Dans ses vœux de nouvelle année, Dominique de Villepin s’est fait le défenseur de l’optimisme, et a livré sa recette pour un quotidien meilleur : y faire une place à l’humour et la tendresse. Sages paroles, qui ont l’avantage de soigner son image de poète et d’homme au charisme rassurant.
Pour tout dire, bien que je ne partage que peu de ses opinions politiques, je considère l’actuel Premier Ministre comme sortant de l’ordinaire, une coudée au-dessus du « tout venant » des hommes politiques, tous bords confondus.
Il a la stature et la prestance d’un véritable homme d’état, de ceux qui sortent du lot pas par leurs convictions et leurs éclats, mais bel et bien par leur personnalité et leur image. Fin diplomate, calme, posé, à l’apparence réfléchie et mesurée (à l’inverse d’un survolté Sarko par exemple), il ne participe pas à la détestable règle en cours en ce moment qui veut que « celui qui parle le plus fort a raison », et c’est tout à son honneur.
Et voilà que dans son élan de positivisme et sa lutte contre les déclinologues (dixit lui-même), il part personnellement en lutte contre la chute de moral des français et pour ce faire, s’attaque vaillamment au problème de l’emploi dans notre pays.
Après le CNE (Contrat Nouvelle Embauche) sorti au mois d’août, voici donc comme c’était parfaitement prévisible, qu’arrive son « grand frère », le CPE (Contrat Premier Emploi) qui élargit en gros le CNE aux entreprises de plus de 20 salariés. D’ailleurs entre parenthèses, je prédis un bel avenir à cette nouvelle famille de contrats. Gageons que d’ici peu, le CPE aura lui aussi un aîné qui concernera cette fois les plus de 26 ans.
Quelles sont les modalités principales du CPE ?
C’est simple, il s’agit d’un contrat d’embauche qui spécifie une durée de « mise à l’essai » de 2 ans, durant laquelle l’employeur peut mettre fin au contrat quand il le désire (pas d’obligation de délai entre la signification de fin de contrat et le licenciement effectif) et sans aucune justification à donner.
Deux choses me choquent particulièrement là-dedans.
D’abord ce délai de 2 ans. Vous êtes en essai pendant 2 ANS ! Dans un contrat classique de CDI, la période d’essai est généralement de 3 mois, ce qui me semble raisonnable. Mais 2 années complètes d’essai, comment peut-on concrètement justifier une telle durée ? Cela voudrait dire que vous pouvez bosser 2 ans à votre poste et qu’au bout de ces 2 ans votre employeur finisse seulement par se rendre compte que vous n’êtes pas fait pour ce boulot ?! Sans même parler des cas où avant de signer ce fameux CPE vous étiez déjà au même poste sous CDD ou contrat d’intérim… Ça n’est pas sérieux, pour ne pas dire proprement indéfendable.
Mais là où ça devient fort de café, c’est que la rupture de contrat dans ce délai ne nécessite aucun motif. AUCUN MOTIF. Autrement dit, en temps qu’employé sous contrat CPE, vous avez peur à tout moment de perdre votre place, pendant deux longues années. Vous allez travailler le matin sans savoir si vous aurez toujours du boulot en rentrant le soir. Qu’on risque de perdre son emploi après avoir commis des erreurs graves, pour incompétence notoire, absentéisme non-justifié à répétition ou pour faute professionnelle, je le conçois. Mais juste comme ça, « pour rien », comment cela peut-il être concevable ? Comment peut-on justifier une telle règle (ou absence de règle, au choix) ?
Imaginez-vous pendant 2 ans avoir une épée de Damoclès au-dessus de votre tête, et quoi que vous fassiez, rien ne peut vous mettre à l’abri. Aucune discussion possible, pas la moindre négociation de salaire, de congés, d’emplois du temps, d’heures supp, etc… possible, de peur d’entrer en conflit avec votre employeur, ou juste de lui déplaire. Prendre garde à ne jamais avoir la moindre divergence d’opinion avec lui, tout accepter et en redemander, être toujours dans ses petits papiers.
Je ne vous parle pas de « bien faire votre boulot » là, ce qui est normal du reste comme critère d’évaluation, non je vous parle de « relations humaines » de tous les jours.
Dans quelles relations entre personnes arrive-t-on à tenir 2 ans sans le moindre conflit, même le plus minime ? Même avec votre mari, femme, meilleur ami, parents, ça n’existe pas. Alors imaginez avec les personnes avec qui vous travaillez toute la journée. Tous ceux qui ont déjà une expérience dans le monde du travail savent cela : c’est impossible.
Le problème, c’est qu’à partir du moment où il n’y a aucune règle qui encadre un licenciement, ne pas avoir à justifier un licenciement revient à permettre de baser cette décision sur n’importe quels critères, y-compris ceux qui n’ont rien à voir avec le travail. On ne fait rien d’autre que permettre le licenciement abusif.
Pour exagérer au dernier degré, si vous êtes irréprochable dans votre travail, mais que vous ne soutenez pas le même candidat chevrotant de la StarAc que votre patronne, ou que vous plaisez un peu trop à la secrétaire de votre boss alors qu’il avait des vues sur elle, ça peut se transformer en motif de licenciement. Je prends évidemment des exemples volontairement extrêmes ( ?) et à la limite du ridicule, mais … il n’y a aucune protection de l’employé pour le soustraire à des risques de ce genre. Je trouve cela très grave.
Au final, qu’est-ce qu’un CPE ?
Rien d’autre qu’un contrat d’intérim moins bien rémunéré. L’intérim n’est évidemment pas une situation stable loin s’en faut, mais il a au moins l’avantage d’être mieux payé (à poste équivalent). À l’âge où j’ai touché mes premiers salaires, j’avais pas mal de copains qui préféraient justement pour cette raison l’intérim : plus d’offre et meilleur salaire avec en contre-partie des boulots moins intéressants la plupart du temps. Et ils n’avaient pas tort, leur raisonnement tenait la route. Tant qu’ils vivaient chez leurs parents.
Mais quand il s’est agit de s’installer seul ou en couple, ils ont évidemment recherché une situation plus stable. Aujourd’hui on leur proposerait certainement un CPE. C’est-à-dire un EMPLOI PRÉCAIRE.
Le banquier chez qui vous demandez un prêt pour remplacer votre vieille bagnole, ou le propriétaire qui sélectionne ses futurs locataires s’en tapent des mesures pour « relancer l’emploi des jeunes ». Ce ne sont pas leurs affaires. Ce sont des gens prudents (et on les comprend) qui veulent vous entendre dire : « j’ai un boulot stable, une rentrée d’argent fixe chaque mois ». Et si ce n’est pas le cas… merci on vous rappellera…
Dire que le CPE (tout comme le CNE avant lui) est mis en place pour combattre la morosité des français et relancer l’emploi me semble tellement loin de la vérité quand on y regarde de plus près, que je me demande comment des personnes arrivent à y croire. Il me semble que ça se rapproche bien plus de « combattre le droit du travail et relancer la précarité (qui se portait pourtant pas si mal je trouve) ».
Il y a quelques mois les français ont voté, à tort ou à raison, contre la constitution européennes, et bon nombre d’entre eux l’ont fait pour se préserver du libéralisme exacerbé que quelques oracles politiques nous promettaient… mais bon, ça c’est déjà du passé n’est-ce-pas…
Quand j’entends certains prises de position en faveur des CPE, je sursaute devant l’argumentaire. Pas plus tard qu’hier, j’entendais sur Europe 1 une lycéenne de 19 ans (qui a donc certainement une longue expérience de la vie active…) s’exprimer résolument en faveur du projet, arguant du fait que les CPE donneraient l’occasion aux jeunes de faire leurs preuves, permettraient de se donner à fond pour décrocher ensuite une situation plus stable. C’en est affligeant de naïveté, mais bon c’est encore excusable de sa part (ceci dit son vote a le même poids que celui de tout un chacun, raison supplémentaire de débattre de ce genre de choses).
Autre argument que j’ai énormément entendu, le fameux « c’est mieux que rien du tout ! ».
Oui bien sûr, et toucher le RMI c’est mieux que ne rien toucher du tout, faut-il s’en contenter ? Un tel raisonnement c’est du nivellement des valeurs par le bas, rien d’autre. On entend de plus en plus souvent des histoires de boîtes qui ferment pour délocalisation en Europe de l’Est. Et on est scandalisé quand la direction de ces entreprises proposent à leurs ouvriers et employés de partir en Roumanie bosser pour 1500 balles par mois. Ah tiens ? c’est pourtant mieux que rien non ?…
Enfin, un des arguments phare du gouvernement c’est le bilan du CNE. Depuis sa création, il y en aurait déjà 280 000 (chiffre à vérifier, je le donne de mémoire) de signés, preuve que ça fonctionne. Faux. C’est juste la preuve qu’un employeur n’est pas un imbécile, et que si on lui donne le choix entre plusieurs possibilités, il prend évidemment ce qui l’avantage le plus, donc le CNE plutôt qu’un CDI ou l’intérim, point. On nous présente ce chiffre comme la preuve éclatante que le CNE aurait créé une offre d’emplois. Ah bon ? Ça reviendrait à dire que sans CNE, les employeurs se seraient très bien passé de ces employés ?
Moi j’aimerais plutôt qu’on m’explique pourquoi ne pas proposer des CDI (avec essai de 3 mois) à la place des CNE qui sont censés déboucher aussi sur des CDI ? Faudrait-il comprendre que c’est parce que ces CNE ne déboucheront finalement pas sur des CDI mais sur d’autres CNE ? J’espère sincèrement que non.
Bref, vous l’aurez compris si vous avez eu le courage et l’obstination suffisante pour me lire jusqu’ici, le concept CNE-CPE me laisse un arrière-goût plus qu’amer en bouche. Évidemment je suis pour les initiatives qui permettront de relancer l’emploi, mais aussi pour celles qui combattront la précarité.
Je me pose la question suivante : pourquoi dans le contexte actuel privilégier les contrats les plus précaires ? Pourquoi ne pas favoriser les CDI plutôt qu’un CPE (par allègement de charges, incitations diverses, que sais-je encore…). À quoi ça rime et surtout qui y gagne ? l’employé ?
Et quand j’entends souvent dans des discours politiques, des invitations à remettre la « valeur travail » au cœur du système français, je suis assez d’accord, mais il faudrait que ce soit vraiment effectif, non ? Qu’est-ce que représentera cette fameuse « valeur travail » aux yeux de ceux qui seront au régime CNE-CPE ? Qu’est-ce que la « valeur travail » représente aujourd’hui aux yeux des licenciés d’une entreprise largement bénéficiaire telle que HP par exemple ?
Redonner de l’importance à ceux qui bossent, c’est une belle et grande idée, souvent brandie à droite, et je suis pour. Si on commençait par respecter les salariés et les faire passer de temps en temps avant les actionnaires, on serait sur la bonne voie.
Ou alors qu’on m’explique la dimension « drôle et tendre » du terme « Fin de Mission », j’avoue qu’elle m’échappe.