Il m’arrive souvent de faire un tour dans les rayons dvd de grands magasins, et de laisser mon regard vagabonder de jaquette en jaquette, pour parfois me laisser accrocher par l’une d’entre elles. Par un titre, une image, un design, une compo graphique, un thème, un nom d’acteur… je ne parle pas des blockbusters hollywoodiens, des films avec un budget promotion équivalant au budget total de films plus modestes. Je parle de trucs moins connus, de séries B, voire Z, de films indépendants, pour la plupart d’entre eux des direct-to-video. Et de temps à autres, je me laisse tenter par quelque chose qui m’inspire.
J’avais donc vu le dvd des 7 jours du Talion et ça m’avait intrigué. Imaginez : film québécois, pas un nom connu à l’affiche, jaquette rose sale et thème trash.
En effet, l’histoire ne fait pas dans la dentelle. Une petite fille est enlevée sur le chemin de l’école. Elle est retrouvée peu après morte, son corps ayant subi des sévices sexuels évidents. Le coupable (Martin Dubreuil) est assez vite arrêté, le pédophile assassin n’en est pas à sa première victime. Fou de chagrin et de douleur, le père (Claude Legault) de la petite fille, chirurgien de profession, décide d’agir et de se venger. Il parvient à enlever le meurtrier de sa fille pendant son transfert et l’emmène dans un coin perdu qu’il a préparé à cet effet. Son projet est de le garder vivant sept jours durant lesquels il va le torturer pour l’achever le jour de l’anniversaire de son enfant avant de lui-même se rendre aux forces de l’ordre. L’inspecteur chargé de l’enquête (Rémy Girard), bien qu’ayant connu un deuil assez similaire quelques mois auparavant (sa femme a été abattue à bout portant lors d’un braquage, et le policier se passe en boucle la vidéo de la caméra de surveillance du magasin jour après jour), va tout mettre en oeuvre pour retrouver le médecin avant que celui-ci ne commette l’irréparable.
Ce film est d’une dureté et d’une froideur assez poussées. Adapté du roman de Patrick Senécal, il traite de la vengeance et nous pousse à réfléchir à la portée de ce sentiment si humain et animal à la fois. Et pour ce faire, le réalisateur Daniel Grou nous plonge dans une ambiance glaçante, bannissant toute musique du film, restant au plus proche de la douleur d’un homme a priori normal qui va libérer une rage et une haine sans limite dans la réalisation de sa vindicte. Cependant on est loin, très loin de l’apologie de la vengeance, de l’œil pour œil, de la violence, et c’est ce qui fait de ce film un objet à la fois traumatisant et extrêmement intéressant, car il met le spectateur en face de ses propres démons. On ne peut s’empêcher de s’identifier au père qui perd son enfant. On ressent sa douleur intense, les images de sa fille retrouvée dans un terrain vague vous soulevant le cœur. On ressent sa rage face à l’assassin qui affiche en plus de cela une suffisance insupportable, et qui n’exprime pas le moindre remord pour ses actes. On a envie que ce type horrible ait mal, et on est pris soi-même dans la spirale de la vengeance. On la comprend, on la justifie, on la trouve normale. En tout cas dans sa théorie, mais dès lors qu’on entre dans son expression physique, traitée à l’écran de façon crue et sans concession, les choses évoluent, on se remet en question. Le film a ceci de subtilement humain qu’il ne prend pas formellement position, il montre les choses froidement et laisse à chacun le soin de juger, de mesurer ses propres limites dans la colère, dans la violence, dans la barbarie. Car pour moi c’est ainsi que je l’ai ressenti ce film. On bascule à un moment donné dans un monde de barbarie pure, où l’on finit par se demander si la vengeance qu’on cautionnait au départ suffit encore à justifier des actes d’une violence et d’une perversion extrême. Bien qu’après coup on devine la position morale du réalisateur, celui-ci a la pudeur et l’intelligence de laisser chacun faire son propre chemin, sa propre réflexion, et surtout son propre jugement. Il n’y a pas de morale imposée à la fin, de réponse claire au problème, il n’y a que des actes, leurs conséquences crues et le traumatisme qu’engendre de telles situations. À chacun d’y trouver sa propre place, son propre positionnement.
Oubliez le traitement habituel réservé aux actes de vengeances comme on peut souvent en voir dans le cinéma américain. Ici on n’est pas face à un Inspecteur Harry, un Paul Kersey ou un Franck Castle d’opérette. Le crime est horrible, la vengeance l’est tout autant et la question est : ce tueur doit-il souffrir au-delà de toute limite ou non pour ce qu’il a fait ?
Le film est dur à regarder. En tout cas il l’a été pour moi. Pourtant la violence à l’écran ne m’a jamais fait peur, la bidoche, le sang, la torture, les images choc j’en ai bouffé. Mais là, ce ne sont pas les images qui m’ont heurté, c’est très clairement le climat psychologique. C’est ça qui m’a bousculé, mis très mal à l’aise et complètement lessivé. Est-ce parce que je suis papa aujourd’hui que les images de ce père qui retrouve le corps sans vie de son enfant m’a fait autant mal, je ne saurais pas le dire exactement, mais j’ai trouvé ces images d’une violence extrême. Et la douleur du père ne le quitte plus de tout le film. Même pendant les scènes de torture, même pendant l’exécution de sa vengeance, il est au bord de la rupture. Il ne parle jamais à l’assassin de son enfant, il reste parfaitement muet dès qu’il se retrouve en sa présence, ce qui rend le tout encore plus glaçant mais qui trahit également le talon d’Achille du persécuteur : parler à sa victime pourrait lui faire perdre sa conviction. En se taisant, en refusant d’entamer un dialogue il le garde à distance, lui refusant de le considérer comme un être humain. Car le père vengeur est médecin, il sauve des vies en temps normal, alors que là il détruit méthodiquement un corps, tout en prenant garde à bien le maintenir en vie et conscient. Plus le temps passe d’ailleurs, plus le médecin est obligé de s’abrutir d’alcool pour accomplir sa tâche, ce qui est bien entendu symptomatique de son dilemme intérieur.
Évidemment en regardant ce film, au-delà de l’aspect « torture », on ne peut s’empêcher de penser à la peine de mort également. On entend souvent dire que la peine de mort devrait être rétablie pour les assassins d’enfants par exemple, certainement l’un des crimes les plus affreux qui puisse exister, si tant est qu’on puisse hiérarchiser l’horreur. Là on est en plein dans le cas. L’auteur va même plus loin, puisque l’un des arguments phares des anti-peine capitale est évacué d’entrée de jeu : la culpabilité de l’accusé ne fait aucun doute. C’est son sperme qu’on a retrouvé sur l’enfant violée. Et il revendique lui-même ses actes, allant jusqu’à s’en vanter en les racontant, provoquant encore un peu plus notre dégoût. Bref, l’ignominie est avérée et montrée, le coupable est un monstre, … dès lors les choses sont moins simples qu’elles n’y paraissent. Moi qui suis opposé par principe à la peine de mort, j’ai pourtant ressenti et compris le désir de vengeance du père de l’enfant (en ce sens, l’objectif du réalisateur a été parfaitement atteint je pense). Entre la théorie qui concerne les autres et le cas pratique qui vous touche vous, on est bien obligé d’admettre que les conclusions varient, les sentiments l’emportent souvent sur la réflexion. C’est ce que ce film met en lumière. Et ça ne laisse pas intact.
Pour être franc, je ne crois pas qu’on puisse dire des 7 jours du Talion qu’on aime ce film. Parce qu’il remue et qu’il dérange pour peu qu’on y réfléchisse cinq minutes. Mais c’est un vrai bon film, c’est indiscutable. Cependant je le déconseille fortement aux âmes sensibles, certaines images, mais surtout certaines situations sont vraiment difficiles à supporter. C’est un film intéressant mais exigeant. Et puis un dernier conseil si vous voulez vous y frotter : ne le visionnez pas en version originale. J’ai testé après l’avoir vu en version française, et je dois dire que l’accent québécois n’est pas indiqué du tout pour un français qui veut voir ce film. D’abord on pige à peine la moitié de ce qui se dit, mais surtout ça sabre une partie de l’effet dramatique. C’est très con je sais bien, mais l’accent québécois a trop souvent pour le français moyen (dont je suis) une connotation involontairement comique qui ne sied pas du tout à ce type de film.
À voir donc, si vous avez le cœur bien accroché et si vous avez envie de réfléchir à ce genre de questions morales. À éviter si vous n’avez pas le moral !