Ce qui est bon quand on lit un bouquin, qu’on découvre un album ou qu’on va voir un film, c’est de se faire prendre (positivement) par surprise. Ça crée un enthousiasme aussi franc qu’inattendu et le plaisir qu’on ressent s’en trouve décuplé. Je parle bien de la découverte d’une œuvre culturelle hein.
C’est ce qui m’est arrivé avec ce petit film, Chronicle de Josh Trank (inconnu au bataillon), que je suis allé voir sans savoir à quoi m’attendre, juste poussé par un synopsis de départ qui avait éveillé ma curiosité. Et j’en suis sorti enchanté, complètement embarqué par ce que je venais de voir sur l’écran. Avec le bonheur simple lié à la satisfaction de m’être pris un chouette film en pleine face alors qu’au départ j’espérais juste que ce ne serait pas trop naze.
Au début de Chronicle on fait connaissance avec Andrew (Dane DeHaan), un lycéen refermé sur lui-même, mal dans sa peau, qui n’a aucune confiance en lui, et qui essaie tant bien que mal de concilier son environnement familial en déliquescence (sa mère gravement malade est mourante et son père alcoolique passe ses nerfs sur lui) et son environnement scolaire tout aussi déprimant (timide, chétif et incompris il est le souffre douleur de ses camarades). De plus en plus asocial il décide de filmer sa vie et ne se déplace plus sans sa caméra derrière laquelle il se réfugie, celle-ci faisant office à la fois de filtre et de bouclier entre le jeune homme et la réalité dont il se coupe de plus en plus. Seul son cousin Matt (Alex Russell) le traite « normalement », et reste son dernier ancrage avec le monde scolaire. C’est justement en emmenant son cousin en soirée avec lui que Matt présente à Andrew l’ultra-populaire Steve (Michael B. Jordan*) qui a tout de la caricature du boyscout à l’américaine : sportif, intelligent, de bonne famille, il est sympa avec tout le monde, plaît aux filles et est le grand favori aux élections de représentant des élèves à venir. Mais Steve n’est pas le poseur, frimeur et imposteur que son image lisse pourrait nous laisser imaginer (tous cyniques désabusés que nous sommes), c’est réellement un gars sympa qui ne juge pas et accepte sans manières de côtoyer le pestiféré Andrew. C’est ensemble que les trois garçons vont découvrir en pleine nature, non loin de la rave-party à laquelle ils participent une étrange galerie dans le sol, d’où provient un bruit métallique non moins étrange. Grisés par l’alcool et la caméra au poing, les trois compères décident de s’aventurer dans le trou béant et tombent sur une substance indéfinissable, aux lueurs et aux sons aussi inquiétants qu’attirants. Le contact avec cette roche particulière les laisse sur le carreau, et ce n’est que quelques jours plus tard que les trois jeunes hommes se rendent compte qu’ils sont devenus capables de choses hors du commun. Tous trois doués de télékinésie, ils gardent pour eux ces nouveaux talents, tout en les développant ensemble, s’entraînant en cachette à maîtriser leurs pouvoirs. Chacun à sa façon va développer des aptitudes fabuleuses, mais ce sentiment de puissance, tout d’abord extrêmement grisant, va vite avoir des conséquences sur leurs vies et les inciter à se poser des questions sur leur responsabilité et les limites qu’ils doivent s’imposer, … ou pas !
Voilà, j’ai fait un peu long pour le résumé, mais c’est pour exposer au mieux les bases du film. Je suis sûr que ceux, qui comme moi, sont des lecteurs de comics, auront été titillés par la dernière phrase car elle fait écho au leitmotiv d’un super-héros bien connu et qui se balance en collants au bout d’un fil : Spider-Man et son fameux « de grands pouvoirs entraînent de grandes responsabilités ». Clairement le clin d’œil à la devise phare de Peter Parker est évident. À ceci près que dans ce film, les personnages et les événements sont traités avec un maximum de réalisme (si tant est qu’on accepte comme réaliste l’idée de départ de trois garçons doués de télékinésie évidemment). Pas de costumes, pas d’envie de jouer les super-héros, pas de super-vilain à combattre, seulement trois jeunes qui se retrouvent dans une situation extraordinaire et qui vont devoir apprendre à composer avec. Du coup quand les héros parlent de responsabilité, il ne s’agit pas de se mettre à sauver des gens et devenir des super-héros, mais avant toute chose de ne pas mettre les autres en danger en utilisant leurs pouvoirs inconsidérément.
Et c’est avant tout sur le cheminement personnel et la prise de conscience qu’est centré ce film. Chacun des trois garçons, en fonction de sa personnalité propre et de son environnement, va évoluer différemment. Au départ, et c’est une partie très enthousiasmante du film, il y a la phase d’appropriation des changements qui s’opèrent en eux (je ne ferai pas d’assimilation avec les ados dont « le corps change » mais ceux qui voudraient absolument y chercher une interprétation psychanalytique ont du terrain à explorer dans cette direction), la découverte des pouvoirs et l’exploration du champs de possibilités qu’ils ouvrent aux trois garçons. Cette partie est franchement plaisante, drôle, potache, mais possède aussi un vrai pouvoir d’émerveillement. Ce qui est en soi déjà une belle réussite. De nos jours les effets spéciaux sont à ce point devenus monnaie courante et sont souvent tellement bien foutus que j’étais tout étonné dans ce film de voir les effets « concrets » des pouvoirs de télékinésie de ces gamins m’émerveiller autant. Vraiment, j’avais le sourire aux lèvres et l’envie de lâcher un « wouah » d’admiration et de surprise devant leurs prouesses (et leurs ratés). J’étais comme un gosse qui voit ça pour la première fois, alors que depuis des années j’ai été littéralement nourri de films à effets spéciaux. Très bon point donc.
Puis, une fois que les nouvelles capacités sont plus ou moins maîtrisées, que les jeunes héros ont pu explorer leurs limites, vient la phase suivante : que faire de ces dons exceptionnels ? Faut-il s’imposer des limites ? Lesquelles ? Le pouvoir absolu corrompt-il absolument ?
On aborde frontalement le concept de morale, qu’on retrouve inévitablement à la base de toute histoire de super-héros, même celles qui ne répondent pas directement aux canons du genre (comme c’est le cas ici). Et comme à chaque fois quand on parle de morale, je ne peux m’empêcher de penser à la phrase de Léo Ferré « n’oubliez jamais que ce qu’il y a d’encombrant dans la morale, c’est que c’est toujours la morale des autres »…
Il y aurait également beaucoup à dire sur la façon dont les choses vont évoluer, comment chacun va user de son pouvoir, et sur la conséquence des choix de chacun, mais ce faisant je dévoilerais trop le contenu du film et son dénouement, que j’ai personnellement trouvé très cohérent et fort réussi. Je préfère donc laisser le plaisir à chacun de le découvrir par soi-même. Mais ce que je peux dire c’est que cela faisait longtemps que je n’avais pas vu l’idée de « super-pouvoir » développée sur un ton aussi réaliste, réfléchi, logique et au bout du compte adulte. Encore une fois, tout ce qui habituellement, dans une histoire de super-héros, vient enrober l’action et les personnages, et qui parfois contribuent à « polluer » les réflexions très philosophiques que certains soulèvent (sur la responsabilité liée au pouvoir notamment), est ici évacué. Pas de costume moulant, pas de triangle amoureux, pas de némésis au héros, pas de combat entre le bien et le mal (en tout cas pas sous la forme manichéenne super-héros Vs super-vilain), pas de superstar pour endosser le rôle principal, pas de second degré ou de punchlines en forme de clin d’œil au spectateur (et dont le sous-texte est toujours un peu teinté de « ne vous en faites pas, on ne se prend pas au sérieux, on est conscient que tout ça c’est du cinéma pour grands enfants »). Chronicle est purgé de tout cela, et ça fait un bien fou.
Entendons-nous bien, j’adore les films de super-héros (et je bouffe des comics à tous les repas) et je piaffe d’impatience d’aller voir Avengers au cinéma (eh non, contre toute attente je n’y suis pas encore allé !). J’aime voir Spider-man virevolter entre les buildings de New-York, j’adore voir Magnéto soulever un sous-marin nucléaire ou écouter Robert Downey Jr cabotiner dans son costume de Tony Stark. Parce que c’est du folklore, que j’ai baigné et grandi là-dedans et que voir en chair et en os des personnages de papier que je connais et que j’aime depuis que je sais lire me fait toujours triper au-delà du raisonnable. Mais avec Chronicle, c’est une autre approche, beaucoup plus terre-à-terre, beaucoup plus sobre et cependant ultra-prenante malgré tout.
Comme je le disais, il n’y a pas de star à l’écran, les acteurs qui jouent là-dedans m’étaient parfaitement inconnus et cela contribue au réalisme, car le comédien est totalement effacé derrière son personnage. Quant à la mise en scène elle est elle aussi particulière. Une grande partie du film est montré par l’objectif de la caméra d’Andrew, presque à la façon d’un documentaire. Cela donne un grain spécial à l’image, les couleurs sont ternes, les choses, les gens, la réalité n’est jamais « améliorée », on ne cherche pas à donner un vernis « cool » à ce qu’on nous montre. Pour autant les effets spéciaux sont impeccables, justement car ils ne cherchent pas à en faire trop. Ils ne sont pas l’intérêt principal du film mais contribuent pleinement à donner encore plus de force et d’impact à l’histoire en se mettant à son service d’une très belle manière.
C’est pour toutes ces raisons que j’ai du mal à qualifier simplement ce film de film de super-héros. Parce qu’il en intègre certes de nombreux éléments (dont l’essentiel : des personnages dotés de pouvoirs exceptionnels), mais se situe toutefois aux antipodes de ce que Hollywood nous sert comme standards du genre depuis que ces films ont le vent en poupe (on va dire pour simplifier depuis les franchises Blade – X-Men – Spider-Man). Alors pour un amoureux du genre comme moi, c’est très rafraîchissant et extrêmement plaisant de voir ce Chronicle qui sort des sentiers battus, qui va là où on ne l’attend pas du tout et qui fait mouche.
C’est pour moi la meilleure surprise de ce début d’année, sans conteste !
* le B. du nom étant certainement là pour marquer la distinction avec un aîné basketteur autrement plus connu…