La chaîne payante américaine HBO est très certainement l’une de celles qui produit depuis quelques années déjà, les meilleures séries télévisées. Non, je ne parle pas ici des ultra-commerciales Lost ou Prison Break, mais de séries bien supérieures et ambitieuses telles que les excellentes et novatrices The Shield, Carnivale, Rome, Deadwood ou Oz par exemple. D’ailleurs un jour ou l’autre il faudra que je rédige un petit quelque chose sur ces séries là aussi…
Six Feet Under est l’exemple même de la qualité des séries HBO. Je dirais même qu’elle se situe dans le tout haut du panier.
Pendant cinq saisons et 63 épisodes au total, on suit les aventures des membres de la famille Fisher et de leurs proches.
Nathaniel Fisher Sr (Richard Jenkins) est le père de famille et patron de l’entreprise familiale de pompes funèbres Fisher & Fils à Los Angeles. Tout commence à la veille de Noël 2000. Pour les fêtes, Nate Fisher (Peter Krause), le fils aîné et un peu rebelle sur les bords, fait le voyage depuis Seattle où il vit, et à cette occasion fait la rencontre quelque peu cavalière d’une bien singulière jeune femme, Brenda Chenowith (Rachel Griffiths) avec qui il entame une relation tout aussi singulière. Mais ce jour là, Nathaniel meurt au volant de son corbillard, percuté de plein fouet par un poids lourd. Nate va devoir revenir définitivement vivre à Los Angeles, pour reprendre en association avec son frère cadet David Fisher (Michael C. Hall) la gérance de l’affaire familiale. L’entreprise de pompes funèbres est également la maison familiale où vivent Ruth Fisher (Frances Conroy) la veuve de Nathaniel et Claire (Lauren Ambrose) la petite dernière qui va bientôt entrer à l’université.
Chaque épisode débute avec la mort, parfois violente, parfois douce, parfois dramatique, parfois ridicule voire drôle, d’une personne (la plupart du temps de parfaits inconnus, et quelques fois des gens liés d’une manière ou d’une autre à la famille Fisher) dont Fisher & Fils va organiser les funérailles.
La plupart du temps ces funérailles (ou l’histoire personnelle du défunt) seront mis en parallèle avec la vie privée des différents personnages principaux, de façon à développer et approfondir leurs idéaux, états d’âmes, questionnements, doutes, croyances ou certitudes.
Outre les quatre membres de la famille Fisher, quelques autres personnages principaux gravitent dans leur entourage. Brenda avec qui Nate sort, et qui est elle-même issue d’une famille très spéciale (son frère Billy Chenowith (Jeremy Sisto) en particulier tient un rôle important dans la trame de la première saison principalement). Keith Charles (Matthew St. Patrick), flic, noir et gay, et de surcroît l’amant de David Fisher, qui refuse de faire son coming out. Les différents petits amis de Claire qui vont se succéder au fil des saisons. Federico Diaz (Freddy Rodriguez), l’embaumeur latino surdoué qui travaille pour le compte de l’entreprise Fisher. Puis plus tard dans les dernières saisons, le professeur George Sibley (James Cromwell) ainsi que sa fille Maggie (Tina Holmes), Lisa Kimmel (Lili Taylor) ex-petite amie de Nate, et l’inénarrable Arthur Martin (Rainn Wilson) pendant un temps employé par l’entreprise de pompes funèbres.
Tout ce petit monde va vivre et évoluer de façon ininterrompue au cours de ces cinq saisons, d’ailleurs cette série entière semble basée sur le changement, l’évolution. Pas un seul personnage ne connaîtra de stagnation, de statu quo. Que vous les aimiez ou non tels que vous les découvrirez, tous sans la moindre exception, vont évoluer et irrémédiablement changer pour le meilleur ou pour le pire. Ne serait-ce que pour cette raison, la série est déjà très différente du schéma habituel des séries télé, dans lesquelles on pose souvent des personnages très travaillés voire iconiques qu’on se garde bien de faire changer surtout lorsqu’ils plaisent aux téléspectateurs.
Six Feet Under prend cette politique en contre-pied total, ne laissant jamais aucun personnage « tranquille ». Au contraire même, on souffre parfois de voir des personnages qu’on apprécie prendre des virages, des décisions et des évolutions profondes qu’on déteste. Six Feet Under n’est absolument pas là pour plaire au sens courant du terme, ni pour flatter ou rassurer le spectateur. C’est à ce titre une des très rares séries à pouvoir se targuer d’une sincérité et d’une intégrité sans faille dans l’avancée de son scénario. La trame est telle que je me plais à penser que les scénaristes ont réussi à se préserver des pressions de l’audimat et ne jamais prendre en compte les attentes ou désirs probables des spectateurs afin de faire de l’audience.
D’ailleurs il n’y a pas de véritable morale à tirer de cette série, tout se passe comme si les auteurs avaient décidé de considérer les spectateurs comme suffisamment intelligents et capables de juger selon leur propre conscience ce qu’ils voient dans les différents épisodes. Aucun jugement de valeurs imposé, ni politiquement correct, ni philosophie de vie, ni morale.
Dans Six Feet Under on a juste des personnages infiniment vrais, humains, imparfaits. Et des situations qui vont les faire changer, s’adapter ou se perdre. David (Michael C. Hall) est génial, j'ai été époustouflé par Nate (Peter Krause), et j'ai une tendresse toute particulière pour ce vieux donneur de leçon de George (James Cromwell). Je pourrais citer ainsi chacun d'entre eux, tant cette série concentre toute sa force dans le talent de ses acteurs et le travail de ses auteurs.
S’il est indéniable qu’un des thèmes principaux est la mort (et donc forcément aussi la vie et la recherche du sens de la vie), je ne crois pas pour ma part que ce soit là le but premier et ultime des auteurs de la série.
Je crois que le centre de la série, et ce qui en fait tout son intérêt par l’intelligence du traitement, c’est l’étude des relations humaines. L’amour, l’amitié, la famille, la peur, l’envie, la tristesse, le devoir, le sacrifice, le désamour, la haine, l’incompréhension, la religion, le doute, la trahison, la morale, la folie, la mélancolie, l’art, les regrets, la joie, l’enthousiasme, la projection dans l’avenir, les engagements, les responsabilités, le sexe,… tout ce qui fait la vraie vie et motive les relations entre les personnes est abordé dans la série, avec une simplicité et une authenticité qui font parfois peur. Peur car on finit par se rendre compte que ce qui est fascinant c’est que Six Feet Under n’est rien d’autre qu’un miroir de l’âme humaine, et que le miroir est si fidèle qu’on n’y voit pas que les belles choses mais aussi (ou surtout, selon votre personnalité) les parts d’ombres et d’inavouable qu’on aimerait tant oublier parfois. Qui qu’on soit on n’y échappe pas, chacun se retrouvera dans l’une ou l’autre situation, l’un ou l’autre personnage, l’une ou l’autre réaction.
Et Six Feet Under est de ce point de vue sans concession. Elle appuie, sans exagération mais le fait tout de même, là où ça fait mal. Et ça fait d’autant plus mal que ça sonne parfaitement vrai.
Si vous aimez le glamour, les happy end, les univers roses où tout le monde est foncièrement bon, l’optimisme et le positivisme béat, ne regardez pas Six Feet Under, vous détesteriez. Ou plutôt si, regardez cette série et comprenez là, cela vous sera salvateur.
Outre le fait que chaque épisode débute par le décès d’une personne, la série a quelques spécificités vraiment originales. La plus intéressante à mon sens réside dans le traitement des pensées des personnages. Très souvent on « voit ce que pensent les héros » grâce à un décrochage qui peut arriver à tout moment. Tout à coup le personnage parle avec un mort, avec lui-même, ou se lâche à dire ce qu’il a au plus profond de lui, ses colères, ses envies, ses peurs ou ses frustrations. Puis l’histoire reprend son cours normal, le héros réintègre la « réalité ». C’est ainsi que le personnage de Nathaniel Fisher, qui meurt pourtant dès le premier épisode, reste un personnage récurrent tout au long des cinq saisons, faisant diverses apparitions sous la forme d’interlocuteur privilégié de la conscience ou des rêves de ses enfants et de sa veuve.
Je tenais aussi à évoquer rapidement le générique de début, absolument sublime. La musique est obsédante, les images sont d’une froideur tétanisante, et l’image des deux mains se lâchant en tout début est d’une beauté glaçante, fascinante et extrêmement dérangeante à la fois, à donner des frissons. Bien qu’ayant vu les cinq saisons en dvd, je n’ai jamais fait l’impasse pour aucun des 63 épisodes sur le générique de début. Rarement j’ai trouvé générique aussi parfait et envoûtant, et c’est typiquement le genre de détail qui démontre définitivement et avec force le soin avec lequel cette série a été élaborée.
Et comme l’indique l’accroche de l’ultime saison « Tout a une fin », Six Feet Under connaît elle aussi une fin. Et quelle fin !
De mémoire de série-vore, je crois n’avoir jamais vu une aussi belle, émouvante et intelligente fin. Que je ne dévoilerai pas ici bien entendu. Mais je ne peux m’empêcher d’en parler tant elle m’a marqué.
Pour tout dire, je n’ai pu m’arrêter de penser et repenser aux dernières minutes du dernier épisode toute une semaine après l’avoir vu. Je ne sais pas si cela tend plus à prouver que je suis quelqu’un de bizarre, plutôt qu’à témoigner de la qualité de cette fin, mais rares sont les œuvres, tous supports confondus, dont le développement et le dénouement auront eu un tel effet durable sur moi. Même aujourd’hui en y repensant, j’en suis encore ému. En la qualifiant de marquante, j’ai l’impression d’user d’un doux euphémisme.
Six Feet Under aura réussi l’exploit d’être passionnante, cohérente et pertinente de la première à la dernière minute.
Avec Six Feet Under, on touche à la perfection. En toute simplicité.
Après avoir dit cela, est-il utile de préciser que je la recommande vivement ? D’ailleurs non, je ne la recommande même pas. Je la qualifierai juste d’indispensable.