Ouch. Deuxième film coup de coeur de l’année après Chronicle. Dans un genre bien différent cependant ; après les apprentis super-héros voici un survival dans le monde des grands méchants loups.
Dans Le Territoire des Loups, Liam Neeson prête sa grande carcasse à John Ottway, chasseur bourlingueur au coeur lourd qui traîne ses guêtres au fin fond de l’Alaska où il est embauché pour assurer la sécurité des ouvriers d’une compagnie pétrolière. John est du genre silencieux et bourru, il vit en permanence dans le passé, hanté par les souvenirs de son passé : l’image d’une femme et des regrets inexprimés qui le rongent. Quand arrive le moment de rentrer à Anchorage, ses collègues et lui embarquent à bord du dernier vol avant les grands froids de l’hiver. Mais l’avion n’arrivera jamais à destination : pris dans une tempête il s’écrase dans l’immensité blanche du Grand Nord. Les rares survivants du crash savent que personne ne les secourra avant des semaines. La meute de loups qui règne sur ce territoire sauvage les a déjà repérés et pris pour cibles... Ottway ne voit pas d’autre issue pour son petit groupe que de se mettre en marche vers la forêt à la recherche d’un meilleur abri. S’engage alors pour la poignée d’hommes qui restent un combat sans merci contre la Nature, le froid intense et les prédateurs qui les traquent, ce qui ne sera pas sans créer des tensions entre eux. Vaincre ses limites, résister à un environnement plus qu’hostile et rester unis, il n’y a pas d’autre solution s’ils veulent survivre...
Mis en scène par Joe Carnahan (auteur de l’intéressant Narc mais aussi de Mi$e à Prix et de l’adaptation ciné de L’Agence tous Risques qui ont tous deux de bons échos mais que je n’ai toujours pas réussi à voir) ce Territoire des Loups n’entre pas dans le tout-venant du survival tel qu’on a l’habitude d’en voir. Il y a bien entendu les passages obligés du genre : une tension qui monte crescendo, des survivants qui y passent les uns après les autres, le sacrifié pour que les autres puissent continuer, des personnages aux caractères forts et marqués, des scènes d’action réussies (rien que le crash de l’avion est déjà très impressionnant), etc...
Mais Carnahan ne s’est pas contenté de réciter sa leçon et de dérouler le mode d’emploi du film de genre réussi, il y a insufflé autre chose, de plus lancinant et qui donne au film une saveur supplémentaire. Tout tient dans le personnage de John Ottway. Il y a en lui une sorte de mélancolie, de tristesse mêlée de force, de désespoir profond qui paradoxalement l’empêche d’abandonner la lutte sans se battre. De ce point de vue la performance de Liam Neeson est doublement bluffante. D’abord c’est un rôle très physique qu’il endosse là, et du haut de ses soixante piges il en impose le bonhomme. Rien à voir avec les rôles de papy-bastonneur qu’il a tenu récemment dans des films comme Taken par exemple, où il distribue quelques coups de tatanes avec vigueur et efficacité certes, mais qui restent du domaine de l’actioner sur mesure et chorégraphié. Ici c’est autre chose, il dégage une aura de force et de dureté peu commune. Et pourtant il parvient à glisser dans son jeu quelque chose d’indéfinissable qui donne l’impression qu’un poids titanesque le tire en permanence vers les abîmes. John Ottway, si dur et abrupt qu’il soit, a une faille dans la carapace, indicible mais profonde, certainement aussi difficile à combattre que le froid et les loups qui l’assaillent.
Et du coup il ne s’agit plus pour Ottway de « seulement » survivre aux bêtes féroces qui en veulent à sa peau, mais aussi à l’homme de trouver les ressources morales suffisantes pour ne pas baisser les bras alors que tout, objectivement comme psychologiquement, le pousse à simplement abandonner.
C’est en cela que Le Territoire des Loups dépasse (pour pas dire qu’il l’explose) son statut de survival. Dans ce film on ne parle pas que de quelques gars qui doivent survivre aux loups et au froid arctique. Il est question de foi en l’homme et de foi en Dieu, de remise en question, de réflexion sur la mort (et donc sur la vie), de la destinée et du sens (s’il y en a un) de tout cela. Il y a à ce sujet une scène lourde de sens et que j’ai trouvée très difficile à regarder juste après le crash, quand l’un des survivants succombe à des blessures trop graves dans les bras de Ottway. Ce dernier lui explique doucement ce qui va arriver et l’accompagne dans son agonie et sa panique jusqu’à son dernier souffle. C’est fait sans mièvrerie, sans exagération et sans apitoiement, et ça a une force émotionnelle qui se pose là. Une de ces scènes qu’on n’a pas l’habitude de voir au cinéma, encore moins dans un genre un peu bourrin comme un survival.
Si je ne peux pas cacher que j’ai été pris aux tripes par ce film, je ne peux pas non plus passer sous silence quelques défauts que j’ai notés par-ci par-là. À commencer par les loups du titre. Les effets spéciaux qui les concernent m’ont un peu décontenancé. C’est très certainement voulu pour appuyer le côté peur ancestrale du « grand méchant loup » et imposer le sentiment de se trouver face aux prédateurs ultimes contre lesquels l’homme est totalement démuni, mais les loups qu’on voit en gros plan m’ont posé un problème de crédibilité et d’authenticité. Ils sont énormes les bestiaux ! et ouvertement pervers dans leur comportement ! Mais ce défaut de réalisme n’entrave pour autant pas la tension dont les loups sont le vecteur, c’est du reste l’essentiel. Au contraire si on accepte la description des loups et de leur comportement telle qu’elle apparaît dans le film, on comprend qu’on ne parle là pas que d’animaux poussés par la faim mais de bien autre chose, qu’on y voit selon sa propre interprétation des anges de la mort ou une métaphore de la vie dans tout ce qu’elle peut avoir de cruel...
On peut également reprocher une certaine prévisibilité par moment : on sent parfois quel personnage va y passer sous peu, même si sur la fin ce n’est plus le cas. Mais là encore, c’est une des limites inhérentes à ce type de film, pas un défaut propre à celui-ci spécifiquement.
Quant à la fin du film, elle m’a tout simplement scotché. C’est une fin grandiose, émotionnellement phénoménale, comme on n’en voit pas souvent, et qui introduit au dernier moment un autre regard sur le reste du métrage (attention spoiler \ le poème du père de John et la citation finale ont un impact faramineux et donnent un sens très philosophique à la fin du film / fin du spoiler). Je l’ai trouvée d’une force et d’une classe assez uniques.
Voilà vous l’aurez compris, je ne peux que conseiller Le Territoire des Loups. C’est un film puissant. C’est un film prenant. Et c’est une des chouettes surprises de ce début d’année.