Voici un roman pour le moins original. Enfin non, original n’est pas l’adjectif le mieux approprié, je dirais plutôt singulier. Sur de nombreux points, à commencer par son origine.
Titrer un livre Le Livre sans nom c’est déjà assez judicieux. Quand en plus il est écrit par un auteur qui se nomme Anonyme cela épice la chose. Et quand le titre du roman est aussi le titre d’un ouvrage autour duquel toute l’histoire tourne, ça devient très malin.
Diffusé au départ sur internet, le script va vite éveiller l’intérêt d’un éditeur britannique qui aura la bonne idée de le publier. Très bonne inspiration même, puisque l’ouvrage va rapidement cartonner et devenir un best-seller dans de nombreux pays. Depuis d’ailleurs, ce Livre sans nom aura connu déjà trois suites, toujours sous couvert d’anonymat pour son auteur. Un Anonyme qui attise les curiosités du reste, sur le net les passions se déchaînent et les hypothèses vont bon train : de David Bowie au Prince Charles (va comprendre Charles !), on aura collé la paternité de cette tétralogie à bien des personnalités. Celui venant en tête des paris étant ni plus ni moins que le pape du cinéma de genre, Quentin Tarantino himself. Et il faut bien l’avouer, si concordances on devait chercher avec d’autres œuvres du même acabit, c’est bien du style de Quentin Tarantino qu’on se rapprocherait le plus.
Jugez plutôt. L’action prend place de nos jours à Santa Mondega, ville d’Amérique du Sud où règnent la pègre et la corruption, ambiance western. Sa réputation est telle qu’elle est reconnue comme la ville la plus dangereuse au monde. Un homme encapuchonné entre dans un bar, le Tapioca. Il commande un bourbon et la tuerie commence. Le seul rescapé du bar, sera Sanchez le patron. Dans toute la ville, il fera pas moins de 300 victimes ce jour-là. La légende du Bourbon Kid est née. Cinq ans plus tard, Santa Mondega est le lieu de convergence de plusieurs personnages hauts en couleurs, tous à la recherche d’une pierre précieuse au pouvoir immense, l’œil-de-la-lune. Il y a tout d’abord Kyle et Peto, deux jeunes moines à mi-chemin entre moines shaolin et chevaliers Jedi, experts en arts martiaux mais qui quittent pour la première fois l’île de leur monastère et découvrent la civilisation. Il y a le chasseur de primes Jefe qui ramène la pierre à son patron El Santino, parrain de la mafia locale et soupçonné d’être le diable en personne. Il y a Elvis, tueur à gages et sosie du King. Il y a Marcus la Fouine, voleur de son état, Dante et Kacy, les Bonnie and Clyde des bacs à sables, Rodeo Rex l’invincible, lutteur façon Undertaker et tueur à gages du Tout-Puissant comme il aime à se surnommer. Il y a Jessica, rare survivante de la folie meurtrière du Bourbon Kid, qui a survécu à la fusillade malgré les 32 balles qu’elle a prises et qui l’ont plongée dans un profond coma de cinq années et dont elle sort enfin, mais devenue amnésique. Et il y a aussi Miles Jensen, enquêteur spécialisé dans les affaires paranormales en duo avec Somers le parano, flic le plus détesté et solitaire de la ville, que leurs investigations vont mener à un mystérieux Livre sans nom qui serait en lien avec le Bourbon Kid.
Ajoutez par-dessus : des vampires, des arts martiaux, du gore, des filles pas farouches, une cadillac jaune, une diseuse de bonne aventure, une éclipse totale de soleil, un tournoi de baston sur un ring, des flingues à gogo et un breuvage pas trop conseillé en guise de bienvenue au Tapioca. Mélangez. Secouez bien même parce que c’est un sacré gloubi-boulga mine de rien. Vous obtenez : le Livre sans nom.
Pas étonnant que ce bouquin soit attribué à Tarantino. Un tel mélange de genre y fait inévitablement penser. Western, intrigue policière, fantastique, action, surnaturel, gore, épouvante… sans compter que le tout est enrobé d’une dose d’humour salvatrice, une telle collision de genres ne pouvant pas se faire sans provoquer des scènes comiques. Et puis évidemment c’est référencé à l’extrême, au point que tout paraît ultra-cliché mais rappelle inévitablement des classiques de la pop culture : Jessica fait penser à Uma Thurman dans Kill Bill, Jensen n’est rien d’autre qu’un Fox Mulder black, le Bourbon Kid aurait les traits de Clint Eastwood en Homme sans nom que ça m’étonnerait pas une seconde, les moines karatékas lorgnent du côté du petit scarabée de Kung Fu, les vampires ont l’air tout droit sortis d’Une Nuit en Enfer de Robert Rodriguez (et avec Quentin Tarantino, comme par hasard), le livre maudit rappelle furieusement la K7 vidéo de Ring, etc, etc, etc…
Autre élément fort : les dialogues qui jonchent le récit sont un mélange de cynisme, de testostérone et de second degré bienvenu.
Le roman est saucissonné en 65 chapitres plutôt courts selon un schéma astucieux : chaque chapitre concerne un personnage en particulier et se termine sur une note de suspense dont on ne saura la suite que deux ou trois chapitres plus tard, quand le personnage sera à nouveau au centre d’un chapitre. Le paroxysme étant les rencontres entre personnages phares bien entendu.
Bref, tout cela est plutôt bien foutu faut l’admettre. Ça peut paraître fourre-tout comme roman, et pour tout dire, ça l’est ! Mais on ne s’y perd pas pour autant. C’est maîtrisé, c’est vif, et c’est surtout une narration hyper cinématographique dans les descriptions et le déroulement des actions. On frôle cependant à plus d’une reprise l’indigestion. En ce qui me concerne, les vampires étaient à la limite de faire basculer le livre dans le « définitivement trop c’est trop ». Mais on continue pourtant à lire, la mécanique d’écriture étant parfaitement rôdée pour parvenir à garder l’attention du lecteur malgré l’entrechoquement de concepts et de genres. Cela dit, je n’ai pas réussi à me sentir passionné par ce qui se passait. J’avais envie de connaître la suite, mais je n’étais pas happé dans le livre. Je crois que l’amoncellement de références, la volonté d’en donner toujours plus et la manière très pro dont c’est fait, qui donne presque parfois l’impression de voir l’écrivain au détour d’un paragraphe regarder le lecteur dans les yeux le temps de lui adresser un bon gros clin d’œil avant de recommencer à écrire, ont fait que j’ai gardé mes distances avec le roman. C’est à mes yeux un exercice de style intéressant et remarquablement bien mené, mais il lui manque … je ne sais pas, je dirais une âme. La référence pour la référence, la figure de style pour la figure de style, l’esbroufe pour l’esbroufe, sur plus de 400 pages ça finit par lasser un peu, même quand c’est bien fait.
Alors je ne regrette pas ma lecture, je pense même que je lirai au moins le second volet pour voir dans quelle direction part l’auteur, mais je ne peux pas dire que ce livre est la révolution littéraire que vantent de nombreuses critiques très positives que j’ai pu en lire sur le net. C’est trop poseur par moment, trop explicitement artificiel pour cela. Ce qui du reste, en fait un excellent divertissement pop et pas con, c’est le moins qu’on puisse lui concéder.