Voici enfin l’adaptation sur grand écran du génialissime comic éponyme de Alan Moore et David Lloyd dont j’ai déjà parlé par ici.
Je dis « enfin », car le film avait été programmé pour la rentrée 2005 avant d’être reporté en avril 2006. Plusieurs rumeurs avaient couru alors sur les raisons pour lesquelles le film avait un tel retard sur la date avancée (alors que le tournage avait tenu les délais), et bien que ce ne fut pas officiellement confirmé (ni infirmé d’ailleurs à ma connaissance), il semblerait que les attentats dans les rues et le métro de Londres avaient mis la Warner en posture délicate. En effet, dans V pour Vendetta, le personnage de V est justement un terroriste, et il fait exploser au cours du film quelques monuments londonien… Préférant ne pas jouer sur la coïncidence de mauvais goût (bien qu’involontaire), les distributeurs auraient donc pris la décision de décaler de quelques mois la sortie de leur film.
Quoi qu’il en soit, V pour Vendetta ouvre donc le bal des adaptations de comics de l’année 2006 (à venir : X-Men 3 et Superman très bientôt). Mais V pour Vendetta n’entre pas dans l’image stéréotypée qu’on peut se faire de loin des comics de super-héros. D’abord parce que le personnage principal n’est pas un super-héros tel qu’on a l’habitude d’en voir. Il porte certes un costume et cache son identité au reste du monde, mais l’analogie s’arrête selon moi là. V est plutôt à rapprocher de personnages tels que le Che par exemple, avec un soupçon de mystère pseudo-fantastique en plus. Est-il totalement humain ? A-t-il des capacités hors normes, des pouvoirs ? On n’a pas vraiment de réponses à ces questions, juste quelques ébauches d’explications, des pistes qui laissent à chacun sa libre-interprétation. Peut-être est-il un humain « génétiquement modifié », ou juste quelqu’un qui sait si bien manipuler son « public » qu’il arrive à paraître « surnaturel » à ses yeux…
Et finalement cela n’a que très peu d’importance. Tout comme sa véritable identité du reste. La question n’est pas « qui est-il ? » mais bien « que veut-il ? ».
C’est là la seconde et principale différence entre V et n’importe quel autre personnage costumé de comics, V est un savant mélange de terroriste (avec tout ce que cela implique : attentats à la bombe et meurtres compris) et de défenseur de la liberté (il est un vrai idéaliste, qui prône l’anarchie pour retrouver le libre-arbitre). Comme si cela ne suffisait pas, Moore fait de son personnage déjà flou quelqu’un qui cherche aussi à régler des comptes personnels avec certains détenteurs du pouvoir. Bien évidemment, dans le contexte de l’histoire, il ne fait pas de doute que les dirigeants de l’Angleterre de ce futur proche sont de vrais dictateurs, détestables au possible. Mais le fait que V mélange son action militante pour la libération du pays à de la vraie vengeance (on apprend au fur et à mesure de l’histoire que V a de quoi en vouloir personnellement à quelques personnages clés du gouvernement en place) entache un tant soit peu son image d’idéaliste pur, et laisse planer un doute sur la personnalité profonde de l’homme derrière le masque.
En tant que symbole d’un idéal, V semble dans son bon droit, mais dès lors qu’on va plus loin dans ses motivations on s’aperçoit également que V n’est pas l’homme parfait qu’on pense au premier abord. Pétri de culture, amoureux de liberté et défenseur de la veuve et de l’orphelin certes, mais il est aussi empli de haine à l’égard de ceux qu’il vise, ce qui quelque part le rapproche étrangement d’eux. Un dialogue entre lui et sa petite protégée Evey permet d’ailleurs de bien s’en rendre compte, et lui-même semble troublé par cette vision des choses : V évoque les monstruosités qu’on lui a fait subir, et Evey lui rétorque que ça l’a lui-même transformé en monstre.
Et Evey ne se trompe pas. Elle souligne très justement que V dans sa volonté d’imposer son utopie est du genre à appliquer la règle de la fin qui justifie les moyens, quitte à passer aux yeux de certains pour un monstre. Evey, au travers de ce qu’elle endure, est d’ailleurs parfaitement placée pour ressentir ce double sentiment contradictoire. L’idée est noble et l’homme est bon, mais ses actes sont parfois très éloignés du « bien » tel qu’on se le représente.
Le paradoxe du personnage de V est d’ailleurs l’une des plus grandes réussites selon moi dans l’œuvre de Moore. De tous les héros qu’il a créés ou fait évoluer dans toutes les séries qu’il a abordées au cours de sa carrière de scénariste (depuis La créature des Marais à la Ligue des Gentlemen Extraordinaires en passant par les Watchmen, Top Ten, Promethea et tant d’autres), V est certainement le plus passionnant, le plus riche et le plus impressionnant.
Pour en revenir plus précisément au film, je dirais que V pour Vendetta est certainement l’une des toutes meilleures adaptations de comics qu’il m’ait été donnée de voir au cinéma. Car le film cumule deux choses qui dans ce genre d’exercice sont très difficiles à obtenir : la fidélité au comic de départ et l’accessibilité et la compréhensibilité parfaite même pour ceux qui ne connaissent pas la BD. Du coup le film s’ouvre la possibilité de plaire à la fois aux fans de l’histoire de Moore et au grand public qui ne soupçonne même pas l’existence de ce dernier.
Il est d’ailleurs étonnant de voir que Alan Moore ait demandé à ne pas être associé au film (il n’est pas crédité au générique en tant que créateur de l’histoire originale, et cela à sa propre demande), alors que ce film rend pourtant vraiment justice au travail de Moore. Il faut très certainement aller chercher la raison profonde dans la brouille qui existe entre le scénariste et DC Comics, la maison d’édition américaine pour laquelle il a beaucoup travaillé et chez qui il a édité d’ailleurs ses best-sellers tels que V for Vendetta ou Watchmen. Ne touchant pas le moindre kopeck de droits d’auteur sur V for Vendetta, et étant donné que Moore est définitivement fâché avec les dirigeants de DC qui les détiennent, il est finalement assez logique de sa part de ne pas vouloir apposer son nom en gage de qualité d’un film sur lequel il ne touchera rien alors qu’il est le créateur de l’histoire d’origine. Et dans le monde du comics, Moore n’a pas besoin de la publicité que pourrait lui rapporter le succès éventuel du film, il est de toute manière et depuis belle lurette considéré comme l’un des meilleurs, si ce n’est le meilleur scénariste de tous les temps.
Du point de vue purement cinématographique, sans être un chef d’œuvre, le film s’en tire très honorablement et le réalisateur James McTeigue, sur lequel beaucoup de monde avait des doutes, prouve que l’adaptation d’un comic tel que V pour Vendetta était non seulement possible mais parvient de plus à bien gérer le potentiel de cette histoire tout en story-telling.
Côté casting également c’est un sans faute. Étonnant de voir que malgré le masque qui cache son visage pendant tout le film, Hugo Weaving parvient à donner une personnalité attachante et complexe au personnage de V. Là où on pouvait légitimement craindre que le costume grandiloquent de V et son langage très soutenu le ridiculise ou le décrédibilise, c’est tout l’inverse. Natalie Portman quant à elle est fabuleuse dans le rôle de Evey Hammond, passant de la fragilité à la force avec autant d’authenticité dans le regard. Un très beau rôle pour la jeune actrice. Il faut également noter le charisme et le jeu de John Hurt en Haut Chancelier Sutler complètement dément, ainsi que de Stephen Rea qui est tout simplement parfait dans le rôle du flic à la poursuite de V (pourtant le rôle n’est pas facile : l’inspecteur Finch est un homme qui fait son devoir un peu contre son gré, mais son manque d’enthousiasme ne grève en rien son intelligence et son instinct d’enquêteur), totalement en conformité avec le personnage de papier.
Bref, V pour Vendetta est la très bonne surprise de cette année, car il est vrai je ne m’attendais pas à ce que le film soit aussi réussi et dans l’esprit de la BD. Que vous connaissiez le comic d’origine ou pas, ce film est vraiment à voir.