Bon, je préfère annoncer la couleur d’entrée : oui, je suis fan de Rocky.
Voilà, ça, c’est fait.
Autant dire qu’en aucun cas je ne pourrais être considéré comme objectif et sans parti pris dans le commentaire qui va suivre.
Mon amour pour Rocky vient de loin. De Rocky 3 : L’œil du Tigre et de Rocky 4 pour être plus précis, autrement dit ma première rencontre avec le boxeur poids-lourd s’est faite au travers des deux films les plus « guerriers » de la série des six qui composent la saga de l’étalon italien. Et quand on est à peine ado et qu’on assiste aux combats titanesques d’un Rocky contre le sauvage Clubber Lang (Mr. T) ou le monstrueux Ivan Drago (Dolph Lundgren), on est envoûté par le personnage, il est le héros absolu. Ce n’est qu’ensuite que j’ai découvert les deux premiers films de la série, et c’est en particulier avec le tout premier opus que j’ai été touché au cœur par Rocky l’homme, après avoir adulé Rocky le cogneur qui ne recule jamais. Puis j’ai vu sur le tard le très critiqué Rocky 5, et je vous avais prévenu en préambule que je n’étais plus objectif pour un sou dès qu’il s’agit de lui, mais j’ai même trouvé des choses à sauver dans ce film que Sylvester Stallone lui-même considère comme mauvais. C’est dire le peu de crédibilité que j’ai sur ce sujet, je m’en rends bien compte.
Alors quand le projet Rocky 6, devenu entre temps Rocky Balboa, a été annoncé l’an dernier avec dans son sillage déjà tout un cortège de détracteurs et de persifleurs trop heureux d’accueillir par avance comme le nanar ultime le nouveau film de Stallone, je suis certainement passé pour un imbécile heureux en me disant impatient de voir le sexagénaire rechausser les gants.
C’est donc avec l’envie d’un gosse mais aussi la crainte proportionnelle d’être déçu que je suis allé voir le dernier combat du vieux lion. Et j’en suis sorti ravi et absolument convaincu.
J’évacue d’entrée les défauts du film.
Avant toute chose, c’est peut-être la plus grosse faiblesse du film, l’adversaire de Rocky est très certainement le moins charismatique et le moins impressionnant de toute le série. Même dans Rocky 5, le fadasse Tommy « Machine » Gunn (Tommy Morrison) en imposait plus, par le physique et par le lien humain qui le reliait à Rocky dans l’histoire. Ici le champion Mason « The Line » Dixon (Antonio Tarver) aurait aussi bien pu être un quelconque basketteur voire un rappeur sauce 50 cents que c’était la même chose. Lors du combat final, à la tombée des peignoirs, il fait pâle figure à côté de Stallone pourtant de 35 ans au bas mot son aîné … Bref, l’acteur qui incarne le rôle (Antonio Tarver) pourrait bien être ce qu’on appelle communément une erreur de casting. Comparé au Apollo Creed (Carl Weathers) des premiers films, il est tout bonnement inexistant.
Autre défaut « à noter tout de suite comme ça après on parle d’autre chose », le film manque évidemment d’une certaine crédibilité. Un vieux boxeur de 60 piges contre le champion du monde des poids-lourds ne tiendrait certainement pas deux rounds sur un ring. Fut-ce Stallone, Schwarzenegger, Van Damme ou qui vous voudrez. Il y a bien eu un antécédent avec l’immense George Foreman qui était remonté avec succès sur les rings pour finir sa carrière à 49 ans, mais non seulement cela tient de l’exceptionnel mais qui plus est je le verrais mal, aujourd’hui qu’il atteint la soixantaine, réitérer un tel exploit.
Mais bon, sans ce postulat de départ, pas de film. Et vu la qualité du film, je suis prêt à fermer les yeux là-dessus et à me laisser raconter de belles histoires sur la volonté de l’esprit plus forte que toutes les lois de la biologie et du vieillissement du corps…
Rocky Balboa, écrit, réalisé et évidemment interprété par Sylvester Stallone, est un immense uppercut à la mâchoire de tous ceux qui s’en moquaient des mois à l’avance. Ce film est d’une simplicité et d’une sincérité désarmantes, et c’est là toute sa force. Bien qu’il se soit quelque peu égaré au fil des épisodes, on retrouve ici Rocky, le Rocky du premier film, tel qu’il a toujours été, tel qu’il n’aurait jamais dû changer.
Stallone l’a compris car il est loin d’être idiot malgré ses biscottos un peu défraîchis et son regard de chien battu : pour remettre Rocky sur le devant de la scène, la seule solution était de revenir aux sources, et c’est ce qu’il réussit avec brio dans cet ultime épisode de la saga.
Rocky a soixante ans (l’âge réel de Stallone), cela fait longtemps qu’il a raccroché ses gants. Aujourd’hui il tient un petit restaurant italien où il amuse les clients de ses anecdotes de boxeur. La douce Adrienne (Talia Shire) est morte d’un cancer voilà trois ans, laissant derrière elle un Rocky triste comme les pierres, un fils (Milo Ventimiglia) à la personnalité frustrée d’être toujours dans l’ombre de la notoriété de son champion de père, et un frère Paulie (inusable Burt Young) toujours aussi invivable et toujours plus touchant au fur et à mesure qu’il s’enracine dans l’antipathie et la râlerie imbuvable.
Et voilà que Rocky revient sous les feux des projecteurs par l’intermédiaire de quelques commentateurs sportifs qui jurent par tous leurs dieux que l’ancien double-champion du monde au meilleur de sa forme gagnerait haut la main dans un combat qui l’opposerait au champion actuel des poids-lourds, jugé très fort mais incapable de prouver sa vraie valeur de combattant faute d’opposant valable. Il ne faut pas plus que cela et l’envie irrésistible de remonter une dernière fois sur le ring pour convaincre le vieux cogneur d’accepter de disputer un match d’exhibition contre le champion en titre.
Résumé ainsi, cela fait très court comme argument d’un film, et peu crédible il faut bien l’avouer. Et bien malgré cela, la formule fonctionne parfaitement, car Stallone a compris que ce n’est pas Rocky le boxeur mais bien Rocky l’homme qu’il devait mettre au centre de son récit. D’où l’impression évidente de retour aux sources, car contrairement à ce que peuvent penser tous ceux qui ne connaissent Rocky que de réputation, le premier Rocky n’a jamais été autre chose que cela. Certainement pas un bête film de baston sur un ring de boxe, mais l’histoire d’un loser qui décide de saisir la dernière chance de sa vie de devenir ce qu’il n’aurait jamais osé espérer être, et de gagner la seule chose qui compte à ses yeux : le respect de ses pairs et l’amour de sa chère Adrienne. Le premier film Rocky prenait place dans les quartiers pauvres de Philadelphie, ses héros étaient des gens ordinaires, voire même rendus transparents par le désespoir d’une vie morne et triste. Dans ce nouvel opus, Stallone replonge son personnage dans cette ambiance, dans ces quartiers, dans cet état d’esprit.
Par l’intermédiaire de Paulie par exemple, toujours là pour traiter tout le monde d’enculé entre deux paroles sensées et en laissant suinter une sensibilité à fleur de peau. Mais aussi grâce à la très bonne idée de ramener un personnage secondaire du premier film, la petite Mary (Geraldine Hughes) à qui Rocky fait maladroitement la morale avant de se faire envoyer paître. Mary a depuis grandi et est devenue une femme à la vie curieusement aussi triste et morne que l’étaient celles de Rocky et Adrienne dans le premier film.
Que Rocky la reprenne sous son aile marque symboliquement le lien de continuité directe entre les premier et dernier films. Comme si délibérément Stallone laissait tout ce qui s’est passé dans l’intervalle de côté (comprenez, dans les films intermédiaires). Il joue à fond la nostalgie et les renvois permanents au premier film, et la ficelle si grosse soit-elle, fonctionne à merveille.
Et pourtant Stallone va loin : flash-backs tirés du Rocky de 1976, incrustations d’images anciennes, retour sur tous les lieux importants du premier film, et même de tous petits détails sont là pour ceux qui comme moi connaissent la genèse de Rocky par cœur (le chien, certaines scènes d’entraînement, le footing qui se termine en haut des marches de la place du musée de Philadelphie, les œufs crus ingurgités par demi-douzaine au petit-déjeûner, la dégaine vieux cuir rapé et chapeau enfoncé, …).
Mais surtout, c’est le personnage de Rocky qui n’a pas changé malgré ses trente années de plus au compteur. Il reste le gentil gars à la réflexion simple qui fait ce que son cœur lui dit de faire, un peu pataud, un peu naïf, parfois un peu lourd et maladroit, mais extrêmement touchant d’humanité, de simplicité et de vérité.
Et en définitive c’est cela que j’ai certainement le plus aimé. Le personnage de Rocky à 60 ans que nous propose Stallone sonne infiniment juste. Il est crédible humainement jusqu’au bout des ongles.
Il s’agit de bien plus que d’un personnage fétiche , c'est un véritable alter-ego : Stallone est Rocky. Rocky est Stallone. Sans l’ombre d’un doute.
Rocky Balboa est à ranger au même niveau que le premier opus. C’est la fin magnifique d’une série inégale, et c’est d’autant plus remarquable qu’il est rare pour une si longue série de finir sur une aussi belle note.
Allez le voir.