne se transforme pas en malédiction.

 

Quand on est jeune, quand on est vif, quand on pense au lendemain, le temps file si vite. Mais quand la vieillesse vous cloue dans un lit, le temps ne s’écoule plus. Il se distend, il se fait torture. Chaque minute devient une heure. Chaque jour paraît des semaines. Mon présent est un carcan, une prison immobile. Et mon futur n’est que l’éternel recommencement de mon présent. Alors je n’ai plus que le passé où réfugier mes pensées.

Là-bas au moins, elles s’y sentent bien. Dans le passé, je retrouve un peu de liberté. Et le mien est si vaste que j’ai le choix de mon lieu d’évasion.

 

Alors qu’ici et maintenant, je vis dans le brouillard et dans un silence ouaté permanent.

 

Je n’entends presque plus rien. J’ai beau tendre l’oreille. Quand on me parle, la plupart du temps je ne m’en rends même pas compte. Parfois je perçois des sons, si mon interlocuteur élève la voix. Je demande pardon, je fais répéter. J’entends d’autres sons, à peine plus fort, mais je ne saisis toujours pas. Je finis par répondre au hasard, souvent je dis juste oui sans comprendre, je n’aime pas contrarier les gens. Mais je ne peux plus tenir de conversation. Alors je me tais, me contente d’un soupir, j’essaie de sourire malgré tout quand j’en ai la force. Je sais bien qu’ainsi, je participe à l’édifice du mur de silence qui se construit autour de moi et m’isole du monde, mais quel autre choix ai-je ?

 

Quant à mes yeux, eux non plus ne me servent plus à grand-chose. J’aurais peut-être dû accepter cette opération de la cataracte il y a quelques années, j’y verrais un peu mieux aujourd’hui, va savoir. Mais pour le peu de temps qu’il me restait, avais-je pensé à l’époque, j’avais préféré m’éviter un embêtement inutile. Je dois bien avouer que ça me faisait un peu peur aussi. Quinze ans plus tard, je suis toujours là, mais mon monde s’enténèbre de plus en plus chaque jour. Je ne reconnais plus les gens. Parfois, je ne les vois même pas. Je mange à tâtons, sans savoir ce que j’avale. Même mon goût me fait faux bond, ou est-ce ce qu’on mange ici qui est insipide ?

J’aime pourtant regarder par la fenêtre. Les branches des arbres. Les oiseaux. Les voitures qui passent. Enfin, j’aimais. À présent, je devine à la clarté de la fenêtre le temps qu’il fait dehors. Le téléviseur de la chambre m’est devenu totalement inutile. Trop petit. Trop loin. Dommage, j’aimais bien aussi. Avant.

 

Alors il me reste mes pensées. Je m’y plonge en fermant les yeux. Ou en les gardant ouverts, ça ne change plus grand-chose de toute façon. J’y retrouve mes sœurs, mes frères. Mes parents. Mon mari. Mes amis. Tous partis avant moi, en me laissant le triste privilège de devenir l’unique doyenne. En me laissant seule surtout.

 

Je revois la guerre, les Allemands, mes frères partir en uniforme, un seul revenir. Je pense au chagrin de ma mère, à mon père qui s’est un peu plus enfermé dans le silence et la colère. Sa façon à lui de ne pas pleurer.

Maman. Je suis bien plus vieille qu’elle ne l’a jamais été, pourtant je me sens comme une enfant à chaque fois que je pense à elle. Quelle chance elle a eue de mourir chez elle. Je suis heureuse qu’elle n’ait pas connu le même sort que moi, elle qui avait si peur des hôpitaux et des docteurs, ce malheur au moins lui a été épargné.

 

Je me revois dans ma maison. J’y ai vécu soixante-treize ans. J’ai une vie entière de souvenirs là-bas. J’y ai laissé mes meubles quand je suis partie, mais les souvenirs, je les ai tous emportés avec moi. Au chaud, dans ma mémoire. Et dans mon cœur. Heureusement, ils m’ont suivi jusqu’ici aussi.

 

Le lavoir de quartier, la cuisinière à bois, avant qu’on ait l’eau courante et l’électricité. Et puis tout est arrivé à la chaîne : la voiture, les premières vacances avec les enfants à la mer, la télévision, la salle de bains. La première machine à laver, quelle révolution !

 

Les fêtes de famille, les mariages, les communions. Ça nous en a fait des joies, des rires, des bons moments. Des larmes aussi. C’est la vie. Mais c’était une belle vie. Pleine. Heureuse. En famille.

Tant de souvenirs. Que je chéris, qui m’habitent. Qui sont la dernière chose que je possède.

 

Certains jours j’ai l’impression d’y revoir. D’entendre à nouveau. Des gens viennent me visiter, me parlent. C’est agréable de les écouter, de croiser du monde. Alors je souris pour leur montrer que je suis heureuse de leur venue. Parfois ma fille me demande à qui je parle, elle n’a pas l’air de les voir. Mais ce n’est pas grave, je profite de leur présence tant qu’ils sont là. Car le reste du temps, je me sens si isolée, si abandonnée. Je sais que mes enfants ne m’ont pas abandonnée, ils viennent me voir tous les jours. Les autres pensionnaires aimeraient en dire autant. Je sais. Mais que voulez-vous, c’est plus fort que moi : je me sens si seule malgré tout. Seule dans le brouillard. Seule dans le silence. Seule dans ma tête. Plus personne de ma génération pour parler du bon vieux temps. Il n’y a plus que moi pour me souvenir. Mon époux me manque. Mes sœurs me manquent. Je pense beaucoup à eux, j’aimerais tant les retrouver.

 

Je prie chaque jour pour avoir enfin cette chance. J’ai fait plus que mon temps ici. J’aimerais que ça s’arrête maintenant. Que je puisse enfin me reposer.

Mais mon cœur, lui, ne veut pas s’arrêter de battre.

 

Alors j’attends.

Partager cet article
Repost0
19 octobre 2023 4 19 /10 /octobre /2023 10:11

Le 18 octobre, Nathan a fêté ses 14 ans.

Déjà.

Depuis la même date en 2009, je suis un papa comblé, et assister à l’évolution de mes enfants est un spectacle qui m’émerveille et dont je ne me lasse pas. Et tant pis si dire cela fait de moi un type mièvre, je me borne là à énoncer des faits qui s’imposent à moi. J’assume ma mièvrerie sur ce coup-là.

 

Cette année cependant, l’anniversaire de mon aîné m’a particulièrement touché. Ou plutôt, cela a éveillé en moi quelque chose que les précédents anniversaires n’avaient pas provoqué. J’ai eu une sensation de bascule. En ce qui le concerne, et donc, indirectement, pour moi également.

 

J’ai réfléchi à ce qui a pu déclencher cette sensibilité particulière à laquelle je ne m’attendais pas, et j’ai peut-être trouvé un début d’explication.

 

Inconsciemment, j’ai associé cet âge à un passage vers quelque chose de nouveau. Avoir 14 ans représente à mes yeux le symbole de l’entrée dans une nouvelle étape, que j’aurais du mal à définir avec précision. Un peu comme le passage à « l’âge de raison » ou quelque chose d’approchant. Ne me demandez pas pourquoi 14 ans et pas 13 ou 15, c’est parfaitement arbitraire je le sais bien, et cela ne vaut certainement que pour moi.

Quand je me remémore ma propre jeunesse, j’ai cette impression qu’à partir de mes 14 ans, j’ai commencé à devenir l’être adulte que j’allais être plus tard. Un peu comme si la première partie de mon itinéraire avait été la part réservée à l’enfance, l’insouciance, l’inconséquence, mais qu’à partir de cet âge symbolique j’étais entré dans l’ébauche d’une nouvelle personne, celle qui allait me mener à l’adulte que j’étais destiné à devenir.

 

Comme si à partir de cet instant, j’avais commencé à « me construire » en pleine conscience, brique par brique, que j’étais sorti à ce moment-là de cette espèce de brouillard duveteux, protecteur et agréable de l’enfance pour me confronter au monde tel qu’il est en réalité.

 

Et aujourd’hui mon fils a atteint cet âge-là. Je me dis (par analogie, ou pure projection je m’en rends bien compte) que lui aussi, va donc entamer cette nouvelle portion de son itinéraire individuel et personnel qui le verra cheminer vers l’adulte qu’il va être. Et cela m’émeut d’y penser. Parce qu’il s’agit d’un point d’étape important, symbolique, presque solennel. Aussi parce que cela implique forcément des changements par rapport à « avant ». Devenir adulte, c’est aussi se détacher plus nettement de ses parents. Et si cela m’a ainsi touché dans le cas de Nathan, c’est certainement parce que je ne m’y étais pas préparé, je n’y avais même jamais réellement pensé, à ce que mon fils se détache de plus en plus de moi. Pour devenir de plus en plus lui. Ce qui est normal, sain et dans l’ordre des choses. Mais qui me donne le sentiment de rester un peu sur le bord du chemin, contraint de le regarder s’éloigner.

 

Je vais donc devoir revoir en partie ma place, notre relation, et trouver la meilleure façon d’adapter mon rôle de papa (est-ce cela, devenir père plutôt que papa ?) pour continuer à pouvoir l’accompagner sans l’entraver dans son évolution. Laisser le papillon sortir définitivement de sa chrysalide.

 

J’avoue que cela éveille une certaine mélancolie en moi.

Partager cet article
Repost0
17 janvier 2022 1 17 /01 /janvier /2022 23:59

J’ai mis du temps avant d’écrire ce texte au sujet de mon ami, Paul, dont la mort m’a bouleversé en avril dernier.

Peut-être parce que je ne savais pas exactement comment lui rendre hommage de la façon qu’il mérite.

Aussi parce que je n’arrive toujours pas, même aujourd’hui, à complètement réaliser son départ. Et encore moins à l’accepter.

Un départ sur la pointe des pieds, à son image. Lui qui a toujours été discret et réservé sera parti de la même manière, sans faire de bruit, sans prévenir. Sans déranger quiconque.

 

J’ai un nombre restreint d’amis, de personnes que je considère comme à part. Quand j’emploie le terme d’ami, cela a un sens profond pour moi. J’y accorde une importance immense, je n’use pas du mot facilement. Le temps, l’expérience et les circonstances de la vie me les font choisir avec discernement, circonspection et prudence. Mais ceux qui au fil des années demeurent à mes côtés me sont uniques. Paul était de ceux-là.

 

J’ai rencontré Paul le premier juillet 1997, quand j’ai pris mon tout premier poste de technicien au bureau d’études de la DDE à Mulhouse. Il a été de ces « anciens »* qui m’ont pris sous leur aile et formé au métier, bien mieux et bien plus efficacement que n’importe quelle formation ou école n’auraient pu le faire.

Mais très rapidement, des liens se sont créés au-delà de l’environnement purement professionnel.

Deux fois par semaine, à l’heure de la pause de midi, nous troquions notre place à la cantine contre deux sandwichs, et nous filions dans la salle de sport de la caserne des pompiers de Mulhouse, qui gentiment nous en laissaient l’usage à nous et aussi à quelques policiers du commissariat voisin. C’est ainsi que deux midis par semaine, nous faisions du badminton ensemble. Oh pas en professionnels, tout juste en amateurs même pas aguerris. N’empêche qu’on courrait bien et qu’on transpirait beaucoup ! Mais surtout on prenait plaisir à s’échanger des volants.

 

Et le vendredi soir, pour bien finir la semaine, ou plutôt pour bien commencer le week-end, Paul et moi avions notre rituel de la salle de billard. À 17h00 pétantes, c’était direction le Holiday Club, rue de l’Ours à Mulhouse. Paul et moi étions devenus des habitués, on avait sympathisé avec d’autres amateurs des tables rectangulaires, et le patron n’avait plus besoin de nous demander quelle table de snooker on prenait. La 10, au fond après les tables de billard américain. Notre table.

Parfois il nous prenait l’envie de changer et de varier les plaisirs, et ma foi on se défendait pas si mal que ça à l’américain. Jeu de la 8, de la 15 et puis surtout au jeu de la 9 qu’on aimait particulièrement parce que les parties sont rapides et qu’on pouvait se prendre pour Eddie Felson ou Vincent Lauria sans trop se ridiculiser ! J’ai le souvenir d’un tournoi du dimanche auquel Paul et moi avions participé sans aucune prétention, comme ça, pour voir. C’était du 9. Et ma foi on n’avait pas été trop mauvais, on avait même chacun passé plusieurs tours avant d’être éliminés.

Mais notre jeu de prédilection ça restait le snook’. Tellement plus précis, tellement plus exigeant en calme et en concentration, tellement plus difficile, mais tellement plus gratifiant quand on réussissait un beau coup annoncé à l’avance. On y brillait beaucoup moins que sur les plus petites tables certes, mais qu’importe, on n’était pas là pour la frime, juste pour le plaisir. On en a passé des heures penchés sur une table de snooker ! Mine de rien c’est physique : votre dos et vos épaules se chargeront de vous le rappeler dès le lendemain quand vous aurez joué plus que de raison… On a tant joué ensemble qu’on se connaissait par cœur. Je savais avant même qu’il ne se positionne quel coup il allait jouer en fonction de l’éparpillement des billes sur la table et de la situation de la blanche. Un coup assez facile mais qui nécessitait d’utiliser un reposoir, ou pire une rallonge, et je savais que Paul allait lui préférer une alternative plus difficile mais qui ne l’obligerait pas à sortir ces accessoires qu’il fuyait ! Moi c’était tout l’inverse, loin de rechigner j’adorais me servir d’un reposoir. Une autre de ses préférences allait au jeu en une bande en largeur pour empocher dans un des trous du milieu. C’était son grand truc ça, même quand ça pouvait passer avec un peu de tact en direct, il préférait de loin ajuster un coup en bande, et il avait plutôt raison de le faire tant cela lui réussissait régulièrement. J’ai tant d’images qui me reviennent de ces soirées au billard avec Paul, pendant toutes ces années, même après que j’aie quitté le bureau de Mulhouse pour aller travailler à Colmar, le rendez-vous du vendredi soir avait perduré. Ce ne sont que les années et les contraintes de la vie qui ont fait que ces habitudes hebdomadaires ont évolué en des rencontres plus sporadiques, moins systématiques, moins courantes. Les dernières années on n’y allait plus que quelques fois par an. La salle avait été réaménagée, notre table 10 du fond avait laissé la place à un jeu de fléchettes et quelques tabourets hauts, alors on s’était rabattus sur la 5, un peu plus proche du bar mais pas trop centrale quand même pour ne pas être le centre de l’attention d’une clientèle qui passait souvent plus de temps à regarder un verre à la main qu’à jouer…

 

Notre dernière soirée au Holiday Club date du vendredi avant le premier confinement, en mars 2020. Une chouette soirée, on n’avait pas cassé des briques, ça faisait bien longtemps qu’on ne jouait plus assez régulièrement pour assurer toute une soirée sans connaître quelques trous, quelques ratés. Mais on n’avait pas été ridicule non plus, on s’était même mieux débrouillé que ce que l’on craignait avant d’y aller… C’est aussi la dernière fois que j’ai vu Paul en personne. La dernière fois que je l’ai raccompagné en voiture chez lui après notre séance, la dernière fois qu’on a échangé des mots, des plaisanteries, la dernière fois qu’on s’est dit « c’était sympa, vivement la prochaine fois », la dernière fois que je l’ai regardé dans les yeux et qu’il m’a souri en retour, la dernière fois que j’ai entendu sa voix, la dernière fois que je lui ai serré la main en lui disant aurevoir…

 

Après ce fut le temps du confinement, de l’enfermement chacun chez soi, des sorties réduites au strict minimum, de l’attente, de la solitude aussi. Le temps des fermetures des bars et des restaurants, tout comme des salles de billard… Si bien qu’on n’a jamais pu se revoir pour faire une partie. Des sms de temps en temps, les derniers que j’ai échangés avec lui ce devait être pour lui souhaiter un bon anniversaire. Et l’envie de plus en plus pressante de retourner à la salle avec Paul en avril 2021, je ne sais même pas pourquoi je ne l’avais pas encore contacté, j’avoue que j’ai oublié aujourd’hui, la salle était-elle encore fermée ? Peut-être. Pour tout dire, je ne sais pas même aujourd’hui, près d’un an plus tard, si elle a rouvert depuis le covid. Parce que je ne m’imagine pas y retourner sans lui. Pour être honnête, j’ai peur d’y retourner sans Paul. Peur de ne plus y être à ma place sans lui.

 

Je réalise, à présent que je parviens enfin à parler de lui, que j’ai tellement de choses à dire sur lui, que je pourrais comme ça aligner paragraphes sur paragraphes sans même m’en rendre compte. Paul était un homme simple, réservé, silencieux. Comme tout un chacun il a connu des joies et des peines, et les peines qu'il a connues ont été immenses. Il n'en parlait cependant pas. C'était un homme à l'ancienne, qui affronte les difficultés et la douleur en silence, avec une pudeur extrême. Paul sur ce plan était un étonnant mélange de sensibilité et de discrétion. Très sensible, et très pudique à la fois. Il est de bon ton actuellement de condamner ce genre de réaction masculine, souffrir sans faire de bruit serait toxique selon certains. Paul était simplement respectueux des autres qu'il refusait d'importuner avec ses histoires privées, et sa très grande pudeur l'empêchait de s'épancher sur son sort. Qu'on en pense ce qu'on veut, moi je trouve cela infiniment respectable et preuve d'une force morale et psychique immense. Il m'a toujours impressionné sur ce point. Comme sur beaucoup d'autres.

 

Sur le plan professionnel par exemple, je crois que c'est l'un des exemples les plus forts que j'ai eus dans ma vie de probité, de conscience professionnelle, d'amour du travail bien fait, de précision, de connaissances dans son domaine. Paul était dessinateur technique. Il a connu le temps du dessin à la main, aux Rotrings et au kutsch. Puis une véritable révolution lors du passage au DAO. Et il a relevé le challenge et est devenu l'un des tous meilleurs que je connaisse dans le domaine, il maîtrisait parfaitement les outils et les logiciels de dessin, une référence parmi ses collègues.

 

Sur le plan sportif pour un autre exemple. Paul était un compétiteur et le sport qu'il aimait par dessus tout, c'était le basket-ball qu'il a pratiqué en club pendant des années. Depuis sa jeunesse jusqu'aux différentes catégories de vétérans, ce sport l'a accompagné toute sa vie. Il avait même accepté de coacher une équipe de jeunes une fois sa « carrière » de joueur derrière lui. Et avec un ballon orange, quel talent, un maître de précision au shoot à 2 et à 3 points, une véritable gâchette. Il a bien tenté de me convertir à sa passion mais j'étais tellement trop loin de sa dextérité, qu'il a vite compris que j'étais une cause perdue pour le basket-ball...

 

Et puis la plus grande fierté de Paul, je crois pouvoir dire sans trop en dévoiler qu'il s'agissait de ses deux fils dont il était très proche. Proche à la manière de Paul : une présence permanente et sans faille, sans grandes démonstrations bruyantes. Du tact, de la discrétion, de l'effacement parfois quand cela s'avérait nécessaire, mais toujours disponible, toujours là. Peut-être que si on le lui avait demandé, et si sa pudeur naturelle l'avait autorisé à répondre, aurait-il définit ainsi l'amour d'un père.

 

Sous bien des aspects, Paul a été un modèle pour moi.

Il comptait tant à mes yeux, et le pire c’est que je n’ai plus aucun moyen de m’assurer qu’il le savait.

Il laisse un grand vide en moi, et c’est une sensation profonde, pas une simple image. Je me sens réellement un peu plus vide sans lui. Je n'ai toujours pas compris je crois que je ne le verrai plus jamais. Je n'ai pas vraiment envie de m'en rendre compte d'ailleurs, la vie est tellement moins bien sans lui.

 

Paul aurait fêté ses 65 ans aujourd'hui. Il avait à peine commencé à profiter de sa retraite, pour le peu de temps que cette fichue pandémie lui en a laissé l’occasion.

Il me manque.

 

* Je parle d’ « anciens » mais je me rends compte en l’écrivant, que je suis plus vieux aujourd’hui que lui ne l’était à cette époque… comme quoi le temps, c’est très relatif, n’est-ce pas ?

Partager cet article
Repost0
14 avril 2020 2 14 /04 /avril /2020 21:41

Aujourd'hui je célèbre un double événement. « Événement » à ma petite échelle j'entends.

 

D'abord mon 500ème article de blog ! Alors certes, ramené à la durée d'existence du site, le chiffre impressionne tout de suite moins. Figurez-vous que mon premier article ici, date du 7 décembre 2005... ce blog en est donc dans sa quinzième année !! Si je fais un rapide calcul : 500 articles en 172 mois, ça donne environ 35 articles par an soit moins de 3 par mois si on fait une moyenne. Après il faut prendre en compte le fait que j'ai été très silencieux voire carrément absent en terme de mise en ligne d'articles pendant certaines très longues périodes. Genre, qui se chiffrent en années. Mais jamais complètement disparu pour autant : quand je n'éditais pas d'articles je tenais à jour de loin en loin mes pages « avis vite dits » en fonction de ce que je me mettais sous la rétine au cinéma ou sur le petit écran.

Il en aura parfois fallu !

N'empêche, qu'on considère ces 500 articles tels quels, ou qu'on les rapporte sur la durée, quand je jette un rapide coup d’œil derrière moi, je n'en suis pas trop mécontent. Entendons-nous bien : on peut toujours mieux faire, et j'en suis quelques-uns sur la toile qui assurent autrement mieux que moi en terme de quantité et de longévité (vous en retrouverez un certain nombre en liens dans ma rubrique On the Blog Again... ), l'affaire est entendue. Malgré tout, à mon petit niveau, sans chercher à viser les étoiles, je suis surtout content d'une chose : je n'ai pas laissé tomber l'affaire. J'ai eu des moments de moins bien, ça va de soi, des jours, pardon, des mois entiers pendant lesquels l'envie, l'enthousiasme et l'inspiration m'ont obstinément fui. Mais voilà : aujourd'hui, je suis toujours là, et je continue à alimenter tant bien que mal ce site qui est un peu ma fenêtre sur l'extérieur. En fait, en y repensant, peut-être est-ce le contraire : une fenêtre depuis l'extérieur sur moi. Avec toute l'immodestie que ça sous-entend, je m'en rends bien compte en l'écrivant. Qui ça intéresse vraiment ce que j'ai à blablater ici sur ce que je regarde ou j'écoute, sur ce que je lis, sur ce que j'aime, sur ce qui me fait rire ou m'énerve ? En fait j'ai vite abandonné l'idée de faire « du chiffre ». C'est vrai pourtant, ça fait plaisir et ça flatte l'ego quand on voit ses stats de visites progresser ou lorsque des articles que je mets en ligne provoquent des réactions en commentaires. Parfois aussi ça déçoit de voir un article que j'ai essayé de rendre le plus attrayant possible, ou qui traite de quelque chose qui me tient vraiment à cœur, n'éveiller aucune réaction, et peut-être même passer incognito va savoir... Mais j'ai constaté avec le temps qui passe, qu'en fin de compte ça n'est pas si grave que ça. Parce que le plaisir que j'ai eu à écrire ces articles a été au rendez-vous lui, et m'a fait du bien. Parce que de temps à autres je retombe sur un ancien article et qu'il m'arrive d'avoir du plaisir à le relire. J'y décèle souvent des points à améliorer et des choses que j'aurais pu mieux écrire, mais si le sentiment qui prédomine est la satisfaction, c'est que je ne m'en tire pas si mal.

J'ai fini par comprendre que celui à qui je m'adresse en premier lieu à travers ce blog, c'est moi. Encore une preuve d'égocentrisme me titillerez-vous peut-être... Peut-être bien en effet, je n'en sais rien et à vrai dire je m'en fiche un peu. L'écriture, au même titre que la lecture du reste, m'apporte infiniment plus que ce que je lui apporte. Je l'admets, et je l'accepte. Et ça me va bien comme ça. Alors autant continuer encore un peu tant qu'à faire. Et si j'ai quelques personnes avec moi qui veulent bien me lire de temps à autre, qu'elles soient les bienvenues.

Si l'envie vous prend de flâner dans les parages...

L'autre micro-événement auquel je faisais allusion en début d'article, c'est mon 45ème anniversaire. Je me suis dit, tant qu'à faire, et étant donné que je suis mon premier (et parfois unique) lecteur, autant me faire ce petit plaisir et faire coïncider cet anniversaire avec le 500ème article.

45 en années de chien, ça fait... pfff....

45 balais, ça m'en bouche un coin quand je m'arrête un peu sur l'idée. Il n'y a pas si longtemps je cogitais sur mes 35 ans... j'ai l'impression que c'était hier. En fait non : c'était hier !! Après je crois qu'il vaut mieux que je ne m'appesantisse par trop longtemps sur cet état de fait... je risquerais de rapidement déprimer.

Mais pas tant que ça non plus, faut pas exagérer. Avec l'âge vient une forme de sagesse. Ah, tout de suite les grands mots me direz-vous !! Pourtant oui, je ne me sens pas complètement hors-sujet en parlant de sagesse. Le temps qui passe laisse des traces. La vie passe, on fait ce qu'on peut pour ne pas être totalement dépassé par les événements, et on essaie de rester en accord avec soi-même. C'est d'ailleurs plus simple à dire qu'à faire, c'est pourquoi je me garderai de virer donneur de leçons à deux balles. Mais quoi qu'il arrive, le temps, lui, file. La vie n'attend pas, et moins on en a de temps devant soi, moins on a l'énergie pour aller vite également. C'est pourquoi il apparaît de plus en plus impératif de fixer clairement des priorités. On choisit mieux et on tranche plus facilement qu'avant. C'est peut-être en soi, une forme de la sagesse que j'évoquais : perdre moins de temps car on est de plus en plus conscient qu'on n'est pas éternel. Autant éviter les regrets en sachant cela, et privilégier l'essentiel.

Le temps passe vite...

45 ans donc, disais-je. Mine de rien ça commence à chiffrer. Est-ce un début d'Alzheimer ou juste de l'inconscience, toujours est-il que j'ai souvent tendance à oublier que je ne fais plus partie des « jeunes ». Pour m'en convaincre, il suffirait de demander à ceux qui sont véritablement dans la catégorie des « jeunes » où ils me situeraient, et le doute ne subsisterait ainsi pas longtemps. Cet anniversaire me rappelle donc avec une certaine autorité à la réalité. Mais vous savez quoi ? Je ne fais pas pour autant partie des nostalgiques de leur jeunesse passée. Pour être tout à fait honnête, je détesterais me retrouver tel que j'étais avec 20 ans de moins. Sérieusement. Je me préfère aujourd'hui, sur à peu près tous les points. Bon okay, sauf pour mes cheveux qui se font la malle. Pour le mal de dos récurrent aussi, je m'en passerais bien de celui-là. Et cette forme d'insouciance qui s'est envolée depuis que je dois prendre un cacheton tous les matins pour compenser les hormones thyroïdiennes que mon corps ne produit plus (faute de thyroïde !!), me manque parfois cruellement je dois bien le confesser. Mais pour tout le reste, vraiment, j'aime autant rester comme je suis que me retrouver en tant que vingtenaire...

Et c'est Lemmy qui vous le dit !

Ce que je n'aurais jamais imaginé en revanche, c'est que mon 45ème anniversaire ait lieu dans le contexte d'une pandémie mondiale, et d'un confinement obligatoire. Pourtant je suis un habitué des histoires fantastiques et de SF, je vous rappelle que j'ai grandi avec Peter Parker, Capitaine Flam, Marty McFly et Han Solo. Mais ce scénario-là, je n'y avais pas pensé. Fêter en huis-clos ne me dérange pas plus que cela, depuis ce matin je reçois message sur message, et toutes ces manifestations de pensées à mon endroit me font chaud au cœur. Mais ça me donne surtout envie de ne pas laisser passer une occasion future de le fêter en présence de ceux qui comptent pour moi. Ça n'est donc que partie remise...

Chacun ses références !!

Me reste à envisager l'avenir. Combien de temps me faudra-t-il pour atteindre les 1000 articles ? Quinze ans supplémentaires ? Ça risque de mener loin cette histoire... Les atteindrai-je seulement ? Je vous avouerais que si l'entrain pour écrire ces derniers temps se fait un peu plus rare (moi qui croyais que le confinement serait plus propice à cela, je me suis foutu le doigt dans l’œil), il me reste cependant encore pas mal d'idées en stock. Ne serait-ce que si je veux rattraper mon retard en terme de chroniques de livres lus (et je compte bien finir par y parvenir), j'ai au bas mot encore plus d'une centaine d'articles à écrire devant moi...

 

Bref, pour le moment, ce blog a encore quelques perspectives d'avenir. Et moi aussi, au passage.

Merci en tout cas à celles et ceux qui passent encore par ici, que ce soit régulièrement ou accidentellement, volontairement ou par hasard, depuis les origines ou tout nouvellement. Merci de me faire l'amitié de me lire, et parfois de me laisser vos sentiments sur mes élucubrations.

 

Bon, me voilà comme un con à pas savoir comment finir cet article.

Allez, je tente ça : à bientôt !? ;-)

???

PS : Juste un mot pour vous dire que mon repas d'anniversaire je l'ai passé avec mes loulous et ma fée, et qu'un invité spécial nous a accompagnés pendant que nous dégustions une raclette (et il apprécierait la précision), c'est Fred Blondin, grâce aux vidéos qu'il poste sur les réseaux sociaux depuis cette période de confinement, et que ma petite sœur m'a gentiment envoyées pour mon anniversaire. Ça m'a rappelé un peu le repas de mes 40 ans où il était venu chanter en personne...

Partager cet article
Repost0
6 avril 2020 1 06 /04 /avril /2020 17:16

Il y a des nouvelles qui nous dépassent. Qu'on ne comprend pas parce qu'on ne parvient juste pas à les concevoir. On a découvert des exoplanètes un peu partout à travers la galaxie. Selon la physique quantique, il existerait un nombre infinis d'univers parallèles au nôtre. Un certain Nietzsche nous a même annoncé que Dieu est mort. Les implications sont telles, qu'à moins de s'appeler Albert Einstein ou Stephen Hawking, ce que cela veut réellement, profondément dire, nous échappe en grande partie.

 

Il en va ainsi quand on apprend la mort d'un ami. On ne comprend pas, on n'imagine pas ce que cela veut dire. Réellement. Profondément. Ça a de telles conséquences sur nos vies, que c'est trop grand, on n'arrive pas à en prendre conscience dans son entièreté.

 

Martial est parti. Notre copain s'en est allé hier. Lui, l'ancien-combattant à peine plus vieux que moi, que j'aimais mettre en boîte pour ce titre dont il a hérité pour avoir servi au début de sa vie active dans l'armée française, a finalement déposé les armes. Il a pourtant plus que vaillamment combattu, sans jamais baisser les bras. Si je devais aujourd'hui ne retenir qu'une chose de Martial, c'est la leçon magistrale d'optimisme et de positivité qu'il nous a donnée à tous ces derniers mois.

 

Martial c'était d'abord un rire tonitruant, un esprit joyeux et plein d'entrain, un humour bien trempé. Un caractère positif. Pas un naïf et encore moins un imbécile heureux : il avait simplement décidé de regarder le bon côté de la vie, en toutes circonstances et en toute conscience. Je ne me souviens pas l'avoir entendu se plaindre à propos de quoi que ce soit, jamais. Les gens comme lui devraient être rémunérés par la Sécu pour tout le bien qu'ils font au moral.

 

Je le savais très affaibli par la maladie, mais je ne l'imaginais tout bêtement pas perdre, tant la force qui avait progressivement fui son corps avait trouvé refuge dans son esprit. Pour le coup, celui qui a fait preuve de naïveté, c'est moi.

Alors quand j'ai appris ce matin qu'il était parti hier, je n'ai pas compris de suite. J'ai bien saisi l'information, mais j'ai été incapable de réaliser.

 

C'est en relayant la mauvaise nouvelle à Patrick que j'ai commencé à comprendre. En entendant mon pote pleurer au téléphone, lui qui est si détaché d'habitude, lui qui donne l'image du mec revenu de tout, quand j'ai entendu la douleur brute et spontanée de Patrick incapable de parler, c'est alors que j'ai été frappé, déchiré, écrasé. Que j'ai commencé à comprendre ce que ça voulait vraiment dire.

 

Notre copain Martial est parti.

Merci Isa pour ce chouette souvenir (2014)

Quand Martial nous faisait pleurer de rire ! (2015)

Un rire communicatif auquel même Patrick ne pouvait résister (2015)

Partager cet article
Repost0
20 février 2020 4 20 /02 /février /2020 08:23

 

Je le connais depuis toujours, sans pourtant savoir qui il est.

Aussi loin que remontent mes souvenirs, tout gosse déjà quand ma maman m’emmenait avec elle tous les mercredis à Mulhouse, il était là.

 

Guitare en bandoulière, dans la rue du Sauvage, il chante. Été ou hiver, par canicule ou par grand froid, il gratte les cordes de son instrument, son étui ouvert devant lui pour y accueillir les pièces des passants.

 

Au cours des années, bien des magasins ont fermé leurs portes, bien des franchises ont fait faillite et laissé place à d’autres marques, mais lui est toujours là. Au pire il change d’emplacement, il passe du côté pair au côté impair. Mais il fait partie du paysage depuis le temps. Plus de trente, presque quarante ans que je le croise, que je le vois, que je l’entends quand je passe par la rue piétonne du centre de Mulhouse.

 

Même les matins gris d’hiver il joue, quand l’air froid vous pique et que votre respiration laisse un léger panache de vapeur à chaque expiration. Je ne sais pas comment il fait pour que ses doigts ne soient pas cisaillés par les cordes glacées de son instrument, pour que sa voix reste claire.

 

Je ne l’ai jamais entendu chanter une chanson que je connaisse, seulement ses chansons à lui, peut-être ses créations. Et c’est toujours sa voix, forte, qu’on perçoit en premier, avant le son de sa guitare. Quarante années qu’il chante pour les gens qui passent. Quarante ans de quasi-invisibilité, à interpréter des chansons qu’il est le seul à connaître.

 

Il a les cheveux blancs à présent. Et il porte des lunettes aussi maintenant. Mais la voix n’a pas changé. La guitare semble être restée la même également.

 

C’est comme s’il avait toujours été là. Et qu’il le restera à jamais. Il y a comme ça des gens qu’on croise depuis des années, au point qu’ils ont toujours fait partie, de loin en loin, de notre existence.

 

Sans sa présence, la rue du Sauvage ne serait pas exactement la même.

 

Et dire que je ne me suis pourtant jamais arrêté pour lui demander son nom.

Partager cet article
Repost0
13 février 2020 4 13 /02 /février /2020 08:34

C’était il y a quelques semaines de cela, un samedi matin. Nous étions quatre, attablés autour d’un petit-déjeuner entre amis, dans un endroit agréable de Mulhouse, le Engel’s Café.

L’occasion de retrouver des gens qui comptent, d’échanger anecdotes et petites histoires, et de rire, beaucoup. Trois quadras et un trentenaire, une nana et trois gars. Du café, des croissants aux amandes, de la confiture de framboise et de l’amitié : on n’est pas trop loin d’une définition du bien-être. On passait un bon moment quoi.

 

Et puis au détour d’une plaisanterie, entre deux gorgées de son thé, Cécilia nous a soumis une question, toute empreinte de candeur et de simplicité, nous demandant comme ça, à la volée et sans prévenir : «Et vous, quand est-ce que vous êtes devenus adultes ? ». Sujet de philosophie, vous avez quatre heures. Merci Cécilia ! :-)

Laissez-moi vous raconter où la discussion nous a menés, et vous dire que loin de s’arrêter avec la dernière tartine engloutie, la question de l’adulte a continué de me faire phosphorer encore plusieurs jours après, au point que j’ai eu envie d’en faire un sujet d’article sur ce blog...

 

La question de Cécilia était sincère, elle cherchait des pistes ne sachant pas elle-même exactement comment y répondre. C’est Éric, certainement -et de loin- le plus sage d’entre nous, qui a répondu en premier. Pour lui c’était simple, c’était à 18 ans, quand il a quitté le cocon familial pour s’installer et subvenir seul à ses besoins. Acte d’indépendance, acte d’opposition vis-à-vis de son père, acte de construction de soi : Éric avait des choses à prouver, aux autres et à soi-même. Il a décidé alors de prendre sa liberté, d’assumer ses responsabilités à l’âge où la plupart se contentent du confort ronronnant offert par la bienveillance parentale, et cette décision l’a alors plongé directement et pleinement dans l’âge adulte.

 

Puis c’est le plus jeune de l’équipe, Kevin, qui a donné sa réponse. Il avait d’abord cru que le fait de devenir père serait l’élément déclencheur pour lui, mais s’est récemment rendu compte qu’il n’en avait rien été. Pourtant déjà papa de trois enfants, il ne se considère comme vraiment adulte que depuis peu, sans parvenir pourtant à dater la chose avec plus de précision. Quelque chose en lui a basculé à un moment, et il se sent à présent plus investi, plus responsable, plus à l’aise et plus serein dans son rôle de chef de famille, qu’il associe intimement au statut d’adulte.

 

Et puis, ce fut mon tour. Instinctivement, la première réponse qui m’est venue à l’esprit a été aussi de faire un lien entre l’âge adulte et le statut de père. Mais de manière un peu différente de celle exposée par Kevin. Dans mon esprit, je date mon passage à l’âge adulte au moment où j’ai ressenti l’envie d’être père, ce qui précède d’un ou deux ans au moins la date à laquelle je le suis réellement devenu. À quoi est-ce lié, je ne saurais pas l’expliquer dans le détail. Une remise en question de soi, une évolution de la pensée, une envie de transmettre, un désir de prolongement de soi et de partage. Certains y verront peut-être juste l’instinct de reproduction, ce besoin animal de propager ses gènes pour qu’ils perdurent et nous survivent. Cette vision me semble un poil trop naturaliste, il y manque tout un pan de réflexion plus intime, plus philosophique de l’approche de la vie. Je crois qu’il arrive un moment où l’on comprend qu’on n’est finalement peu de chose, et qu’on l’accepte. Et dès lors notre petite personne n’est plus forcément le seul et principal objet de nos préoccupations. Alors seulement on se sent à la fois prêt et on souhaite devenir père. On accède ainsi à la passerelle qui nous permet de cheminer de l’état d’esprit très égocentré de l’enfant / adolescent, à celui plus ouvert au monde et responsable d’adulte. Sans vouloir en faire une généralité, c’est toutefois ce qui je crois m’est arrivé et m’a permis de grandir dans ma tête.

 

Voici donc ce que furent nos premières réponses à la question de Cécilia.

Mais loin d’être définitives, je crois qu’elles sont plutôt complémentaires, et qu’il n’y a pas de réponse unique et universelle. Sans doute y aurait-il eu d’autres réponses tout aussi pertinentes si nous avions été plus nombreux à partager ce repas et prendre part à la réflexion.

 

D’ailleurs nous nous sommes vite entendus sur un autre point : on ne cesse jamais vraiment d’être un enfant quelque part au fond de soi. On emporte avec nous toute notre vie les traces de notre enfance, parfois même il est bon et sain de cultiver notre part d’enfance en nous, de ne pas la laisser complètement s’éteindre, histoire de garder un lien avec une période où l’on a été plus innocent et souvent tout simplement plus heureux.

 

Et ce qui a emporté l’adhésion unanime, c’est l’idée énoncée par Cécilia qui prétendait ne pas avoir de réponse et qui pourtant en tenait une tout à fait appropriée… Qu’on connaît certes tous des périodes charnières, des moments clés, des événements déclencheurs qui nous font progresser à grand pas et passer à de nouveaux statuts existentiels, mais qu’on ne cesse jamais, quel que soit notre âge, d’évoluer et de grandir intérieurement. Dès lors qu’on ne se ferme pas au monde comme une huître, dès lors qu’on accepte de se remettre en question de manière honnête (ce qui ne veut pas dire qu’on doit tout révolutionner à chaque fois dans nos façons d’être), alors on ne peut pas rester dans l’immobilisme. Nos esprits évoluent, nos personnalités s’affinent, même nos goûts parfois changent. J’aime à croire que le fait d’en être conscient est en soi déjà un premier pas vers le « mieux ». Car l’évolution ne rime pas forcément toujours avec l’amélioration. Quand on vieillit le risque est grand de laisser nos défauts s’accentuer par exemple… Peut-être que devenir adulte, c’est aussi chercher sans cesse à s’améliorer ? Ce pourrait être en tout cas une piste à creuser Cécilia… ;-)

 

 

Et vous alors : quand êtes-vous devenus adultes ?

Partager cet article
Repost0
23 décembre 2019 1 23 /12 /décembre /2019 18:37

La lecture de ce livre, La fabrique du crétin digital de Michel Desmurget, m’a à ce point effaré, estomaqué, désespéré, tourneboulé, secoué, que j’ai dû faire une entorse à mes habitudes de publication d’articles.

J’ai un petit côté psychorigide sur ce point. Sur mon blog, j’essaie de mettre en ligne assez régulièrement (dans l’idéal une fois par semaine, parfois - comme très prochainement la fréquence s’avère un peu plus espacée) des chroniques au sujet des bouquins que je lis. Et j’ai pris le pli de publier mes articles dans l’ordre de mes lectures. Vu le retard de publication que j’ai accumulé, c’est ce qui explique qu’actuellement je parle hebdomadairement de livres que j’ai lus il y a déjà 4-5 ans ; à ce rythme mon retard se comble lentement. Cela a pour principales conséquences que je ne suis pas du tout en phase avec l’actualité littéraire du moment, et que ce dont je parle n’a souvent rien à voir avec ce que je suis en train de lire.

 

Mais avec La fabrique du crétin digital que je viens de lire en novembre dernier, je ne me sens pas d’attendre si longtemps pour en parler ici. Non seulement le sujet est passionnant, les enjeux d’une importance folle, mais ce que Michel Desmurget nous y explique mérite d’être répété et diffusé au plus grand nombre et ne peut se permettre d’être relégué à plus tard, comme dirait maître Yoda : urgence il y a ! Et puis ce thème me tient tout particulièrement à cœur, c’est pourquoi j’ai donc décidé d’insérer cette chronique en estropiant ma ligne éditoriale chronologique (rien que ça !!).

 

J’ai beau travailler dans le milieu informatique, avoir grandi en regardant quotidiennement la télévision, avoir suivi en mon temps l’évolution technologique des divertissements depuis l’Amstrad CPC 6128 de ma jeunesse jusqu’aux jeux sur tablette, en passant par la Game Boy monochrome, la Super Nes, la Playstation ou encore les jeux PC en réseau, je ne me suis jamais considéré comme un geek pur et dur. Tout cela a fait partie de ma culture et je ne renie pas le temps passé sur ces supports, mais ça n’a jamais été central pour moi. La lecture, la musique, la BD et le cinéma ont toujours eu bien plus d’importance à mes yeux, et ont toujours aussi monopolisé la majeure partie de mon temps de loisir.

 

Et plus le temps a passé, plus j’ai vieilli, plus je me suis éloigné naturellement du tout digital, exception faite du minimum requis par mon boulot. Je suis par exemple depuis toujours réticent aux smartphones, et j’ai tenu bon très longtemps sans une de ces petites bestioles dans ma poche. Et honnêtement, quiconque voit ce qui me tient lieu actuellement de téléphone portable, un Acer Liquid mini E310 de seconde main, ne pourra m’accuser d’être un esclave de la technologie de pointe. J’ai bien passé quelques soirées, collé à une tablette à faire des jeux à la con, mais ça doit faire déjà plusieurs années qu’elle prend inutilement la poussière sur une étagère chez moi. Même la télévision, je ne l’allume que pour regarder ce que j’ai choisi et quand je l’ai décidé : une série la plupart du temps, un film de temps en temps, de moins en moins de diffusions en direct mais sur un support, physique ou dématérialisé, que j’apporte moi-même. J’essaie de mon mieux de reléguer le zapping aux habitudes passées et révolues. Idem pour mon utilisation d’internet : je surfe oui, je consacre d’ailleurs aussi du temps à tenir ce blog, mais je n’en fais pas un « passe-temps » sans réel but ni limitation dans le temps. Et de plus en plus souvent, quand il m’arrive de prendre conscience que ce que je suis en train de lire ou regarder sur internet est sans grand intérêt, je ne zappe pas de vidéo youtube en vidéo youtube : j’éteins en me disant que j’ai certainement mieux à faire de mon temps en l’employant à autre chose. À lire par exemple, le million de livres et BD que j’ai en attente de lecture chez moi. Car de plus en plus fréquemment j’ai cette sensation qu’internet me vampirise beaucoup trop de temps, et souvent pour par grand-chose à en retenir d’important à l’arrivée. Bref, je me détache de plus en plus du virtuel, et je ne m’en porte pas plus mal, au contraire.

 

Ce qui ne veut pas dire que je ne passe pas beaucoup de temps devant un écran. Au boulot déjà, nécessité fait loi. En divertissement ensuite : je suis un gros consommateur de séries télé, je regarde une moyenne de deux épisodes de séries chaque soir, parfois plus. Mais c’est moi qui décide de mon programme, je garde le contrôle, je décide de ce que je regarde, quand, quelle quantité et quelle fréquence. Et je ne sacrifie jamais une sortie ou l’occasion de voir des gens pour m’isoler devant une série. Je me plais (m'illusionne ??) à croire que je garde une certaine autonomie et liberté face aux écrans de tous types…

 

Cette méfiance envers le tout-écran s’est grandement développée en moi depuis ces dernières années. Et pour en avoir eu quelques échos négatifs ici ou là, j’ai toujours pensé que l’omniprésence des écrans (que ce soit par l’intermédiaire des smartphones, tablettes, télévisions, consoles de jeux) pouvait être malsaine, pour tout un chacun mais surtout pour les enfants. Malsains, voire même carrément néfastes. J’avoue d’ailleurs que cela tenait plus de l’intuition, disons même presque de l’a priori, plutôt que de certitudes basées sur des faits concrets et scientifiquement vérifiés.

 

Cependant cet a priori ne reposait pas sur rien non plus. Si je me suis forgé cette opinion négative, c’est d’abord par l’observation de ce qui m’entoure, et par ma propre pratique des outils numériques. Quand on passe plus de temps que de raison sur des forums internet, ou sur des jeux en ligne par exemple, comme ça a pu être mon cas il y a quelques années, qu’on en arrive à ne plus avoir assez de temps pour d’autres choses qu’on fait habituellement, voire qu’on commence à rogner sur son temps de sommeil (qui pourtant chez moi est déjà réduit à son strict minimum), c’est que quelque chose cloche. C’est le signe d’une exagération, d’un déséquilibre.

 

J’ai eu une période par exemple où sur ma tablette je participais à un jeu de connaissances générales en ligne, sanctionné par un classement national des joueurs où j’étais parvenu à monter très haut. Mais pour se maintenir à ce haut niveau, il fallait y consacrer de plus en plus de temps, j’en étais arrivé à un point où je me disais « ah ben non, j’ai mis tant de temps à arriver là, je ne peux pas me permettre de le laisser de côté ne serait-ce qu’un jour, sinon je perdrai ma place au classement si durement acquise ». Résultat, je dormais moins, je ne lisais plus : plus le temps. Je profitais du moindre instant libre pour y jouer. Et puis au bout de quelques semaines je me suis demandé à quoi ça rimait ? Qu’est-ce que ça m’apportait vraiment, et surtout quel en était le coût réel pour moi ? Et je me suis rendu compte du temps que j’y consacrais, un temps bien trop long et totalement déraisonnable qui m’interdisait de plus en plus de choses à côté. J’ai donc décidé d’arrêter purement et simplement. Un peu compliqué au départ car le côté addictif de la chose avait déjà fait son effet sur moi, l’envie d’y retourner était bien présente. Et puis ça m’a passé, et j’ai consacré du temps à faire d’autres choses que j’aime, et après très peu de temps au final je me suis senti libéré. Oui, libéré, carrément ! Je parle pourtant d’un bête jeu en ligne de rien du tout, mais c’est bien l’effet que ça m’a fait ! Quelques années auparavant j’avais ressenti la même chose en me tenant à l’écart de forums internet que je visitais bien trop assidûment, ce qui avait fini par avoir le même type d’effets négatifs sur ma vie quotidienne. Voilà pour ce qui concerne ma propre expérience.

 

Mais il y a aussi ce que j’ai pu observer autour de moi depuis quelques années déjà. À midi au resto, ou en terrasse pour boire un verre ou siroter un café, je suis régulièrement surpris de ce que je vois. Un très grand nombre de gens mangent avec leur smartphone comme interlocuteur principal. Qu’il y ait quelqu’un d’assis en face d’eux ou non, qu’ils soient avec un groupe entier ou tout seul, peu importe : les yeux et l’attention sont principalement rivés sur leurs téléphones. Au point de ne pas se parler du tout s’ils sont à plusieurs, ou de ne même pas regarder le serveur quand il s’affaire à vous apporter votre plat ou à vous débarrasser votre table. Qu’il s’agisse de couples d’amoureux, de groupes de potes ou de repas en famille, de jeunes blanc-becs ou de vieux croûtons, le téléphone s’invite, s’impose et devient le centre d’intérêt principal. Moi qui suis souvent seul à table, je passe pour un dinosaure, ou un hurluberlu, avec mon bouquin en main. Vous savez ce truc en papier, si dépassé, ringard au dernier degré. Tout cela se passe aujourd’hui en France. Vous savez, le pays de la gastronomie, où il paraît qu’on aime passer un temps fou à table à échanger autour d’un bon repas.

 

Mais là je parle d’adultes, majeurs et vaccinés. Là où c’est encore plus marquant, c’est avec les mômes. Vous avez déjà observé des gamins qui ne connaissent plus rien d’autre que leur téléphone ou leur tablette pour passer leur temps ? À quel point ils sont absorbés par leurs engins électroniques ? Qu’ils n’en supportent même plus de ne plus avoir de batterie ou de se trouver dans un endroit sans réseau plus de cinq minutes d’affilée ? Et souvent, plus ils sont jeunes, moins ils supportent cette frustration tant l’addiction aux écrans est devenue grande, envahissante, plus importante que tout le reste. J’ai en mémoire l’image d’un petit garçon de 3 ou 4 ans qui était maintenu au calme à table par le téléphone maternel sur lequel il s’affairait à je ne sais quel jeu coloré et bruyant, et qui tout à coup, a balancé avec rage l’appareil par terre en hurlant sans pouvoir se clamer. La batterie avait rendu l’âme. Il en a coûté un téléphone à ses parents. Et je pense aussi les services d’un pédopsychiatre pendant de longues années à venir. Ou de cet autre petit garçon de même pas dix ans, complètement drogué à sa tablette et qui sans elle ne tenait pas une seconde en place, devenant totalement ingérable et proprement insupportable, ruinant la santé et la patience de toute personne normalement constituée se trouvant à moins de dix mètres de lui… Il m’en vient plein des exemples comme ça, des situations dont j’ai été le témoin. Je crois qu’on en a tous croisé des enfants qui ressemblent plus ou moins à cette description. Et qu’on en rencontre de plus en plus.

 

C’était donc là-dessus entre autres, que je m’étais forgé la conviction que les écrans consommés de manière déraisonnable, pouvaient devenir très vite, très nocifs, d’autant plus que l’utilisateur s’avère par ailleurs jeune.

 

C’est aussi pour cela que depuis que je suis moi-même devenu parent, j’ai toujours prêté attention à l’usage des outils numériques de mes enfants. Ils n’ont pas de tablette, pas de console de jeux, et évidemment pas de smartphone. J’ai du reste passé la consigne ferme et définitive à la famille : pas de cadeau empoisonné de ce type pour Noël ou à l’occasion d’un anniversaire. Je sais que là-dessus j’ai pu passer pour un intransigeant mal-léché, voire un intolérant anti-numérique primaire. Que certains pensent peut-être que mes enfants sont bien malchanceux de devoir se plier à ces règles, et qu’ils doivent être bien malheureux à vivre ainsi dans leur bagne coupé du réseau 4G. Attention, je ne suis pas non plus complètement fermé et rigide : ils ont accès à l’ordinateur familial et la télévision du salon. Mais pas n’importe comment, pas n’importe quand. À certaines heures et pour y regarder un certain type de contenu. Et si possible, pas seuls, en la compagnie d’un adulte. Mais ce qui pour moi semble du bon sens le plus évident, apparaît pour d’autres comme de la tyrannie parentale, presque de la maltraitance à enfants… J’ai toujours, cependant, pensé être dans le vrai, plus qu’une intuition : une conviction naturelle.

 

Et la lecture de La fabrique du crétin digital m’a conforté dans mon opinion, le livre m’a même ouvert les yeux sur des choses que je ne soupçonnais pas du tout, et qui me font dire que la gravité de la situation que je supposais sans pouvoir la prouver était encore bien plus profonde que ce que je l’imaginais.

 

Enfin donc, j’en arrive au livre à proprement parler, désolé pour cette très longue introduction.

 

D’abord l’auteur : Michel Desmurget est docteur en neurosciences et directeur de recherche à l’Inserm (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale). Pas un blaireau de base, et encore moins un expert généraliste qui donne son avis sur tout (et au final n’a de véritable expertise sur rien) comme on en voit polluer les plateaux d’émissions à la BFM TV. Le bonhomme l’ouvre quand il s’agit de son domaine de compétences parce qu’il maîtrise son sujet, la ferme quand le sujet n’est pas de son ressort, et a l’honnêteté de le dire quand il ne sait pas répondre à une question précise. Rien que ça déjà, ça donne une bonne idée du sérieux du gars, de son éthique et de la crédibilité qu’on peut accorder à sa parole de scientifique. Non seulement c’est éminemment respectable, mais moi quand un type comme ça parle, je me tais et j’écoute, et j’essaie de comprendre ce qu’on me dit.

 

Le livre de Michel Desmurget aborde la consommation numérique actuelle (sous toutes ses formes) par les jeunes générations et dresse un bilan clair, net, précis et surtout abondamment et rigoureusement documenté sur les conséquences connues et avérées des outils numériques et de leur utilisation sur le développement mental, intellectuel, physique et psychologique des plus jeunes.

 

Il plante d’abord le décor en tordant le cou de certaines idées préconçues sur les apports supposément bénéfiques (pour ne pas dire révolutionnaires) des écrans de toutes sortes sur les aptitudes de nos enfants. Pour ce faire, il n’hésite pas à entrer dans le dur quand il dénonce des paroles « d’experts » qui se veulent rassurants, quitte à en égratigner certains au passage (il ne fait pas dans la bête dénonciation et évite de citer des noms directement dans son bouquin, mais chacune de ses affirmations est systématiquement renvoyée à des sources clairement identifiées et vérifiables, qui elles permettent aux plus curieux de trouver sans peine les noms des personnes dont la probité ou la parole est mise en cause). Dans la première partie de son livre, il démonte d’ailleurs sans vergogne et avec une précision impeccable les quelques rares études allant à contre-courant de la multitude d’études existantes qui démontrent toutes la nocivité de l’excès d’écrans pour nos gamins. Il le fait méthodiquement, avec la rigueur toute scientifique qui le caractérise, et ne laisse absolument rien au hasard : avec Michel Desmurget il n’y a pas de zone d’ombre qui persiste, rien ne reste flou, il entre dans le détail et explique tout, jusqu’aux aspects les plus techniques parfois, mais nécessaires à la fois pour bien tout comprendre de ce qui est dit, et pour être ainsi convaincu de l’éthique, la probité et la valeur de l’analyse qu’il fait et des conclusions qu’il en tire. J’avoue, par moment on entre à ce point dans des détails que cela peut paraître fastidieux au premier abord : il n’en est pourtant rien, car si le sujet vous intéresse, alors chaque détail a son importance et mérite d’être précisé pour être correctement compris par un lectorat non-spécialiste des matières scientifiques exposées.

 

Michel Desmurget se montre ainsi impitoyable avec ceux qui désinforment (scientifiques, pseudo-experts, intellectuels ou journalistes), volontairement ou non, le grand public sur l’impact réel des écrans et de leur usage sur nos enfants. Il fait parfois dans l’ironie, se laisse aller au cynisme envers ceux qui par leurs déclarations fausses ou trompeuses le méritent vraiment, et ne prend pas de gants pour dénoncer lorsqu’ils existent, les conflits d’intérêts (il y a des choses assez révoltantes par exemple sur certains propos de certains membres du CSA au sujet des publicités qui visent, principalement à la télévision, les enfants, propos mis en parallèle avec les liens parfois très resserrés de ces mêmes personnes avec les milieux industriels et commerciaux des produits sujets des dites publicités autorisées). Il y a dans ce bouquin quelques révélations qui à mes yeux devraient être considérées comme de véritables scandales sanitaires et sociétaux, dignes des pires arnaques légalisées.

 

Après avoir mis en pièces sans la moindre pitié et sans laisser le moindre doute possible à ce sujet toutes les études boiteuses et affirmations fumeuses qui laissent croire que le tout numérique est plus que bénéfique pour les enfants, Michel Desmurget aborde dans la seconde partie de son livre la réalité des faits. Il nous plonge dans la multitude d’études qui existent, et pour certaines qui concernent par exemple la télévision et dont les conclusions sont connues et reconnues par le corpus scientifique depuis des décennies, et qui toutes, en dehors des rares exceptions qu’il a traitées en première partie, démontrent sans l’ombre d’un doute l’effet délétère des écrans sur le développement des enfants.

 

Il décrit tout d’abord l’usage réel et quantifié du temps consacré par nos enfants aux activités numériques : c’est proprement vertigineux. Il pourfend l’idée selon laquelle tout cela est inéluctable et va de soi avec « la marche du temps et du progrès » en expliquant quelles règles simples peuvent s’avérer très efficaces pour préserver les enfants des ravages du tout numérique au quotidien.

 

Le scientifique aborde alors point par point tous les effets négatifs connus, reconnus et démontrés des écrans sur nos têtes blondes, et le moins qu’on puisse dire c’est que tout y passe au menu des conséquences néfastes : le développement cognitif tout d’abord est grandement impacté et altéré par la profusion d’écrans, c’est très clair et sans appel, toutes les études le démontrent catégoriquement. Et l’effet est d’autant plus grave qu’il se voit multiplié par le fait que tout le temps consacré aux activités numériques augmente les dégâts cognitifs à long terme mais qu’il faut en plus de cela y ajouter que c’est autant de temps qui devrait en temps normal être consacré aux activités propres à un développement sain et correct du cerveau de l’enfant et qui est définitivement perdu. Car c’est au cours de sa jeunesse que le cerveau connaît une plasticité optimale, celle qui justement est primordiale pour son développement et lui permet de se former par l’apprentissage, plasticité qui se réduit avec l’âge. Il en va pour le cerveau comme pour bien des choses : le temps perdu ne se rattrape jamais.

 

Évidemment, les conséquences scolaires sont elles aussi investiguées. Là encore les chiffres parlent et ne mentent pas : plus il y a d’écrans dits récréatifs plus les résultats scolaires diminuent. Quant aux écrans à usages scolaires, c’est la désillusion la plus totale : plus on les utilise au détriment des méthodes classiques pour l’apprentissage, plus les résultats baissent. Michel Desmurget entre ainsi dans le lard des politiques éducatives supposément modernes et progressistes : l’intérêt de dématérialiser l’enseignement réside avant tout dans un aspect financier, les résultats scolaires eux ne s’en trouvent absolument pas améliorés, bien au contraire. Un écran, une tablette, aussi performants soient-ils, ne pourront jamais être aussi efficaces pour un élève ou un étudiant, qu’un véritable enseignant en face de soi. En revanche, une politique qui se veut imposer l’usage d’une tablette par exemple, s’avérera bien moins coûteuse à terme que l’investissement dans l’enseignement humain direct. On pourra alors remplacer l’enseignant bien formé et coûteux, par un ersatz d’enseignant, juste bon à passer des programmes tout faits sur un outil numérique. Bien entendu, cela se veut moins cher sauf pour ceux qui paient la véritable note de l’opération : les enfants et les étudiants.

 

Mais d’une manière plus générale et pour sortir du seul contexte scolaire, les effets délétères ne s’arrêtent malheureusement pas là. Le directeur de recherche à l’Inserm le montre en s’intéressant à ce qu’il nomme les « trois piliers les plus essentiels du développement de l’enfant ». En premier lieu les interactions humaines, Plus l’enfant passe de temps devant un écran, moins il le passe face à d’autres personnes. Or c’est dans l’interaction humaine que l’humain se développe avec le plus d’efficacité et de rapidité. L’écran en comparaison n’apporte quasiment rien comme « nourriture cérébrale », et au mieux de manière très très dégradée. En second lieu, c’est le langage qui s’avère gravement impacté. Les écrans altèrent le volume et la qualité des échanges verbaux précoces, ainsi que l’accès au monde de l’écrit. On apprend infiniment plus et plus vite dans la « vraie vie » que par les contenus dits « éducatifs » sur support numérique. Le développement du langage est ainsi un des premiers à être touché. Le troisième point concerne la capacité de concentration. Contrairement à ce qui a pu être dit, les jeux vidéos qui nécessitent que le joueur soit attentif et réactif au moindre signal visuel ou sonore par exemple, agissent à l’inverse de ce qu’il faudrait pour développer le pouvoir de concentration. On entraîne alors son cerveau à percevoir la moindre sollicitation exogène, à être continuellement en alerte prêt à réagir à la moindre distraction, usant même son énergie à épier le moindre signal potentiel. C’est ce qu’on appelle une attention distribuée, ouverte à toutes les effervescences du monde qui nous entoure. Ce qui est l’exact contraire de la concentration, qui elle est la conséquence d’une attention focalisée, maintenue et imperméable aux pensées parasites et signaux extérieurs de toutes sortes. C’est bien entendu cette concentration focalisée qui est indispensable à un bon apprentissage efficace sur la durée, alors que c’est l’attention distribuée qui est développée par l’usage des écrans. Le cerveau humain n’est pas conçu pour ce genre de sur-sollicitations, il en souffre et se construit mal. En ce sens c’est l’un des effets les plus graves sur le cerveau des écrans : le multitasking est tout simplement dévastateur.

 

Viennent pour finir des considérations plus en rapport direct avec la santé de l’enfant. La consommation d’écran a des conséquences directes et très négatives sur le sommeil, sur l’aspect quantitatif comme sur l’aspect qualitatif du sommeil. Or le sommeil est un des piliers de la bonne santé et du bon développement du corps et de l’esprit. La sédentarité est elle aussi l’une des principales conséquences de la consommation d’écrans, avec ses effets secondaires sur l’organisme, aussi bien pour sa construction physique (l’exercice physique construit, la position assise prolongée induite par les écrans détruit!) que pour le fonctionnement émotionnel (la proportion de schémas mentaux dépressifs voire suicidaires augmente drastiquement avec le temps d’écrans ingurgité chez les jeunes générations). Il en va d’ailleurs de même pour les contenus dits « à risques » (qu’ils soient à caractères sexuels, tabagiques, alcooliques, alimentaires ou violents) : plus l’esprit est jeune et en formation, plus leurs effets sont nocifs et quantitativement mesurables.

 

Alors heureusement, Michel Desmurget ne s’arrête pas là. Il aurait pu se contenter de dresser ce constat absolument sombre et déprimant, mais il a voulu terminer son ouvrage sur un ton plus positif et moins catastrophique qu’il ne l’a entamé.

Il engage à ne pas se résigner, à ne pas croire que tout cela est inéluctable. Il rappelle qu’on garde le choix, en tant que parents, de livrer nos enfants à moins d’outils numériques et à les confronter à plus d’humain. Qu’il ne faut pas céder à la peur entretenue par l’idée qu’un enfant maintenu du mieux possible hors du champ du tout numérique va être malheureux et se trouver isolé socialement des autres. Il pousse même le raisonnement à ce sujet : à ce jour, aucune étude n’a indiqué qu’une privation d’écrans récréatifs puisse avoir des conséquences négatives sur le développement d’un enfant ni sur son intégration émotionnelle et sociale au monde (et ce n’est pas parce qu’aucune étude ne s’est intéressée au sujet !). En revanche il existe de nombreuses études qui démontrent l’impact préjudiciable sur bien des plans, y-compris sur des symptômes dépressifs et anxieux de ces outils sur nos enfants. Ça permet d’inverser la charge et de faire réfléchir les parents qui culpabiliseraient à ce sujet n’est-ce pas ?

 

Michel Desmurget tente de promouvoir l’action éducative des parents en contre-feu. En énumérant de grandes règles à appliquer sur l’usage des écrans par les enfants (il ne s’agit donc pas de tout interdire doctement sans autre forme de procès). Par exemple : pas d’écran dans la chambre, pas de contenu inadapté, pas d’écran le matin avant l’école ni le soir avant de dormir, pas de multitasking mais une chose à la fois ! Plus compliqué à tenir cependant : pas d’écran avant 6 ans, pas plus d’une heure par jour après 6 ans.

Certaines peuvent paraître contraignantes, mais comme le souligne le scientifique : moins d’écrans c’est plus de vie ! Il faut impérativement proposer d’autres activités pour compenser l’arrêt des écrans : parler, échanger, dormir (!!), faire du sport, jouer, faire de la musique, dessiner, danser, chanter, pratiquer toutes formes d’arts, et surtout, surtout : lire.

J’ai été étonné, mais très agréablement surpris, à la lecture d’études avancées par l’auteur, qui concernent justement l’utilisation du temps par les enfants et adolescents qui se trouvent dans l’impossibilité de se coller devant un écran : ils finissent, et ce dans un délai bien plus court que je n’aurais cru, par s’occuper de façon « naturelle » et spontanée avec ce qu’ils trouvent dans leur environnement direct : on retombe alors sur la liste d’activités énumérées plus haut. Et chose inattendue : même ceux qui déclarent ne pas aimer lire, se mettent tous seuls à lire pour s’occuper !! Ça peut paraître peu de chose, mais moi ça m’a réjoui d’apprendre cela.

 

J’aurais aimé que le livre s’étende aussi sur les effets des écrans chez l’adulte, ne serait-ce qu’en point de comparaison avec les impacts sur les plus jeunes. Il aborde le sujet de très loin, en expliquant que les effets sur un cerveau en construction sont nombreux et particulièrement délétères en raison de l’hyper-plasticité de l’organe dans sa prime jeunesse. Cette plasticité diminue fortement (sans disparaître pour autant) chez l’adulte, d’où des effets bien moins graves à égale exposition. Mais le livre est cependant suffisamment dense et complet en se contentant de traiter le sujet des enfants, vous pouvez me croire ! Je retiendrais cependant une formule qui m'a marqué et qui résume à elle seule beaucoup de choses : plus nos smartphones sont intelligents (et font les choses à notre place), plus nous devenons bêtes. À méditer...

 

Les conclusions de Michel Desmurget sont intéressantes et donnent de l’espoir. Mais il faut aussi mesurer tout cela à l’aune de la vie réelle, en dehors des livres. J’ai pu m’en rendre compte il y a peu. Il se trouve que par coïncidence, le sujet des écrans pour les enfants a été abordé il y a quelques jours au cours d’une petite discussion informelle avec des gens de mon entourage.

Une maman de trois enfants de 8, 11 et 15 ans, disait que l’école de son benjamin avait lancé un challenge « une semaine sans écran ». Son fils de 8 ans n’a pas supporté et n’a pas tenu une seule matinée entière. Le commentaire de la maman m’a stupéfié : « c’est une idée complètement idiote, l’école ferait mieux de se soucier de ce qui se passe entre ses murs que chez les enfants, et de toute manière une semaine sans écran c’est juste impossible à faire ». Je précise alors un peu le portrait pour mieux appréhender la chose : milieu socio-culturel « profession intermédiaire », peu ou prou mon âge, mariée, végétarienne convaincue, de caractère elle est plutôt douce et gentille, avec une légère tendance à se plaindre mais rien de bien méchant, plutôt sympathique, diplomate, intelligente, mesurée et agréable au demeurant. En revanche, ses enfants ont tous des smartphones, le plus petit en est à son troisième (forcément, il n’en prend pas autant soin qu’un plus grand, ça casse donc plus vite), elle-même ne quitte quasiment jamais le sien des mains. Ses enfants, comme quasiment tous les enfants, ne parlent que de consoles de jeux, les deux garçons -les plus jeunes- jouent quotidiennement à Fortnite. Points de détails, mais qui moi me font tiquer quand on me tient un discours convaincu sur les bienfaits d’être végétarien et de préserver notre planète : elle fume comme un pompier et vient d'acheter un diesel.

 

Je n’en tire aucune conclusion hâtive, et je ne me permets pas de juger (tant qu’on ne me juge pas), mais je ne peux m’empêcher de me demander si un gamin risque plus à passer sa vie sur des écrans dès son plus jeune âge ou à ingérer un morceau de viande de temps en temps ? En tout cas c’est le type de témoignage qui permet de mettre les choses en perspective je trouve.

 

Une chose est certaine cependant et ne souffre d’aucune contestation sérieuse : moins d’écran pour les enfants, c’est à terme moins de problèmes d’attention, de langage, d’impulsivité, de mémoire, d’agressivité, de sommeil, de réussite scolaire. Liste non-exhaustive.

 

Quant à moi je conclus enfin ce très, trop, long article (et j’aurais eu pourtant encore des tas de choses à dire et à développer !!) en vous conseillant très vivement la lecture de La fabrique du crétin digital de Michel Desmurget. N’ayez crainte : ce n’est pas un ouvrage accusateur à l’encontre des parents, c’est un livre qui informe, qui décortique et qui aide à comprendre. Desmurget ne juge personne d’autre que ceux qui font passer de fausses informations.

 

Un très court extrait pour finir : « La morale de l’histoire, la voilà. Livrez vos enfants aux écrans, les fabricants d’écrans continueront de livrer leurs enfants aux livres. »

Partager cet article
Repost0