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Avant de lire les notes que je fais sur les films que je vois et les bd que je lis, sachez que dans mes commentaires il m'arrive parfois de dévoiler les histoires et les intrigues. Ceci dit pour les comics, je n'en parle que quelques mois après leur publication, ce qui laisse le temps de les lire avant de lire mes chroniques.
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25 avril 2018 3 25 /04 /avril /2018 11:12

Que voilà un roman qui a fait couler pas mal d’encre en son temps (sa parution initiale date de 2011). Tout d’abord parce qu’il s’agit d’un roman de Tonino Benacquista, un auteur qui compte dans la littérature moderne française et qui a déjà connu de beaux succès populaires et critiques ces dernières années. Que cela soit pour ses romans (pour ma part j’ai vraiment adoré Quelqu’un d’autre et Saga, et je n’ai pas encore lu ce qui semble être son œuvre la plus plébiscitée : Malavita) ou pour ses scénarios de cinéma (Sur mes lèvres ou De battre mon cœur s’est arrêté parmi les plus célèbres d’une longue liste de films), et un peu plus modestement pour ses scénarios de bandes dessinées, Tonino Benacquista est connu et reconnu comme un écrivain de talent.

 

Mais il a aussi fait parler de lui de par son sujet. Et ce dernier connaît dans l’actualité d’aujourd’hui des résonances intéressantes, avec les différentes polémiques au centre desquelles un certain féminisme revendicatif revient sur le devant de la scène : par l’affaire Weinstein qui a donné lieu à une libération de la voix des femmes victimes d’abus et de violences sexuelles (et le fameux #balancetonporc -d’une classe folle- qui est devenu le nouveau buzz sur les réseaux sociaux), par le cafouillage entre féministes pro et anti voile islamique, par le concept assez récent de charge mentale (pris un peu en otage par les revendications féministes alors que sur le papier il peut concerner absolument tout le monde quel que soit le sexe) ou par le débat houleux et pour certains aspects délirant autour de l’écriture inclusive.

 

Si je dis que le thème du roman est en plein dans l’actualité, ce n’est pas tant parce qu’il parle de féminisme, mais plutôt par un curieux effet miroir (qui semblerait aujourd’hui presque anachronique) car Benacquista nous parle dans Homo Erectus des hommes et de leur condition (et donc forcément de leurs relations avec les femmes).

 

Rapidement le pitch du bouquin : à Paris, chaque jeudi, se tient dans un endroit secret qui change semaine après semaine, des réunions d’hommes qui tour à tour peuvent venir s’ils le désirent s’exprimer devant l’assemblée et y parler d’eux, et de leurs rapports avec les femmes, quels qu’ils soient. La règle est simple : chacun peut dire ce qu’il a sur le cœur, personne ne pose de question, personne ne fait de commentaire, et surtout le plus important : personne ne juge. Trois participants se retrouvent cependant en dehors des réunions pour discuter entre eux de leurs expériences.

Il y a Philippe, l’écrivain-philosophe qui connaît une certaine notoriété depuis qu’il a écrit un livre à succès. Depuis il a perdu l’amour de sa femme Juliette et s’est mis en couple avec une magnifique et très en vue top-model de la moitié de son âge. Il y a Denis, serveur chef de rang dans une grande brasserie, qui a toujours eu énormément de succès avec les femmes mais qui n’attire plus personne depuis quelque temps au point de croire à un complot féminin pour réduire à néant sa virilité ! Et puis il y a Yves, modeste ouvrier vitrier parisien, qui a quitté sa femme après qu’elle lui ait avoué une incartade avec un strip-teaseur. Depuis il est fermement décidé à ne plus laisser les sentiments s’insinuer dans ses rapports aux femmes, est devenu un fervent adepte des prostituées et s’est fixé comme but de découvrir tous les types de corps féminins qui puissent exister…

 

En fait j’ai trouvé le point de départ de ce roman vraiment original et intrigant, et l’idée même de montrer l’aspect habituellement caché des hommes (les sentiments ne seraient-ils pas exclusivement réservés aux femmes si l’ont en croit certaines ?), cassant l’image du mec testostéroné et de sa virilité, exposant les faiblesses, les fragilités et les doutes, à la fois subversive et intéressante. Enfin intéressante à la condition qu’on ne tombe pas dans le larmoyant ou l’accusation facile, écueil que Benacquista évite avec brio. Ajoutez par-dessus cela le talent de conteur et de modeleur de personnages de l’auteur, et vous obtenez un chouette bouquin, à la fois intelligent et sensible sans jamais être moralisateur et définitif dans son propos.

 

Mais quand je disais en introduction que ce livre a fait couler pas mal d’encre, c’est parce que pour préparer ma chronique j’ai un peu farfouillé sur le net, cherchant comment avait été accueilli le roman. Et là quelle ne fut pas ma surprise ! J’y ai trouvé tous types de commentaires, positifs et négatifs cela va de soi. Mais parmi les négatifs, quelle violence ! Beaucoup de dédain pour le sujet, de moqueries, de préjugés. Que la personne l’ait lu ou non d’ailleurs, ce qui est encore plus troublant. Et pour parfaire mon étonnement, parmi les avis négatifs j’ai noté une très forte proportion de femmes. Certes vous me direz que la majorité des lecteurs sont des lectrices, d’autant plus pour ce genre de littérature, mais quand même la proportion est telle que ça m’a choqué. Et ce qui m’a encore plus estomaqué, c’est le contenu des critiques : des clichés sur les hommes, des phrases du type « ces pauvres chéris qui veulent qu’on s’apitoie sur leur sort » ou « bureau des pleurs et catalogue de fantasmes masculins »… Très peu d’arguments sur les idées développées dans le roman, rien sur le style de l’écrivain : uniquement des récriminations sur le thème du livre. Vraiment, trouver cela sur bon nombre de sites et blogs dits « littéraires », donc provenant de personnes sensément réfléchies et ouvertes d’esprit (en tout cas je croyais -naïvement ?-que la lecture intensive menait à ces qualités intérieures là), pour la plupart des femmes qui justement fustigent ce type de comportements et de commentaires sexistes lorsqu’ils portent sur la condition féminine… ça m’a un peu déboussolé. Énervé également. Mais désespéré surtout, car ils montrent toute l’incompréhension et les murs qui s’érigent entre hommes et femmes, et démontrent que les femmes font elles aussi dans ce domaine d’excellents maçons (désolé mesdames, il n’y a pas de forme féminine du mot pour le coup, ce qui est je vous l’accorde profondément injuste !!)…

 

Ces critiques négatives et plutôt virulentes m’ont d’autant plus surpris que justement il m’a semblé que le roman évite avec beaucoup de justesse tout ce dont il est pour (et par) certaines condamné. Je n’ai pas trouvé de sexisme, d’agressivité gratuite, de reproches genrés faits aux femmes dans ce texte. Une lecture superficielle pourrait laisser croire que les femmes tiennent le mauvais rôle dans cette histoire, et pourtant non seulement c’est loin d’être le cas si on va plus dans les détails, mais de plus je suis absolument persuadé que ça n’était en rien l’objectif de l’auteur. L’immense majorité des reproches que j’ai pu lire à son sujet me paraissent en réalité n’être rien d’autre que des projections des pensées (ou plutôt des limitations de leurs pensées) des commentateurs sur l’œuvre ou l’intention de l’auteur. Ce qui est au choix et selon votre humeur du jour soit banalement triste, soit affreusement affligeant…

Je ne crois pas que Benacquista ait cherché à définir des gentils et des méchantes, bien au contraire. Il a surtout montré les différences et les failles de chacun (et chacune, suis-je obligé de le préciser ?), et tout ce que cela peut provoquer comme difficultés relationnelles. Non les femmes n’ont pas le mauvais rôle : que dire de cette inconnue qui entre dans la vie de Denis par exemple, et qui -sans vouloir déflorer l’intrigue- aura un effet des plus positifs sur ce type au comportement et aux réflexions de dépressif profond ? Non les hommes n’ont pas le beau rôle : il n’y a qu’à lire les différents témoignages de ceux qui s’expriment lors de ces réunions secrètes pour s’en convaincre.

 

Réunions secrètes qui m’ont d’ailleurs énormément plu, dans leur déroulement comme dans leur concept. L’analogie vient toute seule avec les réunions d’alcooliques anonymes (ou de n’importe quels accros à des substances diverses et dangereuses pour la santé), elle saute même aux yeux. En poussant l’analogie, les femmes seraient-elles donc nocives pour la santé (mentale) des hommes ? Les hommes malgré les grands airs qu’ils cherchent à se donner pour sauver la face ne seraient-ils que de vulgaires toxicos complètement soumis au sujet de leur addiction : les femmes ? Si vous lisez ce roman vous vous ferez votre propre opinion, vous en avez d’ailleurs certainement une sur le sujet même sans avoir lu le bouquin. La mienne est que ce livre démontre avec brio, intelligence, bienveillance et tendresse tout ce qui sépare les hommes des femmes, l’incompréhension qui peut exister entre eux et elles (coucou l’écriture inclusive, j’ai bon là?) (ou aurais-je dû écrire juste « entre elles »?), et en même temps tout ce qui les rapproche : ce fichu besoin de se sentir aimé, désiré, adoré, sublimé, respecté, caressé par elles et eux (barrez sans retenue le terme qui pourrait vous choquer ou vous mettre en rogne, pour moi ils conviennent tous !).

 

Sans en faire un chef-d’œuvre absolu, et encore moins un étendard revendicatif (de quoi d’abord ?), j’ai plutôt aimé lire ce roman, il m’a fait tantôt sourire tantôt réfléchir, il ne m’a rien imposé en termes de conclusion ni de morale, et si je ne peux pas le ranger aux côtés de mes livres de chevet je ne peux cependant que le conseiller à la lecture.

En renvoyant les plus extrêmes des sexistes de tous genres dos-à-dos. Ce qui ne doit du reste pas être facile pour aller se faire foutre je l’admets, mais qu’ils se démerdent entre eux.

 

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