S’il est un acteur dont on peut dire qu’il aura trusté les salles de cinéma et les sorties dvd cette année, je crois bien que c’est Michael Fassbender.
Pour ma part en 2011 je l’ai vu cavaler en jupette romaine dans Centurion de Neil Marshall, assister en stetson au naufrage artistique de Jonah Hex, soulever des sous-marins nucléaires en tant que maître du magnétisme dans X-Men : Le Commencement* de Matthew Vaughn, se prendre la tête avec Sigmund Freud dans A Dangerous Method de David Cronenberg, et donc également tenter de satisfaire sa libido insatiable dans Shame de Steve McQueen (rôle pour lequel il a décroché le prix d’interprétation masculine à la Mostra de Venise).
D’ailleurs vous n’avez pas fini d’entendre parler du bonhomme, puisque rien qu’en 2012 il sera à l’affiche du prochain Steven Soderbergh (Haywire), du futur Jim Jarmusch (une histoire de vampires…), du nouveau Joel Schumacher (Blood Creek), du dernier projet de Darren Aronofsky en date (Noah) et surtout de la préquelle à Alien mise en boîte par Ridley Scott himself, Prometheus**.
Excusez du peu. Et encore je passe sous silence les projets plus confidentiels et pas liés à de grands noms du septième art comme ceux qui précèdent. Bref, Michael Fassbender a le vent en poupe, et à mon humble avis il le mérite.
J’en reviens donc à Shame. Vous en aurez peut-être entendu parler ou vous aurez peut-être remarqué son affiche toute en suggestion. Il fait partie de ces « petits » films totalement inattendus et à l’habit discret mais qui par leurs qualités auront su se créer un buzz positif chez les amateurs de cinéma. Fassbender y incarne Brandon, new-yorkais dans la trentaine, cadre dynamique qui travaille beaucoup, vit dans un appartement très classe où tout est clean et très sobre, et qui est atteint d’une réelle addiction au sexe. Solitaire dans l’âme, son obsession l’accompagne partout et à chaque instant. Quand sa sœur Sissy (Carey Mulligan) débarque sans prévenir et s’installe pour quelques temps chez lui, Brandon va devoir composer avec l’intruse à laquelle il va essayer tant bien que mal de dissimuler sa part d’ombre.
Pas évident comme thème, et plutôt casse-gueule. Ici pas de place pour l’humour ou la dérision, on n’est clairement pas dans une comédie. On y traite de sexe oui, mais aucune blague potache à l’horizon, afficionados des American Pie et consorts ce film n’est pas fait pour vous. L’addiction au sexe de Brandon est montrée crûment certes mais d’une manière extrêmement froide. Le film qu’on aurait pu penser sulfureux de par sa thématique, s’avère en réalité plus dérangeant et glaçant qu’excitant. On y voit du sexe, on y montre des déviances, des obsessions, des fantasmes mais aucune sensualité, aucune douceur, pas d’amour. Brandon baise, il ne fait pas l’amour. Il semble totalement dénué de sentiments, même dans la scène où on le voit pleurer pendant que sa sœur chante New-York, New-York, il semble d’une froideur extrême. En fait, on devine en Brandon quelque chose bouillir, et tout se passe comme si lui qui garde le contrôle en permanence devait par moment s’autoriser des soupapes d’évacuation sous la forme d’actes sexuels. Masturbation, prostituées, sexe sans lendemain, sites pornographiques, tout est bon pour assouvir les besoins immédiats qui prennent de plus en plus de place et de temps dans sa vie. Car hormis son addiction, Brandon ne montre aucune faille, semble solide comme un roc, insensible, invariable, intouchable. En un mot, inhumain.
C’est du reste tout le contraire de sa sœur du point de vue émotionnel. Sissy est hyper-émotive, cœur d’artichaut, fleur-bleue, extravertie, expressive et en recherche permanente d’amour. Mais les deux sont des paumés de première, des laissés pour compte des sentiments, elle avec un trop plein de sensibilité et lui d’une aridité suffocante. Brandon et Sissy formant finalement les deux faces d’une seule et même pièce : la solitude.
Leur confrontation est à ce titre dévastatrice. Ils ne se comprennent pas, ils se détestent car ils voient en l’autre exactement ce qui leur manque en eux-mêmes. Brandon en particulier, qui ne veut laisser place à aucune faiblesse mais qui voit bien que sa frêle petite sœur, toute insignifiante à ses yeux qu’elle est, lui renvoie à la figure à quel point il est lui-même fragile, sa présence intempestive chez lui la transformant en ce grain de sable qui enraye la machine si bien huilée de sa vie, qu’il s’évertue pourtant à maintenir à flots. Sissy est la preuve vivante et irréfutable que Brandon est en fuite perpétuelle. Comme s’il se réfugiait dans le sexe pour ressentir des choses si fortes et furtives, qu’elles l’empêcheront et lui éviteront de ressentir d’autres choses par ailleurs. Le sexe est la barrière qui le protège, le cache, mais aussi qui l’isole du monde extérieur, des autres. Le sexe ne se traduit pas dans les yeux de Brandon par la brillance du plaisir, mais bien par le voile de la douleur.
(Attention mini-spoiler)
Une des scènes les plus emblématiques, les plus touchantes mais aussi certainement les plus déprimantes étant celle où après un début de flirt avec sa (magnifique) collègue de travail Marianne (Nicole Beharie) qui s’annonce prometteur (sur le plan sentimental j’entends, très bons dialogues dans la scène du restaurant au passage), ils commencent à faire l’amour sans que Brandon ne parvienne à aller plus loin. Lui le bandard fou accro au sexe débande dès lors qu’un soupçon de sentiment s’immisce dans la relation…
… et pour fuir cet échec cuisant que fait-il ? il commande dans la foulée une escort-girl qu’il prendra sauvagement à l’endroit même où sa virilité s’est fait la malle face à un mot d’amour. Frustration, désespoir et fuite éperdue en avant sont là admirablement mis en images en quelque plans et en très peu de mots.
(Fin du mini-spoiler)
Vous l’aurez certainement deviné, Shame n’est pas un film léger, et encore moins un film divertissant. Le film est dur, parfois difficile à regarder (quand Sissy surprend Brandon en pleine partie de cinq contre un dans la salle de bain, la réaction de ce dernier est telle qu’on craint un moment le pire), mais très intéressant, intelligent et hypnotisant. Fassbender, qui a mon sens n’a pas volé son prix d’interprétation à Venise, m’a plus d’une fois fait penser au personnage de Patrick Bateman dans American Psycho, incarné au cinéma par Christian Bale. Le même détachement inquiétant à toute forme de sentiment (en dehors de la colère). Le même regard froid de psychopathe (bien que Brandon n’ait rien d’un tueur pour sa part). La même incapacité à se soustraire à leurs obsessions.
Shame est un film d’ambiance, sombre, glauque même par moments, exigeant mais viscéralement attirant. Les comédiens y sont très certainement pour beaucoup. Un film qu’on ne peut pas vraiment « aimer » au sens premier du terme je pense, mais dont l’aura dégage quelque chose d’interpellant. Et en poussant la réflexion un peu plus en profondeur, c’est un film qui nous parle aussi un peu de nous-mêmes et de ce que nos existences peuvent avoir de part d’ombre. Un film à ne pas mettre devant tous les yeux et encore moins dans n’importe quelles conditions, mais un film à voir cependant.
* Je n’ai pas parlé de ce film sur le blog, comme certains autres du reste, car je l’ai vu à une période de l’année où j’avais bien du mal à aligner trois mots suffisamment intéressants pour essayer d’en tirer un article digne de ce nom. Je le considère cependant comme l’un de mes préférés sur l’année, et sans hésiter comme le meilleur film de super-héros de 2011.
** Cherchez l’intrus. C’est pas compliqué : homonyme d’un gardien de but et d’un pilote de F1, tous deux teutons. Ils partagent tous les trois un amour infini pour la finesse et le bon goût.