Probable réminiscence de mon adolescence bercée par Martin Riggs et Max Rockatansky, un de mes acteurs cultes est et reste Mel Gibson. Malgré les polémiques, malgré sa période de mise sur la touche par le microcosme hollywoodien, malgré son blacklistage qui aura duré peu ou prou une dizaine d’années, Mad Mel demeure pour moi une des figures emblématiques du cinéma que j’ai aimé jeune, qui a forgé mes goûts et figé mon système de références bien à moi. D’ailleurs ce n’est pas uniquement l’acteur qui m’a marqué, mais également le réalisateur qui, quoi qu’on pense de lui, sait livrer des films d’une puissance et d’une efficacité qui se posent là. À mes yeux, un film comme Apocalypto par exemple, est devenu une référence instantanée, un classique moderne, un statut que très peu de films récents sont capables de revendiquer et de tenir.
Héros à l'ancienne et gloire passée...
Longtemps boycotté1 en tant que comédien pour avoir tenu des propos polémiques et défrayé la chronique par sa vie personnelle quelque peu agitée, Mel Gibson revient lentement sur les écrans, sans pour autant être redevenu la star qu’il fut à sa grande époque. On ne monte plus de gros budgets sur son seul nom, la licence Mad Max survit à présent sans lui, même L’Arme Fatale a connu une seconde vie2 sans lui. Plus discret, se voulant moins clivant, le bonhomme renoue doucement avec son métier, monte tant bien que mal des films ambitieux en tant que réalisateur (le dernier en date, Tu ne tueras point l’a même réconcilié avec la critique), et montre sa trogne dans quelques films choisis, ici et là.
Le poids des années qui pèse...
Car une chose n’a pas changé : ce n’est peut-être plus son regard bleu acier mais souvent une barbe grisonnante et envahissante qu’on voit en premier quand il apparaît à l’écran, mais il n’a rien perdu de son magnétisme animal et de son charisme naturel. La vieillesse et la fatigue qu’on peut lire sur son visage ne font finalement qu’accentuer l’intensité de ce qu’il dégage.
Alors pour moi, quand un nouveau film avec Mel Gibson sort, ça tient toujours un petit peu de l’événement. Même si je suis l’un des derniers à qui ça fait cet effet. M’en fous. J’essaie d’aller le voir au cinéma quand même. Du moins s’il est programmé sur grand écran de par chez moi. C’est donc avec une pointe de déception que j’ai appris que Traîné sur le bitume n’aurait pas les honneurs d’une sortie en salle dans l’hexagone, mais passerait par la case DTV3.
Entre vieux de la vieille pas de cadeaux, ou quand Don envoie Mel sur la touche...
Pourtant le casting a méchamment de la gueule ! Jugez plutôt : outre Mel Gibson on retrouve à ses côtés Vince Vaughn, Michael Jai White, Don Johnson, Udo Kier, Laurie Holden4, Jennifer Carpenter… on a vu pire ! Et puis le film est signé S. Craig Zahler dont le nom ne vous dira peut-être rien, mais dont le premier film, Bone Tomahawk avait bien fait parler de lui et ramassé quelques distinctions ici et là (dont le Grand Prix de Gérardmer 2016, pour ceux à qui ça cause). Pas un manchot derrière la caméra donc.
Peu importe, de toute manière l’affaire était entendue pour moi : au cinéma ou en vidéo, je ne pouvais pas passer à côté de ce film-là.
Attention au casting de seconds couteaux qui claque : Michael Jai White vous salue bien !
Je vous dresse rapidement le décor : Deux flics un peu borderline mais pas ripoux sont suspendus par leur hiérarchie après avoir été filmés lors de l’une de leurs arrestations. Le temps que les médias se calment et passent à autre chose. Écœuré par ce manque de soutien, Brett Ridgeman (Mel Gibson) décide de mettre à profit sa suspension pour gagner l’argent dont lui et sa famille ont tant besoin. Rencardé sur un gros coup qui doit se faire prochainement, il va jouer le tout pour le tout et entreprend de braquer des braqueurs. Voler des voleurs, ça n’est pas vraiment du vol il paraît… en tout cas sa morale s’en accommode volontiers. Son coéquipier Anthony Lurasetti (Vince Vaughn) tout d’abord peu enthousiaste à cette idée, décide de tout de même lui prêter main forte. Les deux hommes sont déterminés. Le hic, c’est qu’en face, les criminels eux aussi sont déterminés...
Les méchants n'ont pas prévu de se laisser faire !
Alors j’avoue que durant au moins la première heure du film, j’étais dubitatif. Il y avait du talent à l’écran, pas de problème là-dessus, mais côté mise en scène et scénario, je n’étais pas convaincu. Je trouvais ça trop lent, trop explicatif et pas assez dynamique. J’en étais presque à me demander si la bonne réputation qui précédait le film n’était pas exagérée. Plus les minutes s’écoulaient, plus je craignais fortement une amère déception à l’arrivée…
Pour sa famille, Brett sait ce qu'il lui reste à faire...
Homme de peu de foi que j’ai été. À croire que j’ai été gangrené moi aussi par la mode, par la norme actuelle du cinéma qui veut qu’un film doit avoir impérativement un rythme tendu et saccadé pour plaire, encore plus s’il se range dans la catégorie film de genre. Pourtant je le sais que c’est rien que des conneries tout ça, j’en ai si souvent des démonstrations limpides (allez ne cherchons pas bien loin dans mes dernières chroniques : Once upon a time in… Hollywood ou Hostiles devraient suffire à étayer mes propos). Le doute donc avait commencé à s’installer en moi avant que je ne comprenne, avant que S. Craig Zahler, en réalisateur vicelard et pleinement maître de son sujet, me file un gros coup d’adrénaline alors que je ne m’y attendais pas. Ce que j’avais pris pour un manque de rythme au départ était en fait tout autre chose, de tout à fait voulu et mesuré par le cinéaste. C’était une savante mise en place des enjeux et des personnages. C’était une mise en route volontairement lente avant les coups de buttoir qu’il s’est pris un malin plaisir à nous envoyer comme ça, par saccades, sans prévenir et surtout sans nous ménager le moins du monde. Sans ménager les personnages de son film non plus d’ailleurs.
Brett et Anthony, deux flics à l'ancienne, en décalage permanent avec le monde actuel
Car une fois qu’on a bien pris le temps d’apprendre à connaître chaque personnage, sa vie passée et présente, ses motivations, alors le vrai jeu commence. Un jeu de massacre, où tout peut arriver à tout le monde, y compris … ah bah non, ça serait ballot que j’en dise plus là-dessus. Tout ce que je peux dire c’est qu’à deux ou trois reprises j’étais sur le cul face à ce que je voyais à l’écran. Et quand est arrivée la fin du film (qui dure 2h39, moins le générique ça fait quand même environ 2h30 de métrage mine de rien) je me suis retrouvé tout con, essayant de comprendre ce que je venais de voir, tentant de rapprocher ce film de quelque chose d’approchant que j’aurais pu déjà voir, en vain. On peut dire que ce film m’a déboussolé, ça ne sera pas exagéré.
Déterminé et armé : pas sûr que ça suffise...
Tout d’abord long voire lent, Traîné sur le bitume prend son temps, impose son rythme au spectateur. Mais ne vous y fiez pas, c’est pour mieux vous choper par les baloches. Car quand le film bascule, il devient totalement inattendu, sans pitié, amoral, cruel même à l’endroit de certains personnages. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que de ce point de vue, ce film sort des sentiers battus et trace son propre chemin en suivant un itinéraire tout sauf conventionnel.
Et en fin de compte, après avoir craint de finir déçu, j’ai été surpris comme peu souvent j’ai pu l’être ces derniers temps par un film. Évidemment, vous me connaissez un peu maintenant : je ne peux que le conseiller (avec les précautions d’usage : ça ne va pas plaire à tout le monde et accrochez-vous sur la première moitié, et sur la seconde moitié aussi mais pour de toutes autres raisons).
1 à quelques rares exceptions près comme Le complexe du castor par exemple
2 ce qui à mes yeux est une trahison doublée d’une ineptie sans nom…
3 Direct To Video
4 franchement méconnaissable dans le film, ce n’est qu’en voyant son nom au générique de fin que je me suis rendu compte que c’était en effet bien elle !