Voilà un long métrage qui a suscité avant sa sortie la curiosité à plus d’un titre.
Tout d’abord parce qu’un film de Martin Scorsese est toujours un événement, et il est toujours attendu avec plus d’impatience que d’autres projets tant le réalisateur cristallise autour de lui les passions.
Ensuite parce que le nouveau film de Scorsese est un remake, qui plus est d’un film asiatique (celui de Infernal Affairs, film hong-kongais de Andrew Lau et Alan Mak). Depuis peu le cinéma asiatique est devenu pour Hollywood une nouvelle source d’inspiration, puisque lorsqu’ils ne débauchent pas les stars et metteurs en scènes locaux, les studios piochent allègrement dans les succès japonais ou coréens pour en faire des remakes à la sauce yankee et à grands renforts de stars en mal de rôles marquants. Les exemples sont légions, et malheureusement trop peu souvent à la hauteur de leurs ambitions, ce qui permettra au moins de ne pas perdre de temps à les énumérer...
Donc Scorsese en personne (considéré tout de même comme un auteur de premier ordre) qui se commet dans un remake, forcément cela attise la curiosité.
Et enfin parce que Les Infiltrés bénéficie d’un casting tout simplement somptueux en terme de renommée et de potentiel d’entrées au box-office. Mais la profusion de talents n’est pas toujours gage de qualité, et là aussi le film pique la curiosité, ne serait-ce que pour voir si autant de stars d’Hollywood peuvent cohabiter sereinement.
Et bien force est de constater que sur l’ensemble des questions que Les Infiltrés pouvait susciter, à chaque fois la réponse se révèle plutôt positive.
Scorsese et les films de gangsters ce n’est pas nouveau, et ici il parvient non seulement à s’en sortir parfaitement du point de vue réalisation formelle et maîtrise de son scénario, mais il réussit également à panacher le classicisme et l’originalité avec une certaine classe.
Les Infiltrés (The Departed en V.O.) est une histoire à la trame tortueuse dans un cadre toutefois plutôt classique : la guerre entre les services de police et une organisation criminelle, celle de Franck Costello (Jack Nicholson dans un rôle taillé sur mesure pour lui) le caïd incontesté de la ville depuis des années.
La police infiltre un agent dans l’entourage de Costello afin de faire définitivement tomber celui qui leur échappe depuis toujours. Le jeune Billy Costigan (Leonardo Di Caprio absolument bluffant de justesse) est recruté à la sortie de l’école de police et accepte cette mission d’autant plus dangereuse que seuls ses deux supérieurs sont au courant de son véritable statut d’infiltré (Mark Wahlberg et Martin Sheen, tous deux remarquables).
Mais en parallèle, le vieux Costello en parfait stratège infiltre lui aussi dans le plus grand secret un de ses agents, Colin Sullivan (Matt Damon, tout en retenue) au sein du service de police qui le traque.
Tout le piment du film réside donc dans cette confrontation à distance entre les espions des deux camps, chacun essayant de découvrir le premier l’identité de la taupe du parti adverse tout en se couvrant lui-même.
Le semi reproche sous-entendu dans le simple fait de préciser qu’il s’agit d’un remake est pour sa part balayé d’un revers de main du maître. Le film possède malgré l’origine première de son scénario de base une identité bien à lui, elle-même forgée grâce à la combinaison des talents de Scorsese et des différents interprètes principaux. Il ne s’agit ni d’une décalque de l’original, ni d’une resucée sans saveur, il s’agit bel et bien d’un film de Scorsese dans le meilleur sens du terme. D’aucuns disent même que la version de Scorsese est bien supérieure à celle d’origine.
Ce qui fait très certainement la grande force du film, c’est surtout l’interprétation, malgré toutes les réticences que j’ai pu éventuellement avoir à un moment à l’énoncé du casting. On pouvait craindre le cabotinage avec des vieux briscards tels que Jack Nicholson ou Martin Sheen, et si effectivement le personnage du grand Jack reste truculent, il ne verse jamais dans l’exagération. Si cabotinage il y a , il est plutôt à chercher du côté de Mark Wahlberg et Alec Baldwin, interprétant avec un plaisir visible des personnages hauts en couleurs. On pouvait craindre que certains acteurs soient un peu « légers » pour de tels rôles, comme Leonardo Di Caprio ou Matt Damon par exemple, et au contraire ce sont eux qui s’en sortent avec le plus d’honneur. Di Caprio en tête d’ailleurs, avec une composition proprement époustouflante, à mille lieues de l’image de beau gosse éternel teen-ager qu’il se traîne depuis toujours.
Et sans vouloir divulguer la fin, le moins qu’on puisse dire c’est que le scénario ne laisse aucun répit au spectateur et que les personnages seront malmenés jusqu’au bout. Pour ma part la fin m’a très agréablement surpris dans sa forme comme dans son fond, assez éloignée de la moralité ou de la happy-end trop souvent de mise dans les blockbusters américains.
Alors oui, sur tous les plans Les Infiltrés de Scorsese est une très bonne surprise. Et très certainement l’un des meilleurs films de l’année 2006.