Et voilà donc le troisième et dernier article que j’avais envie de consacrer à la série Californication. J’ai déjà abordé les deux personnages principaux et ce qu’ils m’inspirent, et j’aurais pu donc ici enchaîner en exposant tout le bien que je pense de cette comédie hilarante, rentre-dedans, gentiment politiquement incorrecte (tiens, ne s’agirait-il pas d’un oxymore par hasard ?), un brin sexiste et totalement sexy. J’aurais aussi pu m’épancher sur le formidable sidekick qu’est Charlie Runkle, sur lequel il y aurait beaucoup à dire. Tout comme sur une pléiade de seconds rôles pas piqués des hannetons (à la tête desquels une Kathleen Turner sur le retour complètement surréaliste).
Mais j’ai eu envie finalement de vous causer de tout autre chose.
Dans la série, David Duchovny alias Hank Moody est devenu un écrivain célèbre et adulé de la littérature underground grâce à son best-seller God Hates Us All. On en entend souvent parler tout du long des saisons, on en voit d’ailleurs même quelques exemplaires au détour d’une scène de-ci de-là. Et c’est de là qu’est venue l’idée aux producteurs du show télévisé de produire un objet dérivé qui sort de l’ordinaire.
La plupart du temps on exploitera une licence à succès sous diverses formes, dans le cas d’une série télé cela passe souvent par des t-shirts à l’effigie de héros, et toutes sortes de supports et de goodies au nom de la série. Des albums tirés de la bande son, des livres making-off, pourquoi pas même des figurines quand les héros s’y prêtent. Tout cela est devenu somme toute assez courant, moi-même j’arbore parfois quelques t-shirts faisant référence à ces univers fictionnels que j’affectionne particulièrement (et qui finissent d’achever mon statut de geek indécrottable).
Mais là j’ai trouvé l’idée excellente et vraiment originale. Les producteurs n’ont sorti ni plus ni moins que le roman phénomène de Hank Moody. Vous pourrez donc trouver (aux Éditions Florent Massot pour la version française) le petit bouquin autobiographique signé Hank Moody, God Hates Us All dans toute bonne librairie aux rayons romans. Le texte, écrit en réalité par Jonathan Grotenstein (jeune écrivain américain missionné pour la peine que je ne connaissais absolument pas, du reste c’est son seul ouvrage traduit en français semble-t-il) est censé être l’autobiographie des jeunes années de Hank Moody himself, celle qui le propulsera comme étoile filante de la littérature trash américaine.
À ma connaissance, jamais une série télévisée n’avait accouché comme produit dérivé d’un roman (j’exclus de fait les novellisations on est bien d’accord). Il y a bien eu il y a quelques années le journal de l’agent très spécial Cooper (Dale Cooper : ma vie, mes enregistrements), tiré de la série OVNI de David Lynch Twin Peaks (et coïncidence : David Duchovny y jouait son premier rôle marquant quelques années avant d’interpréter le coincé Fox Mulder de X-Files), ainsi que le fameux Journal intime de Laura Palmer. Mais je ne crois pas qu’il s’agissait à proprement parler de romans. Toujours est-il que j’ai trouvé l’idée intéressante.
Bon, à la lecture j’ai quelque peu déchanté, mais en même temps il fallait un peu s’en douter. La qualité de ce petit roman n’atteint évidemment pas l’excellence de la série, ni dans l’humour corrosif ni dans l’inventivité globale. D’où une pointe de déception que je ne peux pas cacher mais qui masque peut-être trop la qualité réelle du bouquin. Car en soi, il ne s’agit pas d’un mauvais livre. Il est même plutôt bien écrit, frais, intéressant, de bonne facture. Ça ne donne pas l’impression d’être un truc torché à la va-vite (bien que l’ouvrage soit court) pour profiter d’un titre porteur. Ça n’est pas non plus, et là c’est assez étonnant et la marque d’un concept cohérent dans sa logique, un objet ultra-référencé à la série puisqu’il est censé lui être largement antérieur. On n’y retrouve par exemple aucun personnage de la série, hormis Hank Moody lui-même bien évidemment. Autrement dit vous pourrez lire (et apprécier) ce roman sans rien connaître de la série télévisée, ce que je trouve plutôt malin puisque ça augmente le spectre des lecteurs potentiels.
En gros, on suit les aventures du jeune Hank Moody, qui délaisse ses études pour gagner de l’argent facile en devenant dealer d’herbe. Un peu accro aux clichés il a pour ambition de se démarquer de sa famille trop banale à ses yeux, emménager au sein du fameux –quoiqu’un tantinet cheap- Chelsea Hotel, vivre dans la luxure et charmer la top model qu’il y a rencontrée. Bien évidemment rien ne se déroulera comme prévu pour Hank, et ses mésaventures l’amèneront à revoir d’un œil neuf l’idée qu’il se fait de la vie. Tout cela est raconté à la première personne, par un Hank Moody déjà rompu à l’art de la répartie sarcastique (bien qu’il atteindra le niveau expert dans la série), de l’humour à froid, et du réalisme forcé. On sent bien qu’en ce personnage sommeille un potentiel mais qu’il lui faudra encore attendre quelques années avant de l’exploiter parfaitement. Alors je n’ai pas pu m’empêcher d’être un peu déçu comme je le disais plus tôt, parce que j’en attendais un peu plus de la part du personnage de Hank, tout simplement parce que j’avais en tête celui qu’il est devenu au fil des années (et qu’on voit dans la série) alors que dans le roman on a à faire à la version encore jeune et un peu verte du bonhomme (et donc forcément et très logiquement en deçà du héros adulte). C’est certainement l’effet pervers du concept : raconter la jeunesse d’un héros c’est aussi s’exposer à le présenter moins abouti que la version que l’on connaît le mieux et qu’on a aimée en premier lieu.
Alors évidemment, présenter ce livre comme un best-seller (ce qu’il est censé être) manque un peu de crédibilité, le résultat n’étant pas aussi percutant qu’on aurait voulu. Mais cela reste un petit roman sympa, bien troussé et agréable à lire (et ses quelques 190 pages en petit format se lisent très rapidement), et surtout une idée sympathique pour élargir et approfondir l’univers d’un héros de télévision.