Sins Past est à mes yeux l’une des plus importantes histoires de Spider-Man de ces dernières années. Il faut dire que le tisseur a connu dernièrement des hauts et des bas. Après avoir crevé le plafond des chiffres de ventes au début des années 90 quand il a été confié au jeune prodige Todd MacFarlane (futur papa de Spawn !), il y a eu une longue traversée du désert pour le héros arachnéen qui a vu sa popularité décliner jusqu’à tomber au plus bas avec la fameuse Saga des clones, une histoire alambiquée, incohérente, incompréhensible, et interminable qui fera fuir, dégoûtés, bon nombre de fans du monte-en-l’air.
Devant l’ampleur du désastre, Marvel réagit tard mais fort. Spider-Man est ramené à ses « bases » (c’est-à-dire qu’on tire un grand trait sur presque tout ce qui a été fait avant et on revient à la formule qui a fait son succès), non sans casse au passage, et parallèlement est lancé Ultimate Spider-Man, la version « années 2000 » du Spider-Man des origines.
Si Ultimate Spider-Man ne tarde pas à cartonner (avec Brian-Michael Bendis et Mark Bagley aux commandes), la version classique du héros ne redécolle pas. Marvel débauche alors la star montante, Joe-Michael Straczynski (Rising Stars et Midnight Nation chez Top Cow, Babylon 5 pour la télévision) pour s’occuper de Peter Parker, associé au talentueux et indéboulonnable John Romita Jr. Dès lors, Amazing Spider-Man reprend de la hauteur. Les histoires sont de qualité, les scénarios intéressants, bref on vibre à nouveau pour le tisseur.
Et voilà qu’en août 2004, alors que John Romita Jr quitte l’aventure Spider-Man après près de 24 années de bons et loyaux services (pour se consacrer à d’autres séries de la Maison des Idées comme Wolverine ou Black Panther), JMS sort l’histoire qui marquera son passage dans la destinée de Peter Parker, dans les #509 à 514 de Amazing Spider-Man. C’est Mike Deodato Jr qui prend le relais aux crayons, et de bien belle manière, puisqu’il revient avec un style très réaliste et bien moins brouillon qu’auparavant (à comparer à ses prestations passées sur Thor, Hulk ou Elektra).
Dans l’histoire en 6 parties Sins Past, JMS va introduire une révélation qui fera date chez les spider-fans. Une révélation sur le passé de Gwen Stacy, premier amour de Spidey. Pour ceux qui ne savent pas qui elle est et ne connaissent que la Mary-Jane Watson qu’on voit dans les 2 films de Sam Raimi, je fais un rapide topo sur elle.
Sachez que dans le comics, avant la rousse MJ, il y a eu la blonde Gwen …
Peter et Gwen se sont rencontrés au lycée et ont fait l’université ensemble. Gwen a été son premier grand amour, et tout semblait à croire qu’ils étaient destinés à finir leur vie ensemble. Mais c’est Norman Osborn, alias le Bouffon Vert, qui transformera l’histoire d’amour en tragédie. Lorsqu’il découvre l’identité de Spider-Man, il enlève Gwen et l’emporte en haut du pont de Brooklyn (scène reprise dans le premier film, avec MJ à la place de Gwen). S’en suit une bataille entre Spider-Man et le Bouffon au cours de laquelle celui-ci précipite Gwen dans le vide. Spider-Man tente de la rattraper avec sa toile, mais le choc brise la nuque de la jeune fille, qui meurt dans Amazing Spider-Man #121. Ce n’est que bien plus tard que Peter connaîtra à nouveau l’amour avec MJ, leur amie commune. Voilà pour vous situer Gwen Stacy.
Sins Past débute donc avec une lettre que reçoit Peter chez lui, une lettre datée de quelques jours, écrite et signée de la main de … Gwen Stacy elle-même. Dans cette lettre inachevée, elle parle à Peter d’une révélation horrible qu’elle ne peut se résoudre à lui faire. Peter reçoit des menaces envers Tante May et MJ, et à plusieurs reprises doit en découdre avec deux mystérieux adversaires masqués, à la force et à l’agilité étonnantes. C’est en enquêtant sur la lettre de Gwen que Peter découvre, éberlué, qu’elle avait eu des jumeaux, Gabriel et Sarah, nés prématurés durant les quelques mois qu’elle avait passés en étude en France. Enfants dont Peter n’est pas le père, faute d’avoir eu de relations intimes avec Gwen.
Et le plus fort réside … dans l’identité du père des jumeaux, qui n’est autre que Norman Osborn en personne, l’ennemi le plus intime de Spider-Man !!! C’est Mary-Jane, au courant de toute l’affaire en tant que confidente privilégiée de Gwen, qui révèle tout à Peter, médusé d’apprendre de la bouche même de sa femme cet épouvantable secret.
Jugez plutôt : Peter apprend en bloc que sa douce et tendre Gwen Stacy avait eu une brève liaison avec Norman Osborn, son pire ennemi, alors que leur propre relation avait toujours été chaste. Et qu’elle a eu de lui des jumeaux, qui ont non-seulement hérité des pouvoirs extraordinaires de leur père, mais aussi subit de ce fait une dégénérescence génétique qui les fait vieillir 3 fois plus vite que la normale (évidemment, les mystérieux adversaires en noir que Spidey a combattu au début de l’histoire sont Gabriel et Sarah, persuadés que Peter est leur vrai père et qu’il les a abandonnés eux et leur mère).
Le voici face à une triple trahison : Gwen l’a trompé, de plus avec son ennemi juré, et MJ a toujours été au courant sans jamais rien lui dire. Voilà un vrai et grand bouleversement dans la vie de Spider-Man, bouleversement d’autant plus puissant qu’il amène à considérer d’un nouvel œil tout un pan de l’histoire du héros, en destituant de son piédestal Gwen Stacy de manière tout à fait plausible. C’est d’ailleurs ce que les fans hardcore de Spidey ont reproché à JMS : ne pas respecter le personnage devenu culte qu’a été Gwen Stacy. C’est comme si on venait vous dire que Rudolph Valentino était en fait gay ou que John Wayne avait peur des armes à feu, ça va à l’encontre de tout ce qu’on a toujours cru savoir du personnage de la douce Gwen.
Et pourtant je ne peux qu’avouer que JMS a parfaitement réussi son coup : tout colle jusque dans les moindres détails. On a du mal à le croire parce qu’on ne veut pas le croire, pourtant c’est vraiment étayé et plausible. Et c’est justement parce que cette histoire est imparable, et parce que les faits s’insèrent sans mal dans le passé des personnages sans créer d’incohérence de continuité, que la révélation prend une telle force, que la trahison fait si mal. C’est la première fois que je me suis senti trahi personnellement au même titre que Peter Parker par un personnage de BD. Preuve que Gwen représentait jusqu’alors dans l’inconscient collectif des lecteurs une forme de perfection, et que JMS a réussi à nous démontrer que même dans les comics, les êtres humains parfaits et irréprochables n’existent pas.
Rien que pour ça, bravo monsieur Straczynski !
(en VO ça se lit dans Amazing Spider-Man vol.1 #509 à 514, en VF dans le mensuel de Panini/Marvel France Spider-Man vol.2 #63 à 68 - avril à septembre 2005)