J’aime les hommes en collants.
Je parle des super-héros, hein.
Alors forcément, ce livre était fait pour moi.
On est en 2005. Les super-héros sont passés de mode. La plupart d’entre eux ont disparu ou se sont peopolisés (argh, quel mot dégueulasse à écrire, d’ailleurs mon correcteur orthographique se rebiffe !), et leurs corps vieillissants ne sont plus ce qu’ils étaient. Finie la toute puissance. Robin a été retrouvé mort il y a quelques temps, et voici que Reed Richards (alias Mr Fantastic) et Raven Darkholme (alias Mystique) reçoivent à leur tour des lettres de menaces leur prédisant un funeste destin. C’est l’inspecteur Dennis La Villa qui est chargé de l’enquête tandis que son frère Bruce La Villa, journaliste, investigue de son côté.
Qui peut bien en vouloir à ces anciennes gloires dépassées depuis bien longtemps ?
Voilà pour le pitch en version raccourcie. Le roman quant à lui dépasse allègrement les 500 pages, vous en aurez donc pour un peu plus long à lire que ce court résumé.
Alors évidemment pour commencer on ne peut pas s’empêcher de penser à la situation de départ d’un monument des comics, si ce n’est l’œuvre qui à elle seule leur a offert gravité et respectabilité, l’immense Watchmen d’Alan Moore et Dave Gibbons. Des super-héros à la retraite (un peu moins défraîchis dans Watchmen quand même) et quelqu’un qui les dessoude un à un. Et l’aspect super-héros vieillissants, ça aussi ça a déjà été maintes fois traité, et de bien belle manière dans par exemple le Batman : Dark Knight de Frank Miller ou le Kingdom Come de Mark Waid et Alex Ross. Rien de follement original donc pour quiconque s’intéresse un tant soit peu aux comics super-héroïques.
Pour être honnête, ça n’est pas l’aspect « enquête policière » qui m’a le plus plu ni convaincu dans ce roman. On a vu plus haletant et mieux ficelé ailleurs. Non ce qui m’a plus intéressé c’est la plongée dans la psychologie des personnages ici concernés par l’enquête. À savoir Mr Fantastic, Mystique et Batman (puis dans un dernier chapitre, plus bref, Superman).
Ne vous attendez pas un seul instant à lire du comics en roman, on est loin du compte. Si une telle expérience vous tente, je vous orienterais plutôt vers Un jour, je serai invincible de Austin Grossman. Non avec La vie sexuelle des super-héros, l’auteur italien Marco Mancassola propose une véritable œuvre romanesque dont finalement seuls les protagonistes sont empruntés au monde des comics, mais replacés dans notre univers, dans la vie de tous les jours, avec les préoccupations de tout un chacun. D’ailleurs la caractérisation de certains personnages ne respecte pas forcément la version dessinée des héros d’origine. On est là quelque part à mi-chemin entre l’adaptation et le détournement. Bien entendu les personnages sont suffisamment reconnaissables pour qu’on les situe sans peine au premier coup d’œil, mais ils n’en restent pas moins des êtres que l’auteur s’approprie pour les modeler à sa façon et nous en offrir sa vision déformée. Les fans inconditionnels, les aficionados purs et durs des super-héros des comics y trouveront bon nombre d’incohérences, de manques à la continuité voire même de trahisons dans l’esprit des personnages. Moi ça ne m’a pas dérangé outre mesure, il faut juste savoir ce qu’on lit et ne pas confondre les différents univers et les règles qui les régissent. On peut bien entendu garder des préférences pour un univers en particulier sans être intégriste pour autant et accepter ainsi de voir ce qu’on aime et connaît par cœur détourné, modifié, retraduit différemment. Et ensuite seulement se permettre de jauger. J’ai lu pas mal de critiques très dures et qui descendent le roman en flèche pour des raisons qui me semblent être complètement à côté de la plaque. Parce que par exemple dans la partie consacrée à Reed Richards il est fait mention de Sue Storm-Richards (alias l’Invisible) et de Ben Grimm (alias la Chose) mais jamais de Johnny Storm (alias la Torche) alors qu’il est le quatrième membre des fameux Quatre Fantastiques. Que des héros de DC côtoient des personnages Marvel en a gêné certains. Que Superman se serve d’une canne pour marcher n’est pas passé non plus. Que Mystique dise ne pas croire au destin a offusqué certains fans, alors que dans les comics sa plus proche amie est une médium aveugle du nom de Destinée… Bref j’ai lu pas mal de critiques de ce type qui à mon sens n’ont pas lieu d’être. Pas dans le contexte de ce roman. Je les aurais comprises dans le contexte des comics qui sont soumis à des règles de cohérence et de continuité qui leur sont propres, mais pas dans le cas du roman de Marco Mancassola où l’on est justement libéré de ce type de contingences souvent lourdes. Reproches puérils et totalement hors-sujets à mon avis.
Si des reproches il y a à faire, ils seront plutôt à chercher du côté de ce qui fait fonctionner ou non un roman en tant que tel. Par exemple j’ai trouvé qu’il y a un certain déséquilibre entre les différents chapitres du roman qui ne se justifie pas réellement narrativement parlant. J’ai aimé le chapitre consacré à Mr Fantastic car je l’ai trouvé intéressant, mais il est selon moi trop long (à moins que ce soit en clin d’œil à sa capacité de s’étirer à l’infini ?), en regard surtout des chapitres consacrés aux autres personnages. L’enquête quant à elle, j’en ai déjà touché un mot, laisse un peu sur sa faim le lecteur. Ça manque de liant, ça manque de finalité, ça manque de suspense digne de ce nom.
On ne l'appelle pas Mister Fantastic pour rien non plus...
Quant aux frasques sexuelles, sans être dans un roman érotique on a droit à quelques pratiques qu’on nous décrit bien en détails. En même temps c’est quand même annoncé clairement dans le titre, on ne va donc pas faire la vierge effarouchée. D’autant que beaucoup n’auront certainement pas été seulement attirés par le « Super-Héros » du titre hein. Le choix des personnages s’avérera donc un judicieux mixe entre notoriété des héros (nul besoin de présenter Superman ou Batman aux lecteurs, ils sont devenus des icônes suffisamment populaires pour que cela ne soit plus nécessaire) et capacités physiques qui se prêtent justement bien à quelques perversités sexuelles. Vous vous doutez bien que Mr Fantastic qui peut allonger et distendre la moindre parcelle de son corps est un sacré bon client pour les fantaisies sexuelles de l’auteur. Et que dire de Mystique qui est à elle seule une incroyable machine à fantasmes : coucher avec elle c’est coucher avec virtuellement n’importe qui au monde, puisqu’elle pourra aussi bien prendre l’apparence de George Clooney, Natascha McElhone, Marilyn Monroe ou Passe-Partout… Quant à Batounet, avec tout l’encre qui a déjà coulé pour analyser en long, en large et en travers ses relations avec les différents jeunes garçons qui se sont succédé sous le costume de Robin, il était évidemment un choix de première pour illustrer les travers sexuels des encapés. Bon de là à en faire un grand adepte du fist-fucking, j’avoue que je ne m’y attendais pas, mais Marco Mancassola s’est visiblement fait plaisir à détourner l’image du Dark Knight dans son cas précis.
M’enfin bon, l’un dans l’autre (si j’ose dire), pas de quoi être outrancièrement choqué non plus. Parce que sinon je vous déconseille fortement des ouvrages comme The Boys de Garth Ennis et Darrick Robertson ou encore Sticky Pants des frenchy Tony Emeriau et Xav, vous pourriez ne pas vous en remettre du tout. (moi au contraire j’ai adoré, je recommande chaudement ces ouvrages à tous ceux qui ne fuient pas à l’énoncé des termes bites, nichons et couilles)(vous l’aurez sans doute remarqué, je travaille d’arrache-pied à mon recensement gougueule en utilisant quelques termes bien choisis)
Batman, un type obsédé par la justice, mais pas que.
Finalement à bien y repenser, La vie sexuelle des super-héros ne m’aura pas tant laissé le souvenir d’un roman trop excessivement porté sur la chose, ni d’ailleurs d’une formidable enquête au suspense insoutenable. S’il m’est resté en mémoire c’est plutôt par la description d’un monde désenchanté, la déchéance d’ancienne gloires, la mélancolie d’un temps plus heureux, plus naïf mais définitivement révolu. Il plane sur le roman une certaine tristesse qui ne dit pas son nom.
En cela il est l’illustration qu’aussi bien les héros de papier pour enfants que les lecteurs que nous fûmes et restons, personne n’échappe à la patine du temps. Que l’évolution est synonyme de changement, et que grandir c’est aussi laisser une part de soi derrière nous...