- Vous avez l’heure please ?
- Il est 17h30.
- Quel jour on est déjà ?
- Ben, lundi.
- Non mais, je voulais dire quelle date ?
- Le 9 avril, pourquoi ?
- Ok, et l’année ?
- L’année ?! Mais enfin, 2018 bien sûr !
- 2018 déjà ?… bon sang, il semblerait que j’ai un peu de retard…
- Du retard ?
-’tendez, laissez-moi calculer… voilà c’est ça : 4 ans, 3 mois, 15 jours et 2h30 de retard.
- Ah ouais, quand même !
Eh oui, cela fait un peu plus de 4 ans maintenant, que j’ai posté ici mon dernier article « régulier ». Après cela j’ai encore mis en ligne quelques papiers, mais pour des événements bien particuliers, pour lesquels je ne pouvais pas garder le silence. L’horreur de l’attentat de Charlie Hebdo en janvier 2015. Mes 40 balais fêtés en grande pompe avec ceux que j’aime devant un concert privé et à la maison de Fred Blondin en avril 2015. La mort de Leonard Cohen, triste souvenir de novembre 2016. Le Tour du Monde que j’ai fait en compagnie de mon ami Nono en avril 2017. Le départ d’un autre géant de mon univers musical avec le décès de Tom Petty en octobre 2017. Un tout petit article en forme de vœux en janvier 2018, histoire de teaser discrètement ce retour en ligne, et puis enfin un article en mars dernier pour partager tout le plaisir que j’ai eu à revoir enfin un nouvel album de Fred Blondin en vente dans les bacs…
Et si on se payait un petit luxe ?
C’est pas que je n’avais rien à dire pendant ces 4 années. J’en ai vues, lues, entendues des choses qui auraient mérité un commentaire (cela dit j’ai continué tout ce temps à alimenter la petite rubrique « Avis vite dits » où je chronique en quelques mots films et séries que je me suis mis sous la rétine). Mais écrire régulièrement ici, … j’en avais l’envie mais plus la flamme. Les idées étaient là, mais plus les mots pour les dire. Je ne sais pas vraiment pourquoi, c’était juste ainsi. Peut-être un sentiment de manque de légitimité. D’où je me prends le droit d’écrire ce que je pense, et surtout qu’est-ce qui me fait croire que ça puisse intéresser quiconque ? J’ai aussi ressenti une vraie lassitude, pour ne pas dire carrément un rejet de la « vie online » en général, et tout particulièrement de tout ce qu’on regroupe sous le nom générique de « réseaux sociaux ». Quel que soit le sujet, grave ou léger, personnel ou universel, intéressez-vous à un thème et surfez sur le web. Parcourez des forums, lisez des commentaires, baladez-vous sur facebook ou n’importe quelle plateforme communautaire. Et ce que vous y voyez, de plus en plus souvent et couramment, fait peur. À tous points de vue. Je passe sur les trucs quasi-illisibles écrits avec les pieds dans des moufles, pour lesquels il faudrait être diplômé en cryptologie pour y déloger le début d’une idée cohérente. Même l’approche purement phonétique ne permet pas toujours de saisir le sens de certains mots qui s’apparentent plus à des hiéroglyphes. Et là, je ne parle que de la forme, parce que si on se penche sur le fond… alors là, misère !
... and I'm so powerfool
Entre la bêtise crasse, l’intolérance et le « moi je », il ne reste pas grand-chose à sauver. Le débat, celui où des choses peuvent être dites clairement, posément, où les arguments et contre-arguments peuvent être explicités de manière à la fois intelligible, respectueuse et dépassionnée, celui où l’on peut avoir des avis différents sans se traiter de tous les noms, celui où les idées sont au centre des discussions et non pas les conflits de personnes, ce débat-là je vous souhaite bonne chance pour le trouver sur le net. Car il est quasi-systématiquement enseveli sous des tonnes et des tonnes d’invectives, d’injures, de moqueries, de violences verbales si ce n’est de menaces physiques. D’autant qu’il y a carrément des sujets dont il est devenu tabou, si ce n’est explicitement interdit, de parler. Au premier rang desquels les religions, puisqu’un « bon » croyant qui va au bout de sa logique coupera court à tout embryon de discussion sur des sujets qui pourraient remettre en cause son dogme, au motif du blasphème pur et simple. Moi qui croyais que le délit de blasphème faisait partie du passé révolu de notre civilisation, je me rends compte avec désarroi qu’il revient sur le devant de la scène publique avec une vigueur qui me fait froid dans le dos… Osez seulement prononcer des mots comme « Mariage pour tous », « Islam » ou « Juif » sur un forum de discussion et vous verrez ce qui va se déclencher et vous tomber sur le dos en moins de temps qu’il ne faut pour le dire…
Et si on optait pour l'intelligence pour changer ?
Affligeant également de constater la connerie abyssale de certains sites (étonnamment nombreux) qui promeuvent les textes sacrés tout en dénonçant les sciences comme de fausses vérités et amènent certains à des extrémités de bêtise si puissante qu’ils remettent en question voire rejettent en bloc des disciplines telles que la paléontologie, l’astronomie, la biologie, la physique ou même la géométrie. Au bénéfice de monumentales couillonneries comme la théorie de la Terre Plate, la théorie selon laquelle les hommes ne seraient jamais allés sur la Lune ou celle qui laisse croire que ce sont les autorités américaines elles-mêmes qui auraient organisé les attaques terroristes du 11 Septembre 2001. La palme au Créationnisme évidemment. Et pêle-mêle vous serez bien heureux d’apprendre que les Égyptiens de l’Antiquité se sont servis de dinosaures pour construire les pyramides et que la Finlande n’existe pas mais est une invention de la Russie et du Japon pour pouvoir pêcher tranquilles dans une mer secrète... Je vous vois rire sous cape, mais ce ne sont pas des blagues, des gens y croient vraiment ! Bande de naïfs que vous êtes à prendre pour argent comptant tous ce qu’on essaie de vous apprendre à l’école...
Je passe sur les polémiques qui sont truffées de fake-news qui mènent à une hystérisation des sujets sans qu’il ne soit plus possible d’en parler calmement : le rejet aveugle des vaccins, la théorie du grand remplacement, le climato-scepticisme… à chacun son délire, à chacun ses psychoses. On croule sous les hoax, les informations virales et non vérifiées. Il suffit que ce soit écrit quelque part sur un obscur site internet, même si c’est par un type à moitié analphabète, pour que tôt ou tard ce soit relayé et cru par un nombre croissant de gens qui aiment donner foi au farfelu et à l’improbable tout en rejetant aveuglément tout ce qui s’apparenterait à de la science et sortirait un tant soit peu du domaine de la croyance.
Et c’est bien là, selon moi, le point commun entre théories du complot fumantes et religions ou sectes de tous poils : tout repose sur la croyance (donc sur la naïveté des gens et l’emprise des forts sur les faibles) et le rejet de la connaissance et de l’éducation. Réfléchir n’est pas une option, c’est même fortement déconseillé.
Alors que choisissez-vous ?
Plus je m’aventure sur internet, et plus je tombe sur ce genre de choses, qui honnêtement, me désespèrent du genre humain. C’est de plus en plus difficile d’y échapper. Il reste bien les sites de news qui relatent les folles aventures des héros de télé-réalité mais bon, fuir la connerie pour se retrouver à se vautrer dans des âneries… Même sur un site de news de cinéma par exemple, pour peu que la section « commentaires » des articles soit ouverte, ça tourne inévitablement à l’empoignade et à l’étalage de délires et d’obscénités*. Un truc de fou.
À quoi ça tient ? Je pense que l’internet, outil de communication merveilleux sur le papier, s’avère dans les faits accoucher de phénomènes incontrôlables et assez monstrueux. Tout le monde a voix au chapitre, ce qui en théorie encore une fois, est plutôt une bonne chose. Mais « tout le monde » ça englobe les idiots, les illuminés, les incultes, les ravis de la crèche, les pères-la-morale, les « je sais tout » et de manière générale aussi ma catégorie favorite, « les connards ». Ajoutez à cela le fait (et ça a été démontré) que l’on est beaucoup plus bête au sein d’une foule que seul ou en petits groupes, et vous obtenez des ravages dans les têtes des gens. Après c’est simple, comme bien souvent dès qu’il y a beaucoup de monde, c’est celui qui parle le plus fort et qui s’affirme donc le plus qui finit par avoir raison et l’emporter sur les autres, quelle que soit la teneur de son discours. Malheureusement c’est bien triste, les imbéciles parlent en moyenne beaucoup plus fort que les autres, et ceci s’explique par un fait méconnu mais parfaitement logique quand on y pense : le-dit crétin parle fort à la base pour couvrir le bruit du courant d’air violent qui sévit entre ses oreilles.
Du coup vous aurez vite fait la relation entre ces 2 équations sociologiques : le plus con parle plus fort, est plus entendu, et a finalement plus de chances d’être cru et suivi. D’où la prolifération de sites qui présentent et défendent des théories folles par rapport au petit nombre de sites qui tentent de démonter méthodiquement et scientifiquement les hoax et autres canulars viraux, CQFD.
Quand tu regardes le Néant, le Néant te regarde...
On parle souvent aussi de l’effet de l’anonymat qui libère la parole de gens qui n’oseraient pas dire des énormités à visage découvert, mais sincèrement je crois que c’est de moins en moins vrai. Ça a certes pu en décomplexer pas mal au départ, mais aujourd’hui j’ai la très nette impression que plus on est con, plus on est fier de le faire savoir et de le revendiquer devant le monde entier… Pire même : on dirait que c’est devenu un des droits les plus fondamentaux et inaliénables du-dit con !
Et donc dans tout ça me voilà moi, conscient de toute cette cacophonie webesque, confronté à ce dilemme cornélien : j’ai bien envie moi aussi de l’ouvrir, j’ai des choses à dire, mais je n’ai aucune envie de tomber dans le même piège à gogos que je viens de décrire à peine quelques phrases plus haut. C’est plutôt contradictoire je dois bien l’admettre. Si je veux rester cohérent avec tout ce que je viens de dénoncer, la conclusion logique serait de surtout continuer à fermer ma gueule. L’autre solution serait de prendre le contre-pied et de dire que je m’élève contre la connerie ambiante et que si j’écris, c’est parce que « moi je le vaux bien » ! Mais bon, là ça manquerait cruellement de modestie (et d’objectivité ?) vous en conviendrez.
Ça n'est pas moi qui le dis...
Alors quoi faire ?
Eh bien j’en suis arrivé à cette idée. Pourquoi ne pas écrire, prendre position, donner des avis, tout en tâchant du mieux que je peux, de bien garder tout ce que je viens de dire en tête ? De bien avoir conscience que je ne dois surtout pas me croire détenteur de la Vérité Vraie. De défendre mes idées (quand j’en ai !) sans pour autant vouloir les imposer coûte que coûte au monde entier. D’expliquer, de démontrer et d’argumenter** du mieux possible plutôt que d’user de la facilité des arguments d’autorité. De privilégier la réflexion, la volonté de découvrir et d’apprendre***, l’ouverture d’esprit, l’écoute et l’échange. Ce qui n’empêche en rien d’avoir des avis ou des convictions, bien au contraire même, ne serait-ce pas là la meilleure manière de les tester et de les consolider quand ils s’avèrent être concluants ?
Je ne peux pas m’empêcher de me dire que malgré tout, malgré toutes mes bonnes intentions, ça reste bien casse-gueule quand même. Auquel cas je fais appel à vous, et je vous fais confiance pour ça : n’hésitez pas à me rappeler à mes bonnes intentions si vous constatez que je m’en éloigne de trop ! Et si vous m’entendez dire d’un film ou d’un bouquin que c’est de la merde et qu’il ne faut surtout pas le voir ou le lire sans autre forme de procès, crucifiez-moi en place publique !!****
Toi, tu sors.
Alors maintenant que les règles du jeu sont claires pour tout le monde, sachez que pendant que je n’écrivais pas, c’est pas comme si j’avais bullé pour autant !
Je suis un fan hardcore de listes, j’ai donc scrupuleusement tenu plusieurs d’entre elles (sur mes lectures ou les films que j’ai vus au cinéma par exemple) ce qui me permet de vous dire qu’après recomptage, j’ai actuellement 124 livres ou romans et environ une grosse centaine de films vus au cinéma en retard à chroniquer (et je n’aborde même pas le sujet des séries télévisées, des concerts ou des bandes-dessinées, innombrables, qui m’ont nourri pendant tout ce temps). Ce qui fait un sacré taf, j’aime autant vous le dire. D’autant que d’ici que je rattrape ce retard, j’aurais de nouvelles lectures et de nouveaux films qui se seront rajoutés au total. Bref, le truc sans fin quoi. Sisyphe’s style.
Bon ben quand faut y aller...
L’une des principales conséquences de tout ça, c’est aussi que prochainement je risque de proposer certains articles plus très en phase avec l’actualité culturelle du moment...
Vous êtes partants quand même ?
Alors à bientôt sur ce blog…
Do you want me ?
* obscénités dans le sens « trop idiot ou insensé pour qu’on ose -en temps normal- le dire »
** « il faut convaincre et non pas vaincre » comme l’a chanté un guitariste renommé que j’invite parfois à pousser la chansonnette pour mon anniversaire ;-)
*** d’aucuns nommeraient cela de la curiosité, et il y en aurait même pour la dénoncer telle un vilain défaut !!
**** cette règle ne s’applique pas à Secret Story, les Anges de la Télé-Réalité et Les Ch’tis Vs les Marseillais, ça c’est vraiment de la merde et il ne faut pas regarder.*****
***** l’argument qui consiste à dire « mais moi c’est que pour mater les gonzesses de toute façon je coupe le son » est certes une circonstance atténuante que vous pourrez mettre en avant pour votre défense, mais ne sera pas suffisante pour vous dédouaner totalement, ce que vous faites se rapproche tout de même dangereusement de la collusion avec l’ennemi voire du soutien caché envers entreprise terroriste contre la pensée******
****** cette exception à la règle possède elle-même une exception : il ne vous sera jamais et en aucun cas reproché de regarder les rediffusions de l’émission l’Île de la Tentation (attention uniquement les premières saisons diffusées à l’époque sur TF1), parce que ça quand même c’était trop fort. Tellement con et énorme que c’en était hilarant. À croire d’ailleurs que la connerie elle-même se dégrade : dans le temps elle était de qualité, on pouvait en rire, aujourd’hui elle fait au mieux bâiller, au pire vomir, mais presque plus jamais rire… signe des temps...