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Avant de lire les notes que je fais sur les films que je vois et les bd que je lis, sachez que dans mes commentaires il m'arrive parfois de dévoiler les histoires et les intrigues. Ceci dit pour les comics, je n'en parle que quelques mois après leur publication, ce qui laisse le temps de les lire avant de lire mes chroniques.
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11 juin 2020 4 11 /06 /juin /2020 14:37

Premier long métrage réalisé par Franchin Don, Vous êtes jeunes vous êtes beaux ne passe pas inaperçu, ni sur sa forme ni sur son fond. Adapté du court roman de Tarik Noui, le film propose un regard inédit sur les seniors, cru et sans concession, plutôt sombre et assez désespéré.

 

Le personnage principal, Lucius Marnant (Gérard Darmon) a 73 ans, il vit seul et très modestement, tout en restant un homme droit et digne. On imagine assez bien le poids de son histoire personnelle qui pèse sur ses épaules, sans que son passé soit abordé on le sent lourd. Lucius est un homme solitaire, un taiseux, un introverti. D’aucuns diraient peut-être un résigné qui se sent arriver au bout du chemin. La seule personne dont il se sent proche est Mona (Josiane Balasko), une femme avec laquelle il aime à partager les bons moments mais surtout pas la triste monotonie du quotidien. Il rencontre un jour Lahire (Vincent Winterhalter) qui lui propose de participer à des combats clandestins, des « combats de vieux » en échange d’argent. Lucius se sait malade et condamné à moyenne échéance, il accepte donc l’offre dans l’idée de s’assurer les moyens de finir ses jours sans problème d’argent.

Lucius rencontre Lahire, son existence est sur le point de basculer...

Ce qui frappe en premier lieu dans ce film, c’est le ton général, extrêmement sombre, froid, presque clinique. Il n’y a pas de tape-à-l’oeil, pas de chichi, pas de fioriture. Les choses sont montrées crûment, les perspectives des personnages ne sont guère reluisantes, et la violence de leur environnement est dépeinte frontalement. Pas tant visuellement que moralement d’ailleurs. J’ai été étonné par exemple que le film ne se concentre pas du tout sur les scènes de combats entre vieillards, ce qui pourtant aurait pu donner lieu à des scènes inédites et promptes à éveiller la curiosité malsaine, pour ne pas dire une part de voyeurisme chez le spectateur. C’était l’occasion de choquer et de marquer visuellement. Pourtant Franchin Don a pris le parti de s’éviter cette obscénité en traitant ces scènes-là d’une manière humble et sobre, il n’en fait pas du tout le centre de son récit ni des passages de bastons sanglantes. On n’est pas dans Fight Club, on ne regarde pas un Rocky. Pourtant les combats conservent leur force narrative et visuelle, pas tant dans leur déroulement, leur chorégraphies martiales ou de quelconques prouesses physiques, mais plutôt dans ce qu’ils dégagent symboliquement. Par cette arène improvisée au sous-sol d’une boîte de nuit, par cette proximité avec un public de jeunes gens venus s’amuser à voir des vieux se battre, mais surtout par les corps vieillissants soumis à l’œil de la caméra et du spectateur. Ces corps fatigués, décrépits, aux muscles fondus, aux peaux distendues, soulignés par les monologues assassins du monsieur loyal qui introduit chaque combat (Denis Lavant). Le choc, l’image marquante, elle est là, bien plus que dans un uppercut esthétisé ou dans une prise d’art martial au ralenti. Cette image de la vieillesse donnée en spectacle pour ce qu’elle est, la perte progressive de tout ce que ces hommes ont été et qu’ils ne sont plus : jeunes, beaux, virils, forts. Leur reste la dignité et le courage comme derniers vestiges de leur passé révolu, et c’est ce qu’ils mettent en jeu lors de ces combats clandestins. C’est ce dont les vautours voyeurs veulent se délecter et ce pour quoi ils acclament ces gladiateurs hors d’âge.

Jeune et beau ? Plutôt digne et courageux.

J’ai été impressionné par la façon dont ces combattants, et à travers eux leurs interprètes, donnent à voir sans fard leurs corps soumis aux affres du temps. Qu’il s’agisse de Lucius, d’Aldo (Patrick Bouchitey) ou de chaque combattant qu’on aperçoit dans le film, il y a un courage énorme dans le simple fait de se présenter ainsi au regard impitoyable des autres, sans même parler de celui qu’il leur faut pour se soumettre aux risques accrus par leur âge et leur condition physique. J’ai particulièrement apprécié que le réalisateur n’en fasse pas des images racoleuses et multiplie ce faisant leur impact symbolique autant que visuel.

Aldo a décidé de ne pas vieillir !

D’ailleurs sur le plan de l’image, on sent une véritable maîtrise du metteur en scène, de la photographie à la lumière, du cadrage à la gestion des couleurs et des tons des décors, des mouvements des caméras au montage, tout est mis en œuvre pour obtenir des images puissantes et qui parlent d’elles-mêmes. Pour Franchin Don chaque image a du sens, et cela se ressent viscéralement. Ne serait-ce que par les fréquents regards-caméra que lance Gérard Darmon tout au long du film, procédé qui pourrait s’avérer lourd ou trop répétitif dans un autre contexte, mais qui trouve ici une vraie légitimité et participe au message véhiculé par le film.

Un Monsieur Loyal des plus glaçants...

Alors certes, qu’il s’agisse du propos du film ou de la vision de la vieillesse qu’il livre, on pourrait lui reprocher un pessimisme exacerbé, une noirceur, une tristesse, un désespoir omniprésents. Oui c’est vrai, Vous êtes jeunes vous êtes beaux n’est pas le candidat idéal pour vous remonter le moral si vous cherchez de quoi vous changer les idées. Sans même parler du cynisme de ces combats entre vieux érigés en spectacle pour jeunes et riches dépravés, il y a aussi ces passages tournés en Ehpad, qui montrent le quotidien de nos anciens sous un jour triste et morne, quand l’esprit suit lentement le chemin de décrépitude souvent déjà bien entamé par le corps… Cela donne un impact indéniable au film car cela nous met en face de l’image qu’on a des vieux, mais au-delà même le film agit comme un miroir dans lequel on ne peut s’empêcher de nous projeter nous-mêmes à leur âge.

Mona et Lucius se soutiennent l'un l'autre.

On ne peut que constater que les hommes et les femmes, passé un certain âge, deviennent une entité étrangère à la société, quasi-interchangeables, anonymisés, déshumanisés. Le sentiment principal qui ressort de Vous êtes jeunes vous êtes beaux, c’est la sensation de solitude très forte qui entoure les vieux. Mais aussi en contrepoint de cela, la flamme, l’envie qui subsiste en eux, leur besoin de s’affirmer comme quelqu’un d’encore vivant. Ou plus exactement de « pas encore mort ». C’est très frappant et tout particulièrement représenté par le personnage d’Aldo, interprété par un Patrick Bouchitey qui ne s’interdit rien, sauf d’avoir l’âge de ses artères. Mais si Bouchitey fait son show et surprend dans un rôle où on ne l’attendait pas, c’est clairement Gérard Darmon qui attire tous les regards sur lui. Il bouffe littéralement l’écran par sa simple présence, par son simple silence. Josiane Balasko n’est pas en reste non plus, et montre un jeu subtil, loin des extravagances qu’on a pu lui connaître. Darmon et elle forment un couple touchant, bien qu’imparfait. Il n’y a aucun doute là-dessus : si le réalisateur démontre sa maîtrise tout le long du métrage, l’ensemble du casting fait preuve d’un talent indiscutable. Tout le monde est à sa place, rien ne paraît dissonant, et cette apparente normalité tranche tellement avec l’incongruité de la situation de ces combats impensables, que l’effet sur le spectateur s’en trouve décuplé.

Aldo fait le show !

Alors non Vous êtes jeunes vous êtes beaux n’est pas un film facile, ni à regarder ni à aimer, mais c’est un film fascinant aussi bien pour ce qu’il dégage que pour ce à quoi il nous invite à réfléchir. Quand on se rappelle que c’est là un premier film, on a tendance à être très optimiste quant à la suite de la carrière de son réalisateur.

L'affiche du film

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