Ca bouge pas mal en ce moment dans la rue, les manifestations vont bon train et le CPE est dans toutes les bouches… Notez bien que ce ne sont pas les manifestations qui m’étonnent, mais plutôt le fait qu’elles n’arrivent que maintenant, je pensais que ça pèterait déjà beaucoup plus tôt que ça !
Il y a quelques semaines je m’étais déjà fendu d’un article au sujet des CNE / CPE (par ici si par hasard vous désirez le (re)lire), je vous épargnerai donc un long et fastidieux rappel des raisons pour lesquelles je suis foncièrement contre ce nouveau contrat de travail.
Par contre je voudrais revenir sur quelques points soulevés ici ou là et qui m’ont paru intéressants, dans les débats télévisés et radiophoniques, sur des forums que j’ai pu lire dernièrement ou au cours de discussions informelles avec des amis. Excusez d’avance le manque de construction de ce qui suit, cela ressemble plus à une énumération de points qu’à un argumentaire travaillé et savamment articulé…
D’abord j’entends souvent la réflexion selon laquelle les manifestations actuelles sont indignes d’une démocratie parlementaire, qu’une loi votée par les représentants des électeurs doit être appliquée par principe et non pas contestée, et pour reprendre la phrase de certains hommes politiques, que « ce n’est pas la rue qui gouverne ». J’ai plusieurs choses à dire à ce sujet, qui évidemment n’engagent que moi, mais qui auront au moins l’intérêt de vous faire passer un quart d’heure si vous avez du temps à perdre ! :o)
La première chose, c’est que la démocratie signifie : « le pouvoir au peuple » (je ne connais pas l’étymologie grecque exacte, mais le sens est là).
C’est un très beau concept, difficile à appliquer et extrêmement fragile. Ses démons se nomment démagogie, populisme, poujadisme, manipulations, formatage des idées. Et pour tenter de mettre un peu d’ordre dans la démocratie, nous avons un système parlementaire : en gros le peuple élit ses représentants qui eux s’expriment en leur nom pour mettre en place les lois et les règles communes qui sont les bases de la vie en société.
Mais avoir un régime parlementaire, cela ne signifie pas que le peuple ne puisse plus s’exprimer directement, par des manifestations ou des grèves par exemple. Il doit impérativement pouvoir le faire quand ceux qui le représentent ne reflètent par leur avis. Se faire entendre n’est pas anti-démocratique ou anti-constitutionnel, au contraire, c’est un acte civique (et donc politique) fort qui témoigne d’un engagement responsable et d’une participation active à la vie de notre société. Si sur un point précis, on n’est pas d’accord avec ceux qui sont censés nous représenter, il faut le dire, c’est même selon moi le signe d’une conscience collective saine et réactive. Et quand le peuple s’exprime avec une telle intensité que ces derniers jours, je crois qu’il est vraiment indéniable que le message devrait être entendu et pris en compte par les pouvoirs politiques.
Le mouvement contestataire a été initié par les organisations étudiantes, et quelque part cela me rassure. L’ampleur qu’il a pris prouve à mes yeux que ceux qu’on englobe sous le terme générique « jeunes » sont en vérité plutôt loin de l’image qu’on veut bien s’en faire traditionnellement. Alors que d’habitude on décrit le « jeune » comme m’enfoutiste, complètement déconnecté de la vie politique du pays et sans conscience civique, les événements récents apportent un démenti fabuleux à ces idées préconçues. Non ils ne s’en fichent pas, oui ils se soucient de leur avenir et de l’avenir du pays, oui ils ont des convictions sociales et des opinions politiques. Et vraiment, ça me rassure, et même me rend fier. Je me dis que cette jeunesse si souvent mise à l’index, sait encore prendre ses responsabilités, se battre pour son avenir et s’investir dans la société, monter au créneau pour défendre leurs valeurs.
Mais … bien sûr il y a un « mais ».
L’engagement politique des jeunes ne doit pas masquer le problème annexe qui s’est greffé sur les manifestations. Je veux parler de ces casseurs qui trouvent dans les mouvements de foule actuels l’occasion de perpétrer des actes proprement scandaleux. Destructions de voitures, vitrines fracassées, poubelles incendiées, magasins dévalisés, manifestants sauvagement attaqués, volés et roués de coups, le tout sous les yeux des journalistes et des forces de l’ordre un peu dépassées par les événements.
Non seulement ces actes sont honteux et intolérables, mais en plus quelques indélicats (appelons-les avec pruderie ainsi) en profitent pour éclipser volontairement les revendications anti-CPE au profit de la mise en avant de l’insécurité. Et dès lors l’amalgame n’est pas loin, et le pas souvent allègrement franchi vers le raccourci scandaleux qui sous-entend : les jeunes manifestent contre le CPE + des jeunes casseurs s’infiltrent dans les manifestations = les jeunes anti-CPE cassent tout.
Ou comment l’acte civique de la manifestation politique pour un enjeu sociétal se transforme en deux coups de cuillère à pot et trois images (j’allais dire manipulations) choisies et isolées par quelques médias, en incivilités de la pire espèce. Du coup, le message politique des jeunes qui manifestent en toute conviction est sciemment relégué au second plan et on parle à sa place des débordements de quelques voyous qui n’ont rien à voir avec les étudiants. Que certains s’en servent pour essayer de décrédibiliser le mouvement anti-CPE m’énerve au plus haut point.
Oui les actes de ces casseurs sont totalement intolérables. Non ils n’ont rien à voir avec le débat d’idées autour du CPE.
Deuxième point important : puisqu’il est question de représentativité et de légitimité du pouvoir, il y aurait des choses à dire … Souvenons-nous comment est arrivé en place le gouvernement actuel. Combien de gens ont voté Jacques Chirac en 2002 pour son programme et avec une réelle conviction ? 19% environ. Les 19% de voix qu’il a obtenu à l’issue du premier tour des présidentielles. L’intrus d’extrême-droite au second tour a totalement privé
Un minimum d’humilité eut été de mise je crois.
Je pensais sincèrement que le président allait constituer un gouvernement un minimum composite, plus penché vers le centre qu’à droite. Mais non, il ne l’a pas fait. On a vu ce que ça a donné depuis : Jean-Pierre Raffarin est devenu le premier ministre le plus impopulaire de la 5ème République, et tous les suffrages depuis 2002 ont à chaque fois été des votes qui désavouaient le pouvoir en place (pour les Régionales et le Référendum européen c’était indéniable par exemple). Avec la nomination de Dominique de Villepin on pensait avoir un chef de gouvernement plus ouvert, plus diplomate et plus rassembleur que le précédent … aujourd’hui il y a une rupture encore plus grande entre les français et le gouvernement (aux derniers sondages, environ 70% de personnes contre le CPE, et ça n’arrêtait pas d’augmenter). Alors quid de la légitimité de ce gouvernement et donc de ses projets ?
Et pour en terminer avec cette histoire de légitimité, j’aimerais aussi juste souligner une incohérence qui démontre bien la différence entre les discours et les actes des dirigeants actuels. En
Et qu’a fait le gouvernement avec le CPE ? L’exact inverse : il a sorti un texte de loi tiré de son chapeau, sans la moindre concertation, sans le moindre débat d’idées ni discussion préalables. Plus fort même, il a fait passer cette loi par le fameux 49.3, qui l’a soustraite d’un vote à l’assemblée !
A moins qu’on vienne m’expliquer que le CPE n’a rien à voir avec le droit du travail (selon moi il le bouleverse de fond en comble), j’aimerais savoir dans quelle logique, dans quelle cohérence se situe cette façon de procéder.
En gros, on dit « on ne fera rien sans vous concerter », et on fait exactement le contraire. On dit « on restera inflexible sur le CPE », et on prône le dialogue social en même temps. Il serait peut-être temps d’accorder actes et discours non ?
Et il serait peut-être aussi temps d’écouter un peu ceux qui protestent dans la rue plutôt que de leur répondre un ironique « j’entends aussi ceux qui ne disent rien », parce que ce genre de pirouette linguistique c’est joli en littérature, mais en politique ça aurait plus tendance à crisper ceux qu’on bassine à longueur de temps avec le « dialogue social ».
S’entendre dire « vous n’êtes pas d’accord parce que vous n’avez pas compris, je vais vous réexpliquer », ça commence à bien faire, et ça en devient vexant de se faire prendre pour des neuneus au bout d’un moment. On a bien compris ce qu’est le CPE, merci. C’est justement pour cette raison que tant de gens manifestent.
Il serait grand temps pour les uns et les autres de prendre leurs responsabilités, de laisser de côté les problèmes d’ego et d’orgueil et les conflits de personnes pour enfin avoir un échange constructif (n’est-ce-pas messieurs Villepin et Sarkozy ? n’est-ce-pas messieurs de l’inter-syndicale ?), histoire de faire avancer enfin les choses.
Malheureusement, je n’ai pas l’impression que la tournure des événements prenne cette direction. Quand je vois nos parlementaires se gargariser d’un lapsus du premier ministre (son inversion entre démission et décision), qui pour s’en moquer qui pour le défendre alors que ce n’est franchement pas ce qui importe je crois, je désespère. La politique ne serait donc devenue qu’un concours de bons mots ? On n’est pas sorti de l’auberge : quand quelques humoristes font de la politique, voilà que les hommes politiques se mettent à jouer les rigolos.
Et dire que certains dénoncent les Guignols de l’info comme étant trop caricaturaux …