Bardé de récompenses internationales, La Vie des Autres est un film allemand à l’apparence pourtant bien austère. Cela est certainement dû au sujet qu’il traite : la vie sous le régime de l’ex-RDA, le manque de liberté, la censure politique, et la surveillance quasi-généralisée mise en place par les services de renseignements est-allemands, la Stasi.
Dans ce contexte froid et gris, La Vie des Autres retrace deux histoires montées en parallèle et intimement liées l’une à l’autre. Il y a d’abord Georg Dreyman (Sebastian Koch) artiste et intellectuel de renommé mondiale, l’un des derniers à vouloir demeurer coûte que coûte en RDA malgré le carcan étroit dans lequel il peut s’exprimer derrière le rideau de fer. Faussement sympathisant du pouvoir mais réellement patriote, Dreyman aime son pays autant que son art, et il rêve de pouvoir faire de la résistance tout en douceur sans devoir abandonner la terre qui l’a vu naître. Usant de diplomatie, d’intelligence et d’une pointe d’hypocrisie teintée d’ironie, il parvient à mener sa barque tant bien que mal entre les politiciens véreux et soupçonneux et ses amis intellectuels opposants au pouvoir en place. L’autre personnage principal du film est un officier zélé de la Stasi, Gerd Wiesler (Ulrich Mühe), un homme froid, méthodique et totalement dévoué à sa cause. Wiesler devient sur ordre de sa hiérarchie l’ombre de Dreyman… C’est lui qui est en charge de le surveiller et de l’espionner afin de le faire tomber pour traîtrise au régime en place. L’Hauptman Wiesler est discret et surtout redoutablement efficace dans son travail. Si bien que rien de la vie de Dreyman ne restera longtemps secret pour lui… ni son intimité avec la belle Christa-Maria Sieland (Martina Gedeck), comédienne vedette d’Allemagne de l’Est, ni ses convictions politiques profondes…
Le réalisateur Florian Henkel von Donnersmarck aborde dans son film un sujet rarement développé (à ma connaissance) au cinéma : la vie à Berlin-Est avant la chute du mur et l’omniprésence de la Stasi (abréviation de Staats Sicherheit, littéralement « la sécurité de l’État »), le service de renseignement et la police secrète politique qui voit tout, entend tout, observe tout, sait tout.
Le film décrit la réalité d’un pays où la moindre opinion allant à l’encontre de la politique officielle était considérée comme indigne et punissable. Un régime où l’austérité règne, où l’opposition est muselée, enfermée et réduite au silence par la peur, où l’idéal communiste a viré depuis longtemps à la toute puissance de quelques dirigeants et à la privation quasi totale de liberté pour tous les autres.
Si le thème général peut sembler difficile, La Vie des Autres réussit vraiment à plonger le spectateur dans la vie de ses héros. On ressent l’impuissance et l’envie de révolte de Dreyman. On est touché au fur et à mesure qu’on le découvre par la droiture et le dévouement sincère mené à mal de Wiesler.
L’air de rien et sans qu’on s’y attende, le film nous happe dans son récit malgré des acteurs pour la plupart inconnus dans nos contrées (quoiqu’on ait vu récemment l’excellent Sebastian Koch dans le Black Book de Paul Verhoeven), une ambiance générale morose et un thème tout sauf glamour. Sobrement réalisé, parfaitement interprété et d’une sensibilité à l’image du Hauptman Wielser, c’est-à-dire tout en retenue mais profondément sincère, La Vie des Autres fait bien plus que convaincre. Intelligence du propos, subtilité du scénario, justesse de l’interprétation : voilà les principales qualités du film qui a remporté cette année l’Oscar du meilleur film étranger à Hollywood.
Et puis bien que ça n’ait rien à voir, j’ai été agréablement surpris de constater que mes souvenirs d’allemand m’aient permis de me passer le plus clair du temps des sous-titres français ! Mais que cela ne vous retienne pas d’aller le voir si vous n’entravez rien à la langue de Goethe : La Vie des Autres est un sacré bon film, avec ou sans sous-titres !