Y a pas de mots pour décrire ce que je ressens.
Un mélange de profonde tristesse, de colère noire et de désespoir.
Une envie de hurler, de frapper, de pleurer.
Quand j’ai entendu la nouvelle de l’attentat dans les locaux de Charlie Hebdo, je n’ai pas voulu y croire, mon esprit cherchant coûte que coûte à essayer de minimiser l’impact de cette horreur sans nom.
Puis lentement, j’ai compris. En rentrant chez moi après le boulot j’ai écouté la radio comme d’hab, dans ma voiture. Et j’ai entendu les noms défiler. Charb. Cabu. Wolinski. Tignous. Honoré. Bernard Maris… et je n’ai pas pu retenir mes larmes de couler.
Tous ces noms éveillent en moi des souvenirs.
Cabu… c’est peut-être idiot, et certainement pas très représentatif de sa vie et de son œuvre, mais moi je me souviens avant tout de lui quand j’étais môme et que je regardais Dorothée le mercredi matin à la télé. Il y avait Corbier qui composait des chansons couillonnes et Cabu qui faisait un dessin mettant en scène une Dorothée avec un nez long, pointu et en trompette. C’était ce type à la dégaine d’éternel adolescent avec une coupe de cheveux improbable, hors du temps et je pense démodée dès sa naissance, avec une voix très douce et un regard presque timide. Ce n’est que bien plus tard, une fois adulte, que j’ai découvert que Cabu c’était aussi et avant tout un dessinateur engagé, un polémiste de talent, un observateur fin et percutant de l’actualité.
Wolinski… si mes souvenirs de Cabu remontent à l’enfance, Wolinski je l’ai découvert plus tard, à la fin de l’adolescence. Par l’intermédiaire de L’Écho des Savanes principalement, magazine auquel il participait à l’époque. Je m’en souviens bien, ses dessins étaient toujours vers la fin, pas loin de la Copine de la semaine… :-)
Charb… voilà bien un type que j’admirais. Pour son humour grinçant bien entendu mais aussi et surtout pour l’intelligence de ses propos (il n’y a qu’à écouter ou lire ses interviews, vous comprendrez de suite), pour son courage, pour la façon dont il savait relativiser les choses, pour sa déconne sans limite, pour ses engagements et ce qu’il dénonçait. Dessinateur de presse brillant, à l’humour féroce et qui dégainait tout azimut sur tout ce qui le méritait, il était aussi celui qui m’avait fait mourir de rire avec Maurice et Patapon, des strips BD à l’humour cradingue et jubilatoire.
Bernard Maris… encore quelqu’un qui avait toute mon admiration. Prof d’économie et économiste à la gouaille sans égale, j’adorais l’écouter parler d’économie à la radio. Je me remémore la période où je l’écoutais chaque matin en allant au boulot, se tirer la bourre avec Jean-Marc Sylvestre dans des débats enflammés sur France Inter. Lui l’économiste de gauche, qui savait si bien remettre en question le capitalisme ultra-libéral, qui avait toujours un ton à la fois moqueur et très sérieux, dont les interventions étaient toujours à la fois drôles avec juste la bonne dose de dérision mais en même temps très solides, pleines de bon sens et qui savaient pointer du doigt les problèmes épineux. Il avait cette intelligence rare doublée d’une voix douce et calme, c’était un débatteur et un pédagogue de grand talent et d’une immense culture.
Ils sont tous morts, assassinés sauvagement. Parce qu’ils étaient des libres-penseurs, parce qu’ils n’acceptaient pas qu’on leur impose ce qu’il faut dire ou pas, parce qu’ils aimaient rire tout en dénonçant les injustices, les intolérants et d’une manière générale tous ceux qui veulent nous abrutir plutôt que nous pousser à penser et réfléchir par nous-mêmes. Et ils le faisaient au grand jour, à visage découvert, pas lâchement comme ceux qui se mettent des cagoules sur la tête avant de tirer à la kalachnikov sur des gens armés d’un crayon et d’une gomme.
J’ai relu l’article que j’avais écrit en 2006, lors de la fameuse affaire des caricatures de Mahomet. Je n’en changerais pas une virgule si j’avais à le réécrire aujourd’hui.
Pourtant le temps à passé, des choses ont changé, j’ai changé. Mais face à ce qu’il s’est passé mon sentiment et mes convictions restent les mêmes. Peut-être même sont-elles renforcées. Il ne faut pas céder face à l’obscurantisme, l’ignorance, l’intolérance. D’où qu’elle vienne. On n’a certainement pas grand pouvoir chacun à sa petite échelle, et ce qui est sûr c’est qu’on n’a certainement pas le talent des types qui viennent de se faire trouer la peau pour leurs idées humanistes et libres, mais on a un devoir : celui de ne pas fermer nos gueules. De ne pas s’écraser devant la connerie humaine. De ne pas accepter l’inacceptable et de ne pas céder, jamais, devant ceux qui voudraient nous obliger à nous taire, devant ceux qui veulent mettre des carcans à la pensée.
Personne n’a de solution à ce cancer de la société qu’est le fanatisme religieux. C’est triste à dire, mais je pense même qu’il n’y en a pas. La seule piste que je vois, la seule qui aurait une chance d’améliorer les choses au moins pour les générations à venir, c’est encore et toujours l’éducation, l’instruction et la culture. Ouvrir les esprits des jeunes sur le monde qui nous entoure, titiller leur curiosité, exacerber leur envie et leur plaisir d’apprendre et de découvrir, leur enseigner l’art du doute, de la critique et de la remise en question constructive. Les initier à la science, la littérature, l’art et la philosophie. Et développer leur humanisme. Bref, leur donner le potentiel de devenir des adultes sains, de corps comme d’esprit. Ça paraît peu de chose voire même une bien maigre solution, je suis pourtant convaincu que c’est par là qu’il faut prendre les choses. Que sans être la panacée, cela reste la meilleure option.
Et à ceux dont la voix s’élève déjà, déclarant par-ci par-là « qu’ils l’avaient cherché », « qu’ils jouaient avec le feu » voire pour les pires « qu’ils l’ont mérité », insinuant de la manière la plus gerbante qui soit que les auteurs de ces crimes pourraient avoir des circonstances atténuantes et même que les victimes ont leur part de responsabilité dans cette horreur, à ceux-là je dis taisez-vous. Réfléchissez un peu pour changer, et mourrez de honte.
Aujourd’hui et depuis hier soir, je vois des rassemblements un peu partout en France, de gens très différents mais animés par les mêmes sentiments : la tristesse et l’indignation. Le caractère spontané de ces rassemblements et leur ampleur rassurent un peu. Un peu.
Je vois pourtant déjà d’ici, quand l’émotion sera un peu retombée, quand le quotidien aura repris le dessus, je vois déjà d’ici certains récupérer cette tragédie à leurs propres fins. Je vois déjà les politiques se renvoyer la faute les uns aux autres, s’accuser d’incompétence ou de laxisme, partir dans de grandes leçons à base de « vous n’auriez jamais dû » ou « il aurait fallu ». À ceux-là aussi, je dis d’avance taisez-vous, et mourrez de honte.
Et puis ça me désole d’en parler, mais si il y en a bien une qui doit se frotter les mains parce qu’elle sait pertinemment que tout ça c’est excellent pour sa boutique, c’est la Marine. C’est même d’une pierre deux coups : des islamistes fanatiques commettent un attentat à Paris, voilà qui va faire grimper en flèche le nombre de voix pour le FN et qui va à coup sûr entraîner des amalgames malheureux entre musulmans, arabes et islamistes. Et puis en même temps Charlie Hebdo est décapité, justement le journal qui rentre le plus ouvertement et frontalement dans le lard de l’extrême droite. Si Charlie disparaît, ça fera une épine dans le pied du FN en moins. Bref, tout bénéf pour eux.
Ça me fait hurler de rage quand j’y pense. Que des imbéciles puissent accuser Charlie Hebdo de racisme comme on a pu l’entendre, alors qu’ils sont les premiers à lutter contre cette saloperie lancinante qui bouffe notre pays de l’intérieur, et certainement parmi les plus virulents défenseurs de l’égalité. M’est avis aussi que ce ne seront pas les zozos qui défilent à la Manif pour tous qui vont regretter Charlie Hebdo. Tout cela me désespère...
Et moi à présent, qui va me défendre de tous ces cons ? Qui va se moquer de toute cette bêtise qui s’affiche un peu partout de façon de plus en plus décomplexée ? Qui d’autre que Charlie Hebdo ? Qui le fera aussi bien et aussi fort que Charlie Hebdo ?
Hier soir, encore sous le choc de ce qui venait de se passer dans les bureaux de Charlie, j’ai récupéré Tom à la crèche. Il est venu trottiner vers moi en gazouillant, insouciant et visiblement heureux de me voir. Puis j’ai cherché Nathan chez sa mamie. Il était plein d’énergie et de sourires, jouant avec ses petits avions à grands renforts de bruits de moteurs et de mouvements de loopings. Et j’ai pleinement mesurer l’ampleur de ma tâche, le poids qui pèse sur mes épaules, l’immense responsabilité qui m’incombe. Faire de ces deux enfants magnifiques d’innocence et de gaieté des hommes ouverts, libres et équilibrés. Qui sauront analyser, réfléchir, se questionner et devenir de bonnes personnes, tolérants, intelligents, Humains.
Je ne crois pas en Dieu mais s’il existe, je prie pour qu’il garde mes enfants toujours éloignés et à l’abri des fanatiques religieux de tous poils qui se targuent de parler en son nom.
Voilà bien longtemps que je n’avais plus écrit d’article ici. Je suis parti un peu dans tous les sens mais j’avais besoin d’écrire ce que je ressens.
J’en ai profité pour insérer des images, dessins et photos glanés sur le net, désolé de ne pouvoir préciser à qui ces images appartiennent, j’espère que les auteurs ne m’en voudront pas.
Pour finir, je voudrais juste donner les noms de ceux qui sont morts hier chez Charlie Hebdo, et leur rendre hommage.
Frédéric Boisseau, agent d’entretien.
Franck Brinsolaro, brigadier au Service de Protection.
Ahmed Merabet, policier du 11è arrondissement de Paris.
Jean Cabut, dit Cabu, dessinateur.
Stéphane Charbonnier, dit Charb, dessinateur.
Philippe Honoré, dessinateur.
Bernard Verlhac, dit Tignous, dessinateur.
Georges Wolinski, dessinateur.
Elsa Cayat, psychanalyste et chroniqueuse.
Bernard Maris, économiste.
Mustapha Ourrad, correcteur.
Michel Renaud, invité de la rédaction.