Voilà un film qui avait tout pour m’intéresser et me plaire. D’abord c’est le nouveau film de Zach Snyder, le réalisateur qui m’avait beaucoup plu avec son premier film L’Armée des Morts, complètement halluciné avec 300 et agréablement rassuré sur l’adaptation casse-gueule de Watchmen (bien que j’en suis conscient, ces trois films comptent également des hordes de détracteurs aussi virulents que moi j’ai été conquis). Ensuite Sucker Punch a été clairement annoncé et revendiqué comme un film de geek pour les geeks et complètement assumé en tant que tel. Autrement dit, c’est comme si Snyder promettait ouvertement : « vous avez aimé mes précédents films ? alors vous adorerez celui-ci ». Ouais, ou pas.
Avant d’aller plus loin, je vais tenter de résumer ce qui se passe dans Sucker Punch… Accrochez vous, je ne garantis pas la limpidité du résultat, l’exercice s’avère périlleux.
Tout commence avec une jeune fille, Baby Doll (Emily Browning), que son beau-père conduit dans un hôpital psychiatrique comme on se débarrasse d’un colis encombrant. Sur place il s’arrange avec l’infirmier en chef (un véreux de la pire espèce) pour que Baby Doll reçoive un traitement tout particulier : dans quatre jours, lors du passage du « High Roller » (Jon Hamm) (le supposément méchant médecin qui fait office de croque-mitaine comme dans une histoire pour enfants) elle sera purement et simplement lobotomisée. Dans cet asile, le docteur Gorsky (Carla Gugino) fait suivre à ses patientes des thérapies à base de musique et au cours desquelles elle les pousse sur une scène de théâtre à entrer dans des jeux de rôles au sein de mondes imaginaires qu’elles se créent. Baby Doll, pour rendre son sort plus acceptable, imagine qu’elle est enfermée non pas dans un asile mais dans une institution de la belle époque, mi-bordel mi-cabaret façon Moulin Rouge. L’établissement est tenu d’une main de fer par le directeur Blue Jones (l’infirmier joué par Oscar Isaac), et le docteur Gorsky y est la coach qui aide les filles à préparer leurs numéros de danse qu’elles présentent aux clients. Baby Doll devient rapidement la star tant elle est douée pour la danse. En effet quand elle danse, elle hypnotise l’assistance (au sens littéral) et entre elle-même dans un état second qui la fait glisser dans un niveau supplémentaire de rêve éveillé, dans lequel elle accède à des univers imaginaires foisonnants de décors de toutes sortes et de dangers plus grands les uns que les autres. Des mondes dans lesquels elle est une héroïne invincible, maniant armes et arts martiaux comme personne. Entraînant avec elle quatre autres pensionnaires devenues ses amies, Rocket (Jena Malone), Blondie (Vanessa Hudgens), Amber (Jamie Chung) et Sweat Pea (Abbie Cornish), les filles vont naviguer de mondes en mondes pour remplir les missions que leur confie un étrange sage / mentor (Scott Glenn). Chacune de ces missions est une quête d’un des quatre objets qui une fois réunis leur permettra d’atteindre leur but ultime : parvenir à s’échapper de leur prison dorée…
Voilà, j’avais prévenu, c’est pas évident à résumer de façon claire et concise. J’essaie en encore plus court tiens : une jeune fille est internée dans un asile. Elle modifie sa perception de la réalité et s’imagine dans un cabaret où l’on donne des revues de danse. Quand elle danse elle glisse encore dans une autre réalité imaginaire qui la voit vivre toutes sortes d’aventures rocambolesques. L’objectif de chacune de ces aventures fabuleuses étant de réunir les objets nécessaires à leur évasion du cabaret / asile où la jeune fille et ses amies sont enfermées.
Mouais, je ne sais pas si c’est plus clair, là. Je vais essayer encore plus court : une jeune fille complètement barrée s’imagine dans des aventures toutes plus incroyables les unes que les autres au terme desquelles elle pourra s’échapper de la réalité cauchemardesque qu’est sa vie.
Allez encore un essai : c’est un film où des nanas sexy mais un peu voilées de la toiture se coltinent avec toutes sortes de méchants pas beaux pour arriver à gagner leur liberté.
Bon, dernière tentative : Zach Snyder se fait plaisir en mettant en scène des bombasses en tenues sexy qui se foutent sur la gueule avec toutes sortes de monstres.
Voilà, là je le tiens mon résumé, c’est ça en fait !!
Parce que j’ai repensé au film. J’ai cherché sur internet où j’ai trouvé des tas d’analyses qui vont du « c’est nul j’ai rien compris » à des rapports détaillés de chaque plan et qui concluent en criant au génie incompris de l’auteur tant le film serait gorgé de références insoupçonnés et de sens cachés (si ça en intéresse certains, voici l’adresse d’un site où chaque scène est décortiquée et qui propose une lecture du film fort intéressante bien qu’un peu alambiquée à mon goût personnel…). Et en fait rien de tout cela ne m’a vraiment convaincu. Que Zach Snyder ait voulu un film plus compliqué qu’il n’y paraît à sa vision première cela ne fait pas l’ombre d’un doute pour moi. Qu’il ait réussi à s’exprimer clairement c’est déjà une autre paire de manches. Si vraiment le réalisateur a voulu faire de son film un petit bijou d’orfèvrerie dans le domaine de la complexité, il lui a manqué un certain talent de vulgarisateur et de conteur pour que le spectateur lambda (autrement dit moi, qui n’ai pas suivi d’études en troisième cycle de psychologie) ne se sente pas perdu dès que le film bascule dans l’environnement cabaresque (et je ne parle même pas de la suite). Chose qu’avait particulièrement bien réussi à faire Christopher Nolan avec ses différents niveaux de conscience dans l’excellent Inception.
Car à la complexité des non-dits, métaphores et symboles qui sont sensés émailler Sucker Punch, Snyder ajoute une difficulté supplémentaire en se tirant tout seul une balle dans le pied déjà lui-même bien comprimé par la basket de l’incompréhension (si vous avez compris ce que j’ai voulu dire dans cette phrase vous avez vos chances avec le film). Paradoxalement c’est le concept même du film qui joue contre lui, contre l’aspect complexe et cérébral qu’on veut lui accoler. Le concept (en tout cas, c’est comme ça qu’on nous l’a vendu) c’est celui d’un film de geek pour les geeks comme je le disais en préambule. Autrement dit un film où on va faire la part belle à l’action spectaculaire et aux références à la pop culture. Cahier des charges parfaitement rempli du reste, chaque mission des filles se déroulant dans des mondes multi-référencés.
On a pêle-mêle dans ce film : des samouraïs géants, un moine shaolin qui parle par énigmes, un dragon cracheur de feu qui combat un bombardier B-25 dans les airs, une armée d’orques en furie, des zombies allemands dans des tranchées de la première guerre mondiale, des mechas japonais géants, des robots high-tech de combat, une bombe nucléaire dans un train à grande vitesse en suspension, des combats au sabre, des mitraillettes lourdes, des zeppelins qui prennent feu au-dessus d’un Paris Steampunk, une prison de femmes qui n’accueille que des bombes, des guerrières en petites jupettes d’écolières avec des gros flingues, … j’en passe et j’en oublie à coup sûr. Bref, on a dans ce film à peu près tout ce qui plait à un geek, piochant allègrement dans la Science-Fiction, le Fantastique, l’Heroic-Fantasy, le film de guerre, les jeux vidéo (avec cette impression de passer au niveau supérieur d’un jeu de plateaux pour chaque nouvelle mission des filles), les animes japonais, le tout arrosé d’une bonne dose de fantasmes masculins et de jolies filles ultra-sexy.
Ce bain foisonnant d’action débridée et de décors sans limite de lieu ni de temps donne au film un côté certes très impressionnant et jouissif mais aussi un aspect très premier degré qui ne sied pas aux ambitions intellectualisantes qu’on veut bien prêter au film. Ça fait gros film de bourrin, super bien foutu et carrément décoiffant, mais film de bourrin quand même.
Et l’argument qui veut que les clés du film se trouvent également en partie cachées tout du long des titres choisis pour la bande son (on y croise entre autre Eurythmics, les Pixies, Björk, The Smiths, …) est certes intéressant lui aussi, mais pas forcément plus probant et convaincant que le reste des indices semés ça et là dans le film.
Autre aspect un peu décevant du film, c’est sa relative timidité, voire sa sagesse dans tous les domaines qui auraient pu faire du film une vraie œuvre dirty et vraiment décomplexée. Pas de sang, pas de sexe (les filles sont toujours sexy certes, mais toujours de façon, comment dire, très propre, très contenue, paradoxalement : de façon très sage !) et pas d’injures pour plaire aux sacro-saintes instances de la censure américaine. Le film doit pouvoir être vu par les jeunes spectateurs et ça se sent un peu trop, le contexte aurait tellement prêté à un peu plus se lâcher de ce point de vue là que c’en est dommage.
Cela dit, Snyder promet une version uncut pour la sortie dvd, avec pas loin de 20 minutes de scènes coupées (dont paraît-il une de sexe entre Emily Browning et le sous-exploité Jon Hamm, et qui serait certainement intéressante à voir) qui devraient mettre du piment au film selon ses propres dires… wait & see.
Pour sa première réelle œuvre de créateur (ses autres films étaient tous des adaptations d’œuvres existantes), Zach Snyder aura certainement voulu trop en faire. Cumuler son savoir faire et son envie de toucher à tout. Remarquez, c’est bien d’avoir de l’ambition. C’est bien aussi de connaître ses limites.
Car si Sucker Punch pêche, c’est très clairement d’un manque d’écriture. Pour ce qui est du visuel et de la mise en scène, Snyder a ses fans comme ses détracteurs acharnés (moi je suis plutôt réceptif à son style même s’il en fait un chouïa trop par moment), mais on ne peut pas lui ôter qu’il a un style bien reconnaissable et pour le moins efficace quand il s’agit de créer des images icôniques et spectaculaires. On peut le détester pour son usage parfois abusif du ralenti par exemple, mais on ne peut pas lui nier un véritable sens de l’image qui marque. À mon sens, Snyder est très certainement ce qui est sorti de plus intéressant de l’école des réalisateurs issus des clips et des codes à la MTV et consorts.
Snyder débute en tant que scénariste, Sucker Punch en est le témoin malheureux. Les plus médisants iront certainement même jusqu’à dire que le bonhomme n’est tout simplement pas fait pour l’exercice de l’écriture. Moi ce que j’en dis, c’est que c’est lui qui va diriger la prochaine adaptation de Superman au cinéma, pour laquelle il sera canalisé à la production et au scénario par les frères Nolan. Et un type qui a sa pâte visuelle avec des raconteurs d’histoires de la trempe des Nolan, ça augure du bon…