Parmi les thèmes de réflexion qui me tiennent vraiment à cœur, tout ce qui touche à la relation d’un père à ses enfants m’est cher. J’y pense très souvent, j’observe autour de moi, cela nourrit bon nombre de mes cogitations… Le statut de fils, le statut de papa, l’évolution de l’un par rapport à l’autre et par rapport au reste du monde, tout cela me passionne. Avec de plus un double regard différencié, étant moi-même fils et père.
Tout particulièrement, ce qui me fait beaucoup réfléchir, c’est la notion d’héritage et surtout de transmission. Ce qu’on lègue à ses enfants, ce qui survit de soi en eux, et la façon dont ils vont un jour se forger leur personnalité propre, qu’elle soit en accord ou en rupture avec celles de ses parents. En disant cela, c’est à un très large spectre de domaines que je fais allusion. Qu’il s’agisse de la pure génétique, donc de l’hérédité biologique et physique, ou de la transmission de savoir comme de savoir-faire, mais aussi d’équilibre psychologique, de développement du libre-arbitre et du sens critique, de succession patrimoniale et matérielle ou encore de la passation des valeurs qui nous importent le plus, voire même d’une certaine forme de morale*. Tout ce qui vient directement de nous et va plus ou moins influer sur l’identité en formation et en devenir de nos enfants m’interroge. Et mine de rien, ça fait beaucoup de choses. Mais pas un seul jour sans que je n’y pense, fût-ce furtivement.**
Il se trouve que tout récemment j’ai fêté mes 44 ans. Outre le fait que ça commence à chiffrer, c’est aussi un chiffre théoriquement médian. Il y a déjà un bon bilan à faire, mais aussi encore a priori de belles perspectives pour l’avenir.
À cette occasion donc, j’ai été très gâté par mon entourage. De beaux cadeaux de toutes sortes, mais surtout et avant tout des présences, des attentions et des pensées de celles et ceux qui comptent pour moi. Que des choses qui touchent et réjouissent le cœur et l’esprit.
Et donc, au cours de ce week-end d’anniversaire, il s’est passé deux choses qui m’ont marqué, et que j’ai considéré comme mes deux plus beaux cadeaux.
La première c’est que Nathan a dessiné sa première BD (de 13 pages tout de même), une aventure inédite de Tintin et Milou :-) Cela fait presque deux ans que j’avais proposé un ou deux albums de Tintin à Nathan, qui les avait poliment acceptés et lus, mais apparemment sans plus de son côté. Je n’avais pour ma part pas cherché à insister. Certes Tintin a fait partie de mes premières et plus marquantes lectures, mais je pouvais comprendre qu’à presque 35 ans d’écart, les passions d’enfance ne sont pas si aisément transposables. Mais voilà qu’une frénésie de tintinophilie a pris Nathan depuis trois-quatre mois, et il a littéralement dévoré toute la collection, lu et relu plusieurs fois chaque album. Au point de se lancer donc dans la confection de sa propre histoire, avec de chouettes idées, de l’humour, des codes narratifs et visuels (les phylactères, les onomatopées, la dynamique, le séquençage, le jeu des perspectives) inhérents au médium BD déjà compris et intégrés. Ça m’a non seulement ravi, mais aussi et surtout empli de fierté.
Le capitaine Haddock c'est de la Culture aussi !
La seconde c’est que Tom, du haut de ses cinq ans dont il est si fier, a commencé de son propre chef, seul dans son coin, à se mettre à lire ! Jusqu’à présent il lui arrivait régulièrement de prendre des livres et de réciter de mémoire toute l’histoire page par page quand il la connaissait par cœur, ou alors de se lancer dans de belles improvisations en posant des textes et dialogues de son cru sur les images. Mais là c’est différent : maintenant qu’il connaît l’alphabet (ça fait partie de ce qu’il a appris en seconde section de maternelle cette année) il a eu l’idée d’appliquer ses toutes nouvelles connaissances à la lecture. Et donc on l’a surpris, très sérieux et concentré, à épeler les lettres d’un mot pour voir ce que ça fait comme son. Il a compris tout seul qu’un L suivi d’un A donnait le son « LA » par exemple***. Ça m’a laissé sur le cul : cette envie de lire, son initiative personnelle sans demander à quiconque de l’aide, et la jugeote dont il a fait preuve en ayant eu l’idée d’associer les sons des lettres pour former des mots, sans parler de la concentration intense qui lui est nécessaire à déchiffrer ce qu’il voit. Comme pour l’initiative de Nathan, celle de Tom m’a complètement surpris, époustouflé, et rendu très fier.
Des livres pour bien grandir...
Surtout, et c’est là où je voulais en venir, cela m’a rassuré sur plein de choses. Mon obsession de la transmission, et toutes les questions que je me pose à ce sujet y ont trouvé une réponse simple, nette, limpide. Pour moi qui ai un véritable amour pour les livres, une passion pour la BD et qui considère la lecture comme la base indispensable à la connaissance, et donc à la formation d’un esprit sain et d’une belle personne****, voir que l’intérêt pour les livres, pour les histoires, pour la lecture, l’envie de décortiquer les mots pour comprendre les textes -pour comprendre le monde qui nous entoure en fait- cet intérêt si cher à mes yeux était partagé par mes deux garçons sans que rien ne leur soit imposé, juste à leur propre initiative, comme dirait Brassens « ça m’a réchauffé le cœur ».
Je me dis que l’une des valeurs qui m’importe le plus leur a été transmise. Et ça me rend vraiment très heureux.
J’ai des gamins formidables. Ils sont tous les deux, au quotidien, mes plus beaux cadeaux.
Hulk pas content, by Tom
* bien que je n’aime pas beaucoup ce terme de morale
** comme je pense quotidiennement à beaucoup d’autres sujets, des plus futiles aux plus profonds (l’amitié, le chocolat, l’amour, la culture, les belles poitrines, le réchauffement climatique, l’art, le pouvoir de l’imagination et de la connaissance, etc… je vous laisse classer vous-mêmes par ordre d’importance)
*** ce qui nous a valu des questions du type « c’est quoi le son du H ? »
**** autrement dit l’aider à devenir un Mensch. Traduction littérale : un humain. Un type bien quoi.