Quand j’étais môme j’adorais les mardis. Parce que le soir j’avais le droit de regarder FR3 (non, pas France 3 !), il y avait La Dernière Séance, avec un Eddy Mitchell souvent accompagné d’une jolie ouvreuse de cinéma en uniforme qui nous présentait le film du soir, et neuf fois sur dix il s’agissait d’un Western. J’arrivais même à tirer mon autorisation de veillée jusqu’au dessin animé qui faisait office d’intermède avant le second film du soir. Le mercredi il n’y avait pas école, j’avais des parents cools, et puis les programmes du soir démarraient vraiment à 20h30, pas à 21h15. Ceci explique cela. Du coup j’ai été biberonné chaque mardi soir aux Westerns à la papa, avec des cowboys et des indiens, des duels au revolver, et un John Wayne au stetson impeccable en toute circonstance (sauf bien entendu lorsqu’il arbora la toque en peau de raton laveur de Davy Crockett dans Alamo !!). Et j’adorais ça.
Puis le genre est tombé en désuétude. J’ai grandi. La Dernière Séance s’est arrêtée. La télévision est devenue de moins en moins vectrice de culture et de plus en plus dédiée au mercantilisme et à la vente de temps de cerveau humain disponible, chère à TF1 et tant d’autres dans son sillage.
La longue chevauchée commence...
Aujourd’hui quand un Western sort au cinéma, on sait d’avance qu’il aura au mieux un succès d’estime, mais que le public ne se ruera pas en salle, quand bien même le film serait d’une qualité exceptionnelle. C’est comme ça. Les derniers à avoir fait mentir cette règle furent deux géants : Kevin Costner et son Danse avec les Loups majestueux* et Clint Eastwood qui signa en son temps ce qui est souvent considéré comme le crépuscule du Western avec Impitoyable. Mais bon, ça remonte mine de rien à 1990 pour le premier (et ça vous fichera certainement un coup au moral si, comme moi, vous êtes de ceux qui l’ont vu à sa sortie en salle…), et à 1992 pour le second !
C’est malheureusement ce qui est arrivé à ce Hostiles qui n’aura eu ni grande presse, ni grand succès lors de sa sortie l’an dernier. Et pourtant, c’est un vrai, grand film.
Mis en scène par Scott Cooper (dont j’avais déjà apprécié Les Brasiers de la colère en 2014), le film démarre en 1892, quelque part dans le Nouveau-Mexique. Le capitaine Joseph Blocker (interprété par un Christian Bale -comme souvent- habité) est chargé d’escorter le prisonnier cheyenne Yellow Hawk (Wes Study, charismatique au possible), un vieux chef de guerre mourant jusqu’à ses terres natales dans le Montana. Blocker et Yellow Hawk ont longtemps été des ennemis jurés, mais le président Harrison, dans un souci d’apaisement avec le peuple indien, a décidé que le chef indien avait passé suffisamment de temps dans les geôles américaines et pourrait mourir sur ses terres, conformément aux traditions cheyennes. C’est à contre-cœur que Blocker se voit contraint de monter cette dernière mission avant de pouvoir lui-même prendre sa retraite de l’armée. Au cours de son périple, l’expédition va recueillir Rosalee Quaid (Rosamund Pike, elle aussi exceptionnelle dans un rôle difficile), une pionnière dont la famille entière a été décimée par un groupe de guerriers comanches. Le trajet jusqu’aux prairies du Montana va s’avérer long et périlleux...
Yellow Hawk et le capitaine Blocker, des ennemis de longue date.
Quand je dis de Hostiles que c’est un vrai grand film, je n’exagère pas un seul instant. Les images sont sublimes (vu les décors naturels traversés rien d’étonnant), l’histoire est simple mais très forte, le ton est à la sobriété et à l’authenticité (en ce point les Westerns modernes ont éliminé certains travers de leurs prédécesseurs des années 1950-1960 : on y est bien moins bavard et cliché qu’alors), les scènes d’action se veulent directes et rudes mais ne cherchent pas forcément à faire du grand spectacle et des démonstrations de force.
Mais surtout ce qui fait l’atout majeur de ce film, c’est l’interprétation des comédiens. Avec pour rôles principaux Christian Bale et Rosamund Pike, déjà, on tape dans le casting de luxe. Pas forcément les plus bankables au box-office, mais le tout haut du panier si on parle de talent pur. Ces deux acteurs sont à mes yeux depuis plusieurs années déjà parmi les meilleurs de leur génération, et ils le prouvent encore et toujours, film après film. Dans Hostiles ils éclaboussent de leur classe un film qui déborde pourtant déjà de qualités.
Douce et belle, Rosalee Quaid est aussi une femme qui sait se défendre.
Attention toutefois, je préfère vous prévenir : le film de Scott Cooper est aux antipodes de ce qui se fait actuellement dans l’entertainement cinématographique mainstream. Pas de sur-découpage, pas de montage échevelé des scènes d’action, pas de raccourcis narratifs. Les images sont léchées oui, pas tape-à-l’œil. Nuance. Il y a des scènes puissantes oui (à ce titre la scène d’ouverture vous prend d’entrée aux tripes), mais simples et directes, il n’y a ni esthétisation ni édulcoration de la violence. Le film met en scène un long voyage à travers les contrées américaines, il se permet des plans longs de paysage, des silences, des lenteurs, et c’est bien ! Les personnages endurent mille souffrances, les conditions sont difficiles, ils survivent plus qu’ils ne voyagent, aussi leurs paroles sont mesurées, ils parlent peu mais vrai, les dialogues sont parfois à voix basse, ponctués de murmures et de sous-entendus, les regards parlent souvent d’eux-mêmes, et suffisent au spectateur pour comprendre ce qui les motive et les anime. On est plus souvent dans l’exposition que dans l’explication. Et ça marche bien !
Christian Bale, comme toujours très impliqué dans son rôle.
Ce film est un joyau rare, du début à la fin.
Alors si vous êtes amateur de Western, n’hésitez pas une seconde, jetez-vous sur Hostiles, c’est un très grand Western.
Et si vous êtes juste amateur de cinéma, n’hésitez pas l’ombre d’un instant, jetez-vous sur Hostiles, c’est un très grand film.
* Je vous parle là de cinéma… mais il y a plus récent tout de même, à la télévision, chez HBO plus précisément, avec l’exceptionnelle série Deadwood dont j’ai parlé ici il y a looooongtemps. Et qui va enfin connaître un fin digne de ce nom (I hope so), avec un téléfilm annoncé en mai 2019, soit 13 ans après son annulation qui m’avait laissé un goût amer de frustration à l’époque !