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6 avril 2020 1 06 /04 /avril /2020 17:16

Il y a des nouvelles qui nous dépassent. Qu'on ne comprend pas parce qu'on ne parvient juste pas à les concevoir. On a découvert des exoplanètes un peu partout à travers la galaxie. Selon la physique quantique, il existerait un nombre infinis d'univers parallèles au nôtre. Un certain Nietzsche nous a même annoncé que Dieu est mort. Les implications sont telles, qu'à moins de s'appeler Albert Einstein ou Stephen Hawking, ce que cela veut réellement, profondément dire, nous échappe en grande partie.

 

Il en va ainsi quand on apprend la mort d'un ami. On ne comprend pas, on n'imagine pas ce que cela veut dire. Réellement. Profondément. Ça a de telles conséquences sur nos vies, que c'est trop grand, on n'arrive pas à en prendre conscience dans son entièreté.

 

Martial est parti. Notre copain s'en est allé hier. Lui, l'ancien-combattant à peine plus vieux que moi, que j'aimais mettre en boîte pour ce titre dont il a hérité pour avoir servi au début de sa vie active dans l'armée française, a finalement déposé les armes. Il a pourtant plus que vaillamment combattu, sans jamais baisser les bras. Si je devais aujourd'hui ne retenir qu'une chose de Martial, c'est la leçon magistrale d'optimisme et de positivité qu'il nous a donnée à tous ces derniers mois.

 

Martial c'était d'abord un rire tonitruant, un esprit joyeux et plein d'entrain, un humour bien trempé. Un caractère positif. Pas un naïf et encore moins un imbécile heureux : il avait simplement décidé de regarder le bon côté de la vie, en toutes circonstances et en toute conscience. Je ne me souviens pas l'avoir entendu se plaindre à propos de quoi que ce soit, jamais. Les gens comme lui devraient être rémunérés par la Sécu pour tout le bien qu'ils font au moral.

 

Je le savais très affaibli par la maladie, mais je ne l'imaginais tout bêtement pas perdre, tant la force qui avait progressivement fui son corps avait trouvé refuge dans son esprit. Pour le coup, celui qui a fait preuve de naïveté, c'est moi.

Alors quand j'ai appris ce matin qu'il était parti hier, je n'ai pas compris de suite. J'ai bien saisi l'information, mais j'ai été incapable de réaliser.

 

C'est en relayant la mauvaise nouvelle à Patrick que j'ai commencé à comprendre. En entendant mon pote pleurer au téléphone, lui qui est si détaché d'habitude, lui qui donne l'image du mec revenu de tout, quand j'ai entendu la douleur brute et spontanée de Patrick incapable de parler, c'est alors que j'ai été frappé, déchiré, écrasé. Que j'ai commencé à comprendre ce que ça voulait vraiment dire.

 

Notre copain Martial est parti.

Merci Isa pour ce chouette souvenir (2014)

Quand Martial nous faisait pleurer de rire ! (2015)

Un rire communicatif auquel même Patrick ne pouvait résister (2015)

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26 mars 2020 4 26 /03 /mars /2020 13:55

 

« Vous ne pouvez empêcher les oiseaux de la tristesse de voler au-dessus de vos têtes, mais ne les laissez pas faire leur nid dans vos cheveux. »

 

Proverbe chinois, à méditer de nos jours.

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23 mars 2020 1 23 /03 /mars /2020 13:12

En pleine mode de la littérature érotico-pouet-pouet à la façon Fifty Shades of Grey 1, est sorti ce roman, Juliette Society, écrit par Sasha Grey. Heureuse coïncidence patronymique entre l’auteure américaine et le personnage du roman de E.L. James qui aura peut-être attiré l’attention des lecteurs et lectrices sur ce livre, d’autant plus heureuse que le livre de Sasha Grey se veut érotique, tendance SM lui aussi par moment. Enfin, en ce qui le concerne j’emploierais plutôt le terme de pornographique pour le qualifier, car ici on n’est pas dans le subtil ni la suggestion érotique, mais bel et bien dans le hard le plus explicite. Mais j’y reviendrai.

 

Tout cela se tient plutôt puisqu’il faut savoir qu’on a là le premier roman d’une jeune écrivaine (elle avait 25 ans à la sortie du bouquin) qui a déjà derrière elle une carrière bien chargée. En effet, Sasha Grey s’est faite connaître en premier lieu en tant qu’actrice porno, activité qu’elle exerce dès sa majorité et jusqu’à l’âge de 23 ans. La demoiselle rencontre un vif succès et devient rapidement une star dans son domaine, au point même d’incarner un nouveau genre pornographique, qui allie les ambiances gothiques aux pratiques sexuelles les plus hardcores. Elle joue une première fois déjà de son pseudo pour tourner dans une parodie porno de la série Grey’s Anatomy, c’eut été dommage de se priver faut bien avouer, tant le jeu de mots était approprié. En 2009 c’est le très honorable Steven Soderbergh qui lui donne le premier rôle de son film The Girlfriend Experience, où elle interprète une escort-girl de luxe. Quand en 2011 elle met un terme à sa carrière porno, elle se teste manière touche-à-tout au fil de différentes reconversions : elle pose pour le mannequinat, se frotte ponctuellement à l’univers musical en tant que DJ et chanteuse, apparaît au cinéma et à la télévision, et s’essaie à l’écriture. Ce qui nous mène donc à ce Juliette Society.

 

Bon, après avoir introduit l’auteure 2, passons à l’œuvre proprement dite.

 

Ce roman est l’histoire de Catherine, jeune étudiante en cinéma de 23ans. Elle vit avec Jack, son petit ami, qui travaille d’arrache-pied pour un homme politique en pleine campagne électorale. Autant dire qu’il a peu de temps à lui consacrer, et la jeune femme ronge son frein comme elle peut, à défaut de celui de son amoureux 3. Elle l’aime profondément et est fidèle, mais du fait de sa frustration, ne peut s’empêcher de nourrir de nombreux fantasmes sexuels. Et parmi ses sujets récurrents de fantasme, il y a Marcus, un de ses professeurs d’université. Il y a également Anna, une autre étudiante, blonde sulfureuse au charme aguicheur dont elle se rapproche bien vite. Comme la vie est bien faite, Anna lui confie être la maîtresse de Marcus (mais pas que), et lui propose de l’accompagner lors de ses folles nuits de débauche en club très privé. C’est ainsi que Catherine commence à mener une double-vie : rangée le jour avec son petit ami bourreau de travail et pas très porté sur la chose, et totalement délurée la nuit entre clubs d’échangisme et expériences de voyeurisme… C’est aussi par l’intermédiaire d’Anna que Catherine va intégrer la très secrète et hyper select Juliette Society, un club où les plus riches et puissants de ce monde s’autorisent toutes les fantaisies sexuelles, y compris les plus glauques.

 

Voilà, le décor est planté.

Et comme je le disais en introduction, ici il n’est pas tant question d’érotisme que de cul sous la forme la plus crue et la plus directe. Le langage employé, et par extension l’ensemble du style d’écriture de Sasha Grey dans ce roman, qu’il s’agisse de scène de sexe ou non, est du même tonneau. Les mots sont crus, certains diraient vulgaires, les plus sensibles iraient certainement même jusqu’à les trouver choquants. Le style est très simple et sans grande fioriture, Sasha Grey n’essaie pas de faire dans le beau, elle fait plutôt dans le direct, voire dans le cash. Je ne suis pas certain que ce soit particulièrement réfléchi d’ailleurs, le but ne me semble pas particulièrement de choquer les bien-pensants, ça m’a l’air beaucoup plus authentique que cela. L’auteure se contente de parler de ce qu’elle connaît avec ses mots à elle et ces mots sont parfaitement adaptés, et au personnage, et aux situations évoquées. Oubliez les termes désuets et gentiment surannés comme « le vit », la « verge », « le phallus » ou même « le dard », ici il est question de bites et de queues, point barre. On baise et on encule, on suce et on avale 4.

Personnellement, vu les antécédents de l’auteure et le thème du roman, le vocabulaire employé ne m’a pas plus choqué que cela. Mais bon, il vaut mieux le préciser tout de même, histoire d’éviter les déconvenues aux oreilles les plus chastes, sait-on jamais, il y en a peut-être parmi mes lecteurs 5.

 

Hormis donc le style et le thème, quoi dire de ce bouquin ?

Tout d’abord que sa quatrième de couverture promet pas mal et est plutôt maligne :

 

Avant que nous allions plus loin, mettons les choses au point. Je veux que vous fassiez trois choses : Un. Ne soyez pas offensé par ce que vous lirez dans les pages qui suivent. Deux. Laissez vos inhibitions au vestiaire. Trois — et c’est le plus important. Tout ce que vous verrez et entendrez à partir de maintenant doit rester entre nous. OK. À présent, passons aux choses sérieuses.

 

D’ailleurs c’est elle qui a valu au roman une comparaison que j’ai trouvée plus que flatteuse, puisqu’il a été qualifié dans la presse (féminine je précise, pas de littérature ni de cinéma) de « Fight Club féminin ». Bon là, franchement c’est exagéré, on est bien loin de l’œuvre de Chuck Palahniuk, que ce soit dans les thèmes abordés, les réflexions philosophiques ou la plume de l’auteure.

 

Ce qui me permet d’habillement enchaîner sur un aspect du roman que j’ai trouvé au mieux déroutant, au pire ennuyeux. Les digressions. Sasha Grey en truffe son roman. Manière d’étoffer un roman qui s’il ne s’en tenait qu’à sa très simple intrigue se résumerait à peu de choses ? Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un artifice de ce type, mais bel et bien de l’expression de la sincérité de l’auteure débutante. Alors vous aurez par exemple droit à un chapitre consacré aux mots du sexe, où Sasha Grey soliloque et laisse libre cours à ses pensées profondes sur l’intérêt du sperme ou encore pour déterminer le terme le plus approprié entre « bite » et « queue ». Pas inintéressant mais pas passionnant non plus, en revanche une chose est sûre : ça ne fait pas avancer le schmilblick. De la même façon, j’ai eu un peu plus de mal encore avec les références très régulières à la littérature et au cinéma que Sasha Grey dissémine un peu partout dans son livre. Je ne critique pas les goûts culturels de l’ex-star du porno, ils sont même plutôt classes pour tout dire. Mais je trouve le procédé un peu inapproprié et surtout trop systématique dans la forme. Quant au fond, l’effet reste superficiel, et pour tout dire un peu scolaire. Ça m’a fait l’impression de quelqu’un qui cherche à prouver que l’image qu’on a d’elle est fausse. Étaler sa science pour démontrer qu’elle

n’est pas l’écervelée qu’on croit 6. Qu’elle a certes débuté sa carrière à coups de double-pénétrations mais qu’elle aime le grand cinéma aussi. Alors Sasha Grey nous parle dans son livre de Freud, du Marquis de Sade, de Jean-Luc Godard, d’Alfred Hitchcock ou d’Orson Welles, qu’elle tente de mettre en parallèle avec sa propre intrigue par un effet miroir parfois un poil artificiel. Mais ce qu’elle en dit ressemble plus à un exposé d’étudiant (ce qui reste cohérent avec son personnage d’étudiante en cinéma ceci-dit) qu’à une réelle mise en abyme littéraire. Pour tout dire cela vire un peu au name dropping, en apparence tout du moins. De la même façon, la proximité de son roman avec des œuvres telles que Eyes Wide Shut de Kubrick ou Belle de jour de Buñuel est assez évidente. Si je comprends la finalité du procédé et la volonté de l’auteure d’élever le débat en espérant éclairer à la lumière d’œuvres cultes son propre roman, le résultat n’est cependant pas pleinement abouti à mon avis.

 

Car, outre ce défaut de construction qui se répète un peu trop souvent à mon goût, il subsiste aussi un autre problème selon moi : l’histoire n’avance pas beaucoup, la fin arrive si vite et sur un dénouement si plat (à un tel point qu’il en devient paradoxalement inattendu !!) qu’on comprend mal après lecture quel était réellement le propos de l’auteure. J’ai eu cette sensation de « tout ça pour ça » quand j’ai compris que le roman s’arrêtait là, ce qui m’a fait terminer le livre sur un sentiment de déception, alors que jusque-là la lecture, fluide, se passait pourtant sans trop de mal. Pour illustrer mon propos, imaginez que la fameuse Justice Society dont le bouquin tire son nom (et qui par son parfum de légende urbaine saupoudrée de traite des blanches, nourrissait pour une grande partie ma curiosité à l’endroit de ce roman) n’est réellement abordée que dans les trente ou quarante dernières pages. Cela indique, pour moi, que si Sasha Grey avait effectivement beaucoup de choses disparates à exprimer dans son premier roman, elle en a du coup un peu trop négligé l’ossature principale de son intrigue, et c’est très certainement sur ce point que son livre est le plus décevant.

 

Il y avait pourtant, et la matière avec les thèmes abordés, et la manière avec son style dépouillé et direct, pour faire de ce premier roman quelque chose de plus convaincant. Je crains cependant que je ne serai pas de ceux qui tenteront de suivre l’auteure qui a, depuis lors, écrit une suite à sa fameuse Juliette Society...

1 Je me permets de dire ça alors que je n’ai pas lu le roman, honte à moi. Je n’ai même pas osé regardé le film, c’est dire.

2 Pffff, oui j’avoue c’est nul.

3 Ouais, moyenne aussi celle-ci.

4 Ah oui, petite précision utile : cette chronique est interdite aux moins de 18 ans !!

5 Et qui de fait, ont dû cesser la lecture de cet article depuis un bon moment déjà.

6 J’ai eu le même ressenti que pour Escort de Mélodie Nelson ou Latex, etc. de Margaux Guyon.

 

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18 mars 2020 3 18 /03 /mars /2020 13:48

La fermeture des écoles, le confinement à la maison, ça nécessite de s’occuper un peu. Et avec le soleil qu’il fait, autant s’affairer un peu à l’extérieur.

Alors les garçons ont décidé de lancer quelques fouilles archéologiques dans le jardin. Et je crois qu’ils ont mis le doigt sur un T-Rex...

Les fouilles archéologiques : un travail d'équipe !

Marteaux, burins, pinceaux... l'équipement est primordial !

Dextérité et finesse sont requises...

Je crois que je suis tombé sur un fémur de T-Rex ! Ou peut-être un os de poulet, je ne sais pas encore...

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16 mars 2020 1 16 /03 /mars /2020 16:03

La lecture de son premier roman, En moins bien, m’avait fait l’effet d’un double crochet gauche-droite en pleine face, me laissant désorienté et hagard après en avoir tourné la dernière page.

Son second roman, Pas mieux, suite directe du premier, m’avait encore bien plus fait valdinguer. Alors que je pensais savoir à quoi m’attendre après ma première lecture, je me suis inexplicablement fait acculer dans les cordes, et en bon sonneur de répliques qui tuent, Arnaud Le Guilcher m’a envoyé au tapis d’un uppercut surpuissant en pleine mâchoire.

Dire que ses deux premiers romans m’ont marqué est donc, vous l’aurez compris, une évidence notoire. Et dès lors, très logiquement, son nom est venu se ranger tout naturellement auprès de ceux qui me font dresser l’oreille (voire plus) à chaque annonce d’une nouveauté à paraître qui les concerne.

 

Est donc arrivé Pile entre deux, le troisième roman, par ordre de parution, d’Arnaud Le Guilcher. Évidemment, je me suis jeté dessus. Évidemment j’y ai retrouvé tout ce que j’avais tant aimé les deux premières fois, à savoir pour synthétiser : tout ce qui caractérise le talent d’écrivain de l’auteur. Et il est gâté de ce point de vue-là l’enfoiré, mais j’y reviendrai. Et comme la première fois, comme la seconde fois aussi, la troisième fois encore il a réussi à me surprendre. Je ne sais pas comment il fait, mais ça fonctionne du tonnerre sur moi. À chaque coup je me fais embarquer, mené par le bout du nez dans des contrées littéraires où le rire et la tendresse s’emmêlent jusqu’à ne plus pouvoir se séparer l’un de l’autre, à chaque fois je me bidonne et à chaque fois je me retrouve à un moment ou un autre avec la larme à l’œil tant les sentiments évoqués par l’auteur trouvent une caisse de résonance en moi…

 

Bon, je vous dresse rapidement le portrait-robot du bouquin.

 

Antoine Derien a 29 ans, il est architecte mais n’a encore jamais rien créé d’autre qu’une entreprise morte-née. Il est marié à Judith, la femme de sa vie, qui a tout pour elle. Belle comme un cœur c’est aussi une surdouée des mathématiques, et elle bosse pour une banque d’affaires qui sait mettre à profit son don pour les chiffres. Ensemble ils ont un petit garçon adorable, Louis.

Lorsqu’un jour, les péripéties s’enchaînent et les choses dérapent. Sérieusement. Alors qu’il visite son père atteint d’Alzheimer, Antoine reçoit un appel au secours de Judith. Elle a eu une altercation avec son boss, qui s’est terminée par une paire de baffes pour le PDG et un renvoi pour elle. Ni une ni deux, Antoine part la récupérer au siège de sa banque à La Défense. Pas seul : sans permis de conduire il réquisitionne Fano, un pote prof de yoga, pour l’y conduire. Les deux compères arrivent juste à temps pour tomber en pleine insurrection. Le pouvoir en place a décidé que maintenant ça suffit, que le monde de la finance a assez fait des siennes et qu’il fallait se débarrasser de tous les traders, financiers, spéculateurs et banquiers de tout poil. Ils se font donc embarquer comme tous ceux qui sont présents dans les locaux de ce haut-lieu de la finance, et sont envoyés sans autre forme de procès sur Midway Atoll, une île du Pacifique perdue à l’autre bout du monde, à quelques encablures du septième continent. Vous savez, celui fait de déchets en plastique qui flottent à la surface de l’océan… Du moins c’est là le sort des hommes, les femmes emprisonnées sont, quant à elles, reléguées à bord d’un tanker, au large de l’île. Antoine et Fano, accompagnés de Wiki dont ils ont fait la connaissance au cours du périple qui les a menés sur leur prison à ciel ouvert, vont se mettre à la recherche d’un moyen de s’évader et de retrouver Judith pendant que sur l’île les autres exilés commencent à reformer un nouvel embryon de société, avec à leur tête l’emblémat(r)ique DSQ (si ,si c’est bien lui, et non, non, DSQ, ça n’est pas une faute de frappe).

 

Bon, là, rien qu’en un paragraphe de résumé du début de l’histoire, c’est déjà riche en événements un peu barrés et en thèmes sous-jacents. Et encore, on est loin du compte, parce que je ne vous ai pas parlé d’Albator l’albatros, celui qui peut communiquer avec les hommes, de l’odyssée d’Arrowhead la bouteille d’eau minérale, de l’homme à la connaissance encyclopédique qui s’exprime comme une page wikipédia, de la Barbie sans tête, de Lothar l’otarie qui s’avère être un phoque, de la bouche et de l’oreille géantes, ni de la cytoscopie filmée en direct.

 

Tout ça est au programme de ce roman. Ah ! Je dis roman, mais en première page, sous le titre, Arnaud Le Guilcher indique en fait « Fable ». Ça m’a d’ailleurs un peu fait peur, parce que je ne suis pas un grand adepte de ce genre littéraire-là. Mais une fable signée Arnaud Le Guilcher, ça ne s’inscrit pas exactement dans le cadre habituel où on l’entend… et en effet, ça ne m’a pas empêché de tomber sous le charme de ce que je lisais.

 

Au tout début de ma lecture, soyons honnête, j’ai douté un peu. J’avais tant encore en tête les aventures du héros du diptyque En moins bien et Pas mieux que je regrettais de ne pas le retrouver dans une nouvelle suite. Et puis j’ai retrouvé en Antoine Derien, le personnage principal de Pile entre deux, l’ADN du héros Le Guilchien, le cousin pas si éloigné du père de Commmoi, le type gentil et plein de bonne volonté, un peu loser, un peu poissard, que l’état d’impuissance n’empêche pas d’agir, un type à l’humour parfois féroce mais toujours tendre, un type qui saupoudre de brins d’extravagance sa banale normalité. En bref, j’ai retrouvé tout ce qui m’avait tant plu dans les précédents romans, un héros profondément humain, drôle et un poil mélancolique.

 

C’est je crois (en fait j’en suis même sûr, parce que s’il ne s’agit que du troisième roman d’Arnaud Le Guilcher que je chronique ici, j’ai aussi déjà lu les trois suivants parus à ce jour, qui finiront bien tôt ou tard par poindre le bout de leurs pages sur ce blog) la caractéristique principale de l’écriture d’Arnaud Le Guilcher. Il nous fait marrer. Vraiment beaucoup. Et puis au détour d’une phrase, il nous émeut. Vraiment beaucoup. Et ça, bordel, sur moi ça fonctionne méchamment bien.

 

Pour illustrer ce que je viens de dire, je vais juste poser ici quelques-unes de ses lignes, et puis vous jugerez par vous-mêmes l’effet qu’elles vous feront.

 

La 4ème de couv pour commencer :

 

« L’avion s'est immédiatement mis en branle. Il a pris son élan sur la piste, puis a décollé en nous abandonnant au milieu de nulle part… Comme des clampins, on était plantés là, dans cet environnement inconnu, où on se sentait aussi à l'aise qu’un bus de culs-de-jatte égaré au mondial de la godasse. »

 

 

L’introduction (si j’ose dire) à la scène (anthologique) de la cytoscopie :

 

« Ami lecteur mâle, sache que si un jour, ça t’arrive, l’anesthésie de la bite se fait avec une noisette de gel sur le bout du bidule et que c’est tout. Une noisette et terminé. La jeune femme me badigeonne le gland en me regardant dans les yeux. Je me demande si après, je dois l’inviter au resto, vu que d’habitude, quand les filles me font ça, c’est qu’avant, on a bien cassé la croûte. Le professeur m'annonce que pour savoir précisément où se trouve le caillou, ils vont préalablement m'introduire une caméra dans le sexe. Je dis halte là. Je dis stop. Je dis que moi vivant, personne n'ira filmer dans ma bite, que la plaisanterie a trop duré et que j'exige de parler à mon avocat, ou à défaut au caméraman. Ils sont pliés en quatre, les deux cons. La jeune fille me montre un câble du diamètre d’un Bic et me dit que la caméra ce n’est que ça. Que ça. Que ça… Pardon, mais sans sous-estimer la taille de mon engin, un Bic dedans, je vois pas bien comment ça passe. Elle me dit de respirer fort et que l’opération commence. »

 

 

La douleur d’un fils…

 

« Je dis à Fano que mon père est mort et je ne réalise pas. Pour moi, il est parti, il y a longtemps déjà. Pour un homme qui a consacré sa vie à la mémoire des peuples, perdre la sienne, c’était déjà mourir.
Je pense : « La vie continue. »
« La vie continue », c’est pas le genre de connerie qu’on dit quand elle s’arrête ?
Avec mon pote, on est assis par terre, côte à côte, et on regarde le vide. Je mesure que mon père fait désormais partie de cette immensité creuse.
Mon père est mort…
Mort…
En acceptant cette idée, mon âme se fend de bas en haut. Je suis tranché par la moitié en deux parts égales.
Cœur tranché. Cerveau, ventre, tranchés… Bras. Jambes. Torse… Dans ce néant apparu au milieu de mon corps, se cache l’amour que je n’ai jamais osé lui porter. Se cachent aussi des fleuves de chagrin que je me surprends à laisser couler sur mes joues. Mon père vivait au creux de moi. Il suffisait que sa disparition me pulvérise pour qu’il en jaillisse. »

 

 

La description du personnage de Donatien Saint-Quentin, le fameux DSQ :

 

« On lui promettait un avenir présidentiel.
L’avenir n’a pas voulu de lui.
Unanimement reconnu pour la pertinence de ses analyses, on ne lui connaissait qu’un inconvénient : nul n’avait trouvé à ce jour un moyen de lui péter le frein. Partouzard émérite, goleador de la braguette, propriétaire de dix-huit coffres planqués à la banque du sperme, il avait la réputation de tomber dans le panneau, dès lors que le panneau sentait un peu le tourteau... 
»

 

 

À l’invitation de Fano, prof de yoga :

 

« Les tatamis de mes amis sont mes tatamis. »

 

 

Et quand la mélancolie gagne :

 

« On lutte toute sa vie contre la mélancolie et puis un jour elle finit par gagner. Je suis secoué par une crise de sanglots et je n’ai aucune envie de la contenir.
À quoi bon ? Pour qui porter un masque ?
Je n’ai pas enterré mon père, je ne me souviens pas des funérailles de ma mère. Je suis un orphelin. Je suis papa. Je suis un type tout juste bon à dire adieu n’importe comment à ses proches ou à vivre séparé de ses amours.
Je suis encerclé par mes fantômes.
Cette vie est mon tombeau.
Qui fermera mon couvercle ? 
»

 

 

Voilà, j’arrête là les citations parce qu’en vrai, j’en ai encore des tonneaux à déverser sinon.

Normalement, ça devrait suffire à vous donner une bonne idée du contenu de ce livre. Et normalement aussi, si dans la vraie vie on se connaît et qu’on s’apprécie, ça devrait vous suffire pour, comme moi, vous jeter sur Pile entre deux. Comme sur tout ce qui a été édité et signé par Arnaud Le Guilcher.

Ou alors ça voudrait dire que j’ai des gros lourdauds insensibles parmi mes amis. Ce qui n’est évidemment pas envisageable.

 

En un mot comme en cent : lisez Pile entre deux !!!

 

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14 mars 2020 6 14 /03 /mars /2020 17:22

Le CoVid-19 fait des siennes, et par chez nous les écoles sont fermées depuis une semaine complète déjà. Alors il faut trouver de quoi occuper les gamins, et rester enfermés toute la journée n’est pas toujours la solution la plus agréable. Aussi comme ce vendredi il a fait un soleil vraiment éclatant et que le ciel bleu incitait à prendre l’air, les garçons et moi avons fait une sortie au zoo de Mulhouse. Bien nous en a pris, il y avait très peu de monde et la journée a été très agréable.

 

Peu enclins aux réunions évangélistes, les locataires du parc zoologique de Mulhouse semblaient en pleine forme ! Nous avons passé un long temps à observer les otaries en train de nager avec toute la grâce qui leur manque sur la terre ferme. Nous avons craqué sur la colonie de suricates aussi mignons que marrants. Nous avons adoré découvrir les tatous et leur manière à la fois nerveuse et délicate d’avoir la bougeotte. Et nous avons fini la journée en disant au revoir à Nanuq, l’ourse polaire née il y a trois ans à Mulhouse et qui va bientôt partir pour le zoo de la Flèche.

 

Et puis nous avons croisé au cours de notre balade rien de moins que DiCaprio en personne.

Avec ses grands yeux bleus il est un peu timide mais très joueur, il aime bien tirer sur la queue de ses amis. Et s’il est venu tout droit des États-Unis ça n’est pas par hasard, c’est pour disséminer ses gènes en Europe.

Ah oui : DiCaprio est un lémur aux yeux turquoise.

DiCaprio, le charmeur aux yeux bleus

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9 mars 2020 1 09 /03 /mars /2020 14:47

Ouvrage récréatif, On ne meurt qu’une fois et c’est pour si longtemps de Patrick Pelloux se lit vite et facilement. Le style est simple, direct, plaisant, précis. L’humour n’est jamais très loin, malgré un thème qui ne prête pas forcément à rire. En effet, le célèbre médecin-urgentiste qui se sera fait connaître comme lanceur d’alerte lors de la fameuse canicule de l’été 2003 (alors qu’en 2019 on en aura eu deux avant même d’atteindre le mois d’août et que l’hiver 2020 s’annonce comme l’un des plus doux qu’on ait connu…), avant de devenir un habitué des plateaux télévisés et un chroniqueur de poids dans les pages de Charlie Hebdo (dont sont tirées les chroniques qui forment les différents chapitres du livre), aborde un sujet intéressant : la mort des grands hommes à travers les âges. Mais avec l’œil non pas de l’historien, mais du médecin.

 

Que ce soit Jésus, Louis XIV, Marie Curie, Balzac ou Churchill, Patrick Pelloux évoque aussi bien des rois, des écrivains, des artistes, des politiques ou mêmes d’illustres inconnus comme les soldats du débarquement en Normandie par exemple. On a droit aux différents symptômes des maladies dont souffrent ces grands noms de l’histoire, mais aussi aux souffrances expliquées par le menu, qu’ils endurent souvent par la faute de leurs médecins et de leurs traitements parfois totalement à côté de la plaque. Pendant longtemps les saignées et lavements pratiqués à l’excès par les médecins auront eu raison des malades que la maladie n’arrivait pas à tuer. La pratique de la médecine a énormément évolué avec le temps, et s’il est une chose de sûre c’est que vous refermerez ce livre en vous félicitant d’être nés dans la période actuelle !!

 

Ce qui est plaisant avec ce livre c’est qu’on apprend sans se forcer, on s’instruit sans s’en rendre compte. Oui le ton est léger, oui on est souvent plus dans l’anecdote qu’autre chose, mais aborder l’Histoire par les petites histoires n’est pas forcément une mauvaise approche pour ceux qui se pensent allergiques aux dates et à la frise historique des rois de France.

 

Et mine de rien on cultive notre culture générale au passage, Patrick Pelloux fait la lumière sur certains personnages célèbres ou certains événements qu’on croit connaître mais dont on n’a en fait qu’une vague idée. Je pense en ce qui me concerne à Molière (c’est d’ailleurs à lui que l’urgentiste a emprunté le titre de son livre) au sujet duquel la légende veut qu’il soit mort sur scène, alors que non pas du tout, il est mort plus tard en soirée bien après la dernière représentation qu’il a donnée. Je pense à la description de la mort du petit père du peuple, Joseph Staline, gisant pendant vingt heures au sol après son AVC, personne n’osant le déranger, aucun médecin ne voulant prendre le risque d’être accusé de l’avoir rendu malade (le fameux procès qui suivit le supposé complot des blouses blanches, initié par le régime stalinien, avait laissé des traces…). Son agonie dura trois jours, une fin teintée de l’ironie du sort… Je pense à la bataille de Waterloo restée célèbre dans la mémoire collective mais dont les détails m’étaient totalement inconnus : 40 000 hommes et 10 000 chevaux y moururent, et dans quelles atroces conditions, pendant qu’en retrait de la bataille, l’empereur Napoléon était le cul sur une bassine, à combattre une violente crise d’hémorroïdes… Je pense au régime de Vichy qui imposa un régime alimentaire famélique aux pensionnaires des Hôpitaux Psychiatriques français (500 calories par jour !!) ce qui entraîna la mort de l’artiste Camille Claudel qui avait été injustement internée par son frère… Je pense aux tortures et à la mise à mort du régicide Ravaillac, deux heures de supplice indicible au terme desquelles des spectateurs partirent avec des lambeaux de son corps en souvenir…

 

Bref il y en a comme ça un certain nombre, et parfois des cas pas très ragoûtants (des vers de trente centimètres qui sortaient par paquet de la bouche et de l’anus, ça vous parle ? C’est ainsi que Louis XIII a fini le côlon percé par ces charmants parasites…). Patrick Pelloux nous embarque à travers les âges et il nous apprend aussi par exemple que les médecins et les chirurgiens formaient deux corporations qui ne faisaient pas bon ménage, aussi étonnant que ça puisse paraître de nos jours…

 

Un livre qui se lit très vite donc et qui renferme son lot de petites informations intéressantes. Comme il s’agit d’un recueil de chroniques, il vaut peut-être mieux ne pas tout lire à l’affilée, ne serait-ce que pour éviter les redondances dans les descriptions ou les tournures de phrases qui passent inaperçues dans des papiers qui paraissent hebdomadairement, mais sautent aux yeux dans un recueil. Outre ce léger défaut, inhérent à la forme d’origine du matériau publié, l’ensemble reste d’une lecture vive et agréable.

 

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29 février 2020 6 29 /02 /février /2020 08:16

Il y a les films qui misent tout sur l’action, d’autres sur l’ambiance, d’autres encore sur de belles histoires et les émotions qu’elles procurent. Et puis il y a les films qui mettent d’abord en avant leurs personnages. Lucky est de ceux-là. Lucky c’est Harry Dean Stanton. L’acteur américain a une filmographie longue comme le bras, ayant commencé à tourner dans les années 1950. Et s’il cumule de très nombreux seconds rôles, il peut se targuer d’avoir tourné pour les meilleurs réalisateurs. Jugez plutôt : Sam Peckinpah, John Milius, Francis Ford Coppola, Ridley Scott, John Huston, John Carpenter, Robert Altman, Bertrand Tavernier, Martin Scorsese, David Lynch, Frank Darabont… excusez du peu ! C’est Wim Wenders qui lui apporte son heure de gloire quand il lui confie en 1984 le rôle principal de son film Paris, Texas, Palme d’or au Festival de Cannes.

Un café, des mots croisés, l'esprit vif : Lucky.

Largement inspiré d’éléments biographiques de la vie de Harry Dean Stanton, ainsi que de sa personnalité, le film nous propose de suivre le quotidien immuable de Lucky, un vieil homme de 90 ans, qui vit seul dans une bicoque isolée, dans une petite ville perdue au milieu d’un désert indéterminé, quelque part au fin fond des States. Chaque matin au réveil c’est un verre de lait, la toilette et des mouvements de gymnastique avant de partir à pied prendre son café au diner où il a ses habitudes. C’est là qu’il fait ses mots croisés tout en jouant le faux misanthrope. Puis vient l’heure de passer à l’épicerie se ravitailler en cigarettes et en lait, et échanger au passage quelques mots en espagnol avec l’épicière. Le soir, après les jeux télévisés façon Questions pour un champion, il rejoint les habitués du bar local pour y siroter son Bloody Mary en compagnie d’Howard (David Lynch), son ami. Chaque jour suit cette trame, réglé comme une horloge.

Lucky et Howard : où est passé Président Roosevelt ?

Alors quand Président Roosevelt, la tortue terrestre* d’Howard se fait la malle, laissant son propriétaire inconsolable, cela suffit à créer l’événement dans l’existence figée de Lucky. Ah, il y a aussi ce matin où pris d’un malaise, Lucky s’effondre dans sa cuisine… Le temps passe et le corps vieillit, mais l’esprit de Lucky reste vif. Clair. Il n’est pas du genre à apprécier les discussions oiseuses autour des banalités sur le temps qu’il fait, mais préfère philosopher sur le sens de la vie, ou se remémorer de vieux souvenirs marquants, qui de sa jeunesse dans le Kentucky, qui de son engagement dans la Marine pendant la seconde guerre mondiale dans le Pacifique, à chercher des réponses au grand vide qu’il suspecte après la mort.

Lucky a peur de la mort...

Lucky n’est pas religieux, il ne croit pas en l’âme. L’heure de tirer sa révérence approche et il le sait, mais Lucky n’en a pas fini avec la vie ! Et du haut de ses 90 ans passés, alors que son médecin lui affirme qu’il a une santé de fer et hors norme pour une personne de son âge, Lucky ne peut s’empêcher d’avoir peur. Peur de cesser d’exister. Quand on le questionne sur le comportement à avoir devant une existence qui n’a ni sens ni but, sa réponse est cependant évidente et lumineuse : « You smile »...

« You smile »

Dernier film de Harry Dean Stanton (le film est sorti en mars 2017, l’acteur est décédé en septembre 2017), le premier long métrage de John Carroll Lynch (aucun rapport avec David) devient de fait un film-testament. Un film hommage également, puisqu’à travers son personnage, il est entièrement centré sur son interprète. Ayant toujours apporté une touche de réalisme puissant de par son jeu dans tous les films auxquels il aura participé, l’effet est encore décuplé dans Lucky où l’on ne fait plus vraiment la différence entre le héros et le comédien.

Lucky est Harry et Harry est Lucky.

Lucky et sa routine du matin

D’ailleurs ce surnom de Lucky, c’est celui qu’on lui avait donné pendant la guerre de 39-45, parce que son poste de cuistot dans la Navy lui permettait de rester en partie à l’abri des combats. C’est une anecdote qu’il insère dans le film, lors d’une discussion entre vétérans, avec Fred (Tom Skerritt). C’est ainsi l’occasion de voir réunis à l’écran près de 40 ans plus tard, deux des acteurs d’Alien, le huitième passager** de Ridley Scott.

Lucky / Harry et Fred / Tom Skerritt, entre vétérans (de la guerre et du Nostromo)

Lucky fait également preuve de son goût pour la musique en chantant avec un groupe de mariachis, et en jouant quelques notes en solitaire avec son harmonica. Référence au passé de musicien country de Harry (il a joué avec Bob Dylan, Art Garfunkel ou Kris Kristofferson). Et cette phrase lancée par Lucky comme une private joke chaque matin au patron du diner, « You are nothing », était une phrase que Harry affectionnait tout particulièrement.

Oui, Harry est Lucky, et Lucky est Harry. Définitivement.

Lucky / Harry et les mariachis, entre musiciens.

Le film prend donc ainsi l’aspect d’un adieu poignant au comédien. Car s’il ne se passe pas grand-chose dans ce film, on y parle pourtant de l’essentiel. De la vie. Du sens de l’existence. Des souvenirs et de l’oubli. Tout comme son interprète, Lucky fait preuve d’une touchante et sincère humanité. Tout comme son personnage, Harry fait montre d’une force et d’une sérénité limpides malgré la peur de la mort. Il n’y a rien de palpitant dans ce film, si ce n’est le cœur vaillant et les yeux brillants d’Harry Dean Stanton. Et il n’en faut pas plus pour faire de Lucky une belle expérience de cinéma.

* J’ai appris grâce à ce film la distinction faite en anglais entre « turtle » qui désigne les tortues marines et « tortoise » qui désigne les tortues terrestres !!

 

** À propos de clin d’œil au film Alien, c’est Harry Dean Stanton qu’on voit en gardien éberlué dans Avengers, qui voit un Hulk tomber du ciel et s’écraser sur son entrepôt avant de demander à Mark Ruffalo « Are you an Alien ?»

L'affiche du film

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24 février 2020 1 24 /02 /février /2020 08:15

Parmi les différentes manières que j’ai de choisir mes lectures et que j’ai déjà eu l’occasion d’expliquer ici, il y a cette autre voie qui s’impose parfois à moi, et qui me met entre les mains des ouvrages, pour le pire comme pour le meilleur, qui sans cela n’y seraient peut-être jamais parvenus. Cette autre voie a un nom : Patrick. Mon pote Patrick est un lecteur et passeur de livres… comment dire… unique en son genre. Alors quand il est venu me voir en me filant La triste histoire des frères Grossbart de Jesse Bullington, il s’est contenté de commenter d’un « tu verras, c’est assez couillu » avant de partir en ricanant.

 

En effet Patrick, ce roman est plutôt sévèrement membré, c’est le moins qu’on puisse dire. De toute façon je m’y attendais, vu que tu n’es pas un adepte des trucs tiédasses. M’en vais donc vous entretenir de quoi ça cause pour la peine.

 

Nous sommes en 1364, dans les contrées de l’Allemagne médiévale. Hegel et Manfried Grossbart sont frères jumeaux et inséparables, ils pratiquent donc le même métier, en équipe : pilleurs de tombes. C’est du reste une tradition familiale chez les Grossbart. Affreux, sales et méchants : c’est là une description succincte qui leur correspond plutôt bien, mais à laquelle il conviendrait d’ajouter : viles, grossiers, bêtes, colériques, meurtriers, cupides, violents, orduriers, égoïstes, crasseux et j’en passe… Les deux frangins décident un jour de partir sur les traces de leur grand-père, qui d’après ce qu’on raconte aurait fait fortune en Égypte. Pensez donc : avec toutes ces tombes qu’ils ont là-bas ! Leur décision est prise : « en route pour la Gypte ! » lancent-ils, non sans avoir au préalable réglé un léger problème de voisinage qui se soldera par le massacre en bonne et due forme d’une famille de fermiers. Ce qui leur vaudra d’ailleurs d’être pourchassés tout du long de leur périple par le seul survivant bien décidé à se venger. Mais le chemin des deux frères va être long, et semé d’embûches car en ces temps-là, bien des créatures étranges et maléfiques hantent les campagnes et les forêts… mais aucune qui ne saurait rivaliser avec la sauvagerie des frères Grossbart !!

 

Voilà pour le décor, il est bien planté. Je reviens rapidement sur les personnages, qu’on ne pourra décemment pas qualifier de « héros » de l’histoire. Hegel et Manfried sont vraiment des ordures de la pire espèce, et si ce n’est quelques dialogues bien sentis (car ces deux-là sont plutôt du genre bavards) vous ne trouverez absolument rien dans cette histoire qui puisse les dépeindre sous un jour sympathique ou attachant. Ils sont haïssables au plus au point, et ça semble parfaitement leur convenir d’ailleurs. Pour autant, eux se considèrent comme de bonnes personnes. Pas leur faute si on vient sans cesse leur chercher des noises. Mais pas question par contre de se laisser faire, ça non. Ça fait partie de leurs convictions profondes d’ailleurs, et alors qu’ils sont de grands adorateurs de la Sainte Vierge (« louée soye la vierge ! ») ils n’ont que mépris pour sa fiotte de rejeton. Jugez-en par vous-même au travers de ce court passage :

 

[…] Les frères étaient pris par une discussion à bâtons rompus sur Marie et Sa lopette de fils. Hegel semblait incapable de comprendre comment une demoiselle aussi merveilleuse avait pu engendrer un marmot aussi pusillanime.
- C’est pourtant simple, théorisa Manfried. Après tout, M’man était une souillon de putain, mais nous, on est comme qui dirait immaculés.
- Tu causes vrai, admit Hegel, mais c’est régulier que de jolis drageons sortent d’un cul merdeux, donc c’est pas autant une anomalie que si une dame précieuse et honnête mettait bas un capon plutôt qu’un héros.
- N’empêche qu’il a morflé, le bougre, et sans jérémiader.
- Et pis après ? Rien faire alors qu’on te cloue sur une croix, ça paraît pas très probe. Il aurait pu au moins leur filer un petit coup de pied, rien qu’un, juste pour dire.
- Ça je remets pas en cause.
- Seulement passque t’oses pas, corniaud contrarieur. Chuis sûr que tu voudrais dire qu’il s’est montré bien hardi en les laissant le torturer à mort, mais on sait tous les deux que c’est des enculetteries. [...]

 

 

Voyez ? C’est ça les frères Grossbart. Du début à la fin du roman d’ailleurs. Oui, en effet, c’est un langage un poil fleuri. Quelque peu outrancier même par moment. Et encore, je vous laisse découvrir par vous-même si le cœur vous en dit l’échange grossbartien qui traite de cette bonne ville d’Enkuleburg dont je vous laisse deviner le nom des habitants. M’en direz des nouvelles. Mais ça n’est certainement pas moi qui la déplorerai cette liberté stylistique. Je suis même plutôt du genre à apprécier ce genre de débordements langagiers quand c’est bien fait et à propos. Soit dit en passant, ça a dû être un taf énorme pour le traducteur qui s’est certainement arraché les cheveux à l’une ou l’autre reprise. D’aucuns, parmi lesquels en premier lieu la quatrième de couverture, parleraient de contenu rabelaisien dans l’expression. Pas dénuée de sens comme analogie. Mais un Rabelais qui aurait bouffé du Bigard à haute dose alors.

 

Bon je reprends. Des personnages complètement horribles. Ça charcle pour un oui pour un non. Ça parle mal. Ça se coltine avec tout un bestiaire mythologique qui va de la sorcière décharnée jusqu’à la manticore assoiffée de sang, en passant par les sirènes et les loups-garous. On y croise même Satan personnifié dans la peau d’un porc. Quant à la Peste Noire, elle fait carrément partie du quotidien. Tout ce petit monde s’invective, se met sur la gueule, et donne lieu à des scènes tantôt répugnantes, tantôt gratuitement méchantes, tantôt gores, tantôt cyniquement drôles, tantôt tout à la fois.

Autrement dit, ce bouquin avait tout pour me plaire*.

 

Et pourtant...

Et pourtant, le sentiment qui aura prédominé durant toute ma lecture, et aura d’ailleurs participé à la rendre plus laborieuse que plaisante, c’est l’ennui.

Malgré les outrances, malgré les délires, malgré les idées originales et pour ma part jamais croisées au détour des pages d’un roman, je me suis ennuyé plus souvent qu’à mon tour. Le récit est étrangement plat, la narration linéaire et sans réelle surprise (ou du moins on voit tout venir, même ce qui aurait pu créer potentiellement la surprise, de loin). C’est longuet, c’est bavard, c’est répétitif, ça manque cruellement d’enjeu et parfois c’est même brouillon quand il s’agit de passer aux scènes d’action et de bagarre. Au point que ce décalage entre le sujet original, les personnages qui dépotent, et le résultat final crée une grosse frustration, et n’ayons pas peur des mots : de la vraie déception.

 

C’est vrai que ce bouquin ne ressemble à aucun autre. C’est vrai que ce que vous y lirez, vous ne l’aurez jamais lu auparavant. Malheureusement cette originalité ne m’a pas suffi. L’expérience est étonnante, mais très vite lassante. Mais Patrick ne m’avait pas menti : « c’est couillu ».

Mention spéciale au passage à la couverture : de toute beauté !

* déduisez-en à mon sujet ce que bon vous semblera...

 

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20 février 2020 4 20 /02 /février /2020 08:23

 

Je le connais depuis toujours, sans pourtant savoir qui il est.

Aussi loin que remontent mes souvenirs, tout gosse déjà quand ma maman m’emmenait avec elle tous les mercredis à Mulhouse, il était là.

 

Guitare en bandoulière, dans la rue du Sauvage, il chante. Été ou hiver, par canicule ou par grand froid, il gratte les cordes de son instrument, son étui ouvert devant lui pour y accueillir les pièces des passants.

 

Au cours des années, bien des magasins ont fermé leurs portes, bien des franchises ont fait faillite et laissé place à d’autres marques, mais lui est toujours là. Au pire il change d’emplacement, il passe du côté pair au côté impair. Mais il fait partie du paysage depuis le temps. Plus de trente, presque quarante ans que je le croise, que je le vois, que je l’entends quand je passe par la rue piétonne du centre de Mulhouse.

 

Même les matins gris d’hiver il joue, quand l’air froid vous pique et que votre respiration laisse un léger panache de vapeur à chaque expiration. Je ne sais pas comment il fait pour que ses doigts ne soient pas cisaillés par les cordes glacées de son instrument, pour que sa voix reste claire.

 

Je ne l’ai jamais entendu chanter une chanson que je connaisse, seulement ses chansons à lui, peut-être ses créations. Et c’est toujours sa voix, forte, qu’on perçoit en premier, avant le son de sa guitare. Quarante années qu’il chante pour les gens qui passent. Quarante ans de quasi-invisibilité, à interpréter des chansons qu’il est le seul à connaître.

 

Il a les cheveux blancs à présent. Et il porte des lunettes aussi maintenant. Mais la voix n’a pas changé. La guitare semble être restée la même également.

 

C’est comme s’il avait toujours été là. Et qu’il le restera à jamais. Il y a comme ça des gens qu’on croise depuis des années, au point qu’ils ont toujours fait partie, de loin en loin, de notre existence.

 

Sans sa présence, la rue du Sauvage ne serait pas exactement la même.

 

Et dire que je ne me suis pourtant jamais arrêté pour lui demander son nom.

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