Tout avait l'air d'être fait pour me plaire. Le titre, la quatrième de couverture, l'humour anglais, le style moderne, les personnages contemporains, le cynisme ambiant... vraiment, Idiopathie de Sam Byers semblait avoir tous les atouts en main pour décrocher la timbale avec moi.
Sauf que non. Plouf. Un coup à l'eau...
Mais je vais d'abord vous expliquer de quoi ça cause.
Le roman est centré sur trois personnages, trentenaires mal dans leur peau, trois anciens amis que la vie a séparés, et qui se retrouvent à l'occasion de la sortie d'hôpital de l'un d'eux.
Il y a Katherine, cynique et misanthrope, qui hait le monde entier (mais surtout les hommes) et s'en sert comme prétexte à cultiver sa méchanceté à un degré rarement rencontré. Il y a Daniel, son ex qui l'a quittée pour Angelica, jolie nunuche ultra-positive, avec laquelle il vit l'existence parfaite en apparence. Mais les apparences savent être trompeuses. Enfin il y a Nathan, leur ami commun, qui était aussi leur dealer attitré, et qui sort d'hôpital psychiatrique alors que sa mère a fait de lui le centre d'un récit-témoignage qui lui permet de courir les plateaux télé et s'inscrire au classement des best-sellers du moment. À la demande de Nathan, les trois amis se retrouvent le temps d'une soirée, qui ne sera pas sans dommage pour les uns et les autres...
Ah oui, à travers toute l'Angleterre, il y a aussi les vaches qui souffrent et meurent d'un étrange syndrome de « désœuvrement et de désengagement du troupeau ».
Voilà. Dit comme ça, franchement, ça pouvait le faire. Ben ça l'a pas fait.
Revenons rapidement sur le titre : Idiopathie, qui ne désigne pas la pathologie de ceux qui souffrent de bêtise chronique, mais qui se dit d'une maladie qui apparaît de façon spontanée et dont la cause est inconnue. Ici il s'agit de l'épidémie dont souffre la gente bovine et qui est évidemment une métaphore qui se veut malicieuse pour illustrer le mal qui touche la génération désœuvrée dont nous parle Sam Byers. Ne cherchez pas plus loin d'ailleurs, s'il y a des amoureux des vaches parmi vous, sachez qu'il s'agit là d'un simple décor de fond, l'auteur n'approfondira pas plus cet aspect du récit.
Alors venons-en au fait : pourquoi ça ne l'a pas fait ?
Pour plusieurs raisons. La première, et la principale, ce sont les personnages. Ils sont insupportables, tous autant qu'ils sont. Katherine est très certainement le personnage de roman la plus désagréable et difficile à lire que j'ai croisée depuis longtemps. Pourtant elle avait du potentiel pour me plaire. Le cynisme et les sarcasmes, j'adore. Mais quand c'est bien fait. Pour que le cynisme fonctionne chez un personnage, il ne faut pas que ce dernier se limite à cette spécificité. Il faut que cela vienne en contre-point d'autre chose. Un humour corrosif, une mélancolie subie, une intelligence supérieure, un sacrifice passé, une faille profonde et humaine, un doute existentiel sincère, je ne sais pas ... n'importe quoi d'intéressant bon sang ! Mais chez le personnage de Katherine, rien de tout cela, malheureusement. En tout cas rien de convaincant. Son cynisme, qui se pare pourtant d'un voile d'esprit critique, n'est rien d'autre que de l'aigreur qui essaie de se donner une image d'intelligence froide sans y parvenir. Bien au contraire même, le cynisme sans fond, sans but, même inconscient, n'est selon moi que la marque d'une cruel manque d'intelligence justement. Ou d'une intelligence qui se sera faite supplantée par l'amertume. Résultat : Katherine est détestable et insupportable. Elle pourra même énoncer certaines vérités qu'on ne l'écoutera plus tant son caractère l'aura rendue inaudible. Quant à Daniel ce n'est pas mieux. On pourrait croire que celui qui a quitté une femme pareille mérite si ce n'est notre sympathie au moins notre indulgence, mais au final pas du tout. Il est, dans un tout autre genre, tout aussi insupportable. D'une mollesse sans nom, il est juste insipide, inodore, inconsistant. Finalement c'est Nathan, sensément le plus barré des trois (c'est quand même lui qui a été interné en hôpital psy), qui paraît le plus normal de la troupe, celui dont on comprend le mieux le ressenti et les réactions. C'est dire.
En second lieu, outre les personnages qui n'inspirent pas de grande passion à leur égard, il y a la promesse un peu déçue de la comédie caustique à l'anglaise. Non pas que le roman soit mal écrit, il y a une certaine fluidité à la lecture (quoique l'auteur soit un adepte des phrases à rallonge, mais ce serait vraiment mal venu de ma part de lui reprocher ça !!), mais je n'y ai pas retrouvé ce que j'ai pu adorer chez d'autres. Dans le genre hilarant, je n'ai pas encore trouvé mieux, ni même aussi bien, que Vacances anglaises de Joseph Connolly. Et le mètre étalon en la matière reste pour moi David Lodge, qui sait mixer comme personne l'humour, la justesse et la classe toute britannique dans ses romans. Sam Byers, l'auteur trentenaire dont c'est ici je le précise le premier roman, est encore loin de ses glorieux aînés. D'ailleurs il est même possible que la construction de son récit en rebute quelques uns, du moins ceux qui ne goûtent que peu aux dialogues à outrance. Car c'est majoritairement ce dont est composé son bouquin. On discute, on se dispute, on s'invective, on s'apostrophe et on s'envoie à la tronche réplique de sniper sur bon mot assassin. J'avoue que ça peut lasser si on n'apprécie que modérément le genre.
Et puis, ce qui m'a finalement gêné aux entournures, c'est le fond du propos. La légèreté ne me dérange pas. On peut faire d'excellents livres, très distrayants et bien écrits sur des sujets qui s'avèrent très secondaires au final. Mais là, j'ai un peu trop ressenti la vacuité de l'ensemble. À mes yeux on a à faire ici à une bande de petits bourgeois chouineurs tout juste sortis des jupes de leurs mères et qui à peine dans la trentaine croient déjà tout savoir, tout connaître de la vie, au point d'en décréter le non-sens et l'inutilité avec un aplomb qui laisse songeur. Le personnage de Katherine en particulier, cumule sur ce point la majorité des réflexions et comportements qui m'auront hérissé le poil au cours du livre. Si ce roman était un film, il aurait les défauts qu'on prête habituellement (et parfois avec exagération) aux comédies dramatiques françaises nombrilistes et dépressives. Car s'il y a bien un qualificatif qui colle aux personnages (et à l'auteur qui parle par leur entremise ?) c'est narcissique.
En fait voilà : c'est malheureusement bien plus narcissique que caustique, cynique ou drôle. Et c'est ce qui m'aura sans doute définitivement fait décrocher du roman. Il se lit sans trop de difficultés, mais on est content d'en finir une fois arrivé à la fin !! Pour pouvoir passer à autre chose.