J’ai pris pour habitude de ne plus prendre pour argent comptant ce qu’on nous montre dans les bandes annonces de films. Trop souvent on n’y voit que les meilleurs morceaux, ou surtout quand il s’agit d’une comédie les extraits les plus drôles, et puis le reste du film ne s’avère pas à la hauteur. C’est donc curieux mais avec cette retenue en tête que je suis allé voir Les Petits Mouchoirs de Guillaume Canet (qui se contente de réaliser mais n’y joue pas). Parce que justement, la bande annonce de ce film m’avait beaucoup plu. Les risques étaient donc d’autant plus grands d’être déçu du résultat final. Eh bien j’avais tout faux, et je suis bien content que ce film m’ait fait mentir et soit venu battre en brèche mon a priori négatif sur les bandes annonces trop alléchantes.
Parce que le film est bon. Très bon même.
L’histoire met en scène un groupe d’amis, la plupart trentenaires, certains célibataires endurcis, certains mariés, d’autres entre deux histoires d’amour. Tout commence avec l’accident de la route de l’un d’entre eux, Ludo (Jean Dujardin), juste avant leurs traditionnelles vacances en groupe au bord de la mer. Bien que très atteints par ce qui arrive à Ludo, ses amis décident de partir malgré tout pour quelques jours, invités comme d’habitude dans la maison de vacances de Max (François Cluzet), l’aîné de la troupe et celui qui est aussi matériellement l’un des plus aisés. Il y a dans ce groupe hétéroclite Vincent (Benoît Magimel), un kiné père de famille qui traverse un bouleversement sentimental qui le ronge et menace de remettre en question toute sa vie, Marie (Marion Cotillard) la fille indépendante et un peu garçon manqué dont tous les mecs sont plus ou moins amoureux, Éric (Gilles Lellouche) le comédien qui n’arrive pas à percer mais collectionne les aventures, Antoine (Laurent Lafitte) le lourdingue un peu paumé depuis que sa nana l’a quitté (Anne Marivin dans le rôle de Juliette), et les femmes de Max et Vincent (Valérie Bonneton et Pascale Arbillot) parfaitement intégrées à ce groupe de potes.
Durant leurs vacances, les états d’âmes des uns et des autres vont prendre le pas sur la bonne entente générale. Les secrets, les mensonges, les non-dits, les culpabilités, les regrets, les tensions vont resurgir et remettre en question leur amitié.
Voilà le résumé l’indique clairement : c’est un film de potes. Le thème principal sont les relations humaines de toutes sortes au sein d’un groupe qui existe depuis longtemps, depuis l’amitié jusqu’à l’amour, en passant par le sexe et la tendresse. Un film sur des potes, fait visiblement par des potes. En tout cas l’ambiance que reflète le film transpire tellement de l’écran qu’on ne peut pas s’imaginer que dans la vie, ces hommes et ses femmes ne soient pas réellement amis. Et c’est quasiment inévitable pour un film de potes, on tient là aussi un film générationnel. Je pense sincèrement que Les Petits Mouchoirs parlera et touchera immanquablement quiconque a aujourd’hui entre 30 et 45 ans. Ou alors vous n’avez pas d’amis et vous avez vécu dans une autre dimension les gars, c’est pas possible autrement. Les références, les discussions, l’ambiance générale mi-adulte mi-ado, les dialogues, l’humour, tout ancre profondément le film dans ce creuset générationnel. Pour ma part j’ai retrouvé des tonnes de clins d’œil et de références à ma propre vie, à ma propre expérience de l’amitié, de l’existence. Et comme je fonctionne énormément à l’identification en ce qui concerne le cinéma, j’ai été happé par le film. Intégré directement au sein du groupe. C’est exactement comme si j’en avais fait partie tant tout cela m’a paru normal, spontané, naturel et proche de ce que je connais ou ai pu connaître.
Autant dire que si le film m’a plu, c’est justement parce qu’il m’a parlé de choses et de situations familières. J’ai retrouvé un esprit que je connaissais, un humour que j’aime et que j’essaie de pratiquer, une tendresse particulière dans les relations amicales où l’on se charrie autant qu’on s’aime. Certainement aussi fais-je encore partie de cette génération qui a du mal à se départir de l’idée belle et un peu naïve que l’amitié est l’une des valeurs supérieures dans la vie. Et Guillaume Canet parle de tout cela dans son film avec un tel talent, un tel naturel et une telle sincérité que moi j’ai été conquis dès le départ. D’ailleurs c’est bien simple, malgré les 2h30 du métrage, j’étais tout étonné à la fin du film tant le temps m’avait semblé court, je pensais qu’il restait encore au moins une bonne demi-heure alors que c’était déjà terminé…
Si le film a une force principale, au-delà du scénario, au-delà de l’humour et du ton mi-potache mi-dramatique, c’est son casting.
Canet s’appuie sur une brochette de comédiens exceptionnels, tous portés par leurs rôles. Et là encore le phénomène de groupe agit. La qualité du film va bien au-delà de la somme des talents individuels des acteurs. Comme si chacun tirait et poussait l’autre vers le haut. Ça se complète, ça s’émule, ça se bonnifie.
Si je ne devais parler que de l’un d’eux, je serais obligé de citer François Cluzet, complètement halluciné et hallucinant dans le rôle du type qui veut tout contrôler et qui ne maîtrise rien. Que ce soit à la chasse à la fouine, en bateau envasé, ou en gestionnaire de pelouse il est à mourir de rire. Et sa relation avec le personnage de Benoît Magimel (excellent lui aussi en parfait équilibriste entre drame personnel et ridicule fleur bleue) est un des sommets du film.
Comme je le disais plus haut, tous les comédiens sont très bons, mais il me faut rendre hommage à Marion Cotillard. Pas plus tard que dans mon billet sur Inception, je disais que je n’apprécie que très peu cette actrice, tout particulièrement parce que dans tous ses films je vois « Marion Cotillard qui joue » plutôt que le personnage qu’elle interprète. Mais dans Les Petits Mouchoirs, elle m’a stupéfait. Dans le rôle de Marie elle d’une justesse et d’une sensibilité vraiment remarquables. Deux scènes bien précises la mettant en avant me reviennent en tête, et les deux m’ont beaucoup marqué au cours du film. La première c’est une virée en mer durant laquelle chacun à tour de rôle s’accroche à une bouée géante tirée par le bateau. Évidemment quand c’est le tour de la fille du groupe d’y aller, les mecs aux commandes mettent le paquet et la brinqueballent dans tous les sens. Marie se met alors dans une colère noire, hurlant, criant, insultant ses amis, prête à en venir aux mains, elle leur en veut clairement à mort. J’avais rarement vu quelqu’un jouer la colère avec autant de persuasion ! La seconde scène est beaucoup plus intimiste. Marie est dans sa chambre le soir, Éric la rejoint, prend place à côté d’elle sur le lit, lui ôte délicatement la cigarette de sa bouche, et lui pose une main sur le ventre. À ce moment elle fond en larmes, toute la scène se déroulant sans que le moindre mot ne soit prononcé. C’est simple, c’est très fort et ça m’a vraiment touché tant on ressent toute la douleur et la détresse de Marie à travers le jeu de Marion Cotillard. Donc voilà je lui dois bien ça après avoir mis son talent en doute par ailleurs, je le dis officiellement, Marion Cotillard sait jouer la comédie et elle est même sacrément douée la bougresse.
Bref, je cite ces quelques passages du film, mais en vérité j’aurais pu en citer encore beaucoup d’autres. La fin en particulier m’aura rappelé un certain nombre de souvenirs enfouis depuis longtemps, non sans me tirer une petite larmichette au passage.
Et puis je me permets une autre petite digression sous la forme d’un conseil : si vous avez aimé Les Petits Mouchoirs, jetez un œil sur la BD Petites Éclipses à laquelle le film m’a furieusement fait penser. C’est de Jim et Fane, c’est un roman graphique à la fois drôle et sensible et qui parle lui aussi d’un groupe d’amis de longue date qui partent en vacances ensemble. Et pour les connaisseurs ne vous fiez pas aux noms des auteurs (Jim scénarise entre autres des BDs "d'humour" comme Tous les défauts des filles, des mecs, etc..., Fane a dessiné la Joe Bar Team), car cette BD n’a strictement rien à voir avec leurs registres habituels. Fin de la digression phylactérienne.
J’en reviens donc à ce que je voulais vous dire du film de Guillaume Canet : Les Petits Mouchoirs c’est excellent, allez le voir !!!