Il y a de cela bien longtemps… je vous ai parlé ici-même du roman En moins bien d’Arnaud Le Guilcher. Et ceux qui ont bonne mémoire s’en souviendront peut-être, j’en disais le plus grand bien.
Voici sa suite, Pas mieux, évidemment du même auteur.
L’histoire reprend 15 ans après le premier roman. Le narrateur, dont on ne connaîtra décidément jamais le nom, a mis un peu d’ordre dans sa vie. Du moins, il s’est sorti comme il a pu de la situation catastrophique dans laquelle il avait été plongé 15 ans auparavant. Attention hein, c’est pas la grosse déconne tous les jours : aujourd’hui quarantenaire il bosse (il a repris la blanchisserie des Kurosawa), il a arrêté la picole et il a pris un chien. En revanche son clébard, Prosper, bouledogue anglais de son état, a pris la relève côté bibine puisque la bestiole est authentiquement alcoolique. De l’aveu du héros lui-même, il est devenu le « locataire de son existence ». Autrement dit, s’il n’est plus dans la détresse où l’avait laissé l’épisode Sandpiper, sa vie lui semble bien morne. Rangée, mais morne.
Le soir de Noël, alors qu’il s’apprête à fêter le réveillon en compagnie de son pote Richard, de Mme Kurosawa et de son neveu Takeshi, deux invités inattendus s’invitent à la fête : Emma est de retour ! Et elle ne revient pas seule, puisque le héros découvre qu’il est le père d’un ado de 15 ans, qui fait pas loin du double-mètre et est fringué en gothique. Le môme se prénomme comme le père : Commmoi. Ingérable mais pas la moitié d’un con : visiblement le gamin a hérité de l’amour de l’écriture de son père, le talent en plus. Emma quant à elle cache visiblement quelque chose, que notre héros va s’empresser de découvrir… De péripéties en rebondissements, toute notre clique va se retrouver sur les routes direction New-York pour des aventures « bigger than life ».
Je ne vais pas m’aventurer plus longtemps à résumer ce roman. Pas mieux n’est pas un livre qu’on résume, c’est un bouquin qu’on dévore, dont on se délecte de bout en bout, et moins on en sait avant, mieux c’est quand on le découvre en lisant !
J’avais adoré En moins bien, et j’avoue que je craignais un petit coup de « moins bien » justement pour la suite. Ne serait-ce que parce que l’effet de surprise n’était plus là. N’était plus là… pensais-je ! Car en fait, ce roman est comme un calendrier de l’avent dont chaque chapitre correspond à une nouvelle friandise. Mais pas n’importe lesquelles de friandises : totalement inattendues et parfaitement hilarantes. La surprise reste complète car on ne sait jamais où Arnaud Le Guilcher va nous emmener. Mais ce que je peux vous dire c’est qu’on passe de délires en délires² (oui, au carré), de situations burlesques en rencontres improbables. À ce titre, le duo de personnages secondaires Aron et Joseph va vous laisser sur le cul.
J’ai réalisé en cours de lecture que Pas mieux, loin de tomber dans le piège de la suite un peu poussive et forcément moins pertinente que le roman original, est en fait encore plus balèze que le premier opus. Genre le précédent était une mise en bouche et là on passe la seconde et on arrive au rythme de croisière… alors autant vous accrocher parce que le père Le Guilcher, il dépote sur ce coup-là.
C’est vraiment écrit avec une verve que moi j’adore. Impertinent, furieusement drôle, plein de la gouaille qu’on aime dans les dialogues d’un Michel Audiard par exemple, mais en même temps moderne et blindé de références culturelles auxquelles un type de ma génération ne peut pas rester insensible. C’est déjanté, c’est désenchanté, c’est absurde, c’est profond, c’est désopilant, c’est dramatique, c’est malin, c’est jubilatoire… en un mot, c’est virtuose.
Vous voulez savoir pourquoi Barack Obama a été obligé de démissionner de la Maison Blanche ? Vous voulez pisser dans une tête de rhinocéros en compagnie de Brad Pitt ? Manger un carpaccio de panda ou une friture de langues de tortues luth ? Vous faire analyser par un psychiatre atteint du syndrome de la Tourette ? Eh bien ça fait partie, entre bien d’autres choses, de ce que notre héros va expérimenter dans ce roman...
Car de l’humour, vous en aurez par paquet de douze, et de la qualité s’il-vous-plaît. Mais justement c’est là que Arnaud Le Guilcher est très, très fort : à l’humour noir, corrosif, cynique, il associe la tendresse, le spleen, la nostalgie, la mélancolie, le sentiment vrai et profond. Et ça, sur moi ça fonctionne du tonnerre. Combo gagnant.
Tant et si bien que Pas mieux entre dans cette catégorie très spéciale de romans qu’on a une envie folle de dévorer mais qu’on se force à lire lentement quand même, pour faire un peu durer le plaisir. Vous savez, ces bouquins qui ont ce curieux pouvoir : vous filer la patate à chaque page sauf à la dernière, celle qui vous fait vous sentir un peu orphelin quand vous la tournez.
Alors bien sûr je ne peux que vous conseiller la lecture de Pas mieux (et de En moins bien avant lui). Avec ce second roman, Arnaud Le Guilcher persiste, signe et enfonce définitivement le clou. J’adorerais écrire comme ce type-là, mais bordel je crois bien qu’il le fera toujours mieux.