Quel drôle de roman:fable que ce livre là !
Tout, de son format à son contenu, le fait sortir de l'ordinaire.
À commencer par son quatrième de couverture, qui tient en une seule phrase : « Dans mon souvenir, les années 2000 forment un long blockbuster traversé çà et là par des super héros. »
Énigmatique n'est-ce pas ? Tout comme Zoo : clinique, un titre:bizarre, vous en conviendrez.
Pas facile du reste d'en faire un résumé. Le roman de Patrice Blouin est une uchronie dont l'événement divergent est daté au printemps 1999. L'année où apparaît le premier homme:animal, un hom:gator pour être précis. Apparu en Floride, logique. L'épidémie s'est alors doucement propagée au monde entier. D'ailleurs peut-on parler d'épidémie ? Car il n'y a aucun signe de contagion, pas plus que de parenté visible entre les personnes qui mutent du jour au lendemain. Qu'il s'agisse d'une fem:ourse, d'un hom:dogue, d'une fem:singe ou encore du plus étonnant (comme si ce genre de mutation homme:animal ne l'était déjà pas suffisamment) hom:jument ! Vous croiserez également quelques enfants:lézards et plusieurs espèces d'hom:oiseaux... Le monde a alors changé, et dans plusieurs grandes villes ont été créés des zoos:cliniques, des lieux consacrés où sont regroupés les mutants, où on les soigne et où on les étudie. Officieusement cela permet aussi de les maintenir à l'écart de la population « normale ». Carlo Ginsburg* y officie en tant que rédacteur:infirmier, chargé de l'entretien et du bien-être des mutants, mais aussi de recueillir des témoignages:interviews sur les sensations nouvelles procurées par leurs corps hybrides inédits.
J'ai rarement écrit un résumé de roman aussi barré que celui-ci, je m'en rends compte !
L'histoire donc, sort de l'ordinaire, ainsi en va-t-il de la construction du récit. Le format ultra-court (120 pages d'une maquette très aérée) ne laisse pas place à de longs développements. Les raccourcis sont nombreux, les événements parfois survolés assez rapidement, tout se passe comme si Patrice Blouin refusait obstinément d'entrer dans les détails et de céder à la tentation de l'étalement comme le premier G.R.R. Martin venu qui serait tombé sur une idée à haut potentiel. Pourtant l'univers à peine esquissé par Patrice Blouin paraît riche, et on imagine sans peine le trésor de déclinaisons et de pistes à explorer qu'il renferme. Mais non, ce travail-là semble avoir été réservé au lecteur, pour -selon son profil- son plus grand plaisir ou sa plus intense frustration.
Pour en revenir à la construction même du récit, ce dernier oscille entre des passages de la vie de Carlo Ginsburg et des extraits d'interviews:confessions de mutants.
En ce sens, j'ai trouvé le roman un peu obscur, peu aisé à déchiffrer, laissant volontairement de larges zones d'ombres qu'il conviendra de combler au lecteur. Pourtant l'ensemble est intriguant à n'en pas douter. Intéressant également, pas son concept hors normes. À la lecture de Zoo : clinique apparaissent certainement nos habitudes:facilités de lecteurs:enfants qui ont l'habitude d'être pris par la main et qu'on laisse rarement se débrouiller seuls devant un texte vaporeux et avare en détails...
On a clairement des pistes thématiques qui mènent à des réflexions sur l'évolution comme sur la condition humaine, sur la peur de l'inconnu, sur des sujets plus à la mode comme la mutation voire les super-pouvoirs qu'on a plutôt l'habitude ces derniers temps de considérer comme l'apanage de super-héros en costumes bariolés. Et puis en toute fin de son roman:fable, Patrice Blouin glisse malicieusement une explication possible à toutes ces mutations improbables, qui tout à coup font basculer le livre dans un autre registre du roman à coloration fantastique... mais trop tard, c'est déjà la fin. Comme pour le reste du roman, ce sera à vous de voir ce que vous ferez de cette révélation : en développerez-vous vous-mêmes les ramifications ou vous laisserez-vous porter cahin-caha par cette conclusion abrupte tout comme par le reste du texte ?
* Contrairement au premier rapprochement réflexe que j'ai fait entre ce nom et celui de Lucien Ginsburg, plus connu sous le patronyme de Serge Gainsbourg, il semblerait que le nom de Carlo Ginsburg fait directement référence à l'historien italien contemporain Carlo Ginzburg qui a fait de la microhistoire sa spécialité, préférant les études de témoignages précis pour coller au plus près à la réalité historique de personnes plutôt qu'à l'étude plus large d'une période ou d'un peuple.