Dans le monde merveilleux des séries télévisées, les américains sont sans conteste les rois. La grande majorité des séries viennent de là-bas, et si quantité ne rime pas toujours avec qualité (combien de pétards mouillés du style Terra Nova ou FlashForward pour un Battlestar Galactica ?) on finit toujours par trouver son bonheur dans un catalogue quasi illimité de choix.
Mais, au risque de choquer l’Oncle Sam, il n’y a pas que l’Amérique dans la vie, et surtout pas dans l’univers des séries télé. Les français qui ont peiné des dizaines d’années à coup de Navarro, Julie Lescaut et autres Joséphine Ange Gardien de triste mémoire, sortent enfin depuis quelques temps le nez de la bouse et proposent des choses intéressantes (Braquo, Engrenages, Mafiosa, WorkinGirls, …). Et ils ne sont pas les seuls : inutile de lorgner exclusivement outre Atlantique, un coup d’œil de l’autre côté de la Manche suffit parfois.
C’est de Grande Bretagne que nous vient Luther, une série policière qui a su tirer son épingle du jeu, dans un genre tellement visité qu’il n’est pas si évident de s’y démarquer.
L’inspecteur John Luther (Idris Elba) est de ces flics habités par leur rôle et leurs responsabilités. Excellent enquêteur et fin connaisseur des mécanismes psychologiques qui poussent les criminels à agir, il a une capacité incroyable à se mettre dans la peau d’un tueur, à décortiquer ses motivations et ses réactions. Son instinct combiné à sa ténacité rageuse lui confèrent une perspicacité hors du commun, lui permettant de résoudre les affaires les plus difficiles et sensibles. Mais sa traque quasi obsédante d’un pédophile lui ayant échappé trop longtemps finit pourtant mal pour lui. Les conditions dans lesquelles il met hors d’état de nuire le criminel lui coûtent plusieurs mois de suspension et la séparation d’avec son épouse Zoé (Indira Varma). La série débute lorsqu’il reprend enfin du service, dans la suspicion et sous la surveillance de sa hiérarchie qui lui adjoint le jeune lieutenant Justin Ripley (Warren Brown) pour le seconder.
D’entrée confronté à un double assassinat assez sanglant, Luther découvre assez rapidement la meurtrière mais sans pouvoir prouver sa culpabilité. Débute alors une relation de plus en plus ambigüe entre la jeune femme en question, Alice (Ruth Wilson), et le policier. Entre attirance et répulsion un jeu du chat et de la souris se met en place entre eux tandis qu’au fur et mesure des épisodes John Luther va se confronter à d’autres enquêtes et d’autres tueurs. Luther avec son caractère entier, sera d’autant plus mis à rude épreuve que du côté de sa vie privée, sa femme Zoé lui annonce vouloir le quitter pour un autre...
Belle découverte que cette série policière anglaise ! Dès le départ elle imprime à sa narration un ton plutôt dur, froid, voire violent. Dans le registre « série policière réaliste » elle marque sa différence par une sorte de pessimisme ambiant qui colle aux images ternes, comme privées de couleurs. La violence, physique comme psychologique, y est omniprésente et même si on ne nous montre pas forcément tout, ce qu’on voit et surtout ce qu’on nous laisse le soin d’imaginer ne laisse pas indifférent c’est le moins qu’on puisse dire. Quant à la morale et « au bien qui l’emporte toujours à la fin », ce ne sont pas des concepts très développés dans cette série, ce qui n’est pas plus mal si vous voulez mon avis.
Mais s’il est une chose à retenir avant tout de cette série, c’est le formidable véhicule qu’elle représente pour imposer Idris Elba comme un acteur impressionnant de présence et de charisme. En effet, le personnage incarné par Elba bouffe littéralement toute la place à l’écran. L’homme ne sourit jamais, de sa démarche légèrement courbée, les mains dans les poches, il impose sa carrure impressionnante sans jamais verser dans la caricature. Enclin à des accès de violence on sent pourtant toute la bonté qui anime John Luther derrière son lourd manteau qui lui serre de carapace. Aussi intelligent, perspicace, tenace et courageux qu’il soit, on entraperçoit derrière ce masque impassible et cette force tranquille des failles émotionnelles à la démesure du personnage. Idris Elba attire à ce point toute la lumière à lui que les autres personnages sont inexorablement relégués au second plan, sans être mauvais, mal écrits ou mal interprétés pour autant. Seule Ruth Wilson, qui incarne la psychopathe Alice, réussit à se faire une petite place à côté de l’immense Elba, son personnage parvenant à jouer sur les faiblesses de Luther, apportant au flic une adversaire à sa hauteur.
Bien entendu au cours des épisodes on va croiser quelques frappadingues des plus déjantés et sanguinaires, un bestiaire de serial killers qui n’ont rien à envier à leurs collègues starisés par des séries américaines telles que Dexter par exemple.
Et si le glauque fait partie du quotidien dans cette série, ce n’est pas l’essentiel de ce qui la caractérise selon moi. Si je devais la qualifier, je dirais de la série Luther qu’elle est à la fois brutale et sexy, à l’image de John Luther lui-même. Oui, sexy. Je ne parle pas de scènes de cul ou de passages un peu osés, mais d’ambiance, de relations entre les personnages, comme une musique de fond tout juste perceptible. Est-ce dû à une forme d’animalité qui émane des héros principaux, ou est-ce une espèce de contre-poids aux meurtres et affaires bizarres dont ils s’occupent, toujours est-il que ce qui se dégage de cette série est assez hors du commun de ce côté là, se rapprochant du principe d’attirance / répulsion qui régente les relations entre Alice et John. Ou alors c’est juste moi qui vois des choses qui n’ont pas lieu d’être, allez savoir docteur. Comment ? mes petites pilules roses avant chaque repas et la verte avant de dormir ? c’est noté, je n’oublierai pas, promis.
Bref, j’ai beaucoup aimé cette courte série (6 épisodes pour la saison 1, à peine 4 pour la saison 2), je l’ai trouvée fascinante, originale pour tout ce qui concerne les relations des personnages, et intelligente dans le développement de ses intrigues. À l’opposé de séries du type Les Experts, ici c’est avant tout le côté humain et faillible des personnages qui l’emporte sur le reste. Je suis bien content d’avoir appris qu’une saison 3 avait été commandée par la BBC, le final de la seconde saison ayant été d’un excellent niveau il faut bien le dire.
Si les séries de flics ne vous font pas peur, si vous acceptez de troquer le soleil de Los Angeles ou de Miami contre le Fog de Londres et si vous voulez avoir la confirmation du talent de Idris Elba, jetez vous sur Luther.