Quand ce roman de Gillian Flynn a paru en France en 2012, c’était précédé d’une excellente réputation outre-atlantique. C’était le roman à lire si on aime le suspense. Dans la foulée (ou presque) était annoncée son adaptation au cinéma avec ni plus ni moins que David Fincher derrière la caméra et le couple Ben Affleck / Rosamund Pike (une de mes actrices préférées) dans les rôles principaux. Alors que le roman était déjà installé dans ma Pile-à-Lire, j’apprenais que la sortie du film en salle était imminente. Violant toutes mes règles concernant l’ordre de lecture de mes livres en attente1, je faisais donc gagner plusieurs mois au bouquin afin de pouvoir le lire avant de voir le film. Je me connais, et je sais que l’envie de lire a tendance à méchamment s’amenuiser quand je connais déjà les tenants et aboutissants. Autrement dit si je vois l’adaptation ciné en premier, le bouquin risque fort de perdre de son intérêt à mes yeux.
Voilà donc que le roman se voit propulsé tout en haut de ma Pile-à-Lire, gagnant au bas mot une année d’attente. Qui plus est, le film étant prévu de sortir à la rentrée, le roman devient donc l’une de mes lectures d’été, embarqué dans mon sac de plage, entre ma protection solaire indice 50 et mon Ipod (car oui, je suis vieux et branché : j’utilise le dernier gadget à la mode d’il y a 15 ans pour écouter de la musique).
C’est donc dans une ambiance sable fin, huile de jojoba, glace framboise-chocolat et monokini que je me mets à sa lecture4.
Et là, c’est simple, la Côte d’Azur a tout à coup disparu derrière les paysages un peu moins glamours de la campagne de l’état du Missouri. L’air est devenu oppressant, l’ambiance plus lourde de suspicion, et un voile de mystère s’est emparé de Cannes-la-Bocca.
Amy et Nick Dunn sont jeunes, beaux et donnent l’apparence d’un couple modèle et heureux. Mais voilà, la crise financière est passée par là, et la situation du couple s’est détériorée financièrement au point qu’ils ont dû quitter leur vie à New-York pour venir s’installer dans la ville d’origine de Nick, coin paumé au bord du Mississipi. Avec un peu de chance ce ne sera que provisoire. Et puis la situation des parents de Nick l’exige : sa mère se meurt d’un cancer et son père est atteint d’Alzheimer. Nick ouvre un bar avec sa sœur jumelle, ils ne s’en sortent pas si mal que ça finalement. Mais le jour de leur cinquième anniversaire de mariage, Amy disparaît. Nick retrouve la porte de leur maison grande ouverte, il y a des traces visibles de lutte… l’enquête débute aussitôt, et très vite Nick devient le principal suspect. Il faut dire que de plus en plus d’éléments convergent à le désigner comme coupable… Les petits secrets sont dévoilés, les révélations s’enchaînent, les apparences volent en éclat.
J’arrête là de vous raconter ce qu’il se passe dans ce livre, histoire de ne pas déflorer un suspense extraordinaire, totalement hors-norme, et qui tient jusqu’à la toute dernière page. Même quand on croit avoir tout compris, avoir fait le tour de l’affaire, à chaque fois un nouvel élément s’ajoute qui nous remet un petit coup derrière la tête et nous apprend la modestie que chaque lecteur devrait avoir en permanence face à un maître de la littérature de genre (une maîtresse dans le cas présent).
Bien sûr, vu que l’adaptation cinématographique a plutôt bien marché (et à raison : le film est vraiment très réussi lui aussi) et a connu son petit succès lors de sa sortie, il y a de fortes chances que le suspense dont je parle n’en est déjà plus un depuis longtemps pour vous. Mais si ça n’est pas le cas, si jusqu’ici vous êtes passés entre les gouttes de la renommée et du livre et du film, alors sachez que ce roman est un monument du genre, un summum d’efficacité. Rarement j’ai été à ce point baladé de bout en bout d’un livre. Et surtout il n’y a rien à jeter : tout est parfait, aux petits oignons, tout se tient du début à la fin, et jusqu’à la dernière ligne vous serez sur le cul, effaré par ce que vous lisez. Enfin moi c’est l’effet que ça m’a fait.
Le roman est construit sur une alternance de narration à deux voix. Chaque chapitre est raconté soit du point de vue de Nick, soit du point de vue d’Amy. Et pendant la première moitié du livre, vous ne saurez pas à quel saint vous vouer puisque tour à tour, chaque personnage sera décrit de manière très plausible sous le meilleur comme sous le pire jour. Tout ce dont vous serez sûr dès le départ et plus l’histoire avancera, c’est que ce récit est machiavélique.
Ce qui est très fort, c’est qu’une fois la première moitié du roman passé, quand on s’est pris un gros coup sur la cafetière par la révélation principale, le livre continue d’être parfaitement passionnant. Car une fois le « qui ? » solutionné, reste à comprendre le « comment ? » et mieux encore : le « pourquoi ? » qui vous fera certainement froid dans le dos.
Et ce qui est encore plus fort, c’est que même une fois que le « comment ? » et le « pourquoi ? » seront expliqués, le roman continuera encore à être passionnant et ce sera là d’ailleurs son exploit le plus remarquable : il va mener à une fin que jamais je n’aurais pu imaginer et qui m’a encore plus abasourdi que tout le reste. En refermant le bouquin après avoir tourné la dernière page, j’ai le souvenir très précis d’être resté là comme un con, à me dire « la vache, quel bouquin ! », n’en revenant toujours pas du niveau de cynisme que m’a imposé cette fin impitoyable.
Je pense que dans le genre roman à suspense, Les Apparences de Gillian Flynn est de loin celui qui m’aura le plus impressionné par sa maîtrise parfaite, sa construction sous forme d’engrenage absolument diabolique, et surtout par le sentiment qu’il laisse après lecture.
À lire absolument. J’envie ceux qui vont le découvrir sans encore rien en connaître.
1 sur ce point je suis une discipline bien définie : je lis mes bouquins par ordre d’arrivée sur ma P-à-L : je prends toujours celui qui est là depuis le plus longtemps.2
2 cette règle a des exceptions : quand une adaptation ciné ou télé arrive et que je tiens à avoir lu le roman avant, quand il s’agit d’un livre qui traite d’un thème particulier pour lequel j’ai mis en place une lecture à fréquence spécifique (exemple : je lis un livre par an en rapport avec Leonard Cohen, et j’en ai plusieurs d’avance chez moi), quand il s’agit d’une série en cours (exemple : chaque année pendant les congés de Noël je lis un tome de The Expanse), ou exceptionnellement quand j’attends tout particulièrement un livre pour X raison (souvent c’est lié à un auteur qui m’est cher).3
3 je sais que ça peut paraître psycho-rigide comme façon d’organiser mes lectures, mais ça marche plutôt pas mal ! Sans cette discipline ce serait, excusez le terme, le bordel. Et surtout certains livres finiraient par ne jamais être lus à force que d’autres leur passent devant...
4 je déconne pour l’huile de jojoba.