Je pense à l’idée assez répandue et plutôt séduisante qui se résume par la phrase : « tout ce qui ne te tue pas te rend plus fort ». Quand on y réfléchit un peu on se rend compte que ce truc est d’une insondable connerie tant c’est non seulement cliché mais surtout faux.
Autant que je me souvienne, c’est un crédo que j’ai commencé à entendre adolescent. En peu de temps c’est devenu cool et à la mode de dire et de penser ça. Puis, lors de mon service militaire c’était mon sergent instructeur qui n’avait plus que cette phrase à la bouche, comme s’il essayait de se convaincre lui-même que cette idée choc qui se battait en duel avec ses deux neurones solitaires suffirait à le faire passer pour quelqu’un d’intelligent.
Avez-vous remarqué d’ailleurs que souvent les bas-de-plafond ont des tics de langage ou des expressions imagées et toutes faites qu’ils répètent à l’envie, juste parce qu’elles ont de l’impact, de la gueule, et que ça donne l’illusion d’un esprit brillant ? Bon je m’éloigne du sujet le temps d’une parenthèse… Le neuneu de base sait faire d’une ou deux idées phares qui l’auront ébloui toute une philosophie de vie. Pas fous et fins psychologues, les publicitaires et les politiques en usent et en abusent d’ailleurs, le fameux et fumeux « travailler plus pour gagner plus » en est l’exemple le plus puissant (et gonflant) de ces dernières années soit dit en passant… Une bonne sonorité qui flatte l’oreille, des mots simples qui cachent (supposément) une idée qui fait réfléchir et se veut un tant soit peu subtile et le tour est joué : le badaud tout fier d’avoir finement saisi le sens profond et définitif de la phrase se sent intelligent, supérieur et par conséquent satisfait de son propre génie. Dès lors, plus la peine d’y penser plus avant, on est au top et on peut mettre son cerveau en pause, il l’aura bien mérité.
Oui mais non.
Dans le cas précis de cette phrase tout droit sorti d’un discours du premier (rayez les mentions inutiles) John Wayne – John McLane – John Locke (celui de Lost !) – John Rambo – John Sarkozy venu (et pourtant il y en a 4 sur 5 qui m’ont donné de sacrées belles émotions ciné-cathodiques pour lesquelles je leur serai éternellement reconnaissant), on est en présence d’un bel attrape-nigaud.
Bien sûr que l’idée est plaisante. Parce que c’est le genre de truc passe-partout qu’on peut servir à tout le monde et dans n’importe quelle circonstance plus ou moins difficile. Ça donne une image positive aux pires emmerdes, ça console à défaut de guérir, ça promet des jours meilleurs, bref ça met en avant qu’on peut toujours s’en sortir, même des difficultés les plus terribles et qu’on en tirera forcément quelque chose de bien. Et c’est bien pour ça que c’est séduisant comme idée. Sauf que malheureusement, c’est faux. Quand on souffre, que ce soit physiquement ou plus particulièrement moralement, psychologiquement (parce que de nos jours on a quand même plus souvent le moral en berne que les doigts de pieds bouffés par la gangrène hein…), plus le mal est profond, plus on s’en prend dans la tronche, plus on est malheureux, plus on est blessé… et bien plus on se fragilise.
Désolé de le dire, mais la souffrance n’agit pas comme un vaccin qui crée une petite réaction désagréable et momentanée avant de nous mettre à l’abri du mal. La souffrance, quelle que soit sa nature, laisse des traces et vous fragilise l’esprit alors qu’on se plaît à croire qu’elle le fortifie. Une rupture, un décès, une dispute, des regrets, ce sont toujours des choses négatives pour l’esprit. On en ressort amoindri, jamais grandi. Et quand enfin on émerge (si on émerge) du brouillard glacé où ce genre d’aléa de la vie nous plonge, ce n’est certainement pas plus fort qu’avant, bien au contraire. On a usé tant de forces à sortir de cet état que la moindre pichenette, le moindre petit malheur supplémentaire vous fait basculer encore plus vite et plus gravement dans la douleur. Parce que la douleur on peut arriver à l’oublier, la mettre de côté, la surmonter, mais on ne l’efface pas. La douleur s’accumule, c’est juste notre seuil de tolérance qui en prend lentement la mesure par ce réflexe étonnant qu’on appelle l’instinct de survie. Mais rajoutez-en une petite couche et vous re-basculerez encore plus fort dans les difficultés et le mal-être. Le froid vous glacera encore plus que la première fois, la douleur sera encore plus intense, le mal viendra bien plus facilement à bout de votre résistance. Comme le cancer qui récidive après un temps de rémission. Comme l’alcoolique à jeun depuis des années qui voit tous ses efforts réduits à néant à la moindre goutte de vodka ingérée.
L’impression qu’on a d’être bien après avoir été mal n’est pas un regain de force, ne vous méprenez pas là-dessus. Nos plaies finissent par être pansées mais rarement refermées. Ce que vous croyez avoir gagné en résistance est souvent un leurre : c’est le soulagement de moins souffrir qui fait cet effet. Mais souvent au mieux s’agit-il d’un répit.
Alors même si Bruce Willis en a fait le titre d’un de ces albums (If it don’t kill You, it just makes You stronger, pas si mal d’ailleurs quoiqu’un peu brouillon par moment), « Tout ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort » c’est joli, mais c’est malheureusement inexact. « Tout ce qui ne vous tue pas… vous tuera peut-être la prochaine fois », voilà qui me paraît plus réaliste à défaut d’être optimiste. Du moins est-ce là ma vision des choses, que bien entendu je ne cherche à imposer à personne ça va de soi, comme il n’était pas non plus mon intention de casser votre moral à vous qui lisez ceci. Et toutes mes excuses si je l’ai malmené…