Vendredi soir a eu lieu dans la petite sale du Noumatrouff à Mulhouse le concert du groupe Ange, étape haut-rhinoise de la tournée actuelle “Le tour de la question”.
Ange, c’est plus qu’un simple groupe, Ange, c’est un phénomène à part entière. Créé en 1970 à Belfort, ce groupe de rock progressif a traversé les années avec plus ou moins de succès mais avec toujours la même énergie créative.
Mais pour moi, Ange c’est quelque chose de très spécial. Comme un amour d’adolescent qui ne s’est jamais éteint et qui a grandi en même temps que moi. J’ai découvert le groupe belfortain en 1990 avec leur opéra-rock complètement déjanté Sève qui peut (certainement l’un de leurs albums les plus barrés) consacré au bicentenaire de la Révolution. Coup de foudre instantané. Depuis Ange ne m’a plus jamais quitté, et le tout premier concert auquel j’ai assisté a été celui de la tournée d’adieu du groupe. Du moins du groupe dans sa formation d’origine, avec tous les vieux briscards des années 70.
Mais comme se plaît à le dire Christian Décamps, le leader charismatique du groupe : « un Ange est éternel », et la nouvelle génération n’a pas tardé à prendre la relève. Dans les années 80 était né un groupe apparenté à Ange et pour cause : Christian Décamps et Fils, un petit groupe de jeunes articulés autour de Christian Décamps et composé entre autres du fiston de ce dernier, Tristan. C’est sur cette base que Ange s’est renouvelé avec du sang neuf et plein d’enthousiasme.
Alors évidemment, du groupe mythique il ne reste plus que le leader d’origine, Christian Décamps. Mais les petits jeunes qui ont repris le flambeau ont su s’imposer avec talent et respect des anciens, et ont réussi le tour de force de conserver l’esprit de Ange tout en y injectant la fougue de leur jeunesse. Pour preuve deux de leurs albums, La Voiture à Eau en 1999 et ? (ce n’est pas une erreur de frappe, c’est le titre de l’album) en 2006 qui sont parmi les meilleurs albums du groupe toutes périodes confondues.
Et en concert, autant vous dire que Ange ne faillit pas à sa réputation.
Un concert de Ange c’est un spectacle dans tous les sens du terme. Pas seulement un tour de chant ou une suite de titres piochés dans leur immense répertoire. C’est évidemment de la musique et des chansons mais c’est bien plus encore. C’est du théâtre, c’est de la poésie, c’est de l’humour, du partage, des émotions. De l’énergie sonique en quantité illimitée.
Vendredi soir donc, Ange est passé à Mulhouse et y a mis le feu. Dans un concert de Ange on a de tout : des jeunes et des vieux, des anciens rockers au look décalé, des plus classiques aux crânes dégarnis et des moustachus aux cheveux longs, des enfants, des parents et des grands-parents, … mais tous ont un point commun : ils ont dans la tête un petit truc qui les relie les uns aux autres, l’esprit Ange…
Que dire du concert en lui-même ? Comme chacun des concerts de Ange, ça a été une expérience géniale. Le groupe a habillement mélangé vieux tubes et morceaux récents tirés du dernier album. Les anciens ont eu le plaisir d’entendre des reprise de titres cultes comme Caricatures, Vu d’un Chien, Aujourd’hui c’est la Fête chez l’Apprenti Sorcier, Jour après Jour, Cap’taine Cœur de Miel et même un inattendu mais réjouissant Si j’étais le Messie. Sans parler de l’indéboulonnable et incontournable reprise de Ces Gens-là bien évidemment. Et parmi les nouveautés il y a eu de très belles interprétations de titres comme Ricochets, Histoires d’Outre-Rêve ou Jazouillis.
Et les prestations des uns et des autres ont été tout à fait à la hauteur. Bien sûr il y a Christian Décamps, le personnage central, le « père » entouré de ses enfants. Le bonhomme a un charisme énorme, et avec l’âge il a doucement pris des airs de patriarche décalé. Ses cheveux longs et sa barbe ont blanchi, mais son énergie reste celle d’un enfant survolté ! Égal à lui-même, Christian passe de la guitare sèche aux claviers, avec un petit détour par l’accordéon, et surtout il reste la pierre angulaire du groupe pour le chant. Sa voix semble prendre toujours plus d’ampleur, son timbre est plus affirmé que jamais, bref, il a 60 ans et il assure encore et toujours !
À ses côtés au chant, il y a l’exceptionnelle Caroline Crozat. Sa très belle voix est un plus indéniable et elle apporte une touche de féminité, de sensibilité et de sensualité qui donne un relief et une profondeur supplémentaires aux chansons du groupe. Caroline use de sa voix littéralement comme d’un instrument, et sa prestation n’a rien à envier à celle de Christian bien qu’étant dans un tout autre registre.
Question chant, Tristan Décamps n’est pas en reste non plus. Alors que je n’appréciais que modérément son timbre de voix jusqu’ici, il a réellement pris une ampleur inédite et il m’a totalement scotché dans sa reprise en solo de Harmonie. Celui qui a pris la relève de son oncle Francis Décamps aux claviers s’est montré très à l’aise, et s’il n’a pas encore la présence énorme qu’avait Francis sur scène, Tristan en prend sans aucun doute possible le chemin.
Un autre qui éblouit la scène de son talent, c’est le génial Hassan Hajdi à la guitare électrique. Ce garçon là est vraiment brillant et assure ses solos comme personne. Et le tout avec une énergie impressionnante, il enchaîne riff sur riff tout en étant très mobile sur scène lors des passages les plus dynamiques. Là où le mythique Brézovar sublimait son génie par un visage imperturbable et une attitude toute en force tranquille, Hassan ajoute à son talent un sourire à toute épreuve et une vraie joie communicative de jouer. Hassan Hajdi est un très grand de la guitare électrique, sans l’ombre d’un doute.
Autre musicien de premier plan, bien que beaucoup plus en retenue que ses collègues, Thierry Sidhoum à la basse peut sans complexe rivaliser avec son illustre prédécesseur Daniel Haas. Aussi réservé l’un que l’autre, il affichent le même talent de bassiste, qui font d’eux des pièces discrètes mais maîtresses du groupe.
Enfin et pour finir, il y a Benoît Cazzulini le batteur, que je connais beaucoup moins et qui en tant que « petit dernier » de la formation est un peu plus en retrait que ses camarades. Là encore on est tenté de le comparer aux autres batteurs qui se sont succédés au sein du groupe, en particuliers aux deux plus charismatiques, Gérard Jelsch et Hervé Rouyer. Le premier avait une percussion étonnante et le second un dynamisme hors du commun. Benoît quant à lui est un juste milieu. S’il n’excelle peut-être pas, il allie avec finesse de belles qualités de puissance et d’habileté. Reste pour lui à s’affirmer pleinement et asseoir sa place dans le groupe, toujours est-il qu’il pourrait inscrire son nom au firmament d’Ange s’il parvient à gagner encore un peu en aisance. Au sein de telles fortes individualités il est certes facile de rester en retrait, mais le batteur aura tout à gagner en prenant un peu d’ampleur, ce dont je ne doute pas qu’il soit capable.
Vendredi soir donc, Ange nous a prouvé que les jeunes reprennent le flambeau avec brio. Christian Décamps peut être fier de son nouveau groupe, et les fans inconditionnels peuvent être rassurés : cet Ange-ci promet encore de longues et très belles années de musique.
Accroche du dernier album :
Il était une fois un point d’interrogation qui ne se posait jamais de question. Il vivait, tranquille, sa petite vie de ponctuation, finissant régulièrement en bout de ligne comme le font trop souvent les poissons… Un jour, le point d’interrogation tomba amoureux d’une réponse.
Alors l’espèce humaine entama son irréversible calvaire…
Y avait-il une réponse ? C’est là toute la question…