Allez on reste dans les adaptations de BD au cinéma, mais on change de continent. Pour une fois ce n’est pas un comic qu’on retrouve sur grand écran, mais une BD française, Les Petits Ruisseaux (sous-titré sex, drug and rock’n’roll) de Pascal Rabaté, qui a lui-même pris le soin de réaliser le long métrage d’après son roman graphique.
Alors changement de genre, changement de décor et de style de personnage aussi. Ici pas de super-héros en collants, pas de super-espion en colère, pas de super-soldat en goguette. Non, ici le héros se nomme Émile (Daniel Prévost), septuagénaire veuf et sans permis, qui partage son temps entre les parties de pêche quotidienne avec son ami Edmond (Philippe Nahon) et le petit canon de rouge au Pénalty, le bar-PMU du village, en compagnie de leurs collègues de bistrot. Le temps s’écoule comme les eaux de la Loire, calmement et inexorablement.
Un jour, Edmond avoue à Émile qu’il entretient en secret une vie amoureuse et sexuelle par l’intermédiaire de petites annonces et d’un club de dancing. Il lui montre également son péché mignon : le gaillard aime à peindre des femmes nues pendant ses loisirs (dont il trouve les modèles dans Playboy et consorts…). Quand Edmond meurt, Émile rencontre Lucie (Bulle Ogier) l’amante de son compère. Il lui prend alors des envies de changer son quotidien. Des envies de bouger, des envies d’aimer, des envies de jeunesse… C’est à bord de sa petite voiturette sans permis qu’il va partir à l’aventure…
Pascal Rabaté reprend ce qu’il avait déjà très bien développé dans sa bande dessinée et le transpose au cinéma. Et ça marche plutôt bien ! Il mélange et alterne avec talent situations cocasses, passages mélancoliques, petits plaisirs savoureux, moments touchants et ceci avec un naturel confondant. Bien entendu, il est grandement aidé dans sa tâche par les comédiens, qui sont tous parfaits dans leurs rôles. Quel bonheur de voir Philippe Nahon sortir de son registre habituel de salopard et de méchant de service ! on se marre bien avec Edmond, il sait vivre le bougre ! et puis les potes de bistrots sont truculents, depuis Gérard (l’inimitable Bruno Lochet) jusqu’au patron de bar (Charles Schneider), en passant par le charcutier et le poissonnier… Côté jeunots on notera surtout Julie-Marie Parmentier dans le rôle de Léna, une jeune hippie que Émile va croiser sur sa route.
Et puis bien entendu, il y a Daniel Prévost, génial papy qui apprend à revivre des sensations depuis trop longtemps oubliées. À l’extrême opposé du registre dans lequel on a l’habitude de le voir, alors qu’à l’accoutumée il fait le clown et le pitre, toujours dans l’exagération et jouant souvent trop de sa voix unique et de son rire bien spécial, dans le rôle de Émile il est surprenant de calme, de lenteur, de justesse. Il n’en fait ni trop ni pas assez, il est juste excellent. Que ce soit pour aller se baquer à poil dans la rivière, se déhancher sur le dance floor d’un club du troisième âge ou fumer un bédot avec un jeune hippie autour d’un feu de camp, Prévost trouve le ton juste à chaque fois et on ressort du film avec une idée entêtante et le sourire. L’idée, c’est qu’on peut continuer à vivre malgré la vieillesse. Que tant que le corps accepte de bouger pour nous mener où on en a envie, le reste ne dépend que de notre tête.
Car oui, quand on est vieux on n’attend pas juste de mourir. On a aussi des envies, on rit, on sait s’amuser, on baise, on aime et tant pis pour les tabous. Dans ce film tout est montré simplement, rien n’est caché, on touche à des sujets pas souvent abordés au cinéma tels que le sexe par exemple (je m'entends : le sexe du troisième âge hein) et on se fiche pas mal des conventions morales et esthétiques qui sévissent habituellement dans ce domaine. Sans choquer d’ailleurs, juste avec beaucoup de naturel et de sincérité.
Émile réapprend l’essentiel alors que la plus grande partie de sa vie est derrière lui, et tout en suivant ses pérégrinations on ne peut s’empêcher de penser que grâce à des films tels que celui-ci, des personnages tels que ceux-là, on a un peu moins peur de vieillir. Ça déplaira peut-être à quelques esprits chagrins qui trouveront toujours à redire, car oui évidemment le réalisateur a choisi de nous montrer une vision positive de la vieillesse, mais c’est un beau film, vecteur d’un beau message, empli de joie et d’optimisme sans pour autant se voiler la face. Oui, vraiment, Les Petits Ruisseaux est un chouette petit film (et j’en ai tout autant pour la BD), drôle, frais et qui fait du bien au moral.