La Belgique, ce beau pays.
Bien que je n’y sois presque jamais allé, j’ai une grande sympathie pour ses habitants. Un élan du cœur irrépressible qui me vient naturellement quand je pense à nos voisins francophones.
Quand je pense Belgique, je pense chansons (avec le grand Jacques Brel, classique parmi les classiques, ou avec Suarez chez les petits jeunes), je pense cinéma (depuis C’est arrivé près de chez vous jusqu’à Hasta la Vista, ce pays est un véritable fournisseur de coups de cœur ciné), je pense BD (est-il seulement utile de rappeler le nombre de génies dans ce domaine qui viennent de Belgique ?), je pense humour (Benoît Poelvoorde le maître, François Damiens le digne successeur, et la nouvelle scène avec des gens comme Charline Vanhoenacker ou Alex Vizorek), je pense cuisine (Ben quoi pourquoi tu souris comme ça ? T’aimes bien les moules oui ou non ? ….* ), je pense philosophie (avec l’un des plus grands -autant qu’incompris- philosophes contemporains, Jean-Claude Van Damme). Eh bien depuis ce roman, quand je pense Belgique, je pense également littérature…
Son auteur, Dimitri Verhulst, livre ici un récit très grandement inspiré de sa propre existence. Dans le petit village de Reetveerdegem, Dimitri, 13 ans, vit dans la maison familiale avec son père, ses trois oncles et sa grand-mère. Chez les Verhulst on travaille peu mais on écluse beaucoup. Les quatre frères sont des poivrots de premier ordre, dont la préoccupation principale réside avant tout dans la capacité à picoler comme des trous. Au point d’organiser des compétitions de saoulards (énorme fou rire déclenché chez moi par le Tour de France éthylique mis en place dans le troquet du village, où les athlètes remplacent les difficultés d’une étape cycliste par des challenges d’absorption de différents alcools en quantité et à des rythmes divers) et de mettre un point d’honneur à bien dépenser jusqu’au dernier sou de la pension de la grand-mère en bière. Dans le clan Verhulst on est fier de ses origines et de son mode de vie. Être pauvre et bourré, c’est un choix délibéré, une identité revendiquée, un engagement au quotidien ! Dimitri nage donc dans cette ambiance un peu particulière, très brute de décoffrage, plutôt misérable mais néanmoins chaleureuse qu’entretient cette famille de prolétaires alcoolisés. Jusqu’à ce qu’une assistante sociale ne se penche un peu plus intrusivement sur les conditions de vie du jeune garçon…
Bon, d’abord il y a le titre : La merditude des choses, irrésistible selon mes critères à moi. Ensuite il y a la gouaille et l’ambiance retranscrite dans ce bouquin : c’est drôle, c’est souvent trash, parfois vulgaire mais il y a aussi une véritable nostalgie et bienveillance dans le regard du narrateur (le narrateur est Dimitri adulte qui raconte son enfance). La merditude des choses c’est aussi une espèce d’état des lieux sociétal assez sordide, une réflexion sur l’hérédité sociale, sur l’amour parental et le lien père-fils. Mais avant toute chose c’est une belle tranche d’humour noir comme on n’en voit pas si souvent et qui fait pourtant un bien fou. Impossible d’ailleurs pour moi de ne pas faire le rapprochement entre les Verhulst du roman et les Gallagher de cette génialissime série qu’est Shameless (version US). Mêmes situations déjantées, mêmes délires alcoolisés, mêmes revendications de marginaux fiers de l’être, même envie de se sortir de la merde ambiante mêlée à la culpabilité de trahir les siens ce faisant…
Ce qui est encore plus déconcertant que l’histoire en elle-même déjà bien spéciale, c’est le fait de savoir qu’on navigue à travers ces pages dans l’enfance et la jeunesse de l’auteur. Il ne s’en cache pas, il est le narrateur, et il raconte ce qu’il a vécu, et ce qu’il n’arrive pas, malgré sa volonté d’en sortir, à renier. Toute dysfonctionnelle et burlesque qu’elle soit, cela reste sa famille et il garde à l’attention de ses oncles, de son père et de sa grand-mère une grande tendresse qui transpire tout le long du roman. C’est d’ailleurs ce qui fait toute l’originalité et la force de ce livre, le permanent mélange d’humour et de nostalgie, du sucré et de l’amer, comme quand on boit un bon vieux mazout**.
Alors si vous ne craignez pas le rouge qui tâche, la fumée, la crasse et les vapeurs d’alcool, ouvrez ce livre et plongez dans les souvenirs drôles, tendres et méchants de Dimitri Verhulst, vous ne devriez pas le regretter.
* vous aurez bien évidemment tous reconnu le passage où Ben propose à Rémy d’aller manger des moules-frites dans le cultissime C’est arrivé près de chez vous.
** le mazout ? Quoi vous n’avez jamais mélangé un peu de coca avec de la bière ?