À Hollywood on est constamment à la recherche d’idées pour produire des films. De préférence des films qui rapportent du pognon. Mais comme on n’aime pas prendre de risque, et que c’est fatigant en plus, on a de plus en plus rarement le réflexe d’inventer. De créer. D’écrire. À la place, on adapte. Double-avantage : le matériel de base existe déjà et on peut ainsi piocher dans ce qui a déjà marché ailleurs et/ou sous une autre forme. C’est ainsi qu’on va chercher les best-sellers dans différents secteurs : les meilleurs romans qui se vendent le plus, les comics qui ont du succès (ou un succès potentiel), les séries télé qui ont cartonné sur petit écran, les films étrangers qui ont bien marché... tout cela est passé à la moulinette des grands studios et ressort un jour ou l’autre sous forme de films, si possible de blockbusters tant qu’à faire.
Poussant la logique toujours plus loin, chez Universal Studio on est allé chercher en dehors de ces sentiers battus et rebattus pour trouver le Graal, le sujet qui ratisse le plus large possible, le plus petit dénominateur commun, ce qui touche un maximum de gens, que tout le monde connaît et apprécie, un truc qui cause aux garçons comme aux filles, aux jeunes et aux plus vieux, aux riches et aux pauvres, aux occidentaux et aux orientaux, aux progressistes et aux conservateurs, aux carnivores et aux végétariens, aux rockers et aux rappeurs, aux croyants et aux athées, aux sportifs et aux intellos, aux baskets et aux chaussures à pompons... et on a trouvé. Bon sang mais c’était bien sûr : la bataille navale !
Oui. Qui ne connaît pas ce jeu ? Qui n’y a jamais joué ? Touché-Coulé.
On frôle l’universel là. Il doit bien y avoir un ou deux indiens d’Amazonie et trois papous qui y ont échappé, mais on s’en cogne puisque de toute façon ils ne vont pas au cinéma ces sauvages. Mais tous les autres, TOUS les autres connaissent et entrent donc dans le potentiel public-cible. Un jackpot virtuel. Je pense que le mec qui a eu cette brillante idée a dû gagner en récompense son poids en lingots d’or. D’ailleurs ça a vite donné d’autres idées : l’adaptation au cinéma du jeu du Monopoly est d’ores et déjà dans les tuyaux (et sous la houlette de Ridley Scott, excusez du peu). On attend avec impatience que quelqu’un s’attaque au jeu de l’oie et au jeu de cartes de la bataille...
On avait donc le sujet : adapter le jeu de la bataille navale au cinéma. Restait à broder une histoire autour, trouver un casting adapté et roulez jeunesse. Bon, une bataille navale, forcément ça lorgne vers le film d’action avec effets spéciaux, scènes de destruction etc, etc. C’est cool, ça plaît. Reste à voir qui seront les belligérants. Alors attend une seconde, on a dit qu’il ne fallait pas se mettre un public potentiel à dos. Les méchants seront donc... des extraterrestres ! Enfin, dans le cas présent il faudrait dire des extraaquatiques mais bon, on va pas aller compliquer un si beau concept. On a donc des extraterrestres contre... le reste du monde (mais surtout des ricains quand même, faut pas déconner non plus). Mais sur des bateaux. Ok jusque là on est bon.
Devant tant d’inventivité et de hardiesse je n’ai pas su résister, il a fallu que je voie de mes propres yeux le résultat : Battleship. Et je n’ai pas été déçu. Boudiou non. Permettez que je vous raconte ?
Bon alors ça se passe à Hawaï. Des scientifiques d’un chouette observatoire envoient des messages par ondes-radio via un satellite en direction d’un coin de l’espace où on a de l’espoir de trouver de la vie, et donc possiblement une civilisation extraterrestre... Le réalisateur Peter Berg (qui a également commis le Hancock avec Will Smith, mais aussi scénarisé The Losers et mis en scène il y a bien longtemps -en 1998- un film déjanté que j’avais bien aimé Very Bad Things) matérialise à l’écran ces ondes-radios par un beau rayon laser, mais c’est pas grave ça fait joli et on est pas à un partiel de sciences-physiques.
Revenons à Hawaï où on découvre le héros de cette histoire, Alex Hopper (interprété par le bovin Taylor Kitsch qu’on a pu entrapercevoir en Gambit dans X-Men Origins : Wolverine et plus récemment dans le rôle titre du plantage de l’année John Carter), une espèce d’ado attardé, doublé d’un bellâtre-parasite qui passe son temps à draguer et picoler. Une tête à claques dans toute sa splendeur en somme. C’est justement en adoptant une technique de drague bien particulière (le vol de burrito-poulet acrobatique dans une station essence) pour tenter de séduire la blonde et sculpturale Samantha (Brooklyn Decker dont on ne peut décemment nier le talent tant il déborde de son débardeur), que le pauvre abruti Alex va finir en zonzon pour le reste de la nuit. C’est son grand frère Stone (Alexander Skarsgård – galère à taper ses lettres å à la con), officier dans la marine qui va le sortir de là, lui passer un savon et l’obliger à s’engager dans l’US Navy. Hop, après des classes qui auront duré le temps d’un passage chez le coiffeur, voilà Alex qui se retrouve lui aussi officier avec un bel uniforme tout blanc, le muscle saillant et la peau bronzée. Non ce n’est pas un biopic des Village People, on est dans Battleship, suivez un peu bordel.
Ah j’oubliais ! il se trouve que la blondasse poumonnée au burrito-poulet n’a pas résisté au charme du blaireau de service et s’avère en plus être la fille du chef de toute la flotte pacifique de la Navy, l’amiral Shane (Liam Neeson qui fait également d’excellents films de temps en temps). Ah bah ça pour une coïncidence !
Bref, tout ce petit monde se retrouve pour le début d’une parade / démonstration navale qui va avoir lieu au large d’Hawaï où vont s’affronter pour de rire mais c’est sérieux quand même, dans des jeux à mi-chemin entre Intervilles et la Bataille Navale (ben oui tant qu’à faire), les flottes de divers pays (rappelez-vous le début de l’article -oui c’est déjà loin je sais- on a dit : les extraterrestres contre le reste du monde). Alex voudrait bien en profiter pour annoncer à l’amiral qu’il se tape qu’il désire épouser sa fille, mais un malencontreux incident, enfin pour être exact un coup de boule dans les chiottes sur la personne de l’officier japonais Nagata (Tadanobu Asano), va lui couper l’envie. En effet l’amiral qui en a plus que ras-le-bol des frasques de ce débile qui se la pète lui annonce qu’après les manœuvres il sera viré de la Navy. On comprend qu’Alex ne se sente pas trop de glisser dans la conversation qu’il l’appellera bientôt beau-papa. Autant éviter la Cour Martiale. Et de passer par-dessus le bastingage manu militari (parce que mine de rien, il est balèze l’amiral et il a moyen le sens de l’humour, il est même payé pour faire la gueule on dirait). Bref tout cela est bien mal engagé, mais c’est sans compter sur … les extraterrestres qui débarquent à l’improviste et s’invitent à la fête navale sans même ramener un truc à boire ou des chips, sans-gêne, genre les gars. Bah oui, finalement le rayon-laser-ondes-radios du début du film est arrivé à destination, parce que les scientifiques en chemises à fleurs de Hawaï mine de rien, ils avaient vachement bien calculé leur coup. On peut s’habiller cooldingue et viser juste hein, c’est pas incompatible.
Bon, pour tout dire c’est pas l’invasion de grande envergure non plus hein, il y a en tout et pour tout cinq vaisseaux qui arrivent sur notre planète, dont un visiblement piloté en état d’ivresse évident (c’était avant la loi sur les éthylotests obligatoires à bord) puisqu’il a réussi à traverser des millions d’années-lumière jusqu’à la Terre mais se prend lamentablement un ridicule satellite dans la gueule à quelques kilomètres de l’arrivée. Les pare-chocs aliens n’étant pas fameux, le vaisseau va se crasher quelque part sur Singapour ou Hong-Kong je ne me souviens plus très bien mais on s’en fiche c’est pas chez nous et ça fait de très chouettes scènes de destruction massive. Les quatre restants vont se poser dans la flotte (parce qu’ils font vaisseaux interstellaires ET paquebots un peu penchés sur le côté genre Costa Croisière), quelque part dans le Pacifique. Ah ben tiens, ça pouvait pas tomber mieux, au large d’Hawaï. En plein dans la zone réservée aux manœuvres internationales des Jeux Sans Frontières navales évoquées plus haut. Les trois plus proches navires vont donc voir de quoi il s’agit. Il se trouve qu’il y en a un commandé par Stone Hopper (le grand frère), un autre sur lequel est embarqué Alex Hopper (qui s’est vu signifier la fin de son CDD dès qu’il aura reposé pied à terre je vous le rappelle) et le troisième par Nagata l’empaffé qui avait bien cherché son coup de boule matinal faut quand même le souligner.
Évidemment on s’en doutera (enfin le spectateur, pas les marins faut croire), les extraterrestres ne sont pas venus nous compter fleurette, et les pauvres petits bateaux vont se faire laminer par leurs vaisseaux ultra sophistiqués. C’est ainsi que le navire de Stone se mange une salve de projectiles qui le pourfendent de haut en bas, l’envoyant par le fond en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. RIP Stone Hopper. De quoi fâcher tout rouge Alex, vous pensez bien. Par un étrange concours de circonstances (ce film est un gigantesque concours de circonstances en fait) sur son bateau à lui qui se fait pilonner aussi, il n’y a que l’officier commandant du navire et son second qui y passent laissant tout le reste en l’état et devinez qui se retrouve le plus haut gradé à bord du coup ? Ouais, le charlot qui avait les cheveux gras vingt minutes plus tôt au début du film. Rappelons que c’est un blaireau de classe internationale et un casse-cou bagarreur qui tape d’abord et réfléchit ensuite pas. Il décide donc devant l’évidente infériorité de son équipement face aux vaisseaux destructeurs aliens de… les attaquer de front. Un bourrin je vous dis.
Bon de toute façon les aliens ont aussi déployé une sorte de champ de force inviolable en forme de dôme d’énergie qui recouvre toute la zone environnante, les empêchant de se barrer et interdisant au reste de la flotte de l’amiral et à l’aviation de s’en mêler, tout en coupant les communications en plus de cela. Entre temps les japonais ont pris leur trempe eux aussi, et une bonne partie des marins de leur bateau se retrouvent à la flotte ou en canots de sauvetage (leurs ancêtres kamikazes ont dû se retourner dans leurs tombes quand cette bande de lopettes se sont baqués en voyant arriver les projectiles perforants ennemis, mais que voulez vous, le Japon n’est plus ce qu’il était). Finalement le promu commandant Alex décide qu’il mettra la tête au carré aux aliens plus tard, et porte son navire au secours des naufragés japonais. Du coup ce connard de Nagata (qui avait bien mérité son coup de boule l’ai-je déjà signalé ?) devient son meilleur ami (et certainement le seul aussi je pense). De leur côté, comme plus personne ne les attaque, les extraterrestres ne tirent plus non plus et laissent tomber l’affaire (gentlemen et fair-play les mecs, faut leur laisser ça).
Alex et Nagata vont donc s’associer à bord du navire restant, pas si déglingué finalement ça va, c’est juste le commandant de bord qui a tout pris je vous ai dit, pour mettre en place une stratégie qui va en remontrer aux aliens. Les aliens quant à eux ont d’autre chats à fouetter de toute manière, puisqu’ils ont pour but de se rendre à l’observatoire d’Hawaï pour faire passer un message à leur potes restés au bercail en se servant du rayon-laser-ondes-radios qui marche qu’une fois par jour (couverture satellite de merde c’est pas possible). Parce que oui, il faut préciser que le vaisseau qui a fini en boule de bowling quelque part en Asie était leur vaisseau de communication. Ces cons là n’ont pas de kit mains libre sur chaque vaisseau, certainement pour cause de restrictions budgétaires because la crise touche les extraterrestres aussi, depuis le temps qu’on vous dit que cette crise est grave je ne sais pas ce qu’il vous faut comme preuve supplémentaire. Il leur faut donc utiliser le rayon-laser-ondes-radios des scientifiques baba-cools de Hawaï, situé comme il se doit sur un des sommets de l’île. Précisément là où Samantha, la bombasse fille-de-l’amiral-et-fiancée-d’Alex qui est accessoirement kiné dans un centre pour vétérans de l’armée américaine, a décidé de faire une randonnée pédestre pour remonter le moral à Mick (Gregory D. Gadson) un grand black balèze qui a perdu ses deux jambes à la guerre (En Irak ou en Afghanistan, je ne me souviens plus très bien). Partir faire le GR20 local avec un type qui a deux prothèses en guise de guiboles je trouve personnellement ça audacieux comme thérapie, mais pourquoi pas, on n’est franchement plus à ça près. Et puis bon, elle est kiné mais là il n’y a plus rien à masser puisque les jambes du gars sont restées dans le Golfe Persique donc elle innove question traitement.
Bref je fais un point rapide sur la situation à ce moment précis du film : Alex et Nagata sont à bord d’un navire qui n’a aucune chance contre les vaisseaux aliens, Samantha et Mick sont à pinces (et à prothèses) dans la montagne où un commando alien se rend pour communiquer avec leur planète et leur dire que « c’est bon les gars vous pouvez venir c’est des nazes ». La suite je vous la laisse découvrir par vous-mêmes parce que je ne vais pas tout raconter non plus hein, et on en n’est à peu près qu’à la moitié là. Mais je vous promets que c’est largement aussi bien que le début. Il y a même encore plus d’action et de poilade, c’est dire.
Vous aurez droit en vrac à :
- une véritable scène de jeu de bataille navale où Nagata annonce des coordonnées genre A6/B2/C4 avec les coups dans l’eau, les « touché » et « coulé » qui vont bien. Je pense que le réalisateur et le scénariste ont dû un soir de picole avancée se lancer le défi de caser ça dans les dialogues de leur film, juste pour le fun ;
- une scène qui m’a tiré une larme (de rire) quand une bande de vétérans de la deuxième guerre remettent en usage l’USS Missouri (ouais les gars, le même que dans Piège en Haute Mer, le film des années 90 où Steven Seagle conjugue ses talents de cuistot et de briseur de bras, ah nostalgie quand tu nous tiens) sur fond de hard-rock, de déambulateur et de bannière étoilée. Scène qui a fini de me convaincre que le réalisateur était en réalité là pour se marrer et manier le second degré comme personne ;
- de la baston au corps à corps avec des aliens géants en armure mais qui préfèrent utiliser des machettes que des pistolets lasers. Certainement que petits ils tripaient plus devant le Shogun de Richard Chamberlain que devant le Capitaine Flam chez Dorothée, allez savoir ;
- du suspense avec l’incontournable chronomètre qui décompte les secondes avant que le message des aliens ne puisse partir vers leur planète lointaine ;
- et LA scène grandiose du film : le dérapage contrôlé d’un destroyer en pleine mer. Si, c’est possible, fallait juste oser essayer.
Que dire pour bien résumer ma pensée au sujet de Battleship… ça va peut-être vous paraître étonnant mais j’ai trouvé ça tellement nul que ça a fini par me plaire. On tient là un navet transgénique, un truc à la base naturellement mauvais mais boosté aux hormones. Entre l’humour involontaire (et j’ose l’espérer aussi une sacrée dose de second degré) et la connerie élevée au rang d’art majeur (rarement vu de héros plus insupportable que Taylor Kitsch dans ce film), les défauts de ce film se sont inexplicablement mués en qualités. Au point que je me suis rendu compte au fur et à mesure que je rédigeais cet article que j’y prenais un plaisir tout particulier ! J’ai même dû résister à l’envie de vous le raconter en entier.
Pour rester un tout petit peu objectif, je dirais quand même que question effets spéciaux et grand spectacle on en a pour son argent. Côté scénario ma foi, il ne faut pas oublier d’où l’on part quand même : la bataille navale. On ne peut donc pas légitimement s’attendre à du Kubrick. Niveau personnages et casting, on reste dans la logique du film. Taylor Kitsch est certainement l’incarnation du jeune américain hype, beau gosse et frondeur, c’est juste que moi j’ai envie de lui bourrer la face de high-kicks à chaque fois qu’il apparaît à l’écran. Liam Neeson est là en tant que garantie de sérieux sur le papier, à l’écran on le voit au début et à la fin dans un rôle où il ne se donne même pas la peine de cabotiner, il se contente de jouer de sa rigidité naturelle, point à la ligne. Un autre nom connu est présent en haut du casting pour attirer le chaland : Rihanna la chanteuse américaine qui interprète un soldat aux côtés de Taylor Kitsch. Là j’ai vraiment envie de commenter par « un coup à l’eau » tellement elle ne sert à rien, même pas ce à quoi on pourrait s’attendre, à savoir jouer la bonnasse en treillis. Je ne sais pas si c’est moi qui commence à avoir de sérieux problèmes de vue, mais si elle était censée être sexy ou glamour dans ce film je n’ai pas vu où ni quand. Et promis je n’ai pas dormi dans la salle. Sa participation au film se limitera donc au fait de tirer au canon ou à la machine gun une casquette mal vissée sur la tête. Et puis il y a un gars, dans le rôle d’un soldat également, qui m’a fait m’interroger pendant tout le film : j’avais l’impression de voir une version adolescente de Matt Damon et je me demandais à chaque fois qu’on l’apercevait si c’était pas son frangin par hasard. J’ai cherché depuis et il s’avère que pas du tout, le gaillard se nomme Jesse Plemons et restera donc pour moi un rouquin inconnu qui ressemble à Matt Damon. Enfin reste Brooklyn Decker que je ne connaissais pas mais dont l’intelligence physique m’a parfaitement convenu et convaincu qu’elle fera une belle carrière de sex symbol. Vraiment canon faut dire ce qui est.
Alors si je devais vous conseiller quelque chose au sujet de ce film, finalement ce serait de le voir. Histoire de rire un bon coup, même si ce sera plus souvent « de » que « avec » les personnages.
Et quand on y réfléchit bien, puisque ce film par ses défauts nous fait tant de bien, peut-être faudrait-il le qualifier de bon film finalement. Ouais c’est ça, Battleship c’est de la balle. Mieux vaut mater ça que n’importe quel quart d’heure d’émission issu de Secret Story.
PS : si vous avez lu tout ça, chapeau et merci.