Amis fans de baston sur pellicule, amateurs de coups de tatanes savamment dosés, de bourre-pifs en tous genres, d’arts martiaux filmés au ralenti et de coups de lattes en retournés acrobatiques, bien le bonjour. Vous êtes au bon endroit au bon moment. Car aujourd’hui je vais vous parler de The Raid, film indonésien qui sera à mon avis le nouveau jalon du film de baston pour la décennie à venir.
Parmi mes innombrables défauts, j’ai le mauvais goût d’aimer aussi les films où l’on échange plus de mandales que de lignes de dialogue. Les drames c’est bien, le romantisme pourquoi pas, et la philosophie introspective je ne suis pas contre, mais que voulez-vous, de temps en temps une bonne explication de texte entre musculeux qui se mettent des baffes, ça me délasse. Et je ne suis pas sectaire dans le domaine. Aussi loin que mes souvenirs remontent, j’étais déjà client du duo Terence Hill / Bud Spencer et des tonitruantes gifles que distribuait ce dernier à tout va dans les années 70-80, des enseignements shaolin du petit scarabée de la série Kung Fu, des claquements d’articulations et du cri qui tue de Bruce Lee, sans oublier des séances d’entraînement sur quartiers de bœufs congelés de Rocky. Fan de la première heure du belgeophone Jean-Claude Van Damme dans la peau de Frank Dux au kumité de Hong-Kong, j’ai des souvenirs émus du Steven Seagle svelte et gominé (sa passion pour la charcuterie bio l’ayant depuis rattrapé) de Nico ou Justice Sauvage, j’ai l’image gravée dans ma mémoire du bras herculéen d’un Schwarzy au sommet de sa forme portant son tronc d’arbre comme qui rigole au début du cultissime Commando, et je ne peux m’empêcher d’écraser une larme sur la symbolique de ce grand gaillard de Dolph Lundgren en spetsnaz abandonné mais secouru par un petit bushman dans ce film méconnu qu’est Le Scorpion Rouge. Et que dire de la démonstration de combat au corps-à-corps de Martin Riggs à la fin du premier Arme Fatale ? Que du bonheur pour moi.
Avec les années qui passent, forcément on se dit qu’on a déjà tout vu, et on est moins facilement impressionnable que quand on est adolescent. Mais de temps en temps, un type se dégage du lot et on ne peut pas s’empêcher de se dire : « ouch, celui-là il dépote ». Plus récemment (on va dire ces 15 dernières années), ça a été le cas pour des gugusses comme Jason Statham (son récent Safe prouve toute sa valeur de comédien de film d’action), Scott Adkins (dont la tronche le classe plus souvent parmi les méchants que les gentils, voire Expendables 2 par exemple) ou encore le méconnu Michael Jay White au physique et à la technique impressionnants (s’il est coupable d’interpréter Spawn dans l’adaptation du comic, il démontre toute sa classe dans des petits budgets à titres improbables comme Un seul deviendra invincible 2 ou Never Back Down 2).
Mais pour ce qui est de grandes claques récentes (je parle au figuré pour le coup)(arf, je fais des jeux de mots parfois moi, dingue), au cours des années 2000 je n’en ai eu que deux : les deux films thaïlandais Ong Bak et L’Honneur du Dragon. Toutes les deux infligées par le même petit bonhomme d’un mètre soixante huit mais monté sur ressorts : Tony Jaa. Ses performances physiques et athlétiques sur ces deux films sont pour moi ce qui s’est fait de mieux dans le genre depuis longtemps. Pour vous en convaincre, jetez un œil sur la course poursuite à pieds de Ong Bak et surtout sur la montée des marches d’un hôtel de luxe dans L’Honneur du Dragon filmée en un seul plan-séquence où l’on voit Tony Jaa gravir étage après étage tout en se défaisant des assaillants qui déferlent sur lui : du grand art, époustouflant. Pour moi, Tony Jaa, spécialiste du muay thai, est l’artiste martial qui a marqué de façon indélébile le film de baston dans les années 2000.
Pour les années 2010, j’ai déjà trouvé celui qui a pris le relais. Il s’appelle Iko Uwais, il est indonésien, il pratique le silat (art martial indonésien) et son air juvénile et son regard d’ange sont en parfait décalage avec son extrême habileté au combat rapproché. Je l’avais vu dans son film précédent, Merantau, déjà réalisé par le gallois expatrié en Indonésie Gareth Evans. Si certaines scènes mettaient alors bien en avant son talent de combattant, ce film ne m’avait pas convaincu pleinement, ni dans sa réalisation ni dans son interprétation. À mon sens, Merantau laissait entrevoir un certain potentiel, mais l’ensemble restait encore trop inabouti, bourré de défauts de jeunesse. Mais le duo Evans / Uwais s’est reformé pour accoucher de The Raid, et cette fois la chrysalide a laissé place au papillon… la progression depuis Merantau est à tout point de vue énorme !
La réputation de The Raid a précédé son arrivée dans les salles, aussi je m’attendais à être déçu, tant j’avais entendu de commentaires dithyrambiques à son sujet. Plus l’espérance entretenue est grande, plus la déception peut s’avérer profonde. Et si c'est malheureusement très souvent le cas… et bien ce film aura fait mentir cette règle !
Je vous résume en quelques mots le scénario prétexte au film. Une unité spéciale de policiers de Jakarta décide de prendre d'assaut un immeuble qui sert de forteresse à la pègre locale. Problème : le bâtiment est une véritable citadelle réputée imprenable, fait une quinzaine d'étages et est infesté par une horde armée de gangsters, hommes de mains et voyous en tous genres. Le plan est simple : s'introduire discrètement dans la tour, sécuriser étage après étage en mettant hors d'état de nuire ses habitants, et monter ainsi jusqu'au dernier étage pour y épingler, Tama (Ray Sahetapy) le Boss de la pègre qui y règne en maître absolu. L'escouade est menée par l'officier Jaka (Joe Taslim, un champion de judo indonésien dans son tout premier rôle au cinéma), et compte en son sein le jeune policier Rama (Iku Uwais). Mais le plan de départ va vite déraper car Tama flanqué de ses deux lieutenants Andi (Donny Alamsyah) et Mad Dog (Yayan Ruhian), prévenu par un indic, attendait ses assaillants de pied ferme. Dès lors le piège se referme sur les policiers qui vont devoir lutter pour leurs vies...
Le film est une suite quasi-ininterrompue de combats de toutes sortes. Gunfights, combats à l'arme blanche et à mains nues : la moindre séquence du film est une ôde à l'action et à la baston. Machette, couteau, hache, flingue, tout est bon pour rétamer son adversaire. Le film déborde d'énergie, est mené tambour battant et ne laisse pas un moment de répit, ni aux personnages ni aux spectateurs. Le personnage principal Rama enchaîne d'ailleurs à ce point les combats et séquences d'action qu'on se demande à quoi il carbure et si par hasard ses os ne seraient pas recouverts d'adamantium comme un certain nabot poilu et griffu venu du Canada. Car s'il distribue les coups, il en prend pas mal aussi, et pour être honnête un centième de se qu'il se ramasse aurait dû suffire à le laisser sur le carreau ce petit bonhomme.
Mais peu importe, tant le niveau des combattants est excellent, les chorégraphies aux petits oignons et les techniques employées impressionnantes. À ce titre, le combat homérique (et qui semble ne jamais finir !) qui oppose Rama, Andi et Mad Dog est un pur chef d'oeuvre. De l'énergie en barre, de l'adrénaline à haute dose et un rythme effréné du début à la fin de ce règlement de comptes qui ferait passer n'importe quel ultimate fighter pour un aimable plaisantin. Alors que chaque coup porté devrait mettre KO un boeuf, ces trois lascars se mettent sur la gueule sans discontinuer pendant un temps qui paraît infini. Et si Iku Uwais est impressionnant de rapidité et de précision dans ses gestes, son vis-à-vis Mad Dog interprété par le tout petit Yayan Ruhian est juste incroyable de rage, de violence et de technique pure alliée à un sadisme et une arrogance qu'on s'imagine à peine exagérées. Le genre de péquin qui ne paie pas de mine du haut de son mètre soixante et de ses cinquante kilos tout mouillé, mais qui bouffe le foie d'un Hulk Hogan pour son petit déj. Et encore, une main dans le dos.
Pendant les une heure et quarante minutes que dure ce film, on est au paradis du coup de latte. Quelques effets bien sanguinolents par ci, quelques passages un peu gores par là. Mais toujours une énergie, une violence et une technique à couper le souffle. Les artistes martiaux et chorégraphes sont bien évidemment les premiers à féliciter pour ce spectacle incroyable. Mais il y en a un autre qui mérite les louanges, c'est le réalisateur Gareth Evans, car ce n'est pas si souvent qu'on peut admirer des combats aussi parfaitement filmés, aussi parfaitement lisibles, et avec un impact maximum sur le spectateur. Qui en redemande d'ailleurs (enfin moi oui).
The Raid est sans l'ombre du moindre doute le nouveau mètre étalon du film de baston pour les années 2010. Va falloir s'accrocher pour faire aussi bien et impressionnant. Parce qu'avec un pareil niveau, les indonésiens de The Raid vont faire de l'ombre à pas mal de monde.