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22 juin 2020 1 22 /06 /juin /2020 19:22

Il paraît que l'âge c'est dans la tête. Z'en causerez à Buck Schatz, il risque de ne pas être aussi affirmatif que cela. Buck Schatz a 87 ans, et il coule des jours tranquilles d'une retraite bien méritée à Memphis, Tennessee. Buck Schatz est une légende de la police locale. Pour tout dire, c'est lui qui a inspiré le personnage de l'inspecteur Harry, incarné au cinéma par Clint Eastwood. C'est dire si Buck est un dur. Un bonhomme, à l'ancienne. Ce n'est pas parce que le corps ne suit plus toujours et que la mémoire a parfois des ratées que le caractère a changé. Rose, son épouse qui le supporte depuis 64 ans de mariage, est bien placée pour le savoir. Alors quand Buck apprend que celui qui l'a torturé dans les camps allemands de la seconde guerre mondiale, Heinrich Ziegler, n'est pas mort comme il l'avait cru si longtemps, et qu'en plus de cela il se serait enfui avec un magot en lingots d'or, la décision de Buck est très vite prise. Il va ressortir son .357 Magnum et retrouver ce fumier. Complètement déconnecté du monde actuel et de la technologie moderne, Buck a cependant conservé ce qui lui a toujours servi au cours de sa carrière de flic : un instinct de limier et des méthodes musclées. Bon, pour les muscles, il aura juste un peu besoin de l'aide de son petit-fils Tequila. Tequila ? C'est comme ça qu'il a surnommé le gamin, qu'il aime bien taquiner. Ou alors il a juste du mal à se souvenir de son prénom...

 

Voilà grosso-modo le début de l'intrigue de Ne deviens jamais vieux ! de Daniel Friedman, un mélange détonnant de polar et d'humour bien trempé. Et les amis, j'aime autant vous dire que dans le genre c'est très réussi !

Sur le fond pas grand-chose d'inédit : un flic bourrin, une chasse-à-l'homme, un trésor de guerre, une vengeance, un Magnum 357. Mais sur la forme il y a une bonne dose d'originalité. Faire du héros principal un octogénaire irascible déjà j'aime, mais en plus ça fonctionne carrément du tonnerre. Le récit à la première personne aidant, on ne peut s'empêcher de s'attacher à ce personnage hors-normes. Daniel Friedman nous fait plonger dans l'esprit de Buck, on se retrouve dans la caboche de cette vieille tête de mule et on suit ses raisonnements d'un autre âge ainsi que ses réflexions pas du tout dans l'air du temps. Car s'il a perdu en force et en vigueur, la répartie cinglante, l'humour à froid et le cynisme carburent toujours à fond chez Buck. Et c'est une des parties les plus réussies du roman : le ton trouvé par Daniel Friedman est véritablement unique et irrésistible. Il fait de ce vieux grincheux de Buck un personnage surprenant et plus profond qu'on ne pourrait le prendre au premier degré. Il plane sur lui un parfum de nostalgie qui ne dit jamais son nom, certainement parce que ces générations-là avaient en eux une pudeur exacerbée qui leur interdisait de s'épancher sur ce genre de sentiments. C'est d'ailleurs tout à fait évident quand il aborde le sujet de son fils, décédé prématurément. Peut-être est-ce même cette disparition qui l'aura définitivement figé dans le temps, ne laissant que son corps subir l'influence du temps qui passe, sa personnalité restant à jamais dans l'état d'esprit des années 1970...

 

Sûr de lui quand il affirme quelque chose, archétype de l'insoumission à la connerie ambiante et à la tyrannie des temps modernes, infatigable râleur, provocateur à ses heures, pratiquant un réalisme cynique qui pointe toujours là où ça gratte le plus, parfaitement conscient de ses limites physiques mais refusant obstinément de s'avouer vaincu pour si peu, amoureux et protecteur avec son épouse, l'octogénaire Buck Schatz est un personnage comme on n'en croise pas souvent. Et c'est sur lui que repose tout le succès de ce roman : un héros à l'hiver de sa vie qui marque les esprits et qui ne laisse personne indifférent.

 

J'ajoute parce que je trouve que ça mérite d'être noté : il s'agit du premier roman de son auteur, et pour une première c'est vraiment prometteur. Ah, et une ultime précision : Daniel Friedman explique dans un petit texte en fin du bouquin que son héros lui a été inspiré en partie par son propre grand-père auquel il voulait rendre hommage à sa manière.

 

Un très chouette roman que ce Ne deviens jamais vieux ! Lecture vivement conseillée.

 

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18 juin 2020 4 18 /06 /juin /2020 06:11

Aujourd'hui j'ai envie de vous parler d'un album coup de cœur, un album de bande dessinée qui est consacré à un acteur de légende, à l'un des plus charismatiques comédiens du cinéma français de tous les temps : Lino Ventura. Amusant d'ailleurs de noter qu'il était de nationalité italienne. Le destin avait certainement décidé dès sa naissance que c'est en France qu'il connaîtrait ses plus grands succès et bâtirait l'essentiel de sa carrière, puisque c'est un 14 juillet qu'il est né, en 1919, à Parme.

 

Je conçois que les jeunes générations n'ont pas beaucoup de souvenirs de cet acteur pourtant incontournable (il est mort en 1987), et je constate par la même occasion qu'il devient chaque jour plus évident que je me fais vieux. Car Lino Ventura, pour moi, c'est tout sauf un inconnu, et il fait partie de mon héritage culturel, du paysage cinématographique de mon enfance. À mes yeux il a toujours eu une image multiple. Celle d'un colosse d'abord, de par sa carrure et son physique de déménageur. Mais aussi celle de l'incarnation de la classe et de la dignité absolues, du type en costard toujours impeccablement mis, toujours impeccablement rasé et coiffé, un type aussi intimidant que réservé. Un type à la posture incroyablement droite, presque toujours une cigarette à la main, à la parole rare, sobre et toujours juste. Un homme, un vrai, à l'ancienne.

Une page qui dit tout, selon moi, sur l'homme Lino Ventura...

Eh bien c'est très exactement comme cela que je l'ai retrouvé dans cette BD qui réussit à le faire revivre d'une façon tellement précise, tellement juste, qu'on a presque l'impression de le voir bouger et parler en vrai. Cet exploit, car c'en est un de premier ordre, c'est le résultat de la convergence d'un scénario aux petits oignons de la part d'Arnaud Le Gouëfflec et du trait épatant de précision et de simplicité de Stéphane Oiry, qui a su capter et retranscrire des positions, des attitudes et des regards criants de vérité en autant d'instantanés iconiques de la légende Lino. Pour décrire ce moment de lecture qu'est Lino Ventura et l’œil de verre c'est bien simple : autant dans les mots que par l'image, tout ce qui fait l'essence même de Lino Ventura était là, devant mes yeux, sur papier.

Pas facile de résumer Lino...

Le prétexte de l'album est basique : Merlin, un journaliste aussi gauche que perspicace procède à l'interview (fictive) de l'acteur vieillissant et retrace avec lui aussi bien sa carrière que des éléments de sa vie personnelle. Ce qui n'est pas chose aisée tant Lino n'est pas du genre à s'épancher sur sa vie privée ou ses sentiments. C'est un taiseux doublé d'un modeste, et rien ne lui convient mieux comme qualités que la discrétion et l'humilité. Pour en faire un portrait fidèle, il faut lui arracher des confidences et accepter ses silences comme autant d'informations à part entière et qui dessinent en creux le bonhomme. C'est ainsi qu'il parle très peu de son enfance, de son père, de la guerre, de ses enfants, des femmes. Mais ce qu'il en dit, comme ce qu'il n'en dit pas, prend d'autant plus de force, d'importance, de sens.

Avant de briller sur l'écran, Lino Ventura a brillé sur les rings !

J'ai découvert ainsi toute une série d'anecdotes (il était le premier choix, avant Gérard Depardieu, pour incarner Campana en duo avec Pierre Richard dans La Chèvre, rôle qu'il refusa), j'ai mieux compris son rapport au cinéma et sa manière d'envisager un rôle et de gérer sa carrière (à l'ancienne là encore : il n'avait pas d'agent et faisait ses choix en libre conscience selon des critères très précis), j'ai appris toute une série de détails sur l'homme au-delà du comédien. L'évocation de sa carrière de lutteur puis de catcheur professionnel avant de devenir acteur m'a rappelé mes grands-parents qui me racontaient leur plaisir d'avoir pu voir des matchs de catch de Lino Ventura à Mulhouse ! Si j'avais une DeLorean à portée de main je n'hésiterais pas une seconde pour les y accompagner, ça devait être génial...

 

Bref, j'ai passé vraiment un moment de lecture passionnant avec cet album de BD qui m'aura remémoré et appris tant de choses sur une figure incontournable du cinéma. Évidemment ça m'a aussi furieusement donné envie de revoir certains de ses films...

Je ne peux donc, vous l'aurez compris, que vous conseiller la lecture de cette excellente BD !!

Lino Ventura et l'oeil de verre, d'Arnaud Le Gouëfflec et Stéphane Oiry

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15 juin 2020 1 15 /06 /juin /2020 07:57

Parmi les thèmes de littérature SF et Fantastique, le voyage dans le temps est de ceux qui emportent ma préférence. Le truc avec les voyages dans le temps, c'est que c'est compliqué à mettre en musique. On a vite fait de se retrouver embarqué dans un paradoxe temporel inextricable, de cumuler les incohérences et de tomber dans les pièges inhérents au concept. Bref, faut déjà être bien sûr de soi et bien couvrir tous les angles avant de se lancer dans l'aventure. C'est très exactement ce dont s'est assuré Duane Swierczynski pour nous proposer avec Date limite son histoire de voyage temporel à lui...

 

Mickey Wade n'a pas le vent en poupe ces derniers temps. Plus le temps passe, plus il devient une pathétique caricature de loser. Le journal dans lequel il travaillait depuis des années a subi une baisse d'effectifs et il s'est fait virer comme un malpropre. Sans une thune de côté, il se voit contraint de revenir s'installer dans le quartier de son enfance. Philadelphie est déjà une ville plutôt ouvrière, mais le quartier de Frankford c'est carrément encore un cran en-dessous. Bref, ça craint. Mais Mickey n'a pas trop le choix, le temps de retrouver un boulot, sa mère lui a proposé de vivre dans l'appartement de son grand-père qui est hospitalisé depuis quelques temps, dans le coma. Alors va pour le quartier pourri. Au lendemain d'une cuite qui lui occasionne une bonne gueule de bois, Mickey pioche dans la pharmacie de papy, il y a là des comprimés qui devraient pouvoir faire l'affaire. Sauf que l'effet des cachetons n'est pas du tout celui attendu. Mickey se réveille dans l'appartement de Frankford, mais quelques quarante années plus tôt, en 1972, l'année de sa naissance ! L'année de la mort de son père également. Mais les gens ne semblent ni le voir ni l'entendre, sauf cet étrange petit garçon... L'effet des pilules estompé, Mickey est de retour dans le présent. Il entreprend alors de retourner dans le passé pour tenter d'y arranger la destinée familiale : s'il peut sauver son père, toute sa vie pourrait s'en trouver meilleure...

 

Évidemment les choses ne seront pas du tout aussi faciles que ce que l'imaginait ce pauvre Mickey, qui va comprendre au fur et à mesure du récit qu'il y a des règles au voyage temporel, et un prix à payer aussi... C'est là justement que l'auteur, Duane Swierczynski est malin. Date limite n'est pas qu'une histoire de voyage dans le temps. Il ajoute une couche supplémentaire à son histoire qui va la faire glisser du côté du polar et du mystère à résoudre. Car Mickey va découvrir que ce qu'il croyait savoir de son passé n'est pas tout à fait conforme à la réalité des faits. Il va comprendre également à ses dépens que le voyage dans le temps est dangereux... Et comme si cela n'était pas assez, Duane Swierczynski en profite aussi pour faire de son roman une reconstitution de la Philadelphie des années 1970, de cette Amérique oubliée des prolos et des quartiers malfamés.

 

Finalement on se retrouve avec trois bouquins en un : de la SF, du polar et de la reconstitution historique ! Et chaque aspect est si soigné qu'il pourrait se suffire à lui-même, autant dire que l'auteur ne se fiche pas de son lecteur. C'est vraiment bien construit, le suspense est omniprésent, tout s'emboîte à merveille et on se fait régulièrement prendre au piège de chercher à comprendre par nous-mêmes, d'échafauder des théories pour expliquer les événements ce qui nous mène inévitablement à nous tromper et quand on finit par connaître la vérité, on est comme le lièvre pris dans les phares d'une bagnole lancée à fond : ébloui et scotché sur place. Oui, je ne vais pas vous raconter de cracks : quand je disais que le bouquin est malin, il l'est jusqu'à son dénouement, et personnellement je n'ai pas du tout été déçu par la fin (alors que c'est souvent un point faible des récits de voyage dans le temps). Je suis sorti de ce bouquin avec la sensation d'avoir passé un très bon moment de lecture et avec une certitude : Duane Swierczynski sait mener sa barque.* Et avec la prémonition que je croiserai encore à coup sûr sa carrière d'auteur.

* Pour la petite histoire et parce que j'accorde beaucoup d'importance à ce genre de détail, Duane Swierczynski n'est pas que romancier, il est également scénariste de comics, et je l'ai déjà croisé à plusieurs reprises chez Marvel (que ce soit sur X-Men, le Punisher, Iron Fist ou Cable par exemple).

 

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11 juin 2020 4 11 /06 /juin /2020 14:37

Premier long métrage réalisé par Franchin Don, Vous êtes jeunes vous êtes beaux ne passe pas inaperçu, ni sur sa forme ni sur son fond. Adapté du court roman de Tarik Noui, le film propose un regard inédit sur les seniors, cru et sans concession, plutôt sombre et assez désespéré.

 

Le personnage principal, Lucius Marnant (Gérard Darmon) a 73 ans, il vit seul et très modestement, tout en restant un homme droit et digne. On imagine assez bien le poids de son histoire personnelle qui pèse sur ses épaules, sans que son passé soit abordé on le sent lourd. Lucius est un homme solitaire, un taiseux, un introverti. D’aucuns diraient peut-être un résigné qui se sent arriver au bout du chemin. La seule personne dont il se sent proche est Mona (Josiane Balasko), une femme avec laquelle il aime à partager les bons moments mais surtout pas la triste monotonie du quotidien. Il rencontre un jour Lahire (Vincent Winterhalter) qui lui propose de participer à des combats clandestins, des « combats de vieux » en échange d’argent. Lucius se sait malade et condamné à moyenne échéance, il accepte donc l’offre dans l’idée de s’assurer les moyens de finir ses jours sans problème d’argent.

Lucius rencontre Lahire, son existence est sur le point de basculer...

Ce qui frappe en premier lieu dans ce film, c’est le ton général, extrêmement sombre, froid, presque clinique. Il n’y a pas de tape-à-l’oeil, pas de chichi, pas de fioriture. Les choses sont montrées crûment, les perspectives des personnages ne sont guère reluisantes, et la violence de leur environnement est dépeinte frontalement. Pas tant visuellement que moralement d’ailleurs. J’ai été étonné par exemple que le film ne se concentre pas du tout sur les scènes de combats entre vieillards, ce qui pourtant aurait pu donner lieu à des scènes inédites et promptes à éveiller la curiosité malsaine, pour ne pas dire une part de voyeurisme chez le spectateur. C’était l’occasion de choquer et de marquer visuellement. Pourtant Franchin Don a pris le parti de s’éviter cette obscénité en traitant ces scènes-là d’une manière humble et sobre, il n’en fait pas du tout le centre de son récit ni des passages de bastons sanglantes. On n’est pas dans Fight Club, on ne regarde pas un Rocky. Pourtant les combats conservent leur force narrative et visuelle, pas tant dans leur déroulement, leur chorégraphies martiales ou de quelconques prouesses physiques, mais plutôt dans ce qu’ils dégagent symboliquement. Par cette arène improvisée au sous-sol d’une boîte de nuit, par cette proximité avec un public de jeunes gens venus s’amuser à voir des vieux se battre, mais surtout par les corps vieillissants soumis à l’œil de la caméra et du spectateur. Ces corps fatigués, décrépits, aux muscles fondus, aux peaux distendues, soulignés par les monologues assassins du monsieur loyal qui introduit chaque combat (Denis Lavant). Le choc, l’image marquante, elle est là, bien plus que dans un uppercut esthétisé ou dans une prise d’art martial au ralenti. Cette image de la vieillesse donnée en spectacle pour ce qu’elle est, la perte progressive de tout ce que ces hommes ont été et qu’ils ne sont plus : jeunes, beaux, virils, forts. Leur reste la dignité et le courage comme derniers vestiges de leur passé révolu, et c’est ce qu’ils mettent en jeu lors de ces combats clandestins. C’est ce dont les vautours voyeurs veulent se délecter et ce pour quoi ils acclament ces gladiateurs hors d’âge.

Jeune et beau ? Plutôt digne et courageux.

J’ai été impressionné par la façon dont ces combattants, et à travers eux leurs interprètes, donnent à voir sans fard leurs corps soumis aux affres du temps. Qu’il s’agisse de Lucius, d’Aldo (Patrick Bouchitey) ou de chaque combattant qu’on aperçoit dans le film, il y a un courage énorme dans le simple fait de se présenter ainsi au regard impitoyable des autres, sans même parler de celui qu’il leur faut pour se soumettre aux risques accrus par leur âge et leur condition physique. J’ai particulièrement apprécié que le réalisateur n’en fasse pas des images racoleuses et multiplie ce faisant leur impact symbolique autant que visuel.

Aldo a décidé de ne pas vieillir !

D’ailleurs sur le plan de l’image, on sent une véritable maîtrise du metteur en scène, de la photographie à la lumière, du cadrage à la gestion des couleurs et des tons des décors, des mouvements des caméras au montage, tout est mis en œuvre pour obtenir des images puissantes et qui parlent d’elles-mêmes. Pour Franchin Don chaque image a du sens, et cela se ressent viscéralement. Ne serait-ce que par les fréquents regards-caméra que lance Gérard Darmon tout au long du film, procédé qui pourrait s’avérer lourd ou trop répétitif dans un autre contexte, mais qui trouve ici une vraie légitimité et participe au message véhiculé par le film.

Un Monsieur Loyal des plus glaçants...

Alors certes, qu’il s’agisse du propos du film ou de la vision de la vieillesse qu’il livre, on pourrait lui reprocher un pessimisme exacerbé, une noirceur, une tristesse, un désespoir omniprésents. Oui c’est vrai, Vous êtes jeunes vous êtes beaux n’est pas le candidat idéal pour vous remonter le moral si vous cherchez de quoi vous changer les idées. Sans même parler du cynisme de ces combats entre vieux érigés en spectacle pour jeunes et riches dépravés, il y a aussi ces passages tournés en Ehpad, qui montrent le quotidien de nos anciens sous un jour triste et morne, quand l’esprit suit lentement le chemin de décrépitude souvent déjà bien entamé par le corps… Cela donne un impact indéniable au film car cela nous met en face de l’image qu’on a des vieux, mais au-delà même le film agit comme un miroir dans lequel on ne peut s’empêcher de nous projeter nous-mêmes à leur âge.

Mona et Lucius se soutiennent l'un l'autre.

On ne peut que constater que les hommes et les femmes, passé un certain âge, deviennent une entité étrangère à la société, quasi-interchangeables, anonymisés, déshumanisés. Le sentiment principal qui ressort de Vous êtes jeunes vous êtes beaux, c’est la sensation de solitude très forte qui entoure les vieux. Mais aussi en contrepoint de cela, la flamme, l’envie qui subsiste en eux, leur besoin de s’affirmer comme quelqu’un d’encore vivant. Ou plus exactement de « pas encore mort ». C’est très frappant et tout particulièrement représenté par le personnage d’Aldo, interprété par un Patrick Bouchitey qui ne s’interdit rien, sauf d’avoir l’âge de ses artères. Mais si Bouchitey fait son show et surprend dans un rôle où on ne l’attendait pas, c’est clairement Gérard Darmon qui attire tous les regards sur lui. Il bouffe littéralement l’écran par sa simple présence, par son simple silence. Josiane Balasko n’est pas en reste non plus, et montre un jeu subtil, loin des extravagances qu’on a pu lui connaître. Darmon et elle forment un couple touchant, bien qu’imparfait. Il n’y a aucun doute là-dessus : si le réalisateur démontre sa maîtrise tout le long du métrage, l’ensemble du casting fait preuve d’un talent indiscutable. Tout le monde est à sa place, rien ne paraît dissonant, et cette apparente normalité tranche tellement avec l’incongruité de la situation de ces combats impensables, que l’effet sur le spectateur s’en trouve décuplé.

Aldo fait le show !

Alors non Vous êtes jeunes vous êtes beaux n’est pas un film facile, ni à regarder ni à aimer, mais c’est un film fascinant aussi bien pour ce qu’il dégage que pour ce à quoi il nous invite à réfléchir. Quand on se rappelle que c’est là un premier film, on a tendance à être très optimiste quant à la suite de la carrière de son réalisateur.

L'affiche du film

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8 juin 2020 1 08 /06 /juin /2020 07:55

De manière tout à fait sporadique, je vois parfois l'ami Patrick me glisser dans les mains l'un ou l'autre ouvrage qu'il vient de lire et qui l'a marqué. Cette fois-ci, je le vis arriver avec un beau livre sur lui, un bouquin à l'ancienne, à l'aspect très sobre, d'un blanc quasi-immaculé, dont les pages avaient été au préalable massicotées manuellement, et au titre aussi basiquement descriptif qu'intriguant : Un roman sentimental d'Alain Robbe-Grillet. D'entrée ma curiosité était piquée.

Il le posa cependant sans ménagement sur mon bureau, presque l'avait-il lâché comme on se débarrasse d'un objet encombrant. Cette phrase accompagna une grimace que je ne compris pas tout de suite : « Je t'ai apporté un truc, j'ai jamais vu ça. Je te le dis tout de suite, j'ai pas pu le terminer. » Connaissant bien l'animal, je lui demandai pourquoi : « trop chiant ou trop mauvais ? ». « Trop dégueulasse ! » m'entendis-je répondre... J'avoue que cette réponse me laissa sur le cul. Trop dégueulasse ? C'était bien Patrick qui venait de dire ça ? Tout à coup je parvins à mettre un nom sur la grimace que je n'avais pas su reconnaître à son arrivée : le dégoût. Je crois bien que ce fut la première fois que je voyais cette expression sur le visage de Patrick. Pour mémoire, c'est quand même ce gars-là qui a commis un Lapin pas piqué des hannetons. C'est ce même type qui m'a fait lire des choses comme Ecstasy de Ryû Murakami ou La Triste histoire des frères Grossbart de Jesse Bullington, deux romans qui dégoulinaient littéralement de tout ce que le corps humain peut produire comme sécrétions naturelles. Bref, pas un perdreau de l'année, et c'est peu de le dire. Qu'est-ce qui avait bien pu le traumatiser lui ? Je me targue pourtant d'avoir plutôt pas mal d'imagination, mais voilà une question à laquelle je ne savais pas imaginer de réponse. « Tu verras bien mais pas la peine de me le rendre après, tu peux le jeter... » me dit-il encore avant de repartir comme il était venu, me laissant dans l'expectative la plus totale.

Le livre rejoignit donc ma pile de lectures en attente, et lorsque son tour arriva enfin, plusieurs mois plus tard, c'est non sans une certaine appréhension que je me lançai dans sa lecture, me remémorant la mise en garde de mon poteau...

 

Après l'avoir lu, j'ai pas mal de choses à en dire. La première, c'est que je comprends enfin les déclarations mystérieuses de Patrick ce fameux jour. La seconde c'est que je partage complètement son avis. Ce que j'ai lu m'a révulsé. Et j'avoue aussi n'avoir pas compris l'intérêt profond de la chose. Mais j'y reviendrai. La troisième chose, c'est que pour la première fois j'ai failli ne pas finir ce que j'avais commencé, alors qu'il s'agit pourtant d'une des règles que je me suis imposées depuis que voici une quinzaine d'années je m'étais remis à lire « sérieusement » (entendez par là de la « littérature noble » en supplément des BD et magazines qui ont toujours été le plat principal au menu de mes lectures quotidiennes – et que je ne renierai pour rien au monde je tiens à le préciser). Quand je commence à lire un bouquin, même si sa lecture s'avère difficile voire pénible, je le lis jusqu'au bout. Un roman sentimental m'a fait réaliser que cette règle devrait peut-être connaître des exceptions.

 

Alors de quoi s'agit-il ? Comme ça sans réfléchir j'aurais pu répondre « d'une merde sans nom » mais ça ne se fait pas, c'est vulgaire, et pas très constructif comme avis, donc je vais plutôt essayer de vous en dire un peu plus. Alain Robbe-Grillet nous propose donc ici, et selon ses propres termes, un « conte de fées pour adultes » pour lequel il nous prévient cependant que son « souci du réalisme le plus méticuleux outrepasse les lois de la vraisemblance » tout en lui permettant également « d'outrepasser les lois de la bienséance ». L'auteur nous plonge donc dans la vie d'Anne-Djinn, dite Gigi, une adolescente de quatorze ans, qui reçoit de la part de son père une éducation très particulière, puisqu'il l'initie à l'érotisme, au sexe, au sado-masochisme, mais aussi à l'esclavagisme, à la torture physique et morale, et à la violence sous absolument toutes ses formes les plus perverses. Pour ce faire il la traite tantôt en esclave sexuelle (il abuse d'elle et l'offre également occasionnellement à d'autres hommes), tantôt il la place dans la situation de maîtresse en lui « offrant » par exemple une autre jeune fille à peine plus jeune qu'elle, Odile, qui fait office de « poupée grandeur nature » sur laquelle Gigi doit exercer ses talents de dominatrice et ses instincts sadiques.

 

Bon j'arrête le résumé ici, je crois que vous avez bien compris le concept, le reste n'étant qu'une déclinaison à l'infini de l'abject des délires sexuels de l'auteur. Je précise quand même qu'Alain Robbe-Grillet n'est pas n'importe qui : intellectuel anti-conformiste français de premier plan, il a été principalement écrivain (il a théorisé et fut le chef de file du « Nouveau Roman »), scénariste et réalisateur. Un roman sentimental est son dernier roman, qu'il a écrit à 85 ans, un an avant sa disparition, comme une ultime provocation après avoir refusé le siège qui lui était proposé à l'Académie Française (il y a été élu par ses pairs mais n'a jamais accepté de revêtir l'habit vert des immortels...). Avec son dernier ouvrage il avait relancé le débat entre défenseurs acharnés de la liberté d'expression et de fiction littéraire et les tenanciers d'une certaine morale.

 

Et pour cause, si d'un point de vue fictionnel son roman n'a pas le moindre intérêt tant on s'ennuie à sa lecture (Alain Robbe-Grillet est parvenu à me faire bâiller presque autant qu'il m'a soulevé le cœur, ce qui est quand même un paradoxe qui vaut d'être relevé je trouve), il a cependant le mérite si l'on peut dire, de soulever la question ô combien épineuse de la licence artistique face à la morale. Et le moins que je puisse dire c'est qu'il m'a vraiment poussé dans mes retranchements sur ce sujet. Par définition je suis pour qu'on puisse dire ou écrire ce qu'on veut tant qu'il s'agit d'une fiction. Sur le plan théorique, je ne suis pas pour qu'une morale s'impose pour fixer ce qu'on a le droit ou non de dire et d'écrire. Ne serait-ce que parce que la morale est un concept bien trop vague et soumis à une infinité de lectures et d'interprétations différentes, ce qui d'office empêche d'en imposer une au détriment des autres. C'est d'ailleurs sur un plan plus général exactement le même problème avec les religions : qui donc pourrait s'arroger le droit de décider laquelle est plus légitime que les autres ? J'aime beaucoup et ai toujours en tête cette phrase de Léo Ferré « N'oubliez jamais que ce qu'il y a d'encombrant dans la Morale, c'est que c'est toujours la Morale des autres. » que je trouve très profonde. Je reconnais le droit à l'existence de la morale, je sais que moi-même j'ai la mienne propre, mais je refuse l'idée que la morale de quiconque puisse s'imposer aux autres. Celle des autres pas plus que la mienne. Et c'est justement sur ce point précis que mes convictions ont été malmenées je dois bien le dire.

 

Ce que j'ai lu dans Un roman sentimental (quel titre odieusement provocateur d'ailleurs) est à mes yeux un ramassis de saloperies les plus immondes qu'on puisse imaginer. Et pas uniquement sur un plan physique et matériel, mais bel et bien sur un plan moral et émotionnel. On y parle ouvertement et frontalement de pédophilie, de torture sur des femmes mais également sur des enfants, on y décrit des viols sanglants qui débouchent sur la mort d'enfants. Et non seulement on en donne des détails de façon très minutieuse, mais en plus il se dégage du récit une justification vaseuse et même une tentative d'embellissement de choses immondes. Par les pensées de ses personnages l'auteur essaie de magnifier des actes et des pensées que personnellement je ne peux trouver qu'abjects et méprisables au dernier degré. Le viol, la pédophilie, la torture, le meurtre, l'inceste : tout est source de plaisir partagé (pour celui qui fait subir et celle qui subit) et tout est l'expression d'un amour pur et extrême. Et le pire du pire, c'est que l'auteur le fait très ostensiblement, dans le seul but de choquer. Il n'y a aucune sorte de logique cachée derrière, aucune thèse à défendre, fut-elle tirée par les cheveux, rien de tout cela mais un seul et unique dessein : celui de dépasser l'horreur et repousser les limites du descriptible dans le seul but de choquer. Ce que je veux dire c'est que le sentiment qui vient tout de suite après celui du pur et simple dégoût primaire, c'est celui du vertige devant le vide absolu que renferment en eux les mots de Robbe-Grillet. Même sous couvert de liberté artistique totale, d'imagination absolument débridée et de volonté de malmener le lecteur, ce qu'il écrit n'a aucun sens, aucune valeur, aucun intérêt, même le plus minime. Il n'y a rien, absolument rien du tout à sauver dans ce roman. Oh oui, il y a une vraie maîtrise de la langue, de la tournure de phrase, on pourrait presque même parler de recherche délibérée d'une élégance dans l'outrance, pourtant rien de tout cela ne suffit à cacher le creux abyssal des mots. Les descriptions à n'en plus finir, d'une minutie aussi fine qu'horrible, devrait donner un sentiment aigu de réalisme et c'est pourtant tout le contraire qui se passe. On perd pied, on ne comprend pas car il n'y a rien à comprendre, on ne peut simplement pas croire ce qu'on lit car ce qui est décrit ne correspond à aucune réalité concevable. Enfin j'écris « on », peut-être devrais-je être moins général et m'exprimer uniquement en mon nom, mais même cela me paraît totalement inconcevable : que quelqu'un puisse trouver cela réaliste et plausible...

 

Alors oui, très clairement, je me suis retrouvé avec Un roman sentimental dans une situation que je n'avais jamais ressentie aussi fortement : j'étais devant une œuvre que je rejetais de tout mon cœur, de toute mon âme, de tout mon esprit et de toutes les fibres de mon corps. Quelque chose qui me dégoûtait et que je ne parvenais pas à comprendre. Quelque chose dont je n'arrivais pas à justifier l'existence en fait. Et dont la lecture me faisait mal (parce qu'à ce niveau-là, parler seulement d'inconfort serait inconvenant), au sens strict du terme. Pour la première fois j'ai vraiment pensé d'une œuvre qu'elle ne devrait pas exister. Ça ne m'était jamais arrivé d'une façon aussi viscérale. Oui bien entendu j'en vois des conneries à la télévision par exemple, au sujet desquelles je me fais souvent ce type de réflexion : « c'est tellement con que ça devrait être interdit ». Mais jamais je n'ai ressenti ça au plus profond de moi comme avec ce bouquin. Et ça m'a ébranlé, parce que j'ai réalisé que je laissais parler ma Morale en fait. Ce livre m'a tant choqué que j'ai trouvé cela suffisant comme raison à ce qu'il ne devrait pas exister. Ce qui va à l'encontre de ma philosophie habituelle, de mes principes et de mes valeurs intellectuelles.

 

Bref, j'ai trouvé avec ce roman mes limites.

 

Et en fait, je crois que c'est bien de connaître ses limites, à tout propos. Alors finalement j'en ai retenu une chose positive malgré tout de ce bouquin. Mais ça m'aura coûté beaucoup d'efforts et de difficultés à dépasser.

 

Ainsi donc je le redis, et sans l'ombre d'une hésitation : Un roman sentimental est la pire expérience littéraire que j'ai jamais connue, je trouve ce livre immonde et encore bien en-deçà de tout ce que je pourrais en dire. Je dirais même plus : je ne conçois pas qu'il puisse plaire à quiconque de sain d'esprit. Mais il a le droit d'exister. C'est une fiction, qui selon moi en dit très long sur l'état mental de son auteur, mais qui reste une fiction, et qui a ce titre a le droit d'exister. Mais quelle horreur !

 

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4 juin 2020 4 04 /06 /juin /2020 07:55

Voilà bien longtemps que je n'ai pas parlé bande-dessinée sur ce blog... et pourtant j'en lis toujours et encore, plus et plus vite que je ne trouve de place sur les étagères de mes bibliothèques soit dit en passant, mais ça c'est une autre histoire. Alors certes ces derniers temps je me suis englouti une quantité industrielle de comics (durant le confinement c'est quasiment la seule lecture, bizarrement, qui me convenait), mais par esprit de contradiction je vais vous parler de Open Bar, du génial Fabcaro, un de mes auteurs français actuels préféré.
 

 

Open Bar c'est un florilège de gags en une page, parus au préalable dans les Inrockuptibles, où Fabcaro laisse libre cours à son sens de l'ironie et de l'absurde. Composés de dessins assez statiques, voire même d'une succession de vignettes graphiquement identiques, l'humour se loge avant tout dans le texte, plus précisément dans les dialogues (ou monologues d'ailleurs).

 

Un humour très contemporain, pince-sans-rire, intelligent et référencé. Un humour par lequel Fabcaro s'autorise à nous parler et à se moquer gentiment de nous, de notre société occidentale, de petits rien érigés en grands délires comme de grands sujets vus par le petit bout de la lorgnette. On passera donc sans aucune transition des migrants à l'école, de l'écologie au couple, de la société de l'information à la sexualité, du racisme ordinaire aux J.O. d'hiver. À chaque fois c'est inattendu, parfois dérangeant, mais toujours bien vu et drôle. En tout cas moi ça m'a fait marrer.

 

Alors plutôt que de longs discours, je vais plutôt vous donner un ou deux exemples de cet humour si particulier que Fabcaro manie avec tant de dextérité, vous comprendrez mieux de quoi il s'agit. Il va de soi que je conseille fortement cette lecture !!

D'abord un petit cours d'intégration pour les nuls :

 

Mais aussi une miss météo plus vraie que nature :

 

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1 juin 2020 1 01 /06 /juin /2020 07:15

On a souvent tendance à faire une distinction nette entre les scientifiques et les littéraires, au lycée par exemple où cet étiquetage instaure une véritable séparation entre les filières. Ce qui est non seulement très dommage, mais surtout infondé selon moi. Combien d'éminents scientifiques sont aussi de remarquables manieurs de mots ? Combien l'Histoire compte-t-elle de mathématiciens ou de physiciens également philosophes à leurs heures ? Tel Jules-Henri Poincaré par exemple, ingénieur, mathématicien, physicien et philosophe français de la fin de XIXème – début du XXème siècle. Poincaré a été un des précurseurs majeurs de la théorie de la relativité restreinte, mais aussi celui qui fut à l'origine de la fameuse théorie du chaos.

 

Admirez le subtil art de la transition dont je fais preuve : le héros de La Théorie du chaos de Leonard Rosen est justement Henri Poincaré, l'arrière-petit-fils du renommé scientifique ! Loin d'avoir suivi les traces de son aïeul, Henri est flic à Interpol, et ses états de service font de lui l'un des plus fiables et efficaces enquêteurs de la maison. Après trente années de bons et loyaux services, il caresse l'idée de prendre une retraite bien méritée, dans sa maison retirée en Dordogne, et de prendre enfin le temps de profiter de sa femme, de son fils et de ses petits-enfants. Il sort d'une longue et difficile enquête qui lui aura permis de mettre sous les verrous le criminel de guerre Stipo Banović, traduit devant la Cour Internationale de Justice de La Haye pour crimes contre l'humanité. Mais ce dernier a la rancœur tenace, et jure de se venger du policier français. Qu'importe, Poincaré se voit embarqué dans une nouvelle enquête quand un jeune mathématicien prodige, James Fenster, trouve la mort dans une explosion peu avant d'intervenir au sommet de l'OMC à Amsterdam. Mais qui peut en vouloir à un mathématicien et surtout pourquoi ? Dès le départ l'enquête s'annonce hors du commun : l'explosif qui a été utilisé pour tuer Fenster s'avère être un dérivé de la recherche spatiale, le perchlorate d'ammonium... Placé à la tête d'une équipe d'enquêteurs internationaux, le policier français hésite à suivre la piste qui semble lier la mort de Fenster à un récent attenta à l'explosif à Naples et à un assassinat ciblé à Barcelone. L'intuition de Poincaré lui souffle que la clé du mystère se trouve dans les travaux du spécialiste des fractales James Fenster...

 

Vous l'avez peut-être remarqué dans mon bref résumé du début de ce thriller, c'est plutôt dense en éléments. Et encore, j'aurais pu citer la secte apocalyptique des Soldats de l'Enlèvement, le ponte de la haute finance ou l'altermondialiste péruvien qui prône le retour de l'économie aux peuples indigènes...

 

Certains trouveront peut-être que le récit souffre de trop de détails à intégrer, moi j'y ai vu non seulement un parallèle évident à la théorie du chaos qui traite des systèmes complexes et multifactoriels, mais aussi un background riche qui donne de l'épaisseur et de la crédibilité aux événements comme aux personnages. On échappe ainsi clairement à la caricature et aux formules toutes faites de certains polars d'auteurs ultra-rôdés en la matière. D'ailleurs je précise qu'il s'agit ici d'un premier roman.

 

Dans le genre « on sort des clichés » l'auteur coche par ailleurs plusieurs particularités que je trouve pour ma part remarquable. Tout d'abord, pour un écrivain américain choisir un héros français, ça n'est pas très courant ! De ce point de vue aussi, je m'empresse d'ajouter que rien ne laisse déceler que l'auteur est américain dans sa description du personnage, de sa vie privée et des décors français de l'histoire. Pas de fausse note, pas de cliché, pour peu qu'on ne connaisse pas la nationalité du romancier, on pourrait sans peine penser qu'il s'agit d'un polar français.

Autre particularité : Leonard Rosen ne joue pas sur le registre de l'action échevelée et du rythme haletant. L'enquête qu'il déroule est au contraire faite de réflexion, de sensibilité, d'intuition bien plus que d'échanges de coups de feu ou de scènes de course-poursuite.

Et ce qui m'aura le plus marqué parce que je l'ai rarement vu pratiqué avec autant d'âpreté et de jusqu'au-boutisme, c'est la façon dont l'auteur ne ménage pas son héros. Alors que le roman débute en se permettant de faire quelques petites pointes d'humour, l'histoire va évoluer au point de se transformer en véritable drame pour le personnage principal qui sera loin, très loin de s'en sortir indemne. Vous en conviendrez peut-être en le lisant sinon croyez-moi : on ne voit pas ça souvent dans un thriller.

 

Finalement, et c'est un peu paradoxal, ce que j'aurai le plus retenu de ce roman c'est son approche de l'humain. Ce sont ses personnages très travaillés, très vrais, qu'on a vraiment l'impression de connaître en fin de lecture. Bien plus que son intrigue basée en partie sur des théories scientifiques que l'auteur va également développer pour en faire un élément important de son récit. Alors que c'est cet aspect-là qui m'avait initialement attiré vers ce bouquin, ce n'est pas ce qui m'a le plus marqué, l'exact contraire de ce qu'il s'est passé lors de ma lecture de La Formule de Dieu, avec lequel on peut faire une comparaison sur le registre du polar-scientifique.

 

Un livre dense, intelligent et très humain, qui par ce biais-là, tire son épingle du jeu sur le plan de l'originalité.

 

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29 mai 2020 5 29 /05 /mai /2020 19:46

La crise sanitaire actuelle a surtout été pour moi une crise capillaire, je vous en ai déjà touché un mot précédemment. Ce fut même à l'origine d'un moment de doute quant à ce qu'il convenait pour moi de décider.

Et puis voilà une semaine j'ai rencontré sur la route un ami que je n'avais plus vu depuis plus de trois mois, on s'est juste croisé en sens inverses sans s'arrêter, à vrai dire s'il n'avait pas klaxonné comme un dingo (c'est un des trucs préférés de Nico quand il est au volant : mettre du AC/DC à fond les ballons, faire crisser les pneus et klaxonner) je ne l'aurais sans doute même pas vu. Toujours est-il que dans la demi-heure qui s'ensuivit, il m'envoyait un sms pour s'enquérir de la santé de mon coiffeur, craignant que ce dernier fut une victime de plus du covid-19. J'y vis un signe qui ne trompe pas.

Vous le voyez aussi le signe qui ne trompe pas ?

Avisant ma tronche dans le miroir, je décidai d'agir.

Agir oui, mais par où commencer ?

Première étape : tailler ma barbe. Adieu le look Bud Spencer. Mais devant l'épaisseur de la chose, j'ai dû procéder par étape.

Un petit côté Double-Face ??

Jusqu'à enfin arriver à quelque chose d'un peu plus seyant.

Y a quand même encore un truc qui cloche non ?

Sauf que là le haut et le bas n'étaient plus du tout raccord. Une seule solution : vite un rendez-vous avec Graziella (ma coiffeuse).

Fin du confinement : retour à la normale !

Et depuis j'ai retrouvé enfin un semblant de dignité capillaire. Il était temps je crois.

 

 

Mes excuses auprès de ceux qui me lisent régulièrement : à la place de mes longues proses dont vous raffolez pour vous aider à vous endormir le soir venu, vous n'avez eu droit qu'à ma trogne en gros plan et en plusieurs exemplaires. Ce blog part à vau l'eau !

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25 mai 2020 1 25 /05 /mai /2020 07:52

Pour ceux qui ont un peu de mémoire, je vous ai déjà parlé de Warren Ellis sur ce blog. Parce que c'est un auteur de premier plan de comic books d'une part, et parce que j'avais adoré son tout premier roman que je vous avais chaudement recommandé ici, Artères souterraines.

 

Avec Gun Machine, Warren Ellis récidive dans le monde du polar, quatre ans après sa première incursion dans le genre. Et pour ceux qui se souviennent avoir lu ma critique de son premier roman, je m'excuse platement car il va falloir que je me répète un tantinet.

 

Warren Ellis est un auteur clairement à part. Un surdoué dans son domaine. Je ne vais pas vous refaire la liste complète de ses œuvres où vous dénicherez quelques-unes des bd américaines les plus marquantes des dernières décennies (au hasard Transmetropolitan ou The Authority), mais je vous le dis comme je le pense : ce type connaît son affaire. J'ai l'habitude de le lire quand il est scénariste de comics, mais avec son deuxième roman je commence à vraiment trouver que le britannique fou devrait plus souvent laisser libre cours à sa plume d'écrivain, parce qu'il assure bien comme il faut aussi dans le genre littéraire l'énergumène.

 

Dans Gun Machine, on démarre avec un duo de flic façon bad cop / good cop : du grand classique. John Tallow est une caricature-née du flic désabusé. Des états de service en berne, célibataire qui ne rechigne pas à s'envoyer une bouteille de whisky de temps en temps, complètement dépassé, à la ramasse physiquement depuis que les années se sont installées, il n'est pas du genre populaire au sein du NYPD. Tout le contraire de son ami et coéquipier, Jim Rosato, dynamique et alerte, aimé et respecté de tous. Sauf que c'est Jim qui se fait descendre au cours d'une intervention face à un forcené d'un immeuble délabré de Manhattan. Une bastos envoie sa cervelle repeindre le mur de la cage d'escalier. John voit rouge et vide son chargeur sur le type, défonçant au passage le mur d'un des appartements du palier. Et quand les flics inspectent l'appartement en question, c'est la stupéfaction : il y a là une multitude d'armes à feu fixées aux murs, suivant un bien étrange ordonnancement. Après analyses, toutes correspondent à des affaires de meurtres non-élucidées, certaines remontant à plus de vingt ans ! Déjà pas en odeur de sainteté auprès de sa hiérarchie, Tallow n'avait pas besoin de ça pour s'attirer la colère de ses supérieurs et l'animosité de ses collègues : non content d'être celui des deux que personne n'aime qui a survécu à la fusillade, il leur apporte une avalanche de cold cases à rouvrir avec cette découverte. C'est donc lui qui se voit chargé d'élucider les affaires liées à cette cache d'armes, avec pour seule aide deux doux-dingues de la police scientifique qu'on lui assigne. Pendant ce temps, dans les rues d'une ville quasi-organique dans sa description, erre un chasseur. Un chasseur dont l'esprit navigue entre le Manhattan moderne et le lieu tel qu'il était avant que les colons blancs ne débarquent sur cette terre amérindienne... Un chasseur qui compte bien récupérer ses armes.

 

Ce résumé du début illustre ce qui se confirme au cours de la lecture : avec son second roman, Warren Ellis reste un peu plus dans les standards du polar, alors qu'il avait proposé quelque chose de très décalé qui piochait ouvertement dans différents genres avec Artères souterraines. Mais cette image de classicisme n'est qu'un vernis, Ellis reste Ellis, et il n'est jamais plus lui-même que lorsqu'il parvient à injecter une part de (sa propre ?) folie à son récit, bien souvent par l'intermédiaire de certains personnages. Et il ne s'en prive pas dans Gun Machine, où le personnage du tueur en série (car avec ses centaines de contrats mortels remplis, je pense qu'il mérite ce titre) est un véritable psychotique de haut-vol, vivant en quasi-permanence dans l'illusion d'un environnement hybride entre modernité de la ville et retour à la nature du lieu tel qu'il existait avant que les amérindiens en soient délogés par les colons européens. Un fou dangereux, littéralement. Des personnages décalés mais dans un genre plus loufoque, on en croise également avec Bat et Scarly, les officiers de la police scientifiques qui secondent Tallow. La patte Ellis est indéniable.

 

D'ailleurs on retrouve dans ce polar bien d'autres caractéristiques qui lui sont propres et qu'on ne peut s'empêcher de relever dès lors qu'on a déjà lu un certain nombre de ses comics. Les dialogues par exemple : Warren Ellis excelle dans le domaine, il aligne les punchlines et est passé maître de la répartie à l'humour bien senti qui fait mouche. Il le prouve une fois de plus dans ce roman.

On note également des thèmes qui sont chers à l'auteur et qu'il aime à traiter d’œuvre en œuvre. Notamment ici, la ville, qu'il développe tel un personnage à part entière. Intéressant de se rappeler que Ellis a créé dès 1996 (co-créé avec Tom Raney aux crayons pour être exact) un personnage de comics* du nom de Jack Hawksmoor qui possède un lien physique avec les villes, dont il se nourrit littéralement puisqu'elles sont la source de sa force et de son agilité qu'il puise en elles.

Régulièrement aussi, Ellis insère dans ses histoires des références fouillées et très précises à l'Histoire contemporaine dont il semble féru, comme on peut par exemple s'en rendre compte aussi bien dans son précédent roman que dans celui-ci, ou encore dans des comics tels que Planetary par exemple.

 

Clairement on peut dire que Gun Machine est de facture plus classique que le roman précédent, dans ses thèmes et sa construction en tout cas, moins délirant, moins touche-à-tout, moins bordélique. Mais on conserve un ton acide, percutant, un humour bien présent, un rythme soutenu, une fluidité et une maestria dans les dialogues. Et on sent cette folie propre à l'auteur qui n'est jamais très loin, comme un carcan intangible dans lequel évoluent les personnages que développe Warren Ellis.

 

Vous l'aurez sans doute compris depuis le début de cette chronique : je conseille sans hésiter la lecture de ce roman !

* Pour ceux que ça intéresse, Jack Hawksmoor apparaît pour la première fois dans Stormwatch #37 et sera un des piliers de l'équipe The Authority par la suite dans le comics éponyme.

 

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21 mai 2020 4 21 /05 /mai /2020 07:33

 

« Il y a deux excès : exclure la raison, n’admettre que la raison. »

 

Blaise Pascal, entre-deux.

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