Pas plus tard que ce samedi, j’ai participé à une petite soirée entre copains. Le comité était plutôt restreint, juste de quoi faire un bowling, un peu de billard, boire une bière et finir la soirée tranquillement chez mon ami Éric. Outre lui et moi, il y avait Stéphane (il faudra un jour que je parle du bonheur d’avoir un prénom extrêmement à la mode pendant une très courte période et qui crée une génération entière de gens qui se retrouvent avec un prénom démodé quelques années à peine plus tard. Spéciale dédicace aux collègues Laurent, Frédéric et autres Nicolas !) un pote de lycée, le petit frère d’Éric, Yannick, sa petite amie (enfin une de ses petites amies), et deux autres copain et copine du petit frère.
Bref, trois trentenaires et quatre jeunots de vingt ans.
En gros, dix ans de différence entre les deux générations présentes.
Largement de quoi mesurer le « gouffre » que ces dix années représentent malgré tout. Attention je le précise, la soirée était très agréable, on s’est bien amusé tous ensemble, pas de problème sur ce point. C’est juste quelques détails qui font qu’on ne peut pas nier les différences entre ceux qui se croient encore jeunes et ceux qui savent qu’ils le sont vraiment.
D’abord les portables. Bon, pour qui me connaît un peu, ce n’est pas un secret que les téléphones mobiles et moi ça fait deux (au bas mot). Moi et le téléphone en général d’ailleurs. Je ne nie pas l’utilité du portable, les capacités technologiques des modèles récents et tout et tout. C’est juste que j’apprécie l’illusion de liberté que me procure le fait de ne pas en avoir, et l’attitude générale qui consiste à faire croire qu’en posséder un est indispensable me laisse assez perplexe. On me regarde souvent comme un extra-terrestre quand je dis que je n’ai pas de numéro de portable (les gens se demandent certainement si je prétexte ça pour ne pas le leur donner ou si vraiment je suis un de ces cromagnons resté à l’air glaciaire de la télé-communication). Bref, je suis conscient de faire partie d’une minorité sur ce coup là, même parmi les trentenaires, mais là n’était pas mon propos. Ce qui m’a effaré c’est que Yannick et son pote Steve ont réussi à tenir une discussion passionnée sur leurs appareils respectifs, les petits trucs et astuces à connaître sur les tous derniers modèles, et l’ont conclu par une bonne demi-heure penchés dans un silence religieux sur leurs portables à bidouiller je ne sais quoi dans les menus, envoyer des sms, regarder des photos, etc…
Autre sujet d’étonnement : la bière. Non pas que je m’étonne de voir les jeunes boire de la bière loin de là, qui n’a pas eu ses premiers contacts avec l’alcool grâce au goût frais et onctueux d’une bière ? (et qui a aussi l’avantage d’être légèrement alcoolisée par rapport aux trucs plus forts qui vous cassent en deux verres quand vous débutez dans les boissons pour adultes)… Non moi ce qui m’a étonné c’est le genre de bières proposées. Blonde-pêche, blonde-cerise, blonde-kiwi, blonde-ananas… Forcément j’ai voulu essayer, et j’ai testé la blonde-banane pour voir. Bon ben c’est clairement ignoble ! C’est sucré comme c’est pas permis et surtout ça a une amertume aux relents chimiques furieusement omniprésents ! Ça m’a limite rendu malade ce truc, je n’aurais pas pu en prendre une deuxième…
Mais la palme revient à la fin de soirée, chez Éric. Tous dans le salon, discussions axées sur tout et rien, rires. En fond sonore la télé est branchée sur MCM (euh je crois, je n’en suis plus très sûr d’ailleurs, m’enfin une chaîne musicale du câble en tout cas), des clips se succèdent et forcément on est amené à parler de ce qui est diffusé. De tous les artistes qu’on voit, je n’en reconnais qu’un, le rappeur Bouba (je précise le rappeur, pour pas que des encore plus vieux que moi confondent avec l’ourson). Je ne connais pas ses chansons, c’est juste qu’il était invité il n’y a pas longtemps chez Ardisson ! :oD
Sur la qualité de la musique je ne dirai rien, parce que c’est pas évident de juger en deux minutes un truc que je n’ai jamais entendu par ailleurs et surtout dans un style de musique qui m’est tout de même assez méconnu. J’ai d’ailleurs déjà été agréablement surpris par la production de rappeurs par le passé pour ne pas céder au discours un peu court du style « j’aime pas le rap » bien qu’il ne fasse pas partie de mes « préférences naturelles ».
Ce qui m’a un peu scotché ce sont les commentaires, en particuliers ceux des filles présentes ce soir là. Pendant toute la chanson de M Pokora (M pour Marcel ? Maurice ?) elles nous ont gratifiés de continuels « il est trop beau », « il a un corps trop bien fait », « ses abdos sont trop top » (j’ai noté avec amusement qu’il n’a pas eu droit à un seul compliment sur sa chanson, on aurait pu avoir les mêmes commentaires avec le son coupé ! ;o) )… Quand c’était le tour de Cynik et consorts, on a eu les « il a trop le staïle », « il est trop puissant », au passage d’un autre dont j’ai oublié le nom qui chantait un rap sur sa maman ça a été « les paroles sont trop belles », « elle me fait trop mal au cœur cette chanson ». Etc.
Bref vous l’aurez compris, un artiste ou une chanson qui plaît, est un artiste ou une chanson « trop ». :o)
Et puis à un moment, il y a eu une reprise mi-rap mi-R’n’B d’un tube de Sting. Je me dis chouette je connais la chanson, je m’engouffre dans la brèche… mais je me suis vu coupé net dans mon élan par les demoiselles qui détestent le rock. En gros elles adooooorent sa chanson reprise en rap, mais détestent Sting. La logique à l’état pur. Je crois n’avoir jamais vu ça : elles étaient allergiques au moindre rif de guitare ! (du coup j’ai remballé mes Springsteen, Clapton et autres Knopfler avant même de les introduire dans la discussion.)
J’ai adoré l’argument de l’exception à l’éclectisme de la petite : « franchement j’écoute de tout : rap, techno, dance, R’n’B, … mais le rock et le métal je ne peux pas ». Je crois qu’on n’a pas la même idée des limites du « tout » en question. Je n’ai pas osé approfondir le sujet, de peur que des concepts divers et variés tels que pop, new wave, jazz, folk, guitare sèche, Leonard Cohen, Led Zep ou Brel ne la fasse défaillir :o).
Bref, cette confrontation musicale m’a amené à trois réflexions.
La première c’est que notre jeunesse, à nous les trentenaires (ça fait drôle de dire ça de soi), existe bel et bien. Mais dans notre tête surtout. Il faut se le dire une bonne fois pour toute : Queen et Depeche Mode sont has-been, Dire Straits c’est surtout un mot bizarre mais certainement pas un groupe culte, et Genesis se range au rayon préhistoire dans l’encyclopédie illustrée des vieux croûlants. On croit être à la mode quand on écoute U2, on l’est autant que nos parents qui s’éclatent sur du Franck Michael. Bref, soyons réalistes et conscients d’une chose : ce qu’on a aimé, adoré quand on avait 18 ans est passé de mode aujourd’hui. Pas la peine de dire « mais c’était génial pourtant ! », l’argument est nul et non avenu.
La seconde c’est qu’aujourd’hui la musique est énormément jugée sur … l’image. L’exemple M Pokora est plus que parlant, et je crois qu’il y en a pléthore à l’avenant. Évidemment de tout temps, le look d’un artiste a été important, mais de là à en arriver aux dérives actuelles d’artistes qui ne vendent quasiment qu’avec leur seule image comme argument de vente, il y a une marge. Sur ce point précis il faut tout de même avouer que déjà à la fin des années 80 cette tendance est apparue. Rappelons-nous du bonheur de voir s’ébattre une Sabrina dans son clip tourné dans la piscine de son beau-frère, affublée d’un maillot de bain taille douze ans qui refusait vaillamment de rester en place. Souvenons-nous d’une Samantha Fox toute en poumons en train de hurler son Touch Me dans des poses plus lascives les unes que les autres. Et les clips coquins sous forme de courts-métrages déshabillés de la Mylène Farmer des débuts… Ce n’est donc pas l’apanage des clips des artistes d’aujourd’hui, mais on ne peut pas nier une forte évolution en ce sens.
La troisième et dernière, c’est que musicalement (et peut-être aussi sur de nombreux autres plans), je crois avoir vraiment basculé du côté obscur de la force… du côté des anciens, des démodés, des out. Non seulement je ne connais plus grands choses aux idoles actuelles, mais surtout je m’imagine encore naïvement que mes références musicales sont universelles. Je ne pensais pas par exemple, qu’un jeune peut ne pas aimer le rock, musique jeune par excellence dans mon esprit. Pourtant c’est la réalité.
Je me rends compte qu’irrésistiblement je glisse dans le clan des vieux (cons ?). Argggh.