Voilà un film très bizarre, qui ne manquera pas d’étonner, et qui va éveiller, en son sens ou à son encontre, les passions. Alors que Bug est presque unanimement porté aux nues par la presse, j’avoue être beaucoup moins enthousiaste que les critiques professionnels…
Le réalisateur culte William Friedkin (L’Exorciste, French Connection, Le Convoi de la Peur, Traqué, … excusez du peu) revient sur les grands écrans avec cette adaptation d’une pièce de théâtre tout droit sortie de Broadway. De son propre aveu, Friedkin déclare avoir été frappé par la force émotionnelle et les dialogues qui font de ce huis-clos une œuvre terriblement oppressante et dérangeante. C’est avant tout sous cet angle qu’il a voulu porter à l’écran l’histoire de ce couple affecté d’un mal étrange…
Agnès (Ashley Judd) est une serveuse un peu paumée, vivant avec le souvenir d’un enfant disparu et dans la crainte permanente du retour de son ex-mari violent Jerry (Harry Connick Jr). Son existence est plutôt morne, et sa vie sociale quasi-inexistante si ce n’est la relation privilégiée qu’elle a avec R.C. une collègue de travail (Lynn Collins). Cette dernière lui présente un soir Peter (Michael Shannon), un étrange garçon, mi-vagabond mi-bourlingueur, à l’apparence renfermée, mais gentil et attentionné. Peter et Agnès, deux âmes esseulées et quelque peu hors du monde, vont sympathiser et entamer une relation à mi-chemin entre l’amour et la dépendance. Vivant quasiment en vase clos dans la chambre de motel d’Agnès, les deux personnages principaux vont bientôt se retrouver la cible d’attaques de mystérieux et voraces insectes minuscules qui se logent sous leur peau… Mais est-ce bien la réalité ou une démence paranoïde contagieuse qui les touche ?
Le film est donc, vous l’aurez compris, avant tout une étude psychologique des personnages, et de fait, ce sont bel et bien les comédiens qui portent à bout de bras Bug. Friedkin a donc décidé, vu l’importance de l’interprétation, de faire appel à la confirmée Ashley Judd pour le rôle difficile d’Agnès, et à un Harry Connick Jr. parfait en mari violent et ex-taulard. Pour le rôle masculin principal, on découvre (du moins moi, car je n’avais jamais vu cet acteur auparavant) Michael Shannon et le moins qu’on puisse dire c’est qu’il habite totalement son personnage. Tantôt touchant, tantôt inquiétant, son visage hors du commun marque le spectateur et colle exactement au rôle. Lynn Collins en copine délurée et Brian F. O’Byrne (dans le rôle du Docteur Sweet qui intervient sur la fin du métrage), aux rôles secondaires, complètent le casting qui se résume donc en tout et pour tout à cinq comédiens.
L’autre enjeu primordial de Bug outre l’interprétation, ce sont les dialogues, car c’est à travers eux que la situation va lentement évoluer pour faire se métamorphoser l’intrigue au fur et à mesure que le film avance.
Et finalement, c’est justement sur ces deux pierres angulaires (interprétation et dialogues), sur lesquelles repose entièrement le film, que se portent mes réserves.
Les acteurs, dans l’ensemble pourtant plutôt convaincants, semblent trop souvent à l’extrême limite de leur exercice, et j’ai eu à plusieurs reprises le sentiment qu’il flirtaient plus que dangereusement avec le sur-jeu et l’exagération. Ashley Judd par exemple, plutôt à son aise au départ dans un rôle crasseux un peu à la Charlize Theron dans Monster, est moins convaincante dans son interprétation graduellement grandissante de la folie, où elle finit par en faire des tonnes. Michael Shannon, qui a pour lui le physique du rôle, en devient parfois presque caricatural tellement il joue sur son air inquiétant et angoissé. Quant à Harry Connick Jr qui a un rôle plus basique (le bas du front arrogant) s’en tire mieux mais il faut bien avouer que le degré de difficulté dans l’interprétation est moindre.
Les dialogues quant à eux, ont les défauts de leurs qualités : je ne sais pas exactement s’ils ont été adaptés ou récupérés tels quels de la pièce de Broadway, mais je les ai trouvés très « théâtraux » justement. Manquant par moment cruellement de fluidité et de naturel, et ce faisant ne facilitant pas la tâche des comédiens.
Derrière la caméra, William Friedkin parvient à installer une ambiance oppressante et stressante au travers de ses images et du son. Mais il est loin cependant d’être aussi convaincant dans la réalisation qu’il a pu l’être sur ses chefs d’œuvres que sont L’Exorciste ou French Connection. Il rappelle sans cesse (mais très certainement volontairement) par sa mise en scène que c’est d’une pièce de théâtre filmée qu’il s’agit, et on a la très nette impression d’un véritable « découpage en actes » du film. Et comment pardonner à ce grand du septième art deux scènes (qui plus est plutôt longues) où l’on voit très distinctement le micro sur perche pointer sa fourrure au-dessus de la tête des acteurs ?! Que ce genre de choses échappent au tournage je veux bien, mais qu’elles passent l’étape du montage c’est à la limite de l’amateurisme.
Quant à l’histoire en elle-même, si de manière générale elle atteint plutôt bien son but (angoisser et intriguer le spectateur), certaines scènes à mon sens trop grandiloquentes empêchent de vraiment plonger dans le film, et le crescendo émotionnel recherché tombe un peu à plat. De manière générale quand une scène qui se veut dramatique a tendance à faire sourire c’est mauvais signe, et par moments le film est limite de ce point de vue.
Il n’en reste pas moins que l’intrigue est intéressante, mais c’est le traitement en général qui fait que la mayonnaise ne prend pas. En tout cas pas avec moi.
Je n’arrive pas objectivement à classer pour autant ce film dans la catégorie des « mauvais films », parce qu’on sent bien qu’il y avait là la possibilité de faire quelque chose de vraiment excellent, mais à l’arrivée le film ne parvient pas à s’élever au niveau où on l’attendait. À mes yeux s’il n’est pas formellement mauvais, Bug est très décevant, et je me garderai bien de le conseiller.