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Avant de lire les notes que je fais sur les films que je vois et les bd que je lis, sachez que dans mes commentaires il m'arrive parfois de dévoiler les histoires et les intrigues. Ceci dit pour les comics, je n'en parle que quelques mois après leur publication, ce qui laisse le temps de les lire avant de lire mes chroniques.
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26 septembre 2022 1 26 /09 /septembre /2022 09:06

Consigne : Texte libre dont le titre (tiré au sort) sera : « La mort du vieux garçon »

 

Mots à intégrer : Ânonner – Diaboliser – Apocalyptique – Niaiseux – Éventré (tirés au sort parmi les propositions des autres participants)

 

Temps de réflexion / écriture : 25-30 minutes

 

 

Déjà quand il était tout petit garçon, sa maman ne cessait de le lui répéter : « Méfie-toi des filles ! Elles ne chercheront qu’à se moquer de toi, elles ne sont pas fiables, ce sont des écervelées, des niaiseuses, elles ne t’apporteront que des soucis ! ».

 

Alors il n’osait pas les approcher, il les observait de loin, quand dans la cour de l’école ses camarades de classe jouaient entre elles. Mais il gardait bien ses distances, comme sa maman le lui avait conseillé. Il aurait bien aimé participer parfois à leurs jeux, elles avaient l’air de bien s’amuser… mais non ! Sa maman le lui avait interdit, et maman a toujours raison, tout le monde sait ça.

 

En grandissant, les choses ne changèrent pas vraiment, bien au contraire : les avertissements maternels se faisaient encore plus excessifs.

 

Jeune homme, sa mère n’en finissait plus de lui ânonner cette devise : « Tiens-toi loin des femmes, elles sont dangereuses, elles sont fourbes, elles ne cherchent qu’à te dévier du droit chemin, elles ne voudront qu’une chose : t’éloigner de moi ! ».

 

Dans son esprit pourtant, les choses n’étaient pas si claires. Le portrait de la gent féminine que lui dressait sa maman n’était pas glorieux, doux euphémisme, ces années qu’elle avait passées à les diaboliser avaient fait leur effet : il en avait définitivement peur !

 

Cependant, malgré cette peur profonde, subsistait en lui quelque chose qu’il ne comprenait pas : l’attirance… Il ne pouvait s’empêcher de regarder à la dérobade sa jolie voisine lorsqu’elle passait devant chez lui chaque jour quand elle rentrait de son travail sur son vélo.

 

Sa maman, fine observatrice et toujours à l’affût l’avait bien remarqué, cet émoi… Elle avait donc redoublé de mises en garde : « Attention, prends garde à toi ! Plus elles sont jolies, pires elles sont ! ».

 

Il avait bien compris, le tableau apocalyptique que sa maman peignait de son avenir, s’il se laissait aller à passer outre ses avertissements, était limpide. Il fallait à tout prix se tenir loin des femmes. Sauf de maman, bien entendu.

 

C’est quand il eut atteint l’âge de 65 ans que sa maman se décida à l’abandonner, comme ça, sans prévenir. Du haut de ses 91 ans elle avait dégringolé les escaliers, et la chute lui avait été fatale. Elle avait fini éventrée par sa propre canne…

 

Et c’est à son enterrement qu’il croisa sa voisine, celle qu’il observait depuis toujours passer dans la rue.

Elle lui parla, le réconforta de ses mots doux. Elle avait l’air si gentille, si attentionnée… Alors ils se revirent. Souvent, de plus en plus souvent, et finirent par se rendre à l’évidence : ils s’aimaient !

 

La voisine, finalement, s’installa chez lui. Il en profita pour se débarrasser une bonne fois pour toutes des affaires de sa mère, en même temps qu’il oublia définitivement les conseils de la vieille femme...

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19 septembre 2022 1 19 /09 /septembre /2022 13:24

 

Consigne 1 : Choisir une couleur.

 

Le Noir

 

Consigne 2 : Inventer une maladie à partir de cette couleur, lui donner un nom, la décrire en quelques mots. (temps de réflexion / écriture : 5 minutes)

 

La Noircilase de l’âme.

Elle s’attrape souvent de nuit. Elle a pour effet principal d’embrouiller le cerveau, d’avoir des idées noires, de broyer du noir. Les premiers symptômes sont le désarroi et la démotivation, puis viennent les symptômes physiques : la noircilase de l’âme empêche de sourire (les muscles des zygomatiques sont les premiers à s’atrophier) et dans les cas les plus avancés les malades ne parviennent même plus à parler…

Cas très rare : on recense quelques rares cas de noircilase de l’âme contractées lors d’éclipses de soleil…

 

Consigne 3 : Choisir un héros (personnage réel ou fictif, humain ou non, issu de notre propre imagination ou non)

 

Eddie Felson (personnage fictif incarné par Paul Newman dans le film L’Arnaqueur (1961) puis dans La Couleur de l’argent (1986), un as du billard.

 

Paul Newman alias Eddie Felson dans L'Arnaqueur (1961)

Paul Newman, alias Eddie Felson dans La Couleur de l'Argent (1986)

Consigne 4 : Votre texte doit raconter comment votre héros a contracté la maladie que vous avez inventée précédemment. En cours d’écriture l’animateur va introduire à trois reprises deux associations de couleurs / concepts, vous devrez à chaque fois en intégrer au moins l’une des deux à votre texte. (temps d’écriture : une trentaine de minutes).

 

Associations de départ : Violet / Mélancolie et/ou Noir / Élégance

Associations intermédiaires : Rouge / Sensualité et/ou Jaune / Vivacité

Associations de fin : Orange / Kitsch et/ou Blanc / Cadavérique

 

Eddie Felson était un oiseau de nuit. En effet il est rare qu’un tournoi de billard démarre à l’aube… quoique certaines parties l’avaient parfois mené jusqu’au petit matin. C’est à la lumière blafarde des néons des clubs de billard qu’il s’était donc lentement exposé à la Noircilase de l’âme. Il n’y avait pas pris garde de suite…

 

Il était toujours vêtu de son costume noir quand il allait jouer : qu’il affronte un jeune débutant en jean et trop sûr de lui, ou un vieux pilier de bar mal rasé, sa règle à lui c’était l’élégance en toute circonstance.

 

Vivre la nuit, enchaîner les parties, arnaquer au passage les gogos qui ne savent pas s’arrêter à temps, voilà ce qui formait sa routine. Une routine qui lui convenait (il faut bien vivre sur le dos des gens), mais qui manquait cruellement de ce qui le motivait : les défis !

Car son talent pour faire s’entrechoquer les billes de couleurs comme personne était aussi son talon d’Achille : il avait beau chercher un adversaire à sa hauteur, soir après soir, il n’en trouvait pas. Si bien que la mélancolie, doucement, avait fini par devenir son amie la plus fidèle.

 

Tout en dépouillant les pauvres types qui lui proposaient de jouer avec eux, il ne pouvait s’empêcher de repenser à Big Fat Domino, son adversaire légendaire qu’il avait battu après une nuit de billard mémorable à Cincinnati. Le gros Big Fat, au ventre débordant de son pantalon et au nez violacé par des années à boire plus que de raison, était tout le contraire d’Eddie.

Fort en gueule, pas une once de classe n’émanait de lui.

Et pourtant, ce qu’il avait pu lui donner du mal ce vieux roublard qui connaissait tous les trucs, toutes les astuces, et dont la précision des gestes contrastait tant avec l’allure de déménageur.

 

Ce qui avait fini par jouer en la faveur d’Eddie, ce fut la présence dans la salle d’une femme à la beauté sculpturale. Elle portait une robe d’un rouge incroyable, dont la coupe donnait tout à voir et ne laissait presque plus rien à deviner. Elle transpirait la sensualité

Big Fat Domino avait l’œil pour les combinaisons de billes, mais aussi pour les belles femmes et c’est ce qui avait incidemment donné l’avantage à Eddie. Car Big Fat avait décidé d’impressionner la jeune femme, et sa concentration avait progressivement dévié du tapis pour se focaliser sur elle.

Il n’en avait pas fallu plus à Eddie pour saisir l’opportunité d’en finir avec son adversaire trop orgueilleux et démonstratif.

 

Quand après un véritable combat qui les avait menés au bout de la nuit, Eddie avait empoché la dernière bille de la dernière partie, laissant Big Fat sans voix et sans un radis, le gros bonhomme s’était soudain tu, lui qui n’avait cessé de parler de toute la nuit. Son teint était devenu cadavérique et sa chemise, trempée de sueur, qui n’avait plus grand-chose de sa couleur blanche d’origine, ne laissait pas de doute sur son état : Eddie l’avait anéanti, moralement et physiquement. Ça avait été le plus grand match et la plus belle victoire d’Eddie…

 

C’était il y a quatre ans déjà. Depuis les parties s’étaient enchaînées mais plus jamais Eddie n’avait ressenti ce frisson. Cette peur de perdre, ce soulagement de gagner.

C’était ce qui le rendait jour après jour plus morose, plus silencieux, plus fermé.

 

Et c’est ainsi que la noircilase de l’âme avait fini par définitivement le contaminer.

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12 septembre 2022 1 12 /09 /septembre /2022 13:43

Consigne de départ : votre texte doit prendre place dans la rue.

 

Mots à intégrer : Mot – Bouche – Pardessus – Affamé – Personne (tirés au sort parmi les propositions des autres participants)

 

Temps d’écriture : une vingtaine de minutes

Trouver les mots pour exprimer ce que je n’avais jamais osé lui dire depuis tout ce temps. Quelle belle idée, quelle folle envie, quel insensé fantasme…

Aujourd’hui donc, j’allais enfin le faire, c’était sûr, c’était évident, j’en étais persuadé. Je me sentais affamé de vérité !

J’avais préparé mon discours, je m’étais mis sur mon trente-et-un, je m’étais motivé devant mon miroir, remonté comme une pendule.

Ça y était enfin, j’allais pouvoir tout lui dire ! L’impatience me gagnait alors que je l’attendais au coin de la rue.

Lorsqu’elle s’est approchée, un léger sourire aux lèvres, de sa démarche lente et assurée, j’ai senti qu’encore une fois tout m’échappait. Je me retrouvais là, devant elle, tétanisé. Plus un mot ne pouvait sortir de ma bouche. Je n’ai su que la regarder passer lentement, puis s’éloigner.

Elle ne m’avait même pas vu. Comme chaque jour.

Il ne me restait plus qu’à rajuster mon pardessus et m’en aller, une fois de plus, me fondre dans la foule anonyme.

Pour elle je n’étais personne.

Mais qu’importe : demain je lui parlerai !

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7 septembre 2022 3 07 /09 /septembre /2022 14:58

Il y a un an, en septembre 2021, mon amie Cécilia nous a inscrits, elle et moi, dans un atelier d’écriture qui se réunit tous les samedis matin à Mulhouse.

Elle parce qu’elle avait pour projet professionnel de se reconvertir en écrivain public et qu’elle voulait tester un atelier d’écriture en tant que participante, avant de peut-être un jour proposer elle-même d’en animer. Moi, parce qu’elle m’a proposé de l’accompagner « pour voir » et que je n’ai pas osé dire non.

 

Qu’on se comprenne bien, elle ne m’a pas forcé la main, du tout, l’idée m’avait déjà auparavant traversé l’esprit aussi de tester ce type d’activité. Cécilia a simplement accéléré ce que par flemme, lâcheté, timidité, sentiment d’imposteur, peur, procrastination, j’en passe et des meilleurs, j’aurais mis encore plusieurs années certainement à concrétiser. Cécilia a été en fait ni plus ni moins qu’une version soft et beaucoup plus séduisante d’un bon coup de pied au cul.

 

L’une des librairies que j’aime fréquenter sur Mulhouse, 47° Nord de son petit nom, outre les innombrables rencontres et conférences avec des auteurs qu’elle organise tout au long de l’année (allez donc jeter un œil sur leur site pour vous faire une idée de leur dynamisme), propose également un atelier d’écriture, animé par Daniel Blanc, un monsieur surprenant au demeurant.

 

Très sympathique petit retraité, à la moustache touffue et à l’éternelle casquette vissée sur le crâne, le bonhomme surprend d’entrée de jeu. Est-ce son accent du sud-ouest qu’on ne s’attend pas à entendre en pleine cité du Bollwerk, ou sa jovialité ponctuée de blagues et de traits d’humour à toutes les phrases qui interpelle le plus, je ne saurais dire. En tout cas le personnage est peu commun.

 

Et ses qualités humaines ont pour effet quasi immédiat, la surprise passée, de détendre l’atmosphère et de faire oublier le stress de celui qui n’ose pas, ne sait pas, a peur de ne pas réussir. La preuve, si je ne me suis pas de suite senti aussi à l’aise que si j’avais toujours fait ça, je suis cependant dès la première séance parvenu à passer outre la timidité et la crainte de ne pas être à la hauteur. Bref, j’ai réussi dès le départ à « me lâcher » pour parvenir à produire quelque chose de pas trop déconnant à l’écrit.

 

Alors oui, c’est à 9h00 le samedi matin à Mulhouse. Ça veut dire mettre le réveil pour se lever tôt, prendre la bagnole et filer en ville, au début j’ai pris ça comme une contrainte un peu fatigante de plus et ça m’a fait suer, voire même hésiter les samedis de grosse flemme. Mais ça m’a vite passé et c’est devenu ma nouvelle routine du samedi. Parce que je dois bien le dire : j’y ai pris goût. Me rendre compte que j’y arrive, à écrire en suivant des consignes plus ou moins précises selon la thématique abordée, ça a nourri et entretenu mon enthousiasme, autant que ça m’a surpris, car je ne m’en pensais pas forcément capable.

 

C’est pourquoi je me suis dit que peut-être ça pourrait donner lieu à la création sur ce blog d’une nouvelle catégorie d’articles, tout simplement intitulée « Atelier d’écriture », et dans laquelle je retranscrirai les petits textes que je commets chaque semaine en atelier.

 

Pour m’avoir poussé à tenter l’expérience un immense merci (et de gros bisous) à Cécilia, et pour me proposer hebdomadairement des petits challenges intéressants à relever et un bon moment de détente, un grand merci à Daniel.

 

La suite donc, dans un prochain article !

 

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2 juin 2022 4 02 /06 /juin /2022 09:26

Dans mon article précédent, je vous ai touché deux mots du dernier concert auquel j’ai assisté, celui de Bernard Lavilliers à Strasbourg.

 

J’y ai brièvement relaté le fait que je ne vous avais pas raconté mes rares concerts précédents, les trop rares que j’ai pu voir après l’épisode Covid de presque deux années.

 

Mais il y a un sujet lié dont j’ai besoin de causer ici, ne serait-ce que pour déverser mon trop plein de frustration que je cumule depuis quelques semaines. Il s’agit des rendez-vous manqués récents.

 

Le tout premier par ordre chronologique, c’est le concert plusieurs fois reporté, avant de finir définitivement annulé, de Louis Chédid que j’aurais dû aller voir pas loin de chez moi. Évidemment pas la peine de chercher la cause du report initial : c’est petit, rond avec des pics, ça fait éternuer et ça a foutu un beau bordel planétaire ces derniers mois. Je ne vous fais pas de dessin donc. Et non, ce n’est pas Vladimir P., cherchez mieux.

Sauf que après le report vint l’annulation pure et simple, annoncée en dernière minute qui plus est (c’est-à-dire très peu de temps avant la date du report). Et j’aime autant vous dire que ça m’avait bien déçu, tant Louis Chédid est un des artistes que je n’ai pas encore vu sur scène et que j’adorerais voir depuis longtemps. C’était fin décembre, et ça clôturait une année de spectacle vivant sous le signe de la lose.

 

Mais en termes de lose, je n’avais encore rien vu.

 

Arrive le mois de mars 2022. Le 22 mars pour être précis. Qui était une date plutôt engageante puisque monsieur Asaf Avidan l’avait choisie pour venir chanter à Strasbourg. Même que c’était un cadeau de Noël de ma fée qui porte tout particulièrement l’artiste israélien dans son cœur. Et même que c’était super, comme les fois précédentes du reste.

 

Sauf que cette date, elle était tellement engageante que c’est la même qu’a retenue Bebel Gilberto pour le troisième ou quatrième report (j’ai perdu le compte à force) du concert qu’elle devait tenir à Bâle en mai 2020, et qui avait été reporté suite à vous savez quoi, oui toujours le même. Et je n’ai réalisé le conflit de date que trop tard. Et ça m’a bien dégoûté de devoir faire l’impasse sur l’un des deux spectacles étant donné que non, je n’ai toujours pas hérité de ce fichu don d’ubiquité. Mes amis Éric, Cécilia et Nono ont heureusement pu assister au concert de la belle Bebel, fille de João Gilberto, et ont pu me raconter un peu ensuite.

N’empêche, ça m’avait fait braire d’attendre tout ce temps pour que dalle. D’autant que la Bebel Gilberto, c’est pas comme si elle passait régulièrement dans le coin. Elle est un peu brésilienne et un peu moins connue chez nous que chez elle (ce qui est un scandale en soi on est bien d’accord, mais là n’est pas le sujet), ceci expliquant cela. La saison de la lose n’était donc pas finie.

 

J’en eus la preuve une semaine plus tard.

Après l’événement mondial qui commence par "Covid" et finit par "19", c’était au tour de James Blunt d’honorer ses engagements vieux de 2 ans, en venant le 8 avril 2022 au lieu du 18 avril 2020, chanter au Zénith de Strasbourg. Pas fou, évidemment, je n’avais pas jeté mes 2 billets malgré le temps qui était passé. Sauf que, une fois n’est pas coutume, c’est ma fée qui était plus que malade, je dirais quasi agonisante (et même pas à cause du virus sus-cité, pour une fois qu’il était hors de cause), et que je m’attendais moi-même à tout moment à contracter son mal (ce qui ne s’est finalement pas produit. On ne peut pas non plus perdre sur tous les plans hein). Si bien que par obligation physique autant que par prévention altruiste, on s’est assis sur nos billets de concert. Bye bye James, you’re so beautiful…

 

Le 12 avril 2022, c’était au tour de The Dead South de venir enfin traîner leurs guêtres, leurs barbes et leurs banjos à Strasbourg. Même causes, même conséquences, quand ça ne veut pas ça ne veut pas : trop malades pour y aller (et surtout pour en profiter correctement), la raison l’emporte sur le reste. Un concert de plus, ou un de moins, tout dépend la manière de voir, qui passe à l’as. N’en jetez plus, la cour est pleine.

 

Je me souviens m’être dit alors que c’était comme ça, la loi des séries c’est terrible mais on n’y peut rien. En tant qu’adepte du Doc Éric, grand maître cinquième dan de lâcher-prise, j’avais donc mis a profit ses enseignements et appliqué ses préceptes pour laisser le passé au passé, et ne plus y penser pour me tourner vers l’avenir, riche en promesses.

 

L’avenir passait par le Luxembourg, le 12 mai. C’était l’endroit et le lieu fixés pour l’énième remise du concert de Seasick Steve initialement prévu en mai 2020 et renvoyé aux calendes grecques par une saloperie tout droit issue du coït défendu entre une chauve-souris et un pangolin.

Ça tombait un jeudi soir, et comme qui dirait, c’était pas à côté de chez moi. Mais qu’importe, c’était prévu de longue date avec l’ami Nono et pas question de rater l’occasion de passer un bon moment avec mon acolyte de tour du monde. Je pose mon jeudi aprèm et le vendredi matin, je saute dans le train pour Nancy où me récupère mon pote, et on se rend dans le grand Duché, bien contents de nous.

 

Arrivés sur place et à l’heure, on se radine avec nos petits sandwichs devant la salle, bien que de loin on trouve les alentours un peu déserts. C’est en se rapprochant que l’apparence se confirme : il n’y a personne. Un type en salopette vient nous voir et dans un accent à l’origine indéfinissable nous apprend tout sourire, que « l’artiste est covidé depuis hier mais pas de panique une nouvelle date sera annoncée bientôt ». Là pour tout vous dire, on a les boules, on a les glandes, on a les crottes de nez qui pendent.

Perdu pour perdu, vu qu’on est sur place, on se balade un peu dans la ville de Luxembourg, du moins la ville haute, toute clinquante et touristique. Et on tombe d’accord sur un point : c’est joli, mais c’est clairement un autre monde, pas à la portée de nos portefeuilles si vous voyez ce que je veux dire.

Beaux joueurs et décidé à positiver coûte que coûte, on se dit qu’au moins, ça nous fait un pays supplémentaire visité ensemble.

 

C’était deux jours avant le concert de Bernard Lavilliers à Strasbourg, qui contre toute probabilité a bien eu lieu.

Et qui donc mettait fin à une série presque aussi pourrie que celle des défaites du FC Metz en championnat de Ligue 1 cette année. Autant dire merdique de chez merdique.

 

Sauf que.

Vous connaissez le concept de répliques tardives quand un séisme violent se produit ?

Ben laissez-moi vous dire que ça s’applique aussi aux concerts foirés.

 

J’exagère ?

 

Jugez plutôt.

Le mardi 17 mai, à Zürich en Suisse, était prévu le concert reporté depuis le mois de juin 2020 d’Éric Clapton.

 

Oui, Éric Clapton, certains en leur temps l’avaient juste surnommé « God », on parle bien du même. Le mec avec de l’or dans les doigts quoi. Un gars qui sait faire tout ce qu’il veut avec une guitare dans les mains. Éric Clapton quoi.

Un type, je vais pas vous mentir, que je vénère au plus haut point, et que j’avais eu l’immense plaisir de voir en spectacle (au même endroit d’ailleurs) au siècle, que dis-je, au millénaire dernier (si je ne dis pas de conneries ça devait être en 1998 ou 1999 je crois bien).

Un type que je ne pensais sincèrement plus revoir un jour, du fait de sa santé pas follichonne ces dernières années et du fait que tout Dieu qu’il est, il ne rajeunit malgré tout pas le bougre.

Après-midi du mardi posé en récup d’heures supp. Hébergement pour la nuit calé pour Tom et Nathan. Vignette d’autoroute suisse : check. Et mardi à 11h21, je reçois un message de ma fée.

 

Une seule conclusion s’impose à moi.

Je suis maudit.

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18 mai 2022 3 18 /05 /mai /2022 13:35

Je me suis rendu compte avec effarement pas plus tard qu’aujourd’hui que je n’ai jamais fait d’article ici sur un concert de Bernard Lavilliers… alors que c’est sans conteste l’artiste que j’ai le plus souvent applaudi sur scène !

Je ne compte plus le nombre de fois où je suis allé le voir en concert. Et pour cause : il est un de mes piliers musicaux, certainement le plus important avec Leonard Cohen.

 

D’ailleurs j’ai une telle passion pour sa musique, un tel amour pour le chanteur, et l’artiste représente tellement à mes yeux qu’il faudra un jour que j’y revienne plus en profondeur pour essayer de vous expliquer la place que le bonhomme tient dans ma vie.

 

Mais en attendant, laissez-moi combler ce manque cruel sur mon blog, en vous parlant du concert de Bernard Lavilliers du samedi 14 mai, dans la salle Érasme du Palais de la Musique et des Congrès de Strasbourg.

 

D’abord un mot rapide sur cette salle que j’apprécie particulièrement : elle est belle, confortable, à taille humaine, et surtout, surtout, elle est d’une qualité sonore impeccable. Moi qui suis très sensible de ce point de vue-là, j’ai rarement été déçu par la qualité du son dans cette salle, au point que bien souvent j’en arrive, ô miracle, à m’épargner les bouchons d’oreilles sans en souffrir auditivement. Ce qui de nos jours est malheureusement devenu l’exception lors de concerts.

Enfin sa géométrie particulière fait que si vous avez la chance d’être aux premiers rangs, du fait de l’absence totale de fosse, vous êtes quasiment sur la scène, plongé en plein milieu du spectacle.

Et grâce à l’incroyable réactivité de ma petite sœur lors de la mise en vente des billets, nous avons justement pu profiter de places au premier rang, quasiment plein axe… autant dire que nous ne pouvions pas rêver de meilleures conditions pour assister à ce concert : aux premières loges, un son parfait, et des artistes génialissimes !

La salle Érasme, un écrin à artistes

Voir Bernard Lavilliers sur scène c’est toujours pour moi comme des retrouvailles avec un vieil ami qu’on ne voit pas souvent et qui nous a beaucoup manqué.

Et ces retrouvailles-là étaient d’autant plus fortes que le Covid est passé par là, et avec lui une pénurie de concerts, un sevrage brutal de spectacles pendant quasiment deux années pleines.

C’est simple, en termes de concerts en ce qui me concerne, depuis mars 2020, il y a eu Mister Mat à l’automne 2021, Greg Zlap et Alain Souchon en décembre 2021, et enfin Asaf Avidan en avril 2022 (j’avoue avoir un peu honte de ne pas en avoir parlé ici, d’autant qu’il y avait matière !), ce qui ne fait vraiment pas beaucoup assez à mon goût !

Alors vous ne pouvez pas imaginer ce que revoir Lavilliers en live représentait pour moi.

 

C’est accompagné de quelques-uns de ses musiciens fétiches et fidèles de tournées en tournées que le Stéphanois est venu nous présenter son dernier album et chanter aussi quelques-uns de ses tubes historiques.

 

Je ne résiste pas à l’envie de les énumérer tant ils sont, tous à mes yeux, exceptionnels de talent et savent partager une ambiance incroyable :

- Vincent Faucher à la guitare

- Xavier Tribolet au piano et à l’accordéon

- Antoine Reininger à la basse (il remplace Daniel « El Diablo » Romeo)

- Michaël Lapie à la batterie

- Olivier Bodson à la trompette

- Marco Agoudeste au saxophone et au violoncelle

 

(Pour chacun d’entre eux je ne donne que leurs instruments « principaux » étant donné qu’ils sont quasiment tous multi-instrumentistes, et qu’ils accompagnent tous Bernard au chant dans les chœurs.)

Marco Agoudeste dans ses œuvres !

Ce fier équipage nous* a offert ce samedi soir un spectacle à la hauteur de leurs talents additionnés, j’ai presque envie de dire « comme d’hab » tellement ce fut la règle à chaque fois que je les ai vus ensemble sur scène…

 

J’en viendrais presque à banaliser leur prestation, alors que ne vous-y trompez pas, ils sont exceptionnels à chaque fois, voilà leur secret.

On s’habitue vite à l’excellence n’est-ce pas ?

 

Bernard quant à lui s’est présenté un poil diminué physiquement, ce à quoi le gaillard n’est pour le coup pas habitué, lui. Il semblait souffrir du dos, et nous a moins servi de ses pas de danse dont il a le secret, se retranchant plus que de coutume vers son tabouret haut placé au centre de l’orchestre.

Mais ses articulations douloureuses qui lui rendaient même difficiles ses changements de guitares, n’ont visiblement pas eu raison de sa voix, toujours parfaitement posée, toujours aussi douce, suave, généreuse, enivrante.

C’est simple : ce mec pourrait chanter le bottin que je lui trouverais quand même de la virtuosité.

Ça en dit certainement aussi long sur sa classe et son talent que sur mon amour pour lui…

Bernard Lavilliers, un artiste toujours généreux en scène

Comme à chaque concert de Lavilliers, il y a ce sentiment paradoxal en moi.

Je jubile à chaque chanson, trop heureux de l’entendre en live. Ce qui s’est tout spécialement produit ce soir-là quand je l’ai entendu entonner les Troisièmes Couteaux, La Grande Marée ou Fortaleza par exemple pour les plus anciennes, ou Le Coeur du Monde, Toi et Moi et Les Porteños sont Fatigués parmi les toutes récentes.

Et en même temps je suis toujours frustré de ne pas entendre certains morceaux que j’adule mais qui n’auront cette fois-ci pas été retenus au programme… que n’aurais-je pas adoré entendre Sertao, Le Clan Mongol, L’Espoir ou Noir & Blanc pour ne citer que celles-là… Mais que voulez-vous, il faut bien faire des choix, je le sais bien…

Les cuivres de Marco et d'Olivier se répondent, Bernard danse, c'est La Salsa !

En revanche dans tout concert de Bernard Lavilliers qui se respecte, il y a des incontournables, des monstres sacrés de son répertoire sur lesquels il me semble bien ne jamais l’avoir entendu faire l’impasse, et pourtant, comme je le disais en introduction, ça fait des années (10 ? 20 ? je dirais même pas loin de 25 ans en réalité) que je vais le voir en concert à la moindre occasion. Quasi impossible de ne pas lui donner la réplique sur le refrain d’Idées Noires où le public remplace la voix de Nicoletta. Bien entendu, si Olivier Bodson et Marco Agoudeste se mettent en face à face avec leurs cuivres, on sait que La Salsa n’est pas loin. Et quand Bernard prend place seul au centre de la scène avec sa guitare sèche, on se prépare tous à reprendre avec lui le refrain de On the Road Again (« à vous… encore… plus fort… »)…

Il y a comme ça des réminiscences qui se font écho de concerts en concerts, d’années en années…

 

Ce samedi soir à Strasbourg, Bernard et l’aréopage de musiciens talentueux qui l’accompagnent, nous ont donné le meilleur d’eux-mêmes, comme à chaque fois.

Car ces types-là, ils ne trichent pas.

 

Alors pour tout cela merci à toi Bernard. Merci à toi Marco. À toi Olivier, à toi Michaël, à toi Xavier, à toi Vincent et à toi Antoine.

C’était mieux que bien. À bientôt.

Merci Olivier, Marco, Vincent, Bernard, Antoine, Xavier et Michaël !

* je précise le « nous » : outre moi-même, ma fée, ma petite sœur** et mon Nono.

** petite sœur qui comme à l’accoutumée s’est débrouillée pour nous faire de belles photos qu’elle m’a gentiment autorisé à utiliser afin d’agrémenter cet article qui serait sans elles bien trop verbeux...

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17 janvier 2022 1 17 /01 /janvier /2022 23:59

J’ai mis du temps avant d’écrire ce texte au sujet de mon ami, Paul, dont la mort m’a bouleversé en avril dernier.

Peut-être parce que je ne savais pas exactement comment lui rendre hommage de la façon qu’il mérite.

Aussi parce que je n’arrive toujours pas, même aujourd’hui, à complètement réaliser son départ. Et encore moins à l’accepter.

Un départ sur la pointe des pieds, à son image. Lui qui a toujours été discret et réservé sera parti de la même manière, sans faire de bruit, sans prévenir. Sans déranger quiconque.

 

J’ai un nombre restreint d’amis, de personnes que je considère comme à part. Quand j’emploie le terme d’ami, cela a un sens profond pour moi. J’y accorde une importance immense, je n’use pas du mot facilement. Le temps, l’expérience et les circonstances de la vie me les font choisir avec discernement, circonspection et prudence. Mais ceux qui au fil des années demeurent à mes côtés me sont uniques. Paul était de ceux-là.

 

J’ai rencontré Paul le premier juillet 1997, quand j’ai pris mon tout premier poste de technicien au bureau d’études de la DDE à Mulhouse. Il a été de ces « anciens »* qui m’ont pris sous leur aile et formé au métier, bien mieux et bien plus efficacement que n’importe quelle formation ou école n’auraient pu le faire.

Mais très rapidement, des liens se sont créés au-delà de l’environnement purement professionnel.

Deux fois par semaine, à l’heure de la pause de midi, nous troquions notre place à la cantine contre deux sandwichs, et nous filions dans la salle de sport de la caserne des pompiers de Mulhouse, qui gentiment nous en laissaient l’usage à nous et aussi à quelques policiers du commissariat voisin. C’est ainsi que deux midis par semaine, nous faisions du badminton ensemble. Oh pas en professionnels, tout juste en amateurs même pas aguerris. N’empêche qu’on courrait bien et qu’on transpirait beaucoup ! Mais surtout on prenait plaisir à s’échanger des volants.

 

Et le vendredi soir, pour bien finir la semaine, ou plutôt pour bien commencer le week-end, Paul et moi avions notre rituel de la salle de billard. À 17h00 pétantes, c’était direction le Holiday Club, rue de l’Ours à Mulhouse. Paul et moi étions devenus des habitués, on avait sympathisé avec d’autres amateurs des tables rectangulaires, et le patron n’avait plus besoin de nous demander quelle table de snooker on prenait. La 10, au fond après les tables de billard américain. Notre table.

Parfois il nous prenait l’envie de changer et de varier les plaisirs, et ma foi on se défendait pas si mal que ça à l’américain. Jeu de la 8, de la 15 et puis surtout au jeu de la 9 qu’on aimait particulièrement parce que les parties sont rapides et qu’on pouvait se prendre pour Eddie Felson ou Vincent Lauria sans trop se ridiculiser ! J’ai le souvenir d’un tournoi du dimanche auquel Paul et moi avions participé sans aucune prétention, comme ça, pour voir. C’était du 9. Et ma foi on n’avait pas été trop mauvais, on avait même chacun passé plusieurs tours avant d’être éliminés.

Mais notre jeu de prédilection ça restait le snook’. Tellement plus précis, tellement plus exigeant en calme et en concentration, tellement plus difficile, mais tellement plus gratifiant quand on réussissait un beau coup annoncé à l’avance. On y brillait beaucoup moins que sur les plus petites tables certes, mais qu’importe, on n’était pas là pour la frime, juste pour le plaisir. On en a passé des heures penchés sur une table de snooker ! Mine de rien c’est physique : votre dos et vos épaules se chargeront de vous le rappeler dès le lendemain quand vous aurez joué plus que de raison… On a tant joué ensemble qu’on se connaissait par cœur. Je savais avant même qu’il ne se positionne quel coup il allait jouer en fonction de l’éparpillement des billes sur la table et de la situation de la blanche. Un coup assez facile mais qui nécessitait d’utiliser un reposoir, ou pire une rallonge, et je savais que Paul allait lui préférer une alternative plus difficile mais qui ne l’obligerait pas à sortir ces accessoires qu’il fuyait ! Moi c’était tout l’inverse, loin de rechigner j’adorais me servir d’un reposoir. Une autre de ses préférences allait au jeu en une bande en largeur pour empocher dans un des trous du milieu. C’était son grand truc ça, même quand ça pouvait passer avec un peu de tact en direct, il préférait de loin ajuster un coup en bande, et il avait plutôt raison de le faire tant cela lui réussissait régulièrement. J’ai tant d’images qui me reviennent de ces soirées au billard avec Paul, pendant toutes ces années, même après que j’aie quitté le bureau de Mulhouse pour aller travailler à Colmar, le rendez-vous du vendredi soir avait perduré. Ce ne sont que les années et les contraintes de la vie qui ont fait que ces habitudes hebdomadaires ont évolué en des rencontres plus sporadiques, moins systématiques, moins courantes. Les dernières années on n’y allait plus que quelques fois par an. La salle avait été réaménagée, notre table 10 du fond avait laissé la place à un jeu de fléchettes et quelques tabourets hauts, alors on s’était rabattus sur la 5, un peu plus proche du bar mais pas trop centrale quand même pour ne pas être le centre de l’attention d’une clientèle qui passait souvent plus de temps à regarder un verre à la main qu’à jouer…

 

Notre dernière soirée au Holiday Club date du vendredi avant le premier confinement, en mars 2020. Une chouette soirée, on n’avait pas cassé des briques, ça faisait bien longtemps qu’on ne jouait plus assez régulièrement pour assurer toute une soirée sans connaître quelques trous, quelques ratés. Mais on n’avait pas été ridicule non plus, on s’était même mieux débrouillé que ce que l’on craignait avant d’y aller… C’est aussi la dernière fois que j’ai vu Paul en personne. La dernière fois que je l’ai raccompagné en voiture chez lui après notre séance, la dernière fois qu’on a échangé des mots, des plaisanteries, la dernière fois qu’on s’est dit « c’était sympa, vivement la prochaine fois », la dernière fois que je l’ai regardé dans les yeux et qu’il m’a souri en retour, la dernière fois que j’ai entendu sa voix, la dernière fois que je lui ai serré la main en lui disant aurevoir…

 

Après ce fut le temps du confinement, de l’enfermement chacun chez soi, des sorties réduites au strict minimum, de l’attente, de la solitude aussi. Le temps des fermetures des bars et des restaurants, tout comme des salles de billard… Si bien qu’on n’a jamais pu se revoir pour faire une partie. Des sms de temps en temps, les derniers que j’ai échangés avec lui ce devait être pour lui souhaiter un bon anniversaire. Et l’envie de plus en plus pressante de retourner à la salle avec Paul en avril 2021, je ne sais même pas pourquoi je ne l’avais pas encore contacté, j’avoue que j’ai oublié aujourd’hui, la salle était-elle encore fermée ? Peut-être. Pour tout dire, je ne sais pas même aujourd’hui, près d’un an plus tard, si elle a rouvert depuis le covid. Parce que je ne m’imagine pas y retourner sans lui. Pour être honnête, j’ai peur d’y retourner sans Paul. Peur de ne plus y être à ma place sans lui.

 

Je réalise, à présent que je parviens enfin à parler de lui, que j’ai tellement de choses à dire sur lui, que je pourrais comme ça aligner paragraphes sur paragraphes sans même m’en rendre compte. Paul était un homme simple, réservé, silencieux. Comme tout un chacun il a connu des joies et des peines, et les peines qu'il a connues ont été immenses. Il n'en parlait cependant pas. C'était un homme à l'ancienne, qui affronte les difficultés et la douleur en silence, avec une pudeur extrême. Paul sur ce plan était un étonnant mélange de sensibilité et de discrétion. Très sensible, et très pudique à la fois. Il est de bon ton actuellement de condamner ce genre de réaction masculine, souffrir sans faire de bruit serait toxique selon certains. Paul était simplement respectueux des autres qu'il refusait d'importuner avec ses histoires privées, et sa très grande pudeur l'empêchait de s'épancher sur son sort. Qu'on en pense ce qu'on veut, moi je trouve cela infiniment respectable et preuve d'une force morale et psychique immense. Il m'a toujours impressionné sur ce point. Comme sur beaucoup d'autres.

 

Sur le plan professionnel par exemple, je crois que c'est l'un des exemples les plus forts que j'ai eus dans ma vie de probité, de conscience professionnelle, d'amour du travail bien fait, de précision, de connaissances dans son domaine. Paul était dessinateur technique. Il a connu le temps du dessin à la main, aux Rotrings et au kutsch. Puis une véritable révolution lors du passage au DAO. Et il a relevé le challenge et est devenu l'un des tous meilleurs que je connaisse dans le domaine, il maîtrisait parfaitement les outils et les logiciels de dessin, une référence parmi ses collègues.

 

Sur le plan sportif pour un autre exemple. Paul était un compétiteur et le sport qu'il aimait par dessus tout, c'était le basket-ball qu'il a pratiqué en club pendant des années. Depuis sa jeunesse jusqu'aux différentes catégories de vétérans, ce sport l'a accompagné toute sa vie. Il avait même accepté de coacher une équipe de jeunes une fois sa « carrière » de joueur derrière lui. Et avec un ballon orange, quel talent, un maître de précision au shoot à 2 et à 3 points, une véritable gâchette. Il a bien tenté de me convertir à sa passion mais j'étais tellement trop loin de sa dextérité, qu'il a vite compris que j'étais une cause perdue pour le basket-ball...

 

Et puis la plus grande fierté de Paul, je crois pouvoir dire sans trop en dévoiler qu'il s'agissait de ses deux fils dont il était très proche. Proche à la manière de Paul : une présence permanente et sans faille, sans grandes démonstrations bruyantes. Du tact, de la discrétion, de l'effacement parfois quand cela s'avérait nécessaire, mais toujours disponible, toujours là. Peut-être que si on le lui avait demandé, et si sa pudeur naturelle l'avait autorisé à répondre, aurait-il définit ainsi l'amour d'un père.

 

Sous bien des aspects, Paul a été un modèle pour moi.

Il comptait tant à mes yeux, et le pire c’est que je n’ai plus aucun moyen de m’assurer qu’il le savait.

Il laisse un grand vide en moi, et c’est une sensation profonde, pas une simple image. Je me sens réellement un peu plus vide sans lui. Je n'ai toujours pas compris je crois que je ne le verrai plus jamais. Je n'ai pas vraiment envie de m'en rendre compte d'ailleurs, la vie est tellement moins bien sans lui.

 

Paul aurait fêté ses 65 ans aujourd'hui. Il avait à peine commencé à profiter de sa retraite, pour le peu de temps que cette fichue pandémie lui en a laissé l’occasion.

Il me manque.

 

* Je parle d’ « anciens » mais je me rends compte en l’écrivant, que je suis plus vieux aujourd’hui que lui ne l’était à cette époque… comme quoi le temps, c’est très relatif, n’est-ce pas ?

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20 juillet 2020 1 20 /07 /juillet /2020 07:01

"L’homme qui vivra 1000 ans est déjà né…"

Ça n’est pas moi qui le dis. Ça n’est pas non plus l’entrée en matière d’un de ces bouquins de Science-Fiction que j’affectionne tant.

Ce sont les mots de Laurent Alexandre, l’auteur de cet essai, La Mort de la Mort, dont je vais vous parler aujourd’hui, et sur lequel j’ai des tas de choses à dire. (Vous êtes prévenus, ça va être un poil long !! )

 

Laurent Alexandre, c’est un sacré client serais-je tenté de dire. Si vous ne le connaissez pas déjà, laissez-moi vous en faire une petite présentation rapide (et donc forcément partielle). Docteur en médecine, il est chirurgien urologue. En parallèle de ses études de médecine, il a également suivi une formation pour obtenir une Maîtrise en Administration des Affaires en HEC. Puis il a intégré l’ENA. Rien que ça. Premier enseignement : c’est pas la moitié d’un con.

Laurent Alexandre par Olivier Ezratty

Mais il ne s’est pas contenté d’aligner les études et diplômes prestigieux, le bonhomme est également plutôt doué en affaires, jugez plutôt : il a été l’un des deux cofondateurs du site médical le plus consulté en France, Doctissimo. Jackpot lors de sa revente en 2008. Il se lance alors dans une société de séquençage d’ADN (DNAVision) présentée aujourd’hui comme un des leaders européens en la matière. Écrivain et essayiste, il publie de nombreux ouvrages qui font parler d’eux et se classent régulièrement dans les très bonnes ventes. Depuis les années 2010, il connaît une forte présence médiatique, puisqu’outre sa participation à de nombreuses émissions télévisées et sa bonne maîtrise des réseaux sociaux qui lui permettent d’être très suivi aussi bien sur Twitter que sur Youtube, il signe également des chroniques très régulières pour L’Express, Le Monde, We Demain, FigaroVox, Valeurs actuelles, Causeur et depuis 2019 sur Europe 1.

 

La recette du succès ? Une grande capacité de vulgarisation scientifique, un ton vif et des prises de position fortes, et une science de la polémique consommée et assumée.

Car Laurent Alexandre ne s’exprime pas à demi-mots quand il a quelque chose à dire, et ne fait pas vraiment dans le politiquement consensuel, ce qui lui vaut d’ailleurs son lot d’opposants voire de détracteurs acharnés.

Doctissimo, un jackpot à la revente : 139 Millions d'euros...

Moi-même j’ai du mal avec certaines facettes du personnage : son affichage ponctuel avec des politiques d’extrême-droite (il a donné des cours à l’ISSEP, l’école de Marion Maréchal, et participé à la rentrée politique de Marine Le Pen en 2019), et de droite conservatrice (invité à la Convention de la droite par LR, essai co-écrit avec Jean-François Copé sur L’Intelligence Artificielle et ses conséquences sur la démocratie occidentale) a de quoi faire tiquer, bien que politiquement il se présente lui-même comme un opposant à ces courants (il se classe comme un libéral volontiers macroniste, avec un positionnement social de centre-gauche et économique ultra-libéral)(je me permets d’ajouter qu’il doit être un adepte du grand-écart facial !!). Indéniablement certaines de ses thèses et prises de position séduisent la droite et l’extrême-droite, pourtant les choses ne sont pas aussi simples et évidentes qu’on veut bien le croire. Si certaines idées de Laurent Alexandre ont du succès auprès des conservateurs, d’autres cependant vont totalement à contre-courant des principes de la droite « dure » : son engagement pour la PMA par exemple, et plus encore sa position favorable à la GPA.

Irritant, il sait l’être également quand il prend parti contre Greta Thunberg d’une manière assez violente (et pas très classe faut bien le dire), et son combat contre les collapsologues de tout poil fait qu’on le catégorise régulièrement parmi les climatosceptiques, alors que lui-même s’en défend.

 

Bref, Laurent Alexandre est tout sauf un type facile à résumer en quelques mots !

Laurent Alexandre et Jean-François Copé se sont penchés ensemble sur les effets possibles de l'IA sur la Démocratie.

Mais je trouvais important de le présenter un minimum avant de parler de son bouquin, histoire de vous donner (peut-être) certaines clés de lecture au passage. Personnellement, ce type me fascine pour plusieurs raisons : son intelligence manifeste, son discours direct et sa manière d’expliquer clairement son point de vue, sa puissance de raisonnement et sa science du positionnement « poil-à-gratter », qui sait argumenter et contre-argumenter. Pourtant sa collusion ponctuelle avec l’extrême-droite, certains avis tranchés que je ne partage pas du tout et une forme de rigidité très apathique qu’il peut avoir me font garder une certaine réserve autant qu’ils éveillent ma curiosité à son égard.

 

J’en arrive (enfin !) à son livre.

 

Dans La Mort de la Mort, l’auteur avance des idées fortes. Principalement celle-ci : selon lui, l’homme va connaître un accroissement phénoménal de sa longévité dans les décennies qui viennent. Il annonce aussi que la médecine va radicalement se transformer, grâce aux nouvelles technologies, à l’informatique, à la génétique, à l’intelligence artificielle, à la nanotechnologie. Que l’on va passer d’une médecine générale à une médecine individuelle, d’une médecine de soins à une médecine de prévention (voire de prévisions !). Il pronostique une telle avancée dans le domaine des sciences appliquées à la santé au cours du XXIème siècle, que selon lui l’homme va être capable bientôt de prolonger son existence bien au-delà des limites que lui impose actuellement la Nature.

 

En abordant cet aspect, il ne peut éviter de parler d’un sujet qui personnellement me passionne, celui du transhumanisme, et même un concept encore plus poussé, le post-humanisme. Le transhumanisme késaco ? C’est grossièrement un mouvement aussi bien intellectuel que culturel, qui prône l’usage de la technologie et des sciences pour améliorer la condition de l’être humain. Qu’il s’agisse de ses capacités physiques ou cognitives. Le post-humanisme va encore plus loin, puisque cette fois il s’agit d’élargir le concept de « condition humaine » et de « conscience » au-delà de l’unique espèce humaine, en l’ouvrant notamment aux machines, robots, intelligences artificielles, mais aussi aux clones et autres cyborgs.

On pourrait se croire en pleine SF, mais les avancées récentes, en matière d’IA notamment, sont telles que ces sujets deviennent de moins en moins théoriques et de plus en plus concrets.

Dans la série Westworld de HBO, on s'interroge beaucoup sur la place des IA : une machine consciente est-elle vivante ?

La manière d’aborder ce point qu’adopte Laurent Alexandre m’a véritablement paru pertinente et intéressante. A priori, le transhumanisme est un mot qui fait un peu peur, et il y a fort à parier que si l’on fait un sondage d’opinion du type « êtes-vous pour ou contre la sélection génétique ? » ou encore « êtes-vous pour ou contre l’amélioration des capacités physiques et mentales par des greffes robotiques, mécaniques ou électroniques ? » il y aurait une forte majorité de « contre ».

L’un des arguments classiques qu’on entend souvent à ce propos, c’est qu’il est amoral de choisir les caractéristiques de son enfant sur catalogue, et qu’il faut laisser faire la nature, le hasard. Dit comme ça, cela semble évident. Et pourtant…

Laurent Alexandre nous propose de modifier l’angle de notre point de vue, et de dégrossir notre réflexion générale en abordant des cas très concrets et très précis. Et on se rend compte que dès lors, la réponse n’est plus aussi évidente qu’elle n’y paraît au départ.

 

Exemple simple : la détection de la trisomie 21 au niveau embryonnaire. Dès lors qu’on décide de ne pas garder des embryons porteurs de cette malformation, on fait de la sélection génétique. Est-ce mal ? (j’aurais tendance à répondre non à cette question)

Dès lors qu’on accepte le principe en ce qui concerne la trisomie, qu’en serait-il si la science était capable à coup sûr de détecter des embryons porteurs de gènes qui mèneront à d’autres pathologies plus ou moins graves ? Serait-il mal de vouloir éviter à son enfant d’avoir une malformation cardiaque ? Un problème de reins ? Un cancer du côlon ? Une dyslexie ? Un bec de lièvre ? (j’utilise là sciemment des exemples totalement divers et farfelus pour lesquels il n’existerait pas forcément de détection possible à l’état embryonnaire, mais c’est dans le cadre de l’expérience de pensée autour du transhumanisme). Serait-ce bien ou mal ? Qu’est-ce qui serait moralement acceptable ou non ? Où devrait se situer la limite ? Où placerait-on le curseur de la gravité s’il s’agissait d’un critère de décision ?

 

Tout de suite, vous en conviendrez, la réponse devient moins évidente que dans le cas d’une question d’ordre plus général…

Le logo du mouvement transhumaniste.

Un autre argument qui, j’ai trouvé, fait mouche, c’est quand Laurent Alexandre nous explique la manière dont évolue actuellement notre patrimoine génétique. Depuis quelques décennies, disons à la louche un siècle, les progrès de la médecine ont permis de s’affranchir de nombreux problèmes de santé qui du temps de nos ancêtres lointains se seraient à plus ou moins court terme avérés fatals. Depuis qu’on a inventé les lunettes de vue, la myopie n’est plus aussi handicapante qu’auparavant. (Et là je me permets un très court aparté pour vous rediriger à l’occasion vers La Fabrique du Crétin Digital de Michel Desmurget qui vous explique que les nouvelles technologies favorisent énormément les problèmes de vue dès le plus jeune âge…)

Idem pour les diabétiques qui peuvent se soigner plus ou moins facilement grâce aux injections d’insuline. Ou ceux qui ont du cholestérol, de l’hypertension, … ou de tous ces petits bobos qui ne nous semblent plus si graves de nos jours, tant le nombre de personnes atteintes est grand et tant les traitements de ces affections sont courants et faciles d’accès.

Séquençage ADN, thérapies géniques : jusqu'où doit-on aller pour préserver notre patrimoine génétique ?

Les gens qui ont ce genre de problèmes de santé vivent aujourd’hui beaucoup plus longtemps et presque aussi normalement que les autres. Et peuvent ainsi favoriser la dispersion dans la population des gènes défaillants responsables de ces handicaps et défauts physiques. Là où la sélection naturelle chère à Darwin (et à Laurent Alexandre) aurait permis de contenir la trop grande propagation de ces gènes défaillants, la médecine moderne a au contraire favorisé leur multiplication. Si bien qu’un nombre de plus en plus élevé de gènes défaillants se voient transmis de générations en générations, avec pour conséquence un patrimoine génétique de plus en plus dégradé. C’est un discours qui passe mal car il est facilement assimilable à de l’eugénisme, avec tout ce que ce concept comprend de dérangeant et de borderline, il n’en reste pas moins factuel et décrit une réalité préoccupante. Car le cours des choses va plutôt dans le sens de l’amplification du problème, ce qui à terme pourrait s’avérer dramatique. Et qui pourrait même du coup, inciter à recourir à cette fameuse sélection génétique tant décriée par ailleurs, dans le seul souci de la préservation d’une espèce humaine à peu près viable génétiquement…

Vous le voyez, très vite quand on entre un peu dans les détails, on touche à des sujets compliqués et clivants, générateurs de polémiques mais franchement pas dénués d’intérêt. De là à vous dire ce qu’il faut en penser je ne sais pas du tout, mais soulever la question me paraît pour le moins pertinent et utile...

Cœur artificiel, sentiments factices ?

Là j’ai axé mes exemples sur l’aspect génétique, mais on peut développer de la même manière la réflexion sur le sujet de l’amélioration, ou de l’augmentation du corps humain. Les cellules souches par exemple, et tout ce qui pourrait en dériver si on laisse encore une fois extrapoler un peu notre imagination. Si la médecine s’avère capable un jour de « fabriquer » de quoi réparer un organe, voire même un membre complet du corps humain, s’agirait-il d’une bonne chose ou non ? Si votre gamin a le cœur défaillant et que la science permet de le remplacer par un organe artificiel, refuseriez-vous cette solution pour une question morale ? Si vous souffriez vous-même d’insuffisance rénale sévère, qui vous obligerait à être sous dialyse de façon répétée, contraignante et handicapante, mais qu’un rein artificiel soit un possible recours à votre maladie, vous permettant de retrouver une vie « normale », refuseriez-vous ce type d’opération sous prétexte que « c’est la vie, c’est le destin, on ne doit pas aller contre ? ». La greffe existe déjà dans un certain nombre de cas, mais reste une opération compliquée et implique un traitement anti-rejet très lourd, à vie et à l’effet pas forcément garanti à longue échéance. Si une solution plus artificielle permettait de tout simplifier et d’obtenir de meilleurs résultats, faudrait-il l’interdire parce que cela ne serait pas « naturel » ? La personne ainsi « réparée », ou « améliorée » aurait-elle perdu de son humanité par l’ajout ou le remplacement d’éléments organiques par des parties mécaniques et artificielles ? Qu’en serait-il d’un bras, d’une jambe entière ? Vaut-il mieux être un manchot naturel qu’un cyborg à deux bras ? Et si l’on accepte ce genre d’ajouts, de prothèses, ou pour le dire d’une façon plus provocatrice de « pièces de rechange », devrait-on fixer une limite maximale au-delà de laquelle on serait « trop » artificiel et plus assez « naturel » ?

Autrement dit, l’humanité d’une personne se mesurerait-elle, se calculerait-elle en fonction d’un pourcentage d’éléments naturels dans la composition de son corps ?

Et si l’on considère à l’extrême que c’est la conscience et non pas le corps qui définit le caractère humain d’un être, pourrait-on imaginer qu’un humain soit totalement désincarné, puisse disposer de plusieurs enveloppes corporelles, puisse jouir d’une jeunesse physique éternelle ou pourquoi pas soit incarné dans un corps totalement artificiel ? Si la composante physique de l’être s’avère être complètement sous contrôle et interchangeable, modifiable, réparable, renouvelable à l’infini, bref si notre esprit s’affranchissait des contraintes physiques, aurait-on le droit, serait-ce « bien » et souhaitable de pouvoir défier, et même vaincre définitivement la mort ? Resterions-nous encore des humains ? Deviendrions-nous des dieux ?

Le flic cyborg de Robocop (1987) est-il encore un homme ou seulement une machine ?

Vous le voyez, dès lors qu’on pousse un peu la réflexion, on peut à la fois entrer dans des questions très terre-à-terre (que ferait-on si on était concerné par ce type de possibilité ?) et en même temps très vite toucher à des concepts presque métaphysiques voire complètement philosophiques.

Et moi je trouve cela passionnant. Je n’ai bien entendu pas de réponses toutes faites à ces questions, mais je trouve qu’aborder le sujet de cette manière permet de vraiment nous faire réfléchir au problème, et s’avère bien plus intéressant et constructif que de repousser l’idée d’un revers de la main par des arguments un peu faciles du type « de toute façon ce n’est pas possible, ça n’existe pas » ou de refuser d’entrer dans des exemples concrets. L’évolution des sciences et de la médecine est telle, qu’il n’est plus du tout aussi fantaisiste que cela de s’imaginer qu’un jour tout ça soit matériellement possible et faisable. La question à se poser sera alors : si l’on peut le faire, doit-on le faire ?

 

À ceux qui seraient tentés d’avoir une réponse trop rapide et définitivement négative, je me permets juste de faire remarquer que peut-être, il y a même de fortes probabilités d’ailleurs, vous-mêmes êtes déjà des humains « augmentés » ! Vous portez des lunettes ou des lentilles, ou vous avez subi une opération de la rétine au laser ? Vous avez été technologiquement et artificiellement « améliorés » ! Idem pour votre grand-mère si on lui a posé une prothèse du genou ou de la hanche, pour votre père qui a eu un implant dentaire, pour le cousin qui a un pacemaker depuis sa dernière attaque… En ce qui me concerne je n’ai plus de glande thyroïde depuis 2017 et je suis dépendant de ma dose quotidienne d’hormones synthétisées que j’avale chaque matin. Bref, la science pallie déjà la défaillance de mon corps « naturel ». Entre avaler un cacheton tous les jours ou me faire poser une « thyroïde artificielle » si c’était possible, je choisirais personnellement et sans l’ombre d’une hésitation la seconde solution.

La thyroïde, une si petite glande qui génère une si grande dépendance...

Vous pouvez le constater, on a très vite mis un doigt dans l’engrenage de cette affaire-là… et quand on prend la peine de s’y attarder un peu et d’y réfléchir plus en profondeur, on s’ouvre à des concepts et des questions qui très vite nous dépassent !

C’est justement cela que je trouve particulièrement passionnant dans le transhumanisme et de manière plus générale, dans la manière dont on définit notre condition humaine.

 

Bien entendu dans son essai, Laurent Alexandre pousse parfois le bouchon un peu loin. Par exemple il se demande ce qu’il en serait de la Sécu, du travail, de la retraite si on pouvait prolonger ainsi indéfiniment notre existence. Ce n’est pas inintéressant, mais c’est quand même un peu too much je trouve ! Mais cela démontre encore une fois le côté hyper-pragmatique du bonhomme, qui n’est pas pour me déplaire.

 

Alors pour en finir avec ce bien trop long article qui, j’en suis sûr, aura démotivé nombre d’entre vous et depuis longtemps d’en terminer la lecture, je résumerais ce que j’ai à dire sur ce bouquin de la manière suivante.

Oui, Laurent Alexandre est un personnage haut en couleurs et pas toujours aisé à définir avec précision, au potentiel clivant indéniable, et aux prises de position parfois polémiques. Mais ce n’est pas pour autant le premier zozo venu, et qu’on soit d’accord ou pas avec ses opinions, il faut lui concéder qu’il sait présenter, expliquer et argumenter ses idées, ce qui, en soi, est toujours profitable pour un débat, quel qu’il soit.

Oui, il n’hésite pas à aborder en profondeur des sujets compliqués et sensibles, au risque de choquer ou de provoquer des réactions parfois extrêmes.

Mais il traite de choses vraiment très intéressantes et universelles (dans le sens où elles touchent aussi bien l’humanité dans sa globalité que chaque être individuellement), et le fait en apportant des informations scientifiques dont il se sert comme base à ses propres extrapolations (critiquables il va de soi). Et qu’on soit de son avis ou pas sur la possible évolution de l’homme du XXIème siècle, son livre a cet avantage de nous inciter à nous poser des questions profondes sur nous-mêmes personnellement, comme sur l’humanité et ce qui la définit. Les pistes de réflexion qu’il ouvre sont toutes réellement passionnantes et c’est justement pour cette raison que je ne peux pas m’empêcher de vous conseiller la lecture de cet ouvrage.

 

Quelle que soit la conviction avec laquelle vous en sortirez (personnellement ça m’a plutôt éloigné de mes convictions trop définitives en relativisant beaucoup de choses), ce livre vous permettra à coup sûr d’approfondir vos connaissances et votre jugement sur les sujets qu’il développe.

La Mort de la Mort, de Laurent Alexandre

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10 juillet 2020 5 10 /07 /juillet /2020 15:33

Bienvenue dans la Fosse.

 

La Fosse ? c’est une prison verticale, accueillant deux prisonniers par niveau qui partagent une même cellule. Au centre des cellules, un large espace vide qui permet la descente (et la remontée à grande vitesse !) d’une plateforme sur laquelle chaque jour est entreposée la nourriture qui passe ainsi d’étage en étage, du haut vers le bas. La règle est simple : quand la plateforme s’arrête à votre étage, pour un temps très limité, vous pouvez manger ce que bon vous semble, mais vous ne pouvez rien garder avec vous pour le manger plus tard, la sanction est immédiate et mortelle le cas échéant. Puis la plateforme continue sa descente et c’est au tour des prisonniers de l’étage inférieur de se nourrir. Chaque mois, les duos de prisonniers (qui peuvent être mixtes, il n’y a pas de distinction hommes / femmes dans la Fosse) sont aléatoirement déplacés à un nouvel étage. S’il s’agit d’un étage supérieur tant mieux, on a accès à plus de nourriture. Si on descend dans les étages inférieurs (et ils sont plus nombreux que vous le pensez), on devra se contenter de ce que ceux qui sont mieux lotis auront bien voulu laisser. S’ils laissent quelque chose…

 

Au début du film, on suit Goreng (Iván Massagué) qui se réveille pour son premier jour dans la prison, dans une cellule qu’il partage avec Trimagasi (Zorion Eguileor), qui est là depuis un moment et n’en a plus que pour quelques mois avant de terminer de purger sa peine. C’est lui qui va sommairement l’informer des règles du lieu, mais c’est avec le temps que Goreng va comprendre tout ce que cela implique humainement…

Goreng n'a pas encore compris qu'il ne faut pas perdre de temps quand la plateforme est à leur étage...

The Platform est un film espagnol de 2019 qui a fait forte impression dans les festivals par lesquels il est passé, en particulier au Festival de Toronto. Et pour cause : il allie une idée de départ fort simple, un décor et des moyens minimalistes, et une symbolique qui invite à réfléchir non seulement sur la nature humaine mais également sur l’organisation hiérarchique de nos sociétés civilisées. Au visionnage, le film mis en scène par Galder Gatzelu-Urrutia (un parfait inconnu pour moi) m’a fait évidemment beaucoup penser au fabuleux Cube de Vincenzo Natali (qui est sorti en salles en 1999 !! Ça ne me rajeunit pas…) pour son côté « un maximum d’effet avec un minimum de moyens » qu’on retrouve dans les décors et le concept de base. Comme son aîné canadien, le film espagnol qui semble faire de son décor la star de l’histoire, met en réalité en avant ses protagonistes, leurs réactions, leurs peurs, leur réflexion, leurs limites. C’est surtout et avant tout (selon moi) un film sur l’humain, sur sa nature profonde, et sur sa tendance naturelle à l’égoïsme alors même que l’altruisme serait la solution la mieux adaptée à la survie de tous.

En reprendre ou en laisser pour les suivants ?

Car il apparaît assez rapidement que si pour Goreng la solution pour survivre à cet enfer est de se rationner et de faire en sorte que tout le monde, même ceux situés aux plus bas des étages, aient un minimum de nourriture, pour la grande majorité des autres détenus la solution est toute autre : manger autant que possible quand ils en ont l’occasion, en prévision de temps à venir plus durs, ou pour compenser les manques qu’ils ont subis auparavant. Sans se soucier le moins du monde de ceux qui passeront après eux. Or, la solution de l’altruisme nécessiterait pour réussir, que chacun suive la même logique et s’impose les mêmes règles…

En ce sens, The Platform dépasse largement le cadre du petit film à sensation, la série B à connotation fantastique ou le prototype de film d’horreur atypique (pour ses quelques passages un peu gores, bien que selon moi ils ne soient pas du tout l’aspect principal du film, The Platform est catégorisé comme film d’horreur et de science-fiction). On peut vraiment regarder The Platform comme un constat assez terrifiant sur la nature humaine, mais aussi comme une saine et implacable critique, j’irais même jusqu’à dire une satire de la société moderne organisée en classes telle qu’on la connaît. Le film pose la question de façon assez brutale dans sa façon de la mettre en images : comment peut-on vivre en communauté tout en étant profondément individualistes ? Comment faire en sorte que chacun accepte des sacrifices personnels pour le bien de tous ? Et dès lors que se passe-t-il quand certains ne jouent pas le jeu ? Peut-on obliger autrui à être altruiste ? Jusqu’où est-on prêt à aller dans ses actes et contre sa morale pour survivre ?

Dans une prison, est-il bien raisonnable de vouloir aider les autres ?

The Platform pose toutes ces questions, et apporte un certain nombre de pistes pour y répondre, mais se garde bien d’être trop définitif dans son propos. C’est du reste aussi ce qui fait sa force : à vous de vous positionner, à vous de faire évoluer votre réflexion sur un cas non pas théorique (car en théorie tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil n’est-ce pas ?) mais très pratique et terre-à-terre. Pour cela, le film a un impact très puissant sur le spectateur, et je doute qu’il en laisse beaucoup indifférents.

Trimagasi ne se pose aucune question, sa priorité c'est sa survie !

Malgré la qualité générale du film et l’effet choc qu’il provoque au premier visionnage, j’ai toutefois deux ou trois bémols à apporter. Rien de bien méchant, mais des choses qui m’ont fait tiquer.

 

D’abord d’un point de vue purement fonctionnel, si visuellement l’effet est réussi, j’ai été gêné par le fait que la plateforme s’abaisse et se lève sans le moindre mécanisme physique. Il n’y a pas d’axe, pas de support, pas de câbles, rien. Juste cette énorme plateforme (qui a l’air d’être en pierre ou en béton peut-être) rectangulaire d’une belle épaisseur qui se déplace comme un monte-charge en sustentation dans l’air. Par quelle magie se meut-elle on ne saura pas, ça ajoute à la touche « fantastique » du film, mais je n’ai pas pu m’empêcher de le noter. Ensuite il y a quelque chose qui m’a manqué, c’est le sens de cette prison. Vraiment, le pourquoi reste une énigme, et le film ne dévoile rien là-dessus. Ni même sur les raisons de la présence de Goreng, tout juste apprend-on qu’il a été volontaire pour son séjour dans la Fosse, en échange de certains « certificats » pas plus explicités que ça. Un moyen de s’élever socialement ? Pour son codétenu au moins les choses sont claires, il est là pour meurtre… Au cours du film un autre personnage apparaît, Imoguiri (Antonia San Juan), elle aussi volontaire pour intégrer la structure pénitentiaire, sans qu’on comprenne non plus ses motivations profondes. Dommage. Enfin, la partie qui concerne une autre détenue, Miharu (Alexandra Masangkay) à la recherche de son fils m’a paru vraiment confuse, nébuleuse. On ne sait pas quoi en croire ni quoi en penser, et on n’a pas vraiment le fin mot de l’histoire à la fin du film.

À la surface, une équipe de cuisiniers s'affaire à remplir la plateforme de victuailles...

Une fin d’ailleurs ouverte, à la conclusion très symbolique, presque onirique, mais qui risque de ne pas plaire à celles et ceux qui aiment que tout soit expliqué clairement. Une fin qu’on peut là encore rapprocher d’une certaine manière de celle du film Cube, dont je parlais plus tôt comme d’une référence forte du film. Une fin en forme de points de suspension…

 

Mais si j’ai mentionné ces quelques bémols je ne voudrais surtout pas que vous ne reteniez que cela du film. Au contraire, ils sont secondaires par rapport à la puissance évocatrice de ce long métrage. Depuis son concept d’une simplicité aussi nue que barrée, jusqu’à sa mise en image à l’ambiance très travaillée, en passant par l’interprétation tout en implication des différents comédiens (dont les visages m’étaient quasiment inconnus, ce qui est un avantage pour ce genre de petits films qui propose une immersion totale dans son univers : on ne peut pas se raccrocher en tant que spectateur à un comédien connu, on est dès lors complètement sans a priori sur les personnages qu’on découvre), tout dans ce long métrage est fait pour captiver l’attention du spectateur, pour le faire réagir et réfléchir.

Quand on a la chance d'être à un des étages supérieurs, on n'a que l'embarras du choix...

Ça faisait longtemps que je n’avais pas été aussi surpris positivement par un film sorti de nulle part, et l’une de ses qualités est à mon avis qu’il donne l’envie d’en reparler par la suite, de partager ses sentiments à son égard, de la façon dont on l’a reçu en tant que spectateur. Et ça, à mon sens, c’est la marque d’un film réussi. Je vous conseille donc sans retenue, de descendre dans la Fosse. Enfin… si vous l’osez !

L'affiche du film

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7 juillet 2020 2 07 /07 /juillet /2020 16:01

Voilà un roman norvégien qui n’a été traduit en français qu’en 2014, alors qu’il a paru en Norvège en 1989. Le livre a été un immense succès dans son pays d’origine, imaginez un peu : 150 000 exemplaires vendus pour une population de 5 Millions d’habitants.

 

Premier volume d’une trilogie, Le Zoo de Mengele de Gert Nygårdshaug arbore un titre trompeur. Car il n’y a aucune trace de nazi ni de seconde guerre mondiale dans ce livre. Tout au plus est-il fait allusion à un moment au fameux docteur Josef Mengele, criminel de guerre nazi qui s’expatria en Argentine, puis au Paraguay et au Brésil, pour échapper aux différents mandats d’arrêt qui furent émis à son sujet.

Non, le thème de ce roman est tout autre. Il y est question d’écologie, de déforestation, de pollution de l’environnement naturel par l’homme. Et du combat de quelques-uns contre les assauts destructeurs et répétés que la frange la plus avide de l’humanité fait subir à la planète.

 

Mino Aquiles Portoguesa a six ans, il vit en famille dans un petit village au cœur de la vaste forêt amazonienne. Ici on vit chichement mais on est riche des autres par l’entraide, et de la nature avec laquelle on vit en osmose. Le père de Mino l’a initié aux beautés de la forêt tropicale, et le garçon est devenu, comme son père, un vrai spécialiste des papillons. Il les attrape pour son père qui les prépare et les vend aux collectionneurs une fois naturalisés.

Tout change pour le village quand une grande compagnie pétrolière américaine débarque, forte de ses autorisations données par un gouvernement local corrompu, et commence l’exploitation du sous-sol, dévastant tout sur son passage. La situation se dégrade rapidement et dégénère jusqu’à la rébellion des habitants. Les armeros à la solde des pétroliers massacrent alors la population. Mino, qui était parti sur les traces d’un magnifique papillon légendaire bleu, est le seul à en réchapper. Commence alors pour lui une vie d’errance et de survie dans la forêt, au cours de laquelle il va rencontrer Isidoro, un magicien ambulant qui gagne sa vie en voyageant à travers tout le continent pour y proposer son spectacle de prestidigitation. Isidoro prend Mino sous son aile, le forme à l’illusionnisme et lui enseigne tout ce qu’il sait. C’est ainsi que Mino devient saltimbanque et sillonne l’Amérique latine. Mais partout où son maître et lui se rendent, ils voient la même chose : les compagnies étrangères avides d’argent s’implantent, secondées sur place par des soldats et mercenaires de toutes sortes, et la nature autant que les populations locales en sont les premières victimes. Plus Mino grandit, plus il assiste à ce spectacle destructeur, plus la conviction qu’il faut réagir et se battre contre ce genre d’exactions fait son chemin en lui. Sa réponse va être à la hauteur des agressions, et c’est par la violence et le meurtre qu’il va s’élever contre tous ceux qu’il juge responsables du saccage de la forêt amazonienne. Il crée avec trois amis qui partagent ses idées, le mouvement terroriste Mariposa (qui se traduit par Papillon en espagnol) qui obtient une renommée internationale, s’en prenant aux multinationales à travers le monde entier.

 

Bien qu’écrit voici plus de trente ans déjà, ce livre est d’une actualité et d’une modernité impressionnante. Le roman décrit et dénonce le comportement des sociétés et compagnies ultra-libérales qui ne jurent que par les chiffres, la mondialisation galopante, le productivisme effréné et les profits indécents au détriment de la nature, des populations locales ou indigènes et des écosystèmes fragiles. Le livre montre l’ampleur du désastre écologique et humain, et se positionne assez radicalement : la seule solution passe par la violence extrême, l’écoterrorisme semble la seule voie possible contre la fatalité mortifère de nos sociétés capitalistes.

 

C’est d’ailleurs assez finement amené et montré. Mino du haut de ses six ans ne se transforme pas du jour au lendemain en Punisher vert après que toute sa famille, et tout son village, aient été exterminés sous ses yeux. C’est en voyageant et en observant la triste réalité qu’il se forge ses convictions extrémistes. Il n’y a du reste pas de trace de méchanceté en lui, au contraire Mino est un enfant doux, joyeux, presque naïf, qui a plutôt tendance à aimer son prochain, pas à lui vouloir du mal. Pourtant, quand il s’agit de ceux qu’il qualifie de dangers pour la nature, il se métamorphose en tueur froid et sans pitié. Pour lui, la fin justifie les moyens, et il a trop vu où l’inaction mène pour ne pas agir en conséquence. Le jeune homme va vite faire trembler les plus puissants, et son mouvement va rencontrer un élan très largement favorable dans l’opinion publique. Signe des temps…

 

Le roman de Gert Nygårdshaug est très engagé, et à travers son personnage, l’auteur ne laisse pas beaucoup de doutes sur ses convictions politiques et écologiques. Sur l’urgence de la situation et sur la fatalité des conséquences si on ne réagit pas vite et fort. Sur les moyens à employer je resterai moins affirmatif : s’il explique la chose du point de vue de Mino il n’élude pas pour autant l’extrême violence des mesures prises par Mariposa, et il ne cache rien des meurtres et attentats perpétrés par les éco-warriors idéalistes. Ce faisant, il pose ouvertement la question, et c’est au lecteur de se déterminer : la fin justifie-t-elle réellement les moyens, tous les moyens ? Et c’est assez troublant, car on ne peut évidemment pas s’empêcher de le trouver sympathique ce jeune Mino. Mais qu’en penserions-nous si tout cela arrivait dans la réalité et non dans un roman ?

 

Car j’ai omis de le préciser jusqu’ici, mais cela a son importance : le style du roman joue énormément dans la manière dont le lecteur appréhende l’histoire. Et ici, s’il s’agit en partie d’un roman écrit sur le mode du thriller, écologique certes, mais thriller quand même, il a cependant une double-casquette qui fausse un peu la donne : le roman revêt également les atours du conte et de la fable à plusieurs moments. Si le début, au cours duquel Gert Nygårdshaug pose ses personnages, verse dans un réalisme classique, très vite, dès lors que Mino est livré à lui-même, puis quand il vagabonde en compagnie d’Isidoro, l’histoire bascule par petites touches dans la fable. Cela se traduit par des éléments tout droit sortis de contes fantastiques ou de légendes : des plantes aux pouvoirs magiques, un trésor au fond de la mer, des exploits physiques extraordinaires de la part de Mino…

D’autres détails penchent vers l’aspect irréel du conte : jamais au cours des pérégrinations de Mino et Isidoro à travers toute l’Amérique du Sud on ne cite de pays existant, tout le continent semble parler la même langue, mélange de portugais et d’espagnol, et il flotte dans l’air un parfum d’onirisme dès lors que l’auteur décrit la forêt, ses habitants et ses ressources insoupçonnées…

 

Bref, tout cela compilé, semble démontrer que l’auteur a sciemment fait en sorte que son récit ne soit pas totalement et uniquement ancré dans le réel. Pour faciliter son récit ? Pour se ménager quelques effets difficilement transposables dans le plus strict cadre du réalisme pur ? Pour réduire un peu la violence et le jusqu’auboutisme de Mino et la Mariposa ? Difficile à dire, impossible d’être trop affirmatif. Je pense qu’il s’agit là d’une manière pour Gert Nygårdshaug de laisser une part de responsabilité au lecteur, peut-être même de l’obliger à s’impliquer en se posant des questions, en le laissant décider de son propre degré d’engagement avec l’histoire et les motivations des personnages.

 

Toujours est-il que la forme de ce roman vient un peu troubler l’ensemble du message, le rendant moins direct car en partie (en partie seulement !) déconnecté de la réalité.

 

En toute honnêteté, cet aspect du roman m’a un peu dérouté, et je dirais même, mis mal à l’aise. Je l’ai déjà dit à l’une ou l’autre reprise ici, je ne suis pas un adepte du conte et de la fable moderne. Ce genre littéraire a tendance à me laisser en dehors du récit. Traiter de la magie par exemple, comme d’un élément fantastique d’une histoire, et composer avec en tant que telle, je suis parfaitement ok (l’exemple qui me vient à l’esprit tout de suite : le Docteur Strange de Marvel ou tout bonnement Harry Potter). Je ne suis pas fan de magie, mais dans un contexte bien précis je suis capable de l’accepter comme n’importe quel autre élément fantastique qu’on pourrait introduire. Mais faire du « merveilleux » un élément de la normalité, sans en faire remarquer l’aspect exceptionnel, irrationnel, là j’ai tendance à tiquer. Un élément peut tout à fait être de nature « fantastique », mais il faut le revendiquer comme tel et l’expliquer (même si l’explication est farfelue, elle a au moins le mérite d’exister). En ce sens, j’ai par moment ressenti la même chose qui m’a tenu un peu à l’écart de l’histoire que lors de ma lecture de Cent ans de solitude dont j’ai déjà parlé ici. En moins extrême, mais tout de même, par petites touches c’était analogue. Certainement d’ailleurs, que le contexte géographique commun des deux romans (dans les deux cas on est en Amérique du Sud sans savoir exactement où) a renforcé le rapprochement que j’ai fait entre ces deux livres.

 

Au chapitre des bémols que je pourrais apporter au Zoo de Mengele, j’ai également envie de mentionner une narration un peu inégale tout au long du livre. Certains passages m’ont semblé un peu longuets, un peu trop lents, alors que d’autres ménagent un suspense dévorant. Rien d’absolument rédhibitoire, mais j’ai eu un peu de mal sur la première partie du roman à entrer dans l’histoire, en partie à cause de cela aussi.

 

En revanche, la fin du roman rattrape largement les traces d’ennui que j’ai pu ressentir au début, et c’est surtout toute la réflexion que le livre nous engage à avoir sur ses thématiques (Comment combattre efficacement pour l’écologie et la sauvegarde de la nature ? Le terrorisme peut-il sous certaines conditions se justifier ?) qui me fait vous conseiller sa lecture.

D’autant qu’il s’agit de la première partie d’une trilogie, et qu’ayant déjà lu le second tome, je peux vous assurer que la suite n’est pas du tout telle qu’on pourrait l’attendre, ce qui a été pour moi une très agréable surprise. Mais ça, on en reparlera un jour ici...

 

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