Dans Mon chien Stupide, John Fante, auteur américain d’origine italienne (1909-1983), nous invite à suivre Henry Bandini, un quinquagénaire vivant sur la côte ouest des Etats-Unis avec sa femme et leurs quatre enfants. Bandini est un avatar littéraire de Fante, ce qui permet à l’auteur de larges passages à inspiration autobiographique, notamment quand il fait de son personnage principal un écrivain qui pour survivre de sa plume se commet dans des commandes de scénarios plus indigents les uns que les autres pour la sacro-sainte Hollywood. Bandini désespère de devoir sans cesse choisir entre l’opulence des studios de cinéma qui le paient bien pour un travail de piètre qualité, sans envergure et sans ambition, et le vrai métier d’écrivain, qui flatterait son ego et sa dignité mais le plongerait aussi dans des ennuis financiers que son train de vie ne lui permet pas d’assumer. Vivre confortablement en se dévalorisant, ou devenir pauvre et artiste maudit…
Bandini, 50 ans passés, a depuis longtemps choisi. Il ne veut pas être pauvre, et il a une famille aux besoins de laquelle il doit subvenir. Mais parfois sa conscience le rattrape, et face à des enfants qu’il considère comme bien ingrats au vu de tout ce qu’il a sacrifié pour eux, Henry Bandini s’est forgé un caractère de bougon, de grande gueule, de père façon vieille école. Détaché de tout, seul contre tous, Bandini a cependant un faible pour les chiens. Attention, pas n’importe lesquels : ceux qui ont du caractère, ceux qui ont de la classe, ceux qui en imposent. Au point de faire passer son chien avant tout le reste, à vivre par procuration à travers lui. D’ailleurs depuis la mort de son dernier animal, il a promis à sa femme de ne plus prendre de chien…
Mais un beau jour, c’est un chien immense, dont on a du mal à déterminer précisément la race, qui vient d’on ne sait où, s’invite sur la pelouse familiale et élit domicile chez les Bandini. Aussi imposant que placide, le chien en question séduit Henry et c’est son plus jeune fils qui le baptise Stupide, en rapport à son caractère quelque peu particulier et imprévisible…
L’arrivée de Stupide dans la famille ne sera pas sans créer quelques remous et mettre du sel dans une existence que le héros avait de plus en plus de mal à supporter.
Voilà un petit bouquin sympathique, vite lu (150 pages environ en format poche), écrit sur un ton sarcastique et totalement empreint d’une ambiance « USA des années 70 » (pur ressenti : je n’ai aucune idée de quand Fante a écrit cette histoire). À travers son personnage d’écrivain raté, John Fante aborde les sujets de la famille et du couple après des années de mariage, du métier d’écrivain, du quotidien qui achève nos ambitions, de l’incompréhension entre les générations, du statut de parents vieillissants qui voient leurs enfants quitter le foyer. Et il nous offre également une vision de l’Amérique à l’ancienne, avec ses relents de racisme, ses communautés, ses valeurs, ses épreuves de force… Le tout est servi avec un humour grinçant et soutenu par un chien qui porte parfaitement son nom. Par bien des aspects il fait ce que son maître rêve de faire depuis toujours : ce que bon lui semble en se fichant des reproches comme de l’an quarante.
Sans en retirer une quelconque morale, sans imposer une vision de ce qui est normal ou non, cette courte histoire ressemble plutôt à une sorte d’immense constat, le constat de la vie d’un homme qui n’est ni particulièrement sympa ni particulièrement mauvais non plus. Pathétique parfois. Touchant par moment. Souvent drôle.
C’est très loin d’être une lecture indispensable, mais Mon chien Stupide m’aura fait passer un bon moment malgré tout.