La maison ressemble à un nid douillet, perdue quelque part au bout du monde.
Précédée de deux autres demeures coquettes et des installations d’un éleveur de brebis, elle est à l’extrémité du hameau du Ressegayre, à l’écart de Cazals, petit village rural du Lot.
Il est 17h00, le soleil a brillé toute la journée sans discontinuer. Il fait chaud mais pas étouffant, un brin d’air est charrié par une brise discrète mais infiniment agréable.
Je descends au rez-de-chaussée, j’ouvre la porte-vitrée et le volet, me voilà sur la terrasse à deux pas du gazon. Une haie de vignes grimpantes sous laquelle on peut s’abriter, quelques fleurs, deux arbres fruitiers bourgeonnants, et au-delà c’est l’étendue verte. Où que l’on dirige son regard, c’est cette couleur qui englobe tout.
D’abord la prairie parsemée de châtaigniers encore nus et de brebis paissant paresseusement, lâchant de temps à autre un « bêêêêh », plus pour la forme que par réelle conviction. Puis la forêt qui est comme une symphonie de vert. Il y a les chênes en grand nombre, d’un vert clair et doux au regard. De rares et solennels peupliers disputent le statut de minorité oppressée à quelques épineux d’un vert sombre qui obscurcissent par leur couleur et leur épaisseur le sous-bois. Et seul contre tous, à la lisière de la forêt, un majestueux saule pleureur semble hésiter entre la solitude de la prairie et la compagnie du reste de ses congénères du peuple arboré.
Je m’assieds sur une chaise de jardin, face à la prairie, sous l’œil tout juste distrait des brebis trop occupées à ne rien faire.
Défait de mes chaussures qui m’ont pesé toute la journée et de ma chemise devenue inutile, je laisse le soleil de fin de journée darder ses doux rayons sur ma peau. Les caresses du vent et la chaleur réconfortante du soleil se succèdent tour à tour. Je n’ai pas chaud, je n’ai pas froid. Je suis bien.
Alors que je suis plongé dans la lecture de mon roman, je stoppe un instant pour me concentrer sur ce qui se passe autour de moi. Dans les châtaigniers et les haies, les oiseaux sont les rois. Je reconnais les piaillements et l’agitation des moineaux, ils sont ici comme partout ailleurs : intenables. Les mésanges sont là aussi, moins nerveuses que leurs collègues à robe brune, et au chant plus mélodieux. Quelques gros merles font la loi, ils ont l’air jeunes, leur robe n’est pas encore noire.
Au loin j’entends avec une régularité de métronome le « tacatacatac » distinctif d’un pic qui s’acharne sur un tronc, histoire d’y déloger son dîner. Car déjà le soleil baisse vers l’horion découpé par les collines.
Le berger arrive. Abby, la petite chienne caniche saute dans tous les sens en aboyant, son caractère joyeux tranchant avec le sérieux de ses trois compagnons noirs et blancs. Trois shetlands, ces chiens de bergers à l’allure fine, se déploient dans le pré mais force est d’avouer que malgré leur enthousiasme et leur professionnalisme, ils n’ont pas grand-chose à faire. Les brebis ont commencé à se regrouper vers la grille, prêtes à se rendre à la bergerie. Les bêlements redoublent, l’apathie des ovidés ayant fait place en un instant à un bel empressement de rentrer chez eux.
Le soleil devient rasant alors qu’un somptueux flambée virevolte sans vouloir se poser dans le jardin. Puis c’est un sphinx qui apparaît et se met en stationnaire à proximité du pavé de fleurs. J’attrape mon appareil photo et m’approche sans geste brusque pour tenter d’immortaliser son vol pendant qu’il butine. Peine perdue. Le papillon décide d’aller voir ailleurs si je n’y suis pas, n’appréciant visiblement pas d’être observé alors qu’il prend son repas. Revenant m’asseoir, je continue ma lecture interrompue. Les lignes s’enchaînent, les pages passent, je ne vois pas le temps passer. Déjà le soleil n’est plus là, mais la température reste agréable et la luminosité bien suffisante.
Dans la forêt, quelque part loin devant moi, un cerf rée. Un cri de gorge puissant et répété à trois reprises. Attend-il une réponse ou indique-t-il simplement sa présence à quelques douces biches avant la nuit ? Je ne sais, mais son cri est comme le signal à tous que la nuit va tomber et qu’il devient ce-faisant et pour toute sa durée, le seul maître des lieux.
Derrière moi une fenêtre s’ouvre, j’entends la voix de Marc. Je crois qu’il a faim…