Nouveau film de Bertrand Blier, Le Bruit des Glaçons a fait parler de lui sur bien des points.
D’abord parce que c’est son retour derrière la caméra après cinq années d’absence des salles de cinéma. Blier, parfois légèrement surestimé à mon avis, c’est tout de même le type qui a réalisé Les Valseuses, Tenue de Soirée ou encore Trop Belle Pour Toi. Un réalisateur à l’habit anticonformiste marqué. Un type qui a côtoyé les plus grands du cinéma français, des grands anciens comme Georges Lautner, des icônes comme Patrick Dewaere ou Jean-Pierre Marielle, des stars comme Gérard Depardieu, et je ne parle même pas de l’héritage paternel du génialissime Bernard Blier. Bref, dans le paysage cinématographique français, Bertrand Blier est quelqu’un qui compte.
Ensuite parce que pour son nouveau long métrage, Blier réunit deux poids lourds de l’humour, aux styles pourtant très différents, Jean Dujardin abonné aux rôles de beaux gosses un peu cons et frimeurs (OSS 117, Un Gars Une Fille, Brice de Nice) et Albert Dupontel à l’humour grinçant du sale gosse qu’on laisse tout faire parce qu’il est brillant (Bernie, Enfermés Dehors, Le Créateur). La confrontation promettait d’être intéressante.
Enfin parce que le thème lui-même du film de Blier a fait controverse. Je vous en fais un rapide résumé.
Charles (Jean Dujardin) est un écrivain à succès. Cet ancien prix Goncourt n’écrit plus une ligne depuis des années. Sa femme Carole (Audrey Dana) l’a quitté, elle est partie avec son fils. Il vit dans sa propriété de campagne, avec sa dévouée servante Louisa (Anne Alvaro) et la langoureuse Evguenia (Christa Theret), belle plante qu’il entretient pour noyer son chagrin. Mais sa plus fidèle compagne est sa bouteille de vin blanc dont il ne se départit jamais, la traînant avec lui du matin au soir dans un seau rempli de glaçons… Mais un jour, un homme à la dégaine bizarre vient sonner à la porte de Charles. Il se présente : il est son Cancer (Albert Dupontel), et désire faire connaissance avec lui. Ce visiteur étrange, engoncé quelque part entre fausse politesse et cruauté glaçante, est bien résolu à s’incruster dans sa vie.
Voici donc pour le postulat de départ, plutôt original et inédit, on en conviendra. Casse-gueule aussi, parce que faire un film d’un sujet aussi ardu n’est pas chose aisée. Blier parle de mort, et l’aborde par un biais difficile : le cancer. Cette fichue maladie qui fait peur, qui fait horreur, et dont on préfère ne pas parler de crainte de l’attirer… et bien Blier lui a choisi de la mettre en scène, de la rendre burlesque et de s’en moquer. Si l’humour est noir, c’est bien plus encore dans la mise en situation que dans les dialogues.
Forcément, en adoptant cette posture, Blier perdra l’adhésion d’un certain nombre de ses spectateurs, et je peux tout à fait le comprendre, tout le monde n’a pas envie de voir un tel spectacle. D’autres ne sont pas armés pour cela. Et je ne parle pas de ceux pour qui le cancer a été une réalité froide, et qui ne peuvent tout simplement pas accepter l’idée de le voir traité d’une façon burlesque.
Sans compter également, sur la forme de son histoire. Des personnages caricaturaux et extrêmes, des situations improbables, une logique malmenée de bout en bout : Blier ne nous livre pas un film en fait, mais une fable, un conte moderne qui aura gardé la noirceur d’un conte de Perrault mais en aura perdu l’aspect merveilleux. Le film navigue en eaux troubles, le message est parfois opaque car on ne comprend pas toujours où le cinéaste veut nous mener. D’autant que non content de mettre en scène Albert Dupontel et Myriam Boyer en personnifications perverses de tumeurs malignes, Blier colle par-dessus tout cela une histoire d’amour un peu glauque et pas vraiment glamour, en la personne de Louisa la servante secrètement éprise de l’écrivain ivrogne. De là à placer l’amour comme seul recours à la maladie il n’y a qu’un pas symbolique que Blier semble vouloir franchir. Irait-il jusqu’à dire qu’il n’y a qu’une femme pour sauver un homme ? C’est peut-être un poil exagéré de prêter cette intention à un réalisateur en d’autres temps attaqué pour machisme voire misogynie (avec les deux héros des Valseuses en témoins de l’accusation). Mais l’idée semble flotter dans l’air…
En fait je suis bien ennuyé au moment de donner mon avis sur Le Bruit des Glaçons. Par bien des aspects le film est inclassable, même en termes basiques de « bon » ou « mauvais ». C’est très théâtral, et son côté fable coupe le film d’un réalisme auquel on essaie pourtant de se raccrocher pour ne pas trop perdre nos repères de spectateurs. En même temps, si Blier avait mis la pédale douce là-dessus, il sciait de fait la branche sur laquelle reposait son script. On ne peut pas reprocher à un film de manquer de réalisme si on accepte au départ qu’un homme puisse discuter le bout de gras avec un mec qui incarne son cancer. Bref c’est déroutant, mais c’est le postulat de départ qui le veut. Les dialogues aussi abritent un étrange paradoxe. Les échanges entre Dupontel et Dujardin sont savoureux, ça s’invective, ça se dispute, ça essaie de jouer au plus malin, en somme c’est plutôt bien écrit. Bien écrit mais pourtant ça sonne parfois faux. Comme quand on lit un bouquin trop bien écrit à voix haute. Bien écrit mais « trop » écrit, c’est peut-être ce qu’on pourrait reprocher aux textes. Les mots sont beaux, les phrases bien trouvées, c’est juste que l’on se voit mal parler ainsi dans la réalité…
J’ai un peu lu les critiques du film ça et là sur internet. Évidemment on y trouve de tout, mais la plupart du temps les critiques professionnelles sont assez positives en ce qui concerne le retour de Blier derrière la caméra. Et il y a aussi de très nombreux témoignages de spectateurs qui ont détesté le film, jugé trop dérangeant, trop décalé. J’avoue que ça me semble assez logique finalement, que les détracteurs s’expriment plus que les autres. Parce qu’il est facile d’expliquer tout ce qu’on n’a pas aimé dans ce film et pourquoi, bien moins d’arriver à saisir tout ce qui plaît malgré tout. Pour moi Le Bruit des Glaçons n’est pas un mauvais film, et pourtant je ne sais pas vraiment comment le défendre, je ne sais même pas si j’aurais vraiment envie de le revoir. Le film de Blier est perturbant, aucun doute là-dessus.
S’il est un point qui ne souffre pas de discussion à mon sens, c’est la qualité de l’interprétation. Qu’on n’aime peut-être pas les personnages est possible, mais les comédiens les interprètent à la perfection. Dujardin à ce titre m’a plutôt étonné, car c’est lui qui a le rôle le plus difficile je pense. Dupontel en cancer mauvais et teigneux, j’allais dire que ça coule presque de source (et ça n’est en rien méchant, bien au contraire j’adore ce type). Celui qui avait plus à perdre dans l’affaire c’était Dujardin. À force de jouer au con dans ses films, ça devient coton de jouer un rôle plus sérieux, surtout dans un film qui lui à un traitement burlesque. Pourtant Dujardin tire son épingle du jeu, il parvient à rester crédible dans le rôle malgré certaines scènes limites. Il n’aurait pas fallu grand-chose pour qu’il tombe dans le ridicule à l’une ou l’autre reprise, sa performance d’équilibriste mérite donc d’être soulignée. Quant à Anne Alvaro, là on est dans un autre registre. C’est simple je ne l’imagine même pas autrement dans la vie que comme elle apparaît à l’écran (ce qui si cela s’avérait vrai serait un sort bien peu enviable) tant elle est dans le rôle.
Alors quoi faire ? Vous conseiller d’aller voir le film ou non ? Franchement je n’en ai aucune idée encore maintenant que j’écris ces mots. J’ai d’ailleurs failli laissé tomber l’idée de chroniquer ce film tant je suis dans l’incapacité de me prononcer là-dessus.
Disons que si le thème ne vous rebute pas, si vous n’avez pas peur d’entrer dans une fable aux accents incommodes (rien à voir avec un Burton par exemple), si vous avez un faible pour Dupontel comme moi, si vous êtes curieux de nature, essayez ce film. Mais je décline toute responsabilité si vous deviez le détester !!