Il y a des petits films qui passent relativement inaperçus, et qu’on chope comme ça presque au hasard en regardant le programme télé du soir. Et parfois on tombe sur une petite perle, totalement inattendue. The Invention of Lying, de Ricky Gervais est de ceux là.
Je ne connais quasiment pas Ricky Gervais, je savais juste qu’il est à l’origine de la série britannique The Office (qui a vu une version américaine désopilante avec Steve Carell à sa tête, et même une éphémère –et néanmoins très bonne- version française avec François Berléand dans le rôle principal), et puis tout dernièrement qu’il avait créé la polémique en tant qu’animateur-présentateur de la cérémonie des Golden Globes. À cette occasion il a réussi à se faire détester par un maximum de monde (je parle des vedettes du cinéma) en un minimum de temps, en lâchant vannes sur vannes (des trucs très drôles mais pas toujours très classes) sur les people du tout Hollywood.
C’est donc en quasi néophyte que j’abordais l’œuvre de l’énergumène en question.
Dans The Invention of Lying on suit l’existence d’un type plus qu’ordinaire, Mark Bellison (Ricky Gervais). Bien que contemporain, le monde dans lequel il vit a ceci de particulier que le mensonge et l’hypocrisie n’y existent tout bonnement pas. Chacun dit toujours la vérité et ce qu’il pense sincèrement. Mark n’a pas le physique d’un playboy, un peu grassouillet, pas très beau, il sait qu’il n’a que peu de chance de plaire à la belle Anna McDoogles (Jennifer Garner) dont il est pourtant raide dingue. D’ailleurs cette dernière ne cesse de le lui répéter : il n’est physiquement pas à la hauteur de ses attentes légitimes, contrairement à son rival professionnel Brad Kessler (Rob Lowe). Amoureux éconduit, sa situation va encore dégénérer lorsqu’il se fait renvoyer de son boulot de scénariste pour une société de production de films. Empêtré dans ses soucis financiers, personnels et sentimentaux, une alchimie extraordinaire va s’opérer dans le cerveau de Mark qui va alors avoir une idée aussi saugrenue qu’inédite pour s’en sortir : il va mentir ! Devenu le seul être au monde capable de mentir, il va faire tourner la roue du sort en sa faveur, son entourage étant psychologiquement incapable ne serait-ce que de conceptualiser la notion de mensonge. Cependant Mark n’est pas un mauvais garçon, s’il ment et qu’il en tire de petits bénéfices, il va surtout user de ce tout nouveau stratagème pour essayer de faire du bien autour de lui et rendre les gens heureux. Mais c’est bien connu, l’Enfer lui-même est pavé des meilleures intentions…
Bon, j’en dis un peu plus qu’un simple résumé sur ce film, mais c’est parce que le thème est propice à pas mal de réflexions que j’ai trouvées intéressantes, et auxquelles je ne m’attendais pas du tout dans une petite comédie sans prétention de ce genre. Aussi je risque de spoiler un peu le déroulement du film (sans non plus tout dévoiler), à vous de voir donc si vous voulez lire ce qui suit…
Dit comme ça, un « monde sans mensonge » ça n’est pas folichon. Mais mis en images par Ricky Gervais, l’idée prend tout son sel et cela devient vite savoureux ! Tout du long du film, Gervais met malicieusement dans la bouche de ses personnages ce que dans la « vraie vie » (la nôtre en somme) on penserait tout bas. Et cela donne des choses percutantes, drôles, inattendues au premier abord mais parfaitement à leur place dans ce contexte du « toute la vérité rien que la vérité ». Car il n’y a pas que le mensonge qui soit banni de ce monde, l’omission l’est tout autant ! Bref, chacun dit aux autres ce qu’il pense d’eux, même si on ne demande rien ! Ainsi quand Mark invite Anna au restaurant, le serveur se présente en précisant d’emblée qu’il est mort de honte de travailler dans un restaurant aussi mauvais, et après s’être enquis des liens de parenté de Mark et Anna (« vous êtes son père ? son frère ? son cousin ? ») lui assène juste avant de prendre leur commande un « laissez tomber vous n’êtes pas à la hauteur » tout ce qu’il y a de plus sincère. Dans le même genre, la pub à la télévision pour une marque de soda bien connue vaut son pesant de cacahouètes…
D’ailleurs, on peut également s’étonner en premier lieu du métier de Mark. Comment être scénariste pour le cinéma dans un monde où le mensonge n’existe pas ? C’est très simple en fait. Les seuls films produits sont à caractère historique. Et les acteurs sont en fait des conteurs qui lisent des scénarios tout droits sortis des livres d’Histoire, assis dans un fauteuil face caméra (captivant n’est-ce-pas ?).
Mais Ricky Gervais ne se contente pas de son contexte original pour jouer uniquement sur l’humour, il va plus loin, il ose s’aventurer dans d’autres domaines que la comédie pure. C’est tout naturellement qu’il en arrive à la question de la religion… Car dans son récit, puisque le mensonge n’existe pas… la religion n’existe pas non plus ! Bref s’il ne le dit pas expressément il nous laisse clairement imaginer ce qu’il pense de la religion. Et Mark, avec son don du mensonge (et pour élargir un peu, sa capacité à inventer des choses qui n’existent que dans son esprit) va donc tout simplement créer de toute pièce une religion ! Incroyable que ce soit dans une petite œuvre de comédie que je retrouve ma propre conception de la religion : des croyances exploitées et couplées à des règles dictées par des hommes à d’autres hommes, créant entre eux un rapport de pouvoir. Bon, fin de la petite digression sous forme de réflexion personnelle, j’en reviens plus directement au film.
Ce qui est amusant, c’est de voir comment il va en arriver là, par quel cheminement de pensée les choses vont s’enchaîner, avant de complètement lui échapper. Car encore une fois, tout part d’un bon sentiment : Mark est appelé au chevet de sa mère mourante, et devant la vieille femme apeurée par la mort imminente et l’inconnu du néant, il lui raconte pour la rassurer qu’il y a une vie après la mort, pleine de joie et de bien-être (le paradis chrétien revu et corrigé sauce Gervais). Et la vieille femme, incapable d’imaginer que Mark invente tout cela, le croit bien évidemment, et meurt rassurée, presque heureuse grâce à lui. Tout cela en serait resté là si le personnel de l’hôpital n’avait pas entendu Mark raconter son conte de fée à sa mère mourante. Car eux aussi sont incapables de penser qu’il puisse mentir (le mensonge n’existe tellement pas, que le mot même et sa définition n’existent pas), et bien vite la nouvelle qu’il y a une vie après la mort va se propager et faire les grands titres des journaux du monde entier !
Alors attention, tout intéressant qu’il est, The Invention of Lying n’est pas dénué de défauts pour autant. En premier lieu, il est beaucoup plus drôle au début que dans sa seconde partie. Il est également assez prévisible en ce qui concerne sa conclusion. Et puis par moment il y a des passages mielleux, limite gnians-gnians qui ne sont pas sans rappeler les comédies sentimentales à l’eau de rose. Sans parler des rapprochements inévitables avec la religion judéo-chrétienne et sa morale bien-pensante du fait de ressemblances parfois un peu trop appuyées, qui auraient pu être évitées.
Mais de manière générale j’ai trouvé ce film enthousiasmant, surtout devant la somme de réflexions qu’il traîne et entraîne dans son sillage. En particulier, l’idée que la vérité, l’honnêteté, la sincérité, qui sont des qualités pourtant unanimement plébiscitées, puissent être aussi le décor d’un véritable enfer sur terre. Gervais s’amuse à le démontrer tout au long du film, quand il fait dire à ses personnages les pires horreurs sous couvert de dire la vérité. Et a contrario, il parvient à démontrer les qualités cachées et insoupçonnées de défauts pourtant caractérisés tels que le mensonge et l’hypocrisie. Vivre en ne disant que la vérité, et surtout en ne cachant rien de ce qu’on pense, dans un monde où tout le monde se comporterait ainsi, le voilà le véritable Enfer… l’auteur aura au moins réussi à démontrer que pour être vivable, la vie doit comporter son lot de mensonges et de non-dits. Bref, il bat en brèche le tout-blanc / tout-noir qu’on a l’habitude de nous servir dès lors qu’on parle de bien, de mal, de morale ou de religion…
À voir.